Les découvertes de l’ombre #15

Bonjour à tous !
Déjà deux mois depuis le dernier épisode des découvertes de l’ombre ! Deviendrais-je plus difficile à tenter ? Heureusement, certains blogpotes ne perdent pas la main… Découvrons tout de suite la sélection de cette fois-ci avec les résultats en fin d’article.

En quelques mots, je vous rappelle le concept: Au quotidien, je suis beaucoup de chroniqueurs (vive l’application WordPress !) qui me font découvrir des livres intéressants. Ces livres, je me les note toujours sur le bloc-note de mon téléphone (merci à toi qui remplace le post-it que je perdais tout le temps). Puis je me suis dit… Bon sang que tu es égoïste ! Fais donc partager tes découvertes au monde entier, mets en danger les comptes en banque et les PàL qui menacent déjà de s’écrouler !

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Blog : Les tribulations de Miss Chatterton
Johan Heliot est un auteur dont j’apprécie souvent le travail. Pourtant, je ne m’étais pas penchée sur cette saga, rebutée par son qualificatif jeunesse -ce qui est un peu bête je le conçois vu qu’il m’arrive d’en lire et même de passer un bon moment. Miss Chatterton s’est empressée de me démontrer à quel point j’avais tort dans sa chronique ! J’ai été attirée par l’aspect conte de fées non-genré et par la thématique du passage à l’âge adulte ainsi que l’absence de violence. Utiliser la tête au lieu des muscles? Ça change !

2
Blog : Les Chroniques du Chroniqueur
Je n’ai lu qu’un roman de Catherine Dufour jusqu’ici et j’en suis ressortie sans trop savoir si j’aimais ou non. J’en entends énormément de bien sur la blogosphère via les chroniques sur ses nouvelles et sur la Danse des lutins chez l’Atalante (il faudrait que je le lise aussi d’ailleurs !). C’est donc naturellement que j’ai jeté un œil sur celle du Goût de l’immortalité. Bien m’en a pris ! J’apprécie grandement l’originalité d’une narration sous forme de lettre écrite dans le futur et par une immortelle qui plus est. Les thématiques brassées semblent nombreuses et actuelles (épidémies, destruction des écosystèmes, fracture sociale, etc.) je me réjouis donc de lire cela par moi-même.

3
Blog : My Dear Ema
Le young adult et moi entretenons une relation compliquée, vous le savez si vous suivez régulièrement le blog. Je suis sévère, je lui passe peu de choses mais quand une blogueuse aussi exigeante qu’Ema qualifie ce livre de pépite en allant jusqu’à comparer son world-building à Harry Potter (et elle est aussi potterhead que moi !) well… Je me demande pourquoi ce roman n’est pas déjà dans ma PàL.

4
Blog : l’ours inculte
C’est en lisant sa chronique du tome 3 que j’ai ajouté ce roman à ma liste sans tarder. Depuis plusieurs années je reste frileuse face aux parutions de Bragelonne malgré quelques bonnes surprises (coucou Wyld, Victor). Toutefois, l’ours parle ici d’un univers grimdark, d’une ambiance sombre, de désespoir (de désespoooooaaaaar même) et j’a-dore. Du coup, hop, c’est dans la liste.

5
Blog : Chut, maman lit !
J’aime le Japon, ce pays me fascine surtout pour son Histoire et sa culture. Pourtant, j’ai du mal à trouver des romans contemporains qui me bottent vraiment et ici, même s’il s’agit de SF, le titre s’ancre tout de même dans la société japonaise (enfin si Anne-Laure ne ment pas :D). De plus, le principe est intriguant : un bazar qui offre une réponse à tous les soucis qu’on lui présente ! Pour ne rien gâcher, il s’agit d’un coup de cœur pour notre maman liseuse. Il était donc obligatoire que ce titre rejoigne ma PàL.

Et voilà c’est déjà terminé pour cette fois ! Nous sommes donc à une tentation pour miss Chatterton et Chut maman lit ainsi que Célinedanae, FungiLumini, les livres de roses, l’Apprenti Otaku, Lutin et songes d’une walkyrie. Nous arrivons à deux tentations pour Ma Lecturothèque, l’ours inculte, ainsi que les Chroniques du Chroniqueur et My Dear Ema. Le Grand Serpent maintient son avance avec quatre tentations, qui osera lui disputer son titre ?

Et vous, vous avez découvert quelque chose d’intéressant récemment? 🙂

Les Flots sombres – Thibaud Latil-Nicolas

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Les Flots sombres
est un roman de fantasy à poudre écrit par l’auteur français Thibaud Latil-Nicolas. Publié par Mnémos, vous trouverez ce roman au prix de 21 euros.
Je remercie Nathalie, Estelle et les éditions Mnémos pour ce service presse !

Souvenez-vous, je vous ai déjà évoqué cet auteur et cet univers avec son premier roman, Chevauche-Brumes, pépite de l’imaginaire 2019 qui méritait bien son titre.

De quoi ça parle ?
Les créatures maléfiques retenues par la Brume ont été libérées et sèment la panique dans les villages du Bleu-Royaume. La Neuvième Compagnie du Roy, que le lecteur suivait dans le premier volume et qui se fait appeler Chevauche-Brumes, ont juré de les combattre jusqu’à la mort. Pendant ce temps, les tensions entre pouvoir et culte d’Enoch s’exacerbent à la capitale et pour ne rien arranger, un terrible monstre fout la pagaille sur les voies maritimes entre le continent et les Îles Jumelles. En bref, c’est le bordel.

Un faux one-shot ?
Chevauche-Brumes a été présenté au public comme un one-shot mais les Flots sombres se déroule dans le même univers avec une partie de personnages en mettant en scène les conséquences directes des évènements relatés auparavant. Mensonge ! Manipulation ! Scandale ! Je vous entends déjà hurler mais calmez vos ardeurs car non, l’éditeur n’a pas menti. Thibaud Latil-Nicholas propose une aventure à part qui certes découle des évènements de Chevauche-Brumes mais peut se lire de manière indépendante en grande partie grâce au résumé présent au début du tome ! En voilà une idée qu’elle est bonne et dont je vous parlais dans une réflexion de l’ombre. Je suis ravie de cette initiative qui non seulement permet au roman de toucher un public plus large mais aussi aux blogueurs distraits de se rafraichir la mémoire. Ces courtes pages ont été plus que bénéfiques pour moi en me permettant de me replonger directement dans l’univers créé par ce jeune auteur talentueux.

Vous pensez qu’il s’arrête là? Que nenni ! En plus du résumé, le lecteur a aussi droit à un lexique des personnages à la fin du roman, des fois qu’il s’embrouille. C’est vrai qu’il y a tout un petit monde qui grouille entre les pages et ce n’est pas plus mal d’éclaircir un peu tout ça.

Une narration plurielle et riche.
J’ai retrouvé dans les Flots sombres tout ce que j’ai aimé dans Chevauche-Brumes et même davantage car le texte gagne en profondeur avec le développement de son univers sur un plan plus politique. Les chapitres s’articulent autour de quatre grands axes que je m’en vais développer.

Le premier est celui du jeune roi Téobane, un enfant qui a du mal à gérer son rôle. Il est chapeauté par Poltrick de l’Escois, le Régent, qui fait de son mieux pour jongler avec toutes ses obligations.
Le second est celui de Juxs, membre haut placé de l’église d’Enoch qu’il juge trop laxiste face au pouvoir en place. Il va intriguer pour se rapprocher du jeune roi en espérant éclairer son esprit.
Le troisième est celui d’Ophélie, une jeune femme qui survit à l’attaque du monstre marin dont il est question dans le résumé, au contraire du reste de son équipage. Elle est sauvée par Léandres, un modeste pêcheur somme toute sympathique qui va se retrouvé embarquer malgré lui dans des intrigues qui le(s) dépassent largement. Ophélie va tenter de prévenir les Îles Jumelles de la présence de ce monstre et se verra confier par le pouvoir en place un navire afin d’enquêter à ce sujet. Si, au départ, on y croit moyen, elle va prendre de plus en plus d’importance et son axe narratif va rejoindre celui des Chevauche-Brumes.
La compagnie (enfin, ceux qui ont choisi d’embrasser la cause des Chevauche-Brumes) constitue donc bien le quatrième groupe d’importance même s’ils se trouvent moins au centre de l’intrigue que dans le premier roman. On replonge avec eux dans l’ambiance camp militaire, familiale et fraternelle. On y retrouve les doryactes qui n’ont pas cessé de les accompagner et vont prendre une place qui gagne en importance. On pourrait croire (et espérer) qu’ils soient reçus en héros pour leur bravoure mais le pouvoir militaire les considère plutôt comme des déserteurs (ingratitude bonjour !), ce qui leur complique la tâche mais ne les empêche pas de soutenir Ophélie dans son combat contre le monstre marin.

