L’Héritage de Molly Southbourne – Tade Thompson

En septembre 2019, je chroniquais les meurtres de Molly Southbourne qui était à la fois ma première lecture au Bélial et mon tout premier Une Heure Lumière. J’en étais ressortie très impressionnée et enthousiaste même si je déplorais l’annonce d’une suite car je qualifiais la fin de « magistrale » et je ne voyais pas l’intérêt de venir la gâcher. Molly, c’est donc un peu le début d’une grande (et belle ?) histoire entre cette maison d’édition et moi… Pour vous situer un peu l’importance symbolique de tout ceci et vous permettre d’imaginer, un peu, toute l’étendue de ma frustration.

Je m’étais tout de même lancée dans la suite, sortie un peu moins d’un an plus tard : la survie de Molly Southbourne, qui avait malheureusement été une déception car si je reconnaissais les qualités du texte, l’effet de surprise était passé et le premier tome se suffisait, pour moi, à lui-même. Si je lui ai laissé sa chance, c’est parce que je me suis dit que Tade Thompson avait peut-être des cartes surprises dans sa manche sauf que ça n’a pas été le cas. Et je dois avouer que, malheureusement, ce troisième volume, l’Héritage de Molly Southbourne, ne fait que me conforter dans mon opinion initiale.

Je vais donc faire bref. Toutefois, ayant reçu ce livre en service presse et ayant des éléments que je trouve pertinents à partager, je souhaitais tout de même écrire un petit billet sur le sujet.

Pour rappel, nous sommes fin novembre 2022 au moment où j’écris ces lignes. Plus de deux ans ont donc passé depuis ma lecture du seconde volume et je ne m’en rappelais rien ou presque. Heureusement, il me restait mes notes de chronique mais cela ne m’a pas empêché d’avoir le sentiment de débarquer dans une histoire inconnue. Je ne le répèterais jamais assez mais pensez, chers amis éditeurs, à résumer les volumes précédents au début d’un de ceux-ci, surtout quand le temps de publication excède une année…

J’ai donc eu l’impression de débarquer au milieu de l’histoire sans les clés pour la comprendre. Est-ce que cela vient de ma mauvaise mémoire ou de l’auteur qui n’a pas suffisamment posé son cadre, je ne me risquerais pas à trancher… Ce dernier opus multiplie les points de vue : on a Molly et les quelques hémoclones qui ont survécus, qui se cachent sous une fausse identité dans une petite ville et veulent juste la paix. On a Myke, qui hait profondément les mollys et veut les exterminer pour une raison qu’on comprendra plus ou moins à la moitié (ou tout de suite pour les personnes plus clairvoyantes que moi et / ou avec une meilleure mémoire). Puis on a Tamara, qui essaie de retrouver les mollys quand un homme du gouvernement (il me semble ?) le lui demande, malgré les menaces de Molly à son encontre si jamais elle s’y essayait. On a également quelques chapitres d’une page ou deux du point de vue de gens qui se font brutalement assassiner, des chapitres qui… ne servent honnêtement à rien du tout.

Tout cela sur 136 pages, c’est à la fois peu et beaucoup pour ce qu’il y a à raconter. J’ai ressenti un sentiment global d’artificialité et clairement de tome en trop même si certaines réponses sont apportées, des réponses parfaitement dispensables au passage. Les facilités scénaristiques permettent aisément aux différents protagonistes de se retrouver pour un final qui est, à mon goût, expédié, bien trop rapide pour avoir une quelconque efficacité ou même un quelconque intérêt. Tout ça… pour ça ?

Je ressors très déçue par ma lecture car je me suis ennuyée tout du long et les seuls passages intéressants n’ont pas été suffisamment développés. On avait, au final, assez peu de « Molly Southbourne » alors qu’approfondir la psychologie des différentes mollys aurait été bien plus stimulants à découvrir, du moins pour moi. J’ai été au bout parce que c’était court et que je voulais me faire un avis complet sur la série mais je regrette sincèrement que Tade Thompson ne se soit pas contenté d’écrire un one-shot. J’ai largement préféré les meurtres de Molly Southbourne qui a en plus une saveur particulière dans ma vie de lectrice et c’est le tome que je continuerai de recommander en priorité car il se suffit, pour moi, largement à lui-même.