Un monde qui gagne en profondeur.
Si le premier volume prenant place dans cet univers se concentrait surtout sur la Compagnie, celui-ci, comme je l’ai montré dans le paragraphe précédent, développe plusieurs pans en y amenant des intrigues religieuses et politiques qui ne sont pas sans rappeler certains évènements historiques. À ce niveau, on ne peut pas dire que Thibaud Latil-Nicolas réinvente le genre mais d’un autre côté, ce n’est pas ce qu’on lui demande. Il place ses pions sans être (trop) prévisible. Si on voit venir certains dénouements, on reste sur le cul face à d’autres au point de se demander s’il ne nous a pas jeté un peu de poudres aux yeux pour détourner notre attention. Bref, on sent que l’auteur gagne en maîtrise et en expérience au fil de ses textes, comme je le pressentais à la lecture de son premier roman.

Baston !
Thibaud Latil-Nicolas écrit de la fantasy militaire. On peut chipoter pour se demander dans quel genre la classer spécifiquement (à poudre ? à voile ? (bah oui, y’a l’aspect océan)) mais ces deux qualificatifs restent pertinents entre tous. L’auteur s’améliore d’ailleurs au fil des romans. Si je trouvais ses combats au sol plutôt bien maîtrisés dans Chevauche-Brumes, je n’avais encore aucune idée de son talent pour les combats en mer ! Immergée (sans mauvais jeu de mots) dans le récit, je n’ai eu aucun mal à me représenter les affrontements habilement décrit par l’auteur. C’est, à mon sens, l’un des grands points fort du roman et ce que je recherche avant tout quand je le lis.

Encore une chose… Aidez à remettre ce roman à flot !
Promis j’arrête avec les jeux de mots pourris. Vous le savez peut-être mais comme je l’ai déjà expliqué dans un autre article, les éditeurs indépendants ont souffert de cette crise COVID-19 à l’instar d’autres milieux. Thibaud Latil Nicolas, tout comme son collègue Raphaël Bardas (auteur du très bon les Chevaliers du Tintamarre) ont eu la malchance d’atterrir sur le planning éditorial au tout début de cette crise si bien que leurs romans n’ont pas eu le rayonnement mérité. Je vous encourage donc à les soutenir si le cœur vous en dit, il y a pour cela plusieurs options : achetez directement leurs textes sur le site de Mnémos, parlez en autour de vous, repartagez vos chroniques, photographiez les si vous les croisez en librairie, même si vous ne l’achetez pas. Bref, mettez les en avant pour que ces deux pépites puissent jouir d’une longue et belle vie littéraire.

La conclusion de l’ombre :
Avec les Flots sombres, Thibaud Latil-Nicolas continue sur une lancée prometteuse en proposant une fantasy militaire de qualité. L’intrigue se complexifie, les personnages se multiplient et jouissent d’une psychologie bien exploitée. Si les tropes du genre restent classiques (conflit religieux, héros injustement rejetés, révolution pour un changement de régime) l’auteur les rend intéressant dans ce page-turner de qualité. Je ne peux que vous en recommander d’urgence la découverte !

Les Chevaliers du Tintamarre – Raphaël Bardas

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Les Chevaliers du Tintamarre
est un one-shot de fantasy cape et épée (enfin, hachoir et poing ->) écrit par l’auteur français Raphaël Bradas. Pépite de l’imaginaire 2020, vous retrouverez ce roman chez Mnémos au prix de 19 euros.
Je remercie les éditions Mnémos, Nathalie et Estelle pour ce service presse.

Des orphelines disparaissent à Morguepierre et des marie-morganes s’échouent sur la plage. Alors que certains enquêtent déjà, d’autres se font adouber chevalier pour dénouer ce mystère. C’est ainsi que Silas, Rossignol et la Morue deviennent les Chevaliers du Tintamarre et se retrouvent embarqués dans une mésaventure où les coups de poing pleuvent. Baston !

Raphaël Bardas propose ici trois anti-héros, représentants parfaits des bas-fonds de Morguepierre. Silas est charcutier mais a des rêves de grandeur et de noblesse. Rossignol est un musicien en mal de reconnaissance qui aime étaler son maigre savoir. Quant à la Morue, il est poissonnier et a l’odeur qui va avec. Il se bat aussi pour de l’argent et a reçu pas mal de coups sur la tête. On ne comprend pas toujours bien ce qu’il dit quand il le dit mais ça participe à son charme. Quand Silas, occupé à faire sa petite affaire avec une vieille dame, assiste à l’enlèvement d’une jeune fille, impossible de détourner le regard et de laisser faire. Il a vu les coupables ! Il embarque alors ses deux copains dans cette sombre affaire… L’auteur ne s’arrête pas à ces drôles de personnage puisqu’il propose aussi un capitaine grande gueule avec des pierres au rein, un cadet imbu de sa personne, un spadassinge redoutable et un vieux noble mystérieux. Sa galerie de personnage est aussi riche que sa plume et si certains passent à première vue pour des archétypes, on comprend vite notre erreur. Grâce à une narration aux points de vue multiples, l’auteur nous permet de suivre l’intrigue sur différents niveaux et d’essayer tant bien que mal de créer des liens. Parce que ça part dans tous les sens ! Et j’ai pas vu venir grand chose.

J’ai évoqué plus haut la plume de Raphaël Bardas, il y a beaucoup à en dire ! Je l’ai trouvé hyper immersive et maîtrisée pour un auteur débutant. Il utilise un vocabulaire adéquat pour le style d’époque où il place les Chevaliers avec un rythme maîtrisé et des mots assez fleuris. Si fréquenter des personnages à la grande gueule et aux tendances vulgaires vous rebute, alors passez votre chemin. Moi, j’ai adoré et j’ai souvent eu un sourire devant leurs répliques bien senties. Ce roman aurait sans problème pu s’intituler les trois mousquetaires des bas-fonds tant j’ai eu plaisir à retrouver des caractéristiques de la plume, si pas de Dumas, au moins de ces grands auteurs du 19e qui donnent dans le roman de cape et d’épée. En quelque sorte, c’est le genre auquel appartient les Chevaliers du Tintamarre avec des éléments fantasy en plus.

Et oui, l’univers dispose de sa propre magie et de ses créatures remarquables, avec son bestiaire inspiré des légendes bretonnes. Le roman sent la mer mais également la poussière des grottes et des villes étouffantes. L’ambiance retranscrite par Raphaël Bardas fonctionne très bien et je n’ai eu aucun mal à m’immerger dans son univers. J’ai apprécié la manière dont il a marié les éléments surnaturels au reste de son monde original, par exemple via l’utilisation de drogues assez odieuses (qui a envie de chiquer des bouts de créatures magiques, sérieusement ?!) ou sur les récits des origines qui sont exploités ici.

J’ai également su apprécier son souci du réalisme. Si vous cherchez des personnages frais et propres sur eux, passez votre chemin. Dans cette époque inspirée du début de la Renaissance, on ne connait pas le dentiste, vaguement les médecins et on se débrouille comme on peut. En soi, ça ne fait pas rêver mais ça participe à la crédibilité du texte. C’est le genre de détails auxquels je suis sensible.

Si j’ai quelque chose à reprocher à ce roman, c’est peut-être son rythme trop rapide sur la fin. C’est un choix de l’auteur, je ne le critique pas en tant que tel mais mon moi lectrice a eu un goût de trop peu bien que j’ai particulièrement apprécié l’épilogue et le choix du message véhiculé. Ça change de manière agréable ! Après, voilà, je chicane parce que dans l’ensemble et d’autant plus pour un premier roman, c’est une belle réussite.

Pour résumer, les Chevaliers du Tintamarre est une pépite de l’imaginaire qui mérite bien son titre. Armé d’une plume redoutable, Raphaël Bardas nous raconte l’histoire de cet improbable trio embarqué dans une histoire qui fleure bon le sel (et l’alcool). En posant les bases de son univers original, l’auteur propose une intrigue qui paraît simple -retrouver des jeunes filles disparues- et qui va se compliquer à mesure qu’on avance dans le récit. Si, à mon goût, la fin était trop rapide, je suis sidérée par la qualité de ce premier roman de l’auteur dont je recommande très chaudement la lecture.

Les Six Cauchemars – Patrick Moran

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Les Six Cauchemars est un roman de dark fantasy écrit par l’auteur français (au moins d’adoption si j’ai tout suivi à sa biographie) Patrick Moran. Publié chez Mnémos en ce début d’année 2020, vous trouverez ce texte au prix de 18 euros.
Je remercie Estelle, Nathalie et les Éditions Mnémos pour ce service presse.

Avant d’aller plus loin, sachez que l’auteur a écrit un premier roman dans le même univers et qui fait intervenir la même héroïne : la Crécerelle. Toutefois, il est très possible de lire les Six Cauchemars de manière indépendante, comme l’affirme l’éditeur, et je félicite l’auteur pour ce tour de force parce que j’étais un peu dubitative quant à la possibilité d’y arriver.

La Crécerelle est un assassin dont la réputation n’est plus à faire. C’est probablement pour cette raison que Mémoire, son ancienne amie et la représentante des Cités-États, choisit de l’envoyer sur la trace des Six Cauchemars. Il s’agit d’un groupe auquel la Crécerelle a jadis appartenu, composé de ses anciens camarades de classe (si on peut dire). La Crécerelle n’a pas vraiment le choix d’accepter, ça lui sauvera la vie après tout puisque la mort des cinq autres évitera son exécution. Si les évènements s’enchainent comme prévu, elle sera donc le dernier cauchemar restant. Mais replonger dans le passé n’est jamais sans conséquence… Et si Mémoire n’était pas tout à fait honnête avec elle ?

Si ce tome peut se lire de manière indépendante, c’est parce qu’il s’axe justement sur le passé de l’héroïne et donne au lecteur les quelques informations importantes du premier tome, notamment en ce qui concerne la créature. Patrick Moran construit son intrigue en la détachant de son premier roman avec un rythme constant en enchainant les moments de traque, d’affrontements et les chapitres intitulés « reliquats » qui montrent des scènes du passé en remontant de la plus récente à la plus ancienne. De plus, chaque chapitre annonçant la rencontre avec l’un des Cauchemars est doté d’une en-tête présentant le Cauchemar en question, sous forme d’une note du Conseil adressée à la Crécerelle. Ce choix narratif permet à l’auteur de donner les informations importantes sans alourdir son texte avec une longue scène d’exposition. En cela, je trouve que Patrick Moran a évolué par rapport à son roman la Crécerelle qui souffrait de quelques longueurs. Je n’ai, à aucun moment, eu ce sentiment pendant ma lecture des Six Cauchemars.

Toutefois, je dois avouer que l’intrigue reste assez classique. Il s’agit d’une traque, l’héroïne sait plus ou moins où trouver chaque cible grâce à des informations servies sur un plateau et parfois en trouvant des indices d’une manière un peu forcée. Sur le déroulement global, le lecteur ne restera pas cloué sur sa chaise de surprise. Toutefois je pense que Patrick Moran voulait surtout se concentrer sur l’évolution psychologique de son héroïne et mettait plutôt les évènements au service de ce but-là, très honorable en soi. L’aspect classique de son intrigue (du moins jusqu’au dernier tiers) ne m’a d’ailleurs pas empêché de tourner les pages sans réussir à m’arrêter.

L’auteur a aussi rendu son texte plus accessible. Si la Crécerelle se démarquait par un vocabulaire soutenu et très recherché, avec des concepts métaphysiques parfois complexes à appréhender pour le lecteur novice, c’est beaucoup moins le cas ici. Comprenons-nous : je ne dis pas que l’écriture s’est appauvrie ou même que l’univers a perdu de son charme. Simplement, j’ai eu le sentiment que Patrick Moran avait trouvé le juste équilibre et ouvrait davantage la porte de son monde aux gens qui ne vivent pas dans sa tête. Cette fois-ci, il esquisse son univers sans s’appesantir inutilement sur les détails, nous laisse entrevoir sa richesse sans nous écraser sous son poids. Peut-être les adeptes d’un world-building poussé et détaillé crieront-ils au désespoir mais, personnellement, je n’ai eu aucun mal à me projeter et j’ai largement préféré cette façon de construire les Six Cauchemars. Cette remarque vaut aussi pour son système de magie et tout ce qui touche à la thaumaturgie. On comprend beaucoup mieux comment tout cela fonctionne, c’est assez plaisant.

Les Six Cauchemars est donc un roman plus accessible que la Crécerelle mais tout aussi noir, sombre et violent sans la moindre trace de manichéisme. L’auteur maîtrise son héroïne et les nuances de sa personnalité ressortent bien. Elle a des regrets, sans pour autant chercher à se racheter à tout prix. Elle est capable d’une forme de compassion, sans pour autant que sa main tremble quand la situation l’exige. J’ai été très sensible à cet aspect humain et à la maîtrise psychologique dont fait preuve Patrick Moran. C’est le cas pour la Crécerelle mais aussi pour les personnages qui gravitent autour. Si certains des Cauchemars peuvent paraître caricaturaux, l’auteur en dit juste suffisamment pour qu’on se rende compte qu’à l’instar de l’héroïne, ils représentent un échantillon très crédible d’humanité. Xanthorop est le magicien solitaire qui prend plaisir à pousser ses recherches toujours plus loin sans autre motivation que l’attrait de la découverte. Euphémie œuvre dans l’ombre pour tisser une toile qui lui survivra à travers les siècles et trouve son plaisir dans cette perspective plutôt que dans la satisfaction immédiate. Philoctimon est un noble livré avec l’ego qui a de grandes ambitions. C’est le personnage qui manque le plus de subtilité à mon sens. Contrairement à Altavair, son âme damnée, dont on découvre le fond quelques pages avant la fin et qui, personnellement, a su me remuer. Enfin, dernier et non des moindres, le terrifiant Dévoreur qui n’a pas grand chose d’humain et n’est attiré que par le sang, la violence, tout dévolu à ses pulsions, ce qui se ressent jusque dans son aspect physique monstrueux. C’est un personnage plutôt mystérieux qui parait brut et uniquement utile au remplissage, au premier abord seulement. Ce sont les scènes du passé qui permettent d’entrevoir un peu plus loin et de comprendre que non, il ne remplit pas seulement la case brute épaisse du cahier des charges. On peut également citer Mémoire, rencontrée dans le tome précédent. Une femme qui parvient à se reconstruire et à avancer malgré les terribles malheurs qu’elle a du encaisser (c.f. la Crécerelle pour plus de détails). C’est un beau personnage féminin avec ses forces et ses failles, une réussite.

Si les personnages ne manquent pas d’intérêt, il en est de même pour les relations qu’ils entretiennent. On pourrait penser qu’une sorte d’amitié liait les Six Cauchemars puisqu’ils ont passé plusieurs années ensemble en apprentissage thaumaturgique mais ce serait une grave erreur et ça rend ce roman encore plus intéressant à lire. Je ne vais pas plus loin pour ne divulgâcher aucune information. Toutefois, la relation la plus aboutie est, selon moi, celle qui existe entre la Crécerelle et Mémoire. L’auteur développe cette interaction toxique, malsaine, entamée dans son précédent roman en donnant tout de même les clés au lecteur qui débarque pour en comprendre l’intensité et les aboutissements. Je lui tire d’ailleurs mon chapeau pour son choix de fin, j’ai été conquise.

Pour résumer, les Six Cauchemars est un roman très réussi à la hauteur de la Crécerelle avec l’avantage d’être plus accessible quoi que plus classique dans son intrigue. Patrick Moran continue de développer son héroïne hors du commun dans un texte qui peut se lire de manière indépendante. Fidèle à ses habitudes, l’auteur soigne la psychologie de ses personnages et l’ambiance très sombre qu’il installe happera habilement le lecteur innocent qui se retrouvera prisonnier de cet abîme de noirceur, pour son plus grand plaisir (à condition d’aimer ça, ce qui est mon cas !). J’ai adoré les Six Cauchemars et je le recommande avec beaucoup d’enthousiasme.

La Trilogie de la Lune #3 La lune vous salue bien – Johan Heliot (3/3)

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La lune vous salue bien
est le troisième tome de la Trilogie de la Lune écrit par l’auteur français Johan Heliot. Réédité chez Mnémos en intégrale prestige à la fin de l’année 2019, vous trouverez ce bel objet au prix de 30 euros partout en librairie.
Je remercie Nathalie, Estelle et les éditions Mnémos pour ce service presse.

Rappelez-vous, je vous ai déjà parlé des deux tomes précédents : la lune seule le sait et la lune n’est pas pour nous.

Ce volume se déroule dans les années 1950. Les américains ont débarqué en sauveurs pour aider l’Europe et ont ramené une forme de lumière après les Années Sombres, grâce à un système de miroirs. Boris Van, agent du secret français, va devoir mener une mission aux États-Unis après un passage par l’Afrique. Son but ? Comprendre ce qui se trame dans les hautes strates américaines et peut-être empêcher un désastre.

Contrairement aux volumes précédents, La lune vous salue bien est écrit à la première personne, du point de vue de Boris, à l’exception des débuts de chapitres qui sont toujours du point de vue d’un autre protagoniste, afin de comprendre davantage les enjeux de l’intrigue. Ce changement marque un certain dépaysement mais n’est pas dénué d’intérêt puisque ça aide à rendre le texte un peu plus immersif. Pas suffisamment pour moi, hélas (je vais y revenir) mais tout de même.

Dans cette uchronie, les États-Unis sont venus aider l’Europe après les évènements du volume 2, ce qui a permis une forme d’américanisation très présente pendant tout le roman. Comme Johan Heliot choisit d’écrire du point de vue de Boris, on prend conscience des nombreux mots anglais qui ont envahis le vocabulaire de tous les jours et qui sont écris phonétiquement dans le texte (nouillorque, bloudjine, etc.) Ce choix donne une saveur particulière à la narration, une couleur locale plutôt forte. Impossible de louper l’influence américaine sur la société européenne. L’écho est d’autant plus fort pour nous en tant que lecteur.

L’époque et le lieu permettent de développer les thématiques du patriotisme exacerbé, de la manipulation de masse par les médias télévisuels, de la force qu’a l’aura d’une star sur son public mais aussi des expériences secrètes aux conséquences terribles, rendues possibles par la mondialisation et l’interdépendance des pays. On retrouve là un sujet cher à l’auteur puisqu’il l’évoque de manière régulière dans ses œuvres. À mesure que l’intrigue avance, le lecteur prend conscience de quelle manière se construit une élection présidentielle, du poids des apparences, des enjeux du support privé, etc. Comme à chaque fois, Johan Heliot frappe fort avec ces thématiques malheureusement toujours actuelles.

Mais… Et c’est là que le bât blesse, c’est que ce tome supposé être un polar / roman d’espionnage se transforme justement un peu trop en pamphlet politique engagé à mon goût. Si j’ai aimé l’épilogue résolument cynique, j’ai ressenti plusieurs longueurs dans les échanges et explications entre les différents personnages. Je devais parfois résister à la tentation de passer des pages, la faute à des scènes d’exposition qui duraient trop longtemps pour se terminer presque chaque fois sur une explosion de violence avec un goût de « tout ça pour ça ». Pourtant, il y a de bonnes idées comme la manière dont le gouvernement américain a exploité les écrivains pour se développer (coucou, ça vous rappelle quelque chose les amis français ?), la tentation du contrôle de masse sur l’agressivité pour empêcher les guerres, la mince frontière entre sauveur et tyran… Franchement, oui, il y a un fond cohérent et riche. Sauf que la manière de présenter les idées manquait de rythme et de subtilité à mon goût.

Dans son souci de fidélité historique, Johan Heliot parle évidemment du racisme, à travers le personnage noir de Lothair qui, au final, n’a pas de réel poids et s’oublie assez vite. Quand je dis qu’il en parle… Disons qu’il le montre vaguement sans aller plus loin. Je sais que ce n’était pas le propos du livre mais quand même, il y a ici un manque de mise en contexte. Il montre aussi une image assez peu flatteuse des femmes. Cette fois-ci, elles sont complètement absentes à l’exception de Lolita (décrite comme une fille facile et montrée comme objet du désir lubrique d’un peu tout le monde) et… Et c’est tout en fait, je n’ai même pas envie de considérer Jayne comme un personnage représentatif. Nous sommes d’accord, c’est cohérent avec l’époque, je pense que c’est ce que l’auteur voulait montrer, mais ça en devient un peu lassant et c’est précisément pour toutes ces raisons que ce tome est celui qui m’a le moins séduit des trois. Mais je m’en doutais un peu quand j’ai découvert l’époque où il se déroulait. Ce n’est pas un contexte historique que j’apprécie et j’en ai un peu ma claque des histoires politiques. Du coup, la sauce n’a pas pris.

Sans compter que la Lune en elle-même, les Sélénites et les Ishkiss sont plutôt absents de ce roman. Le titre prend sens littéralement à la toute dernière ligne. On apprend que le peuple lunaire s’est mis en route dans l’espace à la recherche d’un nouvel endroit où vivre et qu’il a laissé derrière lui ceux qui n’avaient pas envie de les accompagner en les déposant au passage sur Mars. Ce sont ces gens, des jeunes pour la plupart, qui vont intervenir dans la politique américaine pour tenter de trouver une solution à leur déchéance programmée (ouais parce que c’est un peu la galère sur la planète rouge en terme de ressources). L’auteur raconte donc les conséquences de tout ce qui a pu arriver avant mais je pense sincèrement qu’il aurait pu s’arrêter au tome précédent sans que, sur un plan personnel, je ressente un manque quelconque.

Mais ce n’est pas parce que ça n’a pas fonctionné avec moi que le roman en devient mauvais pour la cause. Au contraire ! Johan Heliot continue de défendre sa place de maestro ès uchronie. On sent qu’il connait son sujet à fond et qu’il le traite avec la minutie de l’historien. Il réfléchit soigneusement sur la manière d’adapter ses thématiques au genre du roman et s’en sort plus qu’honorablement. Ses choix ne manquent pas de justesse ou d’intelligence et sur un plan formel, ce roman est bon. Il ne colle juste pas à mes goûts et à ce que j’attendais de cette trilogie.

Ma découverte de la Trilogie de la Lune s’achève donc sur une note mitigée mais je continue à recommander la lecture de cet ouvrage et des autres titres de l’auteur, en particulier Grand Siècle (au risque de radoter), que je considère comme une réussite totale.

Pour résumer, La lune vous salue bien n’a pas su me séduire tout simplement parce que le roman ne correspond pas à mes goûts. Il se déroule dans les années 1950 et s’appuie sur la thématique principale de la manipulation médiatique. Construit comme un polar et même comme un roman d’espionnage, il contient trop de scènes d’exposition pour vraiment me plaire en plus du racisme / sexisme typique de l’époque qui m’agace au plus haut point. Si ça n’a pas fonctionné avec moi, cela n’empêche pas La lune vous salue bien d’être un texte de qualité qui confirme Johan Heliot comme maître de l’uchronie.

La Trilogie de la Lune #2 la lune n’est pas pour nous – Johan Heliot (2/3)

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La lune n’est pas pour nous
est le second tome de la Trilogie de la Lune écrit par l’auteur français Johan Heliot. Réédité chez Mnémos en intégrale prestige à la fin de l’année 2019, vous trouverez ce bel objet au prix de 30 euros partout en librairie.
Je remercie Nathalie, Estelle et les éditions Mnémos pour ce service presse.

L’histoire de ce tome commence en 1933 soit une cinquantaine d’années après les évènements racontés dans La lune seule le sait dont je vous ai déjà parlé précédemment. Suite à la chute de l’Empire, une Guerre Totale s’est déroulée, gagnée par Hitler qui en profite pour assoir la domination allemande et développer son idéologie aryenne. Il ne fait pas bon vivre sur Terre et cela exacerbe la rancœur des Terriens envers les Sélénites au sujet desquels la rumeur raconte qu’ils vivent plus que confortablement et ne souffrent pas de la faim.

Le lecteur est invité à suivre plusieurs protagonistes dont certain qu’il a déjà pu rencontrer dans le premier volume, à savoir Isidore (souvenez-vous de ce journaliste ami de Jules Verne !) et Jaume, le commissaire zélé qui approche de la retraite et ne rêve que de partir au soleil avec son épouse. Jaume connait d’ailleurs une évolution très intéressante et j’ai presque eu le sentiment de côtoyer un autre personnage tant il me plaisait dans ce volume et m’exaspérait dans le précédent.
À eux s’ajoutent Léo, un cambrioleur qui n’a décidément pas beaucoup de chance dans sa vie ainsi que des hauts dignitaires du parti nazi. Je parle évidemment de Himmler, Goebbels et bien entendu, Hitler en personne. À mon sens, il s’agit ici d’un choix plutôt osé de la part de l’auteur et j’ai ressenti un certain malaise à la lecture de ces chapitres. On a tellement ancré en nous l’horreur de la seconde guerre mondiale que suivre des figures aussi importantes, qui ont commis des actes aussi affreux dans notre réalité et en arriver à ressentir par moment une forme d’intérêt et de compassion pour eux, c’est malaisant. Johan Heliot les humanise, ce qui n’est pas un mal en soi car après tout ils étaient humains, ils avaient aussi leurs émotions et leurs tourments, mais je pense que je n’étais pas préparée à être confrontée à quelque chose comme cela. Qu’on se comprenne bien : à aucun moment l’auteur ne fait l’apologie de l’idéologie nazie, au contraire. C’est juste qu’il nous oblige à voir que ces gens, qu’on qualifie de monstres, étaient aussi humains que n’importe qui. Et à les côtoyer.

Ce roman est coupé en parties, chaque partie correspond à une année qui s’étend entre 1933 et 1937. En tant que lectrice, j’ai mis un moment à suivre correctement l’intrigue et à comprendre les liens tissés par l’auteur. Johan Heliot prend son temps, ce qui plaira à certains et peut-être moins à ceux qui, comme moi, aiment que ça bouge tout le temps. L’auteur en profite pour traiter de nombreuses thématiques et la principale d’entre elles reste bien entendu la propagande. Mais ce n’est pas celle qui m’a le plus marquée puisque l’auteur pousse le culot encore plus loin en interrogeant notre perception même du réel. Je m’explique : Jaume, à nouveau sous couverture, entre en possession d’un manuscrit écrit par l’auteur allemand Hanns Heinz Ewers (personnage historique, j’ai vérifié) qui raconte une autre version de la guerre… La nôtre, celle de notre monde à nous ! Il y décrit un univers où les Sélénites ne sont jamais entrés en contact avec les humains, où le parti nazi a lancé son plan d’extermination des juifs (il découvre du même coup l’existence de camps) et où ce sont les alliés qui ont remporté la guerre. La mise en contact avec ce manuscrit va radicalement changer les convictions de Jaume. Là où Johan Heliot est absolument génial, c’est qu’il joue avec sa propre uchronie au point que le lecteur en vient à se demander s’il n’évolue pas lui-même au quotidien dans le roman d’un auteur venu d’ailleurs. J’ai adoré ce concept et la façon dont ce manuscrit poussait les protagonistes à réfléchir au-delà de ce qu’on essaie de leur faire croire via la propagande. Cela montre également le redoutable pouvoir des livres, des fois qu’on l’oublie (et beaucoup ont tendance à l’oublier).

Johan Heliot pourrait s’arrêter là, il en aurait assez fait. Mais non ! Avec ce roman, il touche désormais à la science-fiction puisqu’il développe dans son uchronie une technologie avancée pour l’époque, plus que ce qu’elle ne devrait, et s’accapare également à une forme de mutation dans la fusion entre un humain et un sélénite. Léo est, à mon sens, une sorte de figure super-héroïque moderne avec des pouvoirs mutants qui lui permettent d’accomplir les exploits les plus fous, jusqu’à défier la mort. La ville de Germania est également dépeinte comme une ville futuriste qui m’a un peu évoqué Metropolis de Fritz Lang. Ce n’est pas spécialement surprenant puisque dans ce volume, c’est le cinéma qui dame le pion à la littérature et le lecteur va avoir le plaisir de croiser énormément d’acteurs et d’actrices de l’époque qui ont dans l’histoire un rôle purement figuratif mais ont le mérite d’être là pour renforcer l’effet réel. Léo lui-même va se faire passer pour un acteur et un festival de cinéma organisé à Germania deviendra le théâtre du dénouement de l’intrigue de ce tome.

Mais voilà, si ce roman est divertissant et déborde de références culturelles qu’on s’amuse à traquer, je l’ai trouvé par moment un peu longuet. Il faut vraiment attendre le dernier tiers (si pas quart) pour que les évènements s’accélèrent et qu’il devienne difficile de lâcher sa lecture. On ne peut pas nier la qualité de ce texte, rien que par la manière magistrale qu’a Johan Heliot de jouer avec l’Histoire, mais sur le plan du pur divertissement, certains auront peut-être un goût de trop peu.

Pour résumer, La lune n’est pas pour nous est une suite à la hauteur de La lune seule le sait. L’histoire se déroule cinquante ans après et voir fleurir une Germania victorieuse de la Guerre Totale avec, à sa tête, un Hitler plus glaçant que jamais. Johan Heliot n’a rien perdu de sa maestria quand il s’agit de jouer avec l’Histoire et la culture, parfois au détriment du rythme de l’intrigue. Je m’en vais de ce pas découvrir le troisième -et dernier- tome de cette superbe intégrale prestige dont je vous recommande la lecture !

La Trilogie de la Lune #1 la lune seule le sait – Johan Heliot (1/3)

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La Lune seule le sait
est le premier tome de la Trilogie de la Lune écrite par l’auteur français Johan Heliot. Publié chez Mnémos au début du millénaire (donc en 2000 pour ceux qui ne suivent pas) ces trois volumes ont été réédités dans une intégrale prestige en décembre 2019 par le même éditeur. Vous trouverez cette intégrale au prix de 30 euros.

J’ai longuement hésité pour finalement choisir de couper cette chronique en trois parties, une par roman. Je vous parle donc bien ici d’une intégrale prestige reçue en service presse mais avec trois articles pour le prix d’un. Je tiens au passage à remercier chaleureusement Nathalie, Estelle et les éditions Mnémos pour ce service presse.

Avant de commencer, un mot sur l’objet constitué d’une belle couverture cartonnée, d’une reliure en tissu et d’un signet. L’intérieur est plutôt sobre mais le papier de bonne qualité. L’intégrale vaut largement son prix que je trouve même démocratique face à la qualité de ce qu’on a dans les mains. Un parfait cadeau à offrir à tous les collectionneurs ! Forcément, un bel objet comme celui-là est encombrant et ne conviendra pas aux lecteurs des transports en commun, à moins qu’ils ne disposent d’un sac avec suffisamment de place. Mais ça vaut quand même le coup.

France, toute fin du 19e siècle, sous le règne de Napoléon III. Jules Verne part enquêter sur la Lune pour le compte de son vieil ami surnommé le banni de Guernesey (Oui, Victor Hugo quoi), chef de file d’une révolution qui gronde de plus en plus au sein de l’Empire. Jules Verne est chargé de retrouver Louise Michel, envoyée au bagne lunaire des années auparavant suite à quoi elle a perdu le contact avec Hugo, son ami, qui conçoit pour son sort une vive inquiétude. Parallèlement à ses aventures, le lecteur découvre une série d’intermèdes du point de vue du préfet de police Andrieux. Ce dernier confie à l’inspecteur principal Jaume la mission de surveiller Jules Verne, qu’il soupçonne de préparer un mauvais coup pour les comptes des révolutionnaires (à raison en quelque sorte). Jaume doit donc utiliser ses talents particuliers dans l’art du déguisement pour s’embarquer dans une nef cosmique et ce, incognito. Comme couverture, Jules Verne entre dans la peau d’un journaliste. Il se présente en tant que lui-même mais prétend être là pour le compte d’un journal. Cela lui permet de se lier avec d’autres journalistes, personnages secondaires non dénués d’intérêt, à savoir Isidore Bautrelet du Petit Parisien et son photographe Ernest.

La lune seule le sait est un roman surprenant et difficile à classer. Lorsqu’on découvre la préface d’Étienne Barillier, on apprend avec surprise que l’auteur ignorait tout du genre steampunk avant de poser les premières lignes de son roman qui s’inscrit pourtant comme un précurseur. Avant de me lancer dans des explications plus précises, je dois d’abord vous dire que La lune seule le sait est une uchronie dont le point de divergence avec notre Histoire se situe en 1889. En effet, cette année-là, lors de l’Exposition Universelle, un vaisseau ishkiss a débarqué aux yeux de tous en changeant radicalement la face du monde. L’humanité apprend donc que la vie existe en dehors de leur planète mais cela va plus loin: les Ishkiss disposent d’une technologie avancée, basée sur le vivant, qui va permettre à l’Empereur de survivre plus longtemps qu’il ne le devrait et donc assoir son régime politique au-delà de ce que notre propre Histoire raconte. On évolue alors de l’uchronie vers la science-fiction.

La technologie ishkiss est basée sur le vivant (leurs vaisseaux sont vivants, on utilise des animalcules pour respirer sur la lune, des insectoïdes pour se déplacer) mais n’est plus suffisante pour leur permettre de continuer leurs voyages. En effet, les nefs se meurent. Ils sont donc venus quémander l’aide du seul peuple, à leur connaissance, apte à maîtriser les technologies mécaniques. La fusion des savoirs va permettre l’élaboration de nombreuses technologies comme les trottoirs mécaniques, des canons électriques, des dirigeables, bref de grandes évolutions. Je ne suis pas certaine que j’y aurai spontanément apposé le terme steampunk car à mon sens, la technologie décrite par Johan Heliot ne me semble pas basée sur la vapeur mais plutôt sur des évolutions à la fois mécaniques, biologiques et électriques. Toutefois ce serait chipoter et je suis trop loin des connaissances de notre maître serpent pour vraiment me le permettre sans risquer de me tromper. Je me contente donc ici de vous partager une réflexion personnelle.
Voilà pour le genre du livre en lui-même.

Les Ishkiss sont des êtres mystérieux qui se dissimulent d’abord sous des espèces de scaphandres. On apprend plus tard dans le roman de quoi ils sont réellement constitués mais je tais ici le détail. Sachez simplement qu’ils ont besoin de tout un appareillage pour survivre dans notre atmosphère, raison pour laquelle ils se sont installés sur la Lune. L’Empire développe sur cet astre une base dite Cyrano où on exile les opposants politiques. On les fait travailler sur place à l’édification d’infrastructures à visées conquérantes car Napoléon ne compte pas se limiter à la Terre. Imaginez donc vu l’époque, on parle déjà de conquête spatiale à grande échelle ! Ainsi, au début du roman, le premier vaisseau d’une armada qui doit en compter cinq cents vient d’être terminé et Jules Verne le découvre à cette occasion.

Jules Verne est donc le principal protagoniste de l’histoire. À travers ses yeux d’écrivain novateur pour son époque, le lecteur découvre la réalisation de certains fantasmes qu’il a pu avoir dans ses romans. Pour ma part, je n’ai que très peu lu cet auteur, ne goûtant pas à son style trop didactique. J’ai donc loupé une partie des références qui raviront les fans mais cela n’a pas été gênant pour comprendre ni apprécier le contenu de ce roman. Johan Heliot s’amuse beaucoup à imaginer, à innover et cela se sent dans ses descriptions très visuelles de tout ce que découvre Verne. Ses articles s’intercalent d’ailleurs à certains moments du récit, ce qui permet de couper des scènes et d’éviter que le texte contienne trop de longueurs. Honnêtement, il y en a à certains moments mais quand j’ai découvert dans la préface qu’il s’agissait du premier roman de l’auteur, j’ai été soufflée par sa qualité. On sent que Johan Heliot est un érudit passionné par l’Histoire mais aussi (et surtout) par l’Histoire littéraire. Ce texte est, à mon sens, un hommage aux gens de lettres et un hommage maîtrisé.

La Lune seule le sait est donc une uchronie très référencée mais elle narre également une enquête et un combat pour la liberté. Fidèle à ses habitudes, l’auteur se sert de son intrigue pour évoquer des opinions politiques qui passent pour révolutionnaires dans l’époque où se déroule son histoire. Ici, il s’agit de renverser la tyrannie du pouvoir napoléonien et d’opter pour un autre modèle. Modèle qui sera représenté par les ishkiss, une société que j’ai ressentie comme la concrétisation d’une utopie communiste et qui, aux yeux des protagonistes de cette histoire, démontre qu’un tel régime est possible contrairement à ce qu’on affirme sur Terre.

Vous l’aurez compris, il s’agit d’un premier tome déjà très dense et qui aurait pu se suffire à lui-même puisque l’enquête se résout totalement à son terme et que, sans l’épilogue, Johan Heliot aurait pu en rester là sans frustrer personne. Même avec l’épilogue d’ailleurs. À voir si la suite sera celle de trop ou non.

Globalement, j’ai passé un agréable moment de lecture même si ce premier volume n’est pas à la hauteur de la claque ressentie à la lecture de Grand Siècle. J’y ai trouvé quelques longueurs et un manichéisme parfois dérangeant. Pour l’exemple, les agents de l’Empire sont représentés comme des personnes monstrueuses, folles pour certaines, sans compassion ni pitié. Le trait est trop gros, on a du mal à y croire et cela manque un peu de subtilité. Je pense toutefois qu’il s’agit d’une volonté de l’auteur afin d’ajouter un clin d’œil supplémentaire à destination des feuilletonistes de l’époque qui avaient le même genre d’habitudes avec leurs propres personnages dans les romans policiers. Mais je ne suis pas dans sa tête , je me contente donc d’extrapoler.

Pour résumer, la Lune seule le sait, premier tome d’une trilogie rééditée en intégrale prestige, est un premier roman bluffant d’une exceptionnelle qualité. Novateur pour son époque (l’air de rien, déjà vingt ans depuis la première publication !) Johan Heliot pose les bases d’une uchronie de science-fiction qui trouve son origine à la toute fin du 19e siècle. Texte très référencé et parsemé de personnages historiques autant que de personnalités littéraires, la Lune seule le sait ravira les plus érudits, les adeptes des feuilletonistes du 19e siècle et les fans de Jules Verne. Ceux qui sont peu sensibles à ces sujets risquent par contre de passer à côté de la richesse du texte et de n’y voir qu’une simple enquête dans un univers un peu original, ce qui serait dommage. Je vous recommande la découverte mais sachez à quoi vous attendre !

L’Ombre des arches – Vincent Mondiot

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L’Ombre des arches
est un roman de fantasy écrit par l’auteur français Vincent Mondiot. Publié chez Mnémos, vous trouverez ce texte au prix de 21 euros.
Je remercie Estelle, Nathalie et les éditions Mnémos pour ce service presse.

Rappelez-vous, l’année dernière, je vous ai parlé des Mondes-Miroirs, premier roman de Vincent Mondiot coécrit avec Raphaël Lafargue qui prenait place dans le même univers, avec des personnages semblables pour la plupart. L’Ombre des arches se déroule une année après les évènements relatés dans le volume susmentionné et je suis un peu surprise qu’il ne soit pas clairement annoncé comme une suite. En effet, même si L’Ombre des arches peut se lire de manière indépendante, je trouve que le lecteur passera à côté de liens importants s’il n’a pas précédemment pris contact avec l’univers posé par l’auteur. C’est toutefois un avis purement personnel et il y a probablement une bonne raison éditoriale à cela.

L’Ombre des arches raconte donc le voyage diplomatique d’Elsy et Elodianne. Le Palais central a envoyé la magicienne miroitiste en mission dans la province d’Aurterre afin de démontrer les nouvelles avancées magiques permises par la fréquentation des terroristes de Teliam Vore, présents dans le premier volume. Elsy accompagne Elodianne comme garde du corps et prend son rôle un peu par dessus la jambe, persuadée qu’il s’agit de vacances. Hélas ! Un évènement tragique va transformer les deux jeunes femmes en otages et les rendre complices malgré elles d’une tentative d’insurrection politique.

Souvenez-vous, dans le premier volume, j’avais relevé de nombreuses qualités que j’ai eu le plaisir de retrouver ici. Premièrement, la construction narrative ainsi que le rythme qui évoquent le médium manga. Vincent Mondiot découpe son intrigue et sa narration comme s’il s’agissait de planches dessinées japonaises. Les scènes d’action sont rédigées de manière claires et efficaces, très imagées. On n’a aucun mal à se projeter et c’est tant mieux car écrire une bonne scène d’action immersive n’est vraiment pas donné à tout le monde. Il laisse aussi une grande part aux dialogues ce qui apporte au lecteur un rythme stimulant, transformant l’Ombre des arches en page-turner. Ces dialogues, d’ailleurs, ne manquent pas de piquant. On retrouve par exemple Elsy, fidèle à elle-même, vulgaire, provocatrice et qui n’a pas sa langue dans sa poche. À elle seule, l’héroïne constitue un ressort comique qui passe ou qui casse. Je l’ai trouvé lassante par moment mais l’auteur est parvenu à la remettre dans mes bonnes grâces à mesure que l’histoire avançait en laissant entrevoir des pans de son passé qui surprennent, attendrissent.

J’avais également relevé la richesse des personnages. Dans l’Ombre des arches, le lecteur retrouve certaines têtes connues, déjà avec Elsy et Elodianne, mais Vincent Mondiot ajoute de nouveaux protagonistes afin de proposer un roman chorale d’une grande richesse non seulement sur la politique mais aussi sur l’Histoire de son univers. Corbès Salven, sa femme Linne, son neveu Alken, son âme damnée Rekvan ou encore l’un ou l’autre protagoniste éphémère, permettent de prendre conscience d’une nouvelle dimension de Mirinèce (sa géographie, son histoire, sa politique notamment) mais aussi de dévoiler au bon moment des éléments cachés d’une intrigue de grande ampleur, plus complexe que ce qu’on imagine au premier abord.

Comme je l’ai évoqué, suite à un évènement tragique, le légat d’Aurterre, Corbès Salven, développe des visées indépendantistes par rapport à la capitale Mirinèce (où se déroulait l’intrigue du premier roman) et à son ami Damnis à qui il avait prêté allégeance après la guerre contre les rebuts, trente ans plus tôt. Corbès charge donc son épouse de mener une délégation secrète à travers différentes provinces pour convaincre les légats de se rallier à sa cause et proposer un contre-pouvoir fort. Vincent Mondiot ne cherche pas à donner dans l’inspiration politique ou même dans le pamphlet engagé. Il propose un roman très réaliste et même assez désenchanté, cynique, sombre dans son ton, dans son déroulé, au point de confiner parfois à l’horreur lors de certaines scènes. La manière dont l’auteur présente les évènements rappelle une fois de plus l’aspect manga. Cela m’a notamment frappé à la fin quand les deux compères d’Elsy éclatent le crâne de Linne Salven et massacrent la délégation d’Aurterre en enchaînant les blagues et les remarques légères. C’est tellement typique d’un seinen, ce décalage complet, surtout avec les sentiments d’effroi de la part d’Elsy et Elodianne qui ont tout fait jusque là pour sauver leurs ravisseurs… Ce n’est qu’un exemple, d’autres me viennent à l’esprit comme cette protagoniste qui entretient des pensées suicidaires assez fortes sous le coup de la culpabilité ou le syndrome de Stockholm évident développé par Elsy et Elodianne, à des degrés différents, ce qui est aussi intéressant puisque ça aura des conséquences sur l’affrontement final du roman. Vincent Mondiot traite tous ces thèmes avec une certaine justesse, en s’y arrêtant juste comme il faut, sans trop appuyer ce qui évite le sentiment d’artificialité.

Pour résumer, l’Ombre des arches est une suite à la hauteur des Mondes-Miroirs. Le lecteur retrouve Elsy et Elodianne dans un roman de fantasy axé sur le voyage, la politique et le développement de nouvelles théories magiques. Avec un ton résolument sombre malgré des moments d’humour un peu potache parfois, Vincent Mondiot continue de dévoiler des pans entiers de son univers d’une incroyable richesse à travers ce page-turner addictif. Pour ne rien gâcher, l’ouvrage contient quelques illustrations réussies qui apportent un cachet supplémentaire à cette œuvre. Je vous recommande vivement la découverte de cet auteur talentueux !

#PLIB2020 Les Lames Vives #1 Obédience – Ariel Holzl

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Obédience
est le premier tome du diptyque des Lames Vives écrit par l’auteur français Ariel Holzl. Publié chez Mnémos sous le label Naos, vous trouverez ce roman au prix de 18 euros.
Je remercie Estelle et les éditions Mnémos pour ce service presse !

Les Lames Vives raconte l’histoire de six personnages différents dont les destins vont se croiser dans une fantasy orientale clairement dystopique, qui tourne autour de la thématique des luttes (au sens large du terme). Le lecteur découvre donc Gryff, Minah, Ellinore, Nazeem, Saabr et ???. Non, je n’ai pas oublié le dernier prénom, il n’a juste pas d’identité pendant la plus grande partie du livre.

Avant de vous évoquer plus en détail les personnages, je me dois d’esquisser l’univers où Ariel Holzl nous invite à évoluer. Dans un passé pas trop lointain, une révolte a eu lieu qui a permis aux anciens esclaves Muedins de devenir les maîtres. C’est ainsi que nait la république d’Obédience où les Haa’thi n’ont même pas le droit d’être des citoyens. Au passage, Obédience n’a de république que le nom… Je ne connais pas très bien l’histoire orientale mais ça m’a surtout évoquée la traite des Noirs, dans la manière dont on refusait à ce peuple les droits les plus élémentaires tout en les utilisant comme ouvriers ou domestiques. Les Haa’thi sont fondamentalement nécessaires à la société mais totalement écrasés par le joug des Muedins, en guise de revanche pour leur propre condition d’esclave par le passé. Concrètement, tout un peuple paie donc la folie tyrannique de quelques uns. Je m’explique: auparavant, certains Haa’thi possédaient un don d’Empathie. Ce don permet de contrôler les émotions et de lier à soi des personnes sous la contrainte. Vous sentez venir les abus? Bah vous n’avez encore rien vu.

Au sein de cette république, le gouvernement effectue des expériences et améliore certaines personnes pour créer une élite soldatesque. Il y a les Lames, considérées comme des chiens obéissants, des marionnettes mortelles et il y a les Magnites qui appartiennent à l’élite de la société. Les lames sont infectées au vif-argent et ont une espérance de vie d’une dizaine d’années, pour celles qui survivent à l’entrainement. Pour les Magnites, c’est un peu différent : ils possèdent des nanites en grande quantité qu’ils contrôlent à leur guise. Ici donc, pas de magie stricto sensu mais bien une forme de technologie avancée et plutôt bien inspirée. Comme le dit très bien l’auteur dans une interview donnée à ActuSF: la magie, c’est simplement la science qu’on n’a pas encore expliqué. Je paraphrase.

Dans ce tome, Ariel Holzl se concentre plus particulièrement sur les Lames. Via les personnages de Gryff et Saabr, on en apprend beaucoup sur leurs mœurs, leur entrainement, leur réputation monstrueuse… Tout ce qui touche aux Lames et à Obédience de manière générale m’a laissée avec un sentiment assez sordide. Cet univers est terrible et plus on le découvre, plus on se rend compte que l’auteur a encore des horreurs en réserve. Globalement, je l’ai trouvé plutôt dur et ça m’a plu. Si vous vous attendez à retrouver quelque chose de semblable aux Sœurs Carmines, abandonnez tout de suite vos prétentions. Ariel Holzl nous montre avec brio qu’il peut se distinguer dans plus d’un genre littéraire.

Au début du roman, Gryff « meurt » lors du sac d’un village ordonné par la République. Il demande une faveur à Saabr : celle de ne pas le laisser dans l’incinérateur et de plutôt jeter son corps dans l’océan. Celle-ci accepte et Gryff est retrouvé, agonisant, par Minah et Nazeem. Ces derniers sont des Haa’thi renégats qui vivent sur une cité flottante, dérivant elle-même sur ce fameux océan noir et pollué. Même si ce n’est pas clairement dit, on sent qu’il y a eu une catastrophe écologique à un moment donné et ça permet d’esquisser un futur possible pour notre propre monde. Ces gens, qui vivent dans la cité flottante nommée Pha’Rodia, sont considérés comme des hors-la-loi par la république et ils détestent les Lames. Ils auraient dû achever Gryff sauf que… Minah recherche désespérément sa sœur jumelle depuis des années. Cette dernier, prénommée Norah, a été enlevée par la République lors du sac de leur village et Minah refuse de croire à sa mort. Elle affirme qu’elle la sent en vie et cela justifie toute une expédition pour la capitale, afin de la retrouver. Je ne vous gâche rien, c’est vraiment le début du roman.

Vous me direz, Gryff est une Lame, c’est l’ennemi, il ne va jamais accepter de leur filer un coup de main. De fait… Mais Minah est une Empathe, une des dernières, et elle va le lier à lui, corrompant ses sentiments et son libre arbitre. Elle ne comptait pas aller aussi loin mais elle déclenche chez lui un simulacre de passion amoureuse, qui fait qu’il lui obéit en tout et avec plaisir. Oui c’est malsain. Et comme Minah n’a rien d’une garce, elle s’en veut – quoi qu’un peu tard. Pour rajouter du piment à tout ça, Nazeem est évidemment jaloux de Gryff et de sa relation avec Minah. Lui-même s’apprêtait à la demander en mariage quand ils l’ont trouvé dans l’eau et Minah n’a aucune idée des sentiments de celui qu’elle considère comme son meilleur ami. Vous sentez venir les problèmes ? Vous n’imaginez même pas encore à quel point.

Parallèlement à ce plan très foireux, le lecteur évolue aussi dans la capitale via Saabr qui va être affectée à la protection d’Ellinore pour le festival solaire. Les chapitres du point de vue de Saabr dépeignent un personnage sociopathe, brutal, que je trouve vraiment très réussi et qui m’a plu du début à la fin. Ma préférée, largement. Grâce à Ellinore, on en apprend davantage sur les Magnites et sur la façon dont les Haa’this sont considérés. Cela permet également de donner une autre dimension à l’intrigue puisqu’il y aurait un traitre parmi les Magnites, qui aiderait les Haa’this à échapper à la République (je ne vous dévoile pas en quoi, là ce serait du spoil). Ellinore et trois autres Magnites sont chargés d’enquêter là-dessus.

On ne va pas se mentir, l’intrigue est assez classique dans l’ensemble. Si elle ne révolutionne pas le genre, elle se suit avec plaisir. D’autant plus avec sa narration type chorale plutôt bien maîtrisée par l’auteur. Sans parler du monde imaginé par Ariel Holzl, complexe, référencé et original. Je ne suis pas du tout adepte de la dystopie, pourtant j’ai aimé l’ambiance dépeinte par l’auteur. Il ne se contente pas de présenter des monstres et des victimes. Tout le monde a sa part d’ombre et sa part de lumière. J’apprécie particulièrement l’absence de manichéisme dans un roman estampillé young-adult tout comme l’absence de romance-en-cinq-secondes-chrono (à base de oh tu es si belle / beau, j’ai envie de toi et je vais abandonner tous mes principes… Si vous voyez ce que je veux dire). Les relations entre les personnages sont très ambiguës et pas toujours (rarement… ok, jamais) saines, comme c’est souvent le cas dans la réalité. Ce roman se distingue par un fort aspect crédible qui m’a vraiment séduite… Hormis pour tout ce qui touche à Minah. Je n’ai vraiment pas accroché à ce personnage mais c’est un goût tout personnel. Elle représente typiquement la fille pénible qui fait tout de travers et ne réfléchit pas plus loin que le bout de son nez. Héroïne standard quoi. Nazeem la talonne de près dans le genre casse-pied pitoyable. On a envie de les secouer tous les deux (quand je dis secouer, j’ai plutôt envie d’envoyer Monsieur Nyx en fait) mais s’ils prenaient les bonnes décisions… Disons que le roman deviendrai un peu plat.

J’ai beau ne pas avoir aimé certains des personnages, Ariel Holzl m’a fait ressentir des émotions et je me suis investie dans ma lecture, ce qui ne m’arrive plus si souvent (hélas). Je prenais parti, j’avais envie de connaître la suite, de découvrir où il nous emmenait. Si certains éléments paraissent évidents au lecteur (depuis le départ je la sentais pas, cette Aubéline !), il n’en tourne pas moins les pages avec avidité pour arriver au cliffhanger final et au lot habituel des malédictions envers l’auteur à base de : « elle est où la suite ?! » (et donc, elle est où la suite?)

Pour résumer, ce premier tome des Lames Vives est pour moi une réussite. S’il n’a rien en commun avec les Sœurs Carmines sur un plan de l’univers, on retrouve tout de même le talent d’Ariel Holzl, sa plume mordante et ses personnages riches, des qualités parfaitement reconnaissables entre toutes. Obédience pose les bases d’un univers de fantasy orientale inspiré et on n’a qu’une envie : lire la suite. À découvrir sans une hésitation !

Délius, une chanson d’été – Sabrina Calvo

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Délius, une chanson d’été est un one-shot doublé d’une nouveauté littéraire de la rentrée écrit par l’autrice française Sabrina Calvo. Publié chez Mnémos, vous trouverez ce roman au prix de 19 euros.
Je remercie Nathalie et les Éditions Mnémos pour ce service presse.
Ceci est ma seizième lecture dans le cadre du challenge S4F3s5 organisé par l’ami Lutin !

Durant un bien étrange 19e siècle, une série de meurtres est commise par le criminel connu sous le sobriquet de Fleuriste. Quoi de plus naturel pour un botaniste de mener l’enquête? Lacejambe et son fidèle Fenby se lancent donc à la poursuite de cet homme, à cheval sur la France, l’Angleterre, l’Amérique mais aussi la Féérie…

Quand on commence la lecture de Délius, on se demande sur quoi on vient de tomber. Tout se met en place assez lentement, les chapitres courts s’enchaînent en multipliant les points de vue et sans que les liens ne sautent aux yeux. Sans parler de l’aspect limite absurde de certaines phrases / scènes. On reste perplexe pour tenter de garder une vue d’ensemble mais c’est brouillon et probablement voulu par l’autrice pour renforcer le côté onirique. Après coup, je trouve ce choix pertinent, hélas sur le moment ça m’a assez déboussolée pour me faire presque abandonner le roman. Heureusement, c’était un service presse sans quoi je serai passée à côté d’une pépite donc n’hésitez pas à vous accrocher, ça vaut vraiment le coup.

Le rêve a une place prépondérante au sein de ce récit. Déjà, rien que sur la forme. L’écriture de Sabrina Calvo est d’une grande qualité et dotée d’une vraie personnalité littéraire. Elle déborde de poésie et a un petit côté absurde qui n’est pas pour me déplaire une fois passée la première surprise. Il lui arrive aussi souvent d’utiliser des verbes métaphoriques dans leur sens premier, ce qui en fait une jongleuse des mots très douée.  L’autrice aime jouer avec la langue française autant qu’avec l’imagination et on le ressent.

À mon sens, ce roman de fantasy française s’inscrit également dans la veine surréaliste. Déjà en exploitant la figure du rêve mais aussi de la force de l’inconscient. Pour ne rien gâcher, il s’offre une métaphore sur la Nature et son conflit avec la Rationalité, l’une perdant du terrain face à l’autre. C’est très beau, très mélancolique aussi. Avec une grande justesse, l’autrice exploite le bestiaire féérique en baladant son lecteur à la frontière entre deux mondes et les scènes en Féérie renforce ce côté amer, cet accablement face à la fin d’une ère.

En prime, Sabrina Calvo propose une galerie de personnages insolites et attachants par leur excentricité et leur spontanéité. Lacejambe ne manque pas de piquant et rappelle Sherlock Holmes par certains côtés (ce qui est voulu si j’en crois les références dans le texte) en beaucoup plus excentrique. En fait je devrais plutôt dire qu’il rappelle notre conception moderne de Sherlock Holmes. Fenby est un Watson à l’ancienne au destin plutôt comique (j’ai beaucoup apprécié l’aspect ironique de la chose mais je n’en dis pas trop pour éviter de gâcher la surprise). Le garçon triste (je ne cite pas son prénom pour des raisons identiques) est fascinant et que dire de Délius, si touchant ? Puis Josh, avec son innocence et sa spontanéité enfantine à la limite du malsain. Si je me sentais perdue et déconcertée par tous ces changements de point de vue au début du roman, j’ai finalement trouvé que l’autrice proposait un rythme narratif maîtrisé et cohérent au sein de son histoire.

Pour résumer, Délius, une chanson d’été est une vraie réussite sur tous les plans. Sabrina Calvo écrit avec maîtrise et personnalité une fantasy francophone teintée de surréalisme. C’est un roman savoureux, autant sur la forme travaillée avec un vrai talent littéraire que sur le fond, qui marquera sa génération. Pour ne rien gâcher, sa galerie de personnages riches et excentriques sauront séduire les lecteurs avides de changement. À découvrir absolument !