Je remercie tout de même le Bélial pour ce service presse et suis navrée que ça n’ait pas fonctionné. On ne peut pas faire mouche à tous les coups ! 

D’autres avis : Yuyinele syndrome QuicksonAu pays des cave trollsL’épaule d’Orion – vous ?

Informations éditoriales :
L’Héritage de Molly Southbourne par Tade Thompson. Traduction par Jean Daniel Brèque. Éditeur : le Bélial pour la collection Une Heure Lumière. Illustration de couverture : Aurélien Police. Prix : 10,90 euros.

La Millième Nuit – Alastair Reynolds

J’ai toujours des difficultés à résumer mon sentiment sur une novella de hard-sf car j’estime manquer de vocabulaire pour lui rendre hommage -surtout dans le cas où, comme ici, j’ai beaucoup apprécié. J’ai souvent assez peur de lire des textes de ce type parce que je crains de passer à côté, ayant besoin de suivre des personnages intéressants pour me plonger dans une histoire. Et oui, un bon world building ne suffit pas à tout le monde ! Heureusement, avec la Millième Nuit, toutes mes attentes ont été comblées. Revenons donc dessus…

Un sense of wonder à souligner.
Si l’histoire est écrite à la première personne et se concentre sur un personnage en particulier, la première chose à souligner est l’incroyable world building proposé par Alastair Reynolds. Le personnage que l’on suit est membre de la lignée Gentiane, qui est issue d’une femme qui s’est elle-même clonée en mille exemplaires mais de façon à créer des variations d’elle-même plutôt qu’identiquement un même individu.

Les membres de cette lignée passent des milliers si pas des millions d’années à voyager à travers toute la galaxie avant de se retrouver à intervalles régulières pour une période de milles nuits. Chaque nuit, un fil est partagé qui reprend une sorte de montage vidéo / résumé de leurs découvertes, de leurs aventures. Certains sont évidemment plus intéressants que d’autres et l’apothéose a lieu lors de la Millième Nuit où le fil gagnant est désigné. Ce sera à ce fameux gagnant d’organiser la Millième Nuit suivante.

Ainsi, en une bonne centaine de pages, Alastair Reynolds développe non seulement une forme de civilisation complexe mais en esquisse également d’autres non seulement grâce à ces voyages mais aussi à un fameux Grand Œuvre dont on sait au départ peu de choses mais qui implique bien d’autres mondes, comme on le découvrira à mesure que l’intrigue avance. J’ai eu ici le même sentiment qu’avec un titre comme Opexx et le mot vertigineux colle très bien à l’ensemble.

Mais de quoi ça parle ?
C’est bien beau un univers captivant mais l’intrigue dans tout cela ? Elle se déroule durant l’un des moments de retrouvailles. On suit Campion, narrateur à la première personne, chargé d’organiser la Millième Nuit. Purslane, une membre de sa lignée -avec qui il entretient une relation quasiment monogame assez mal vue par les autres- vient le trouver pour lui annoncer qu’elle a relevé une incohérence dans le fil d’un de leurs camarades qui affirmait se trouver à un certain endroit alors que c’était impossible si on se basait sur le propre fil de Campion. Comme il est interdit de mentir dans son fil, tous deux sont assez choqués et inquiets. Ils décident d’enquêter et ce qu’ils vont découvrir ira au-delà de leur imagination…

Des enjeux exceptionnels.
La force d’Alastair Reynolds est de proposer différents niveaux d’enjeux et de ne pas se contenter de ceux à l’échelle de la galaxie. Il y a évidemment tout ce qui concerne Campion et Purslane sur un plan personnel -rien que dans la façon dont ils sont obligés de vivre leur relation et les pressions sociales qu’ils subissent- mais il y a aussi dans cette novella toute une réflexion sur la puissance de la communication, sur ce que ce simple mot peut représenter pour la création d’un empire galactique non pas forcément au sens conquérant du terme mais simplement au sens de partage des connaissances et d’ambition à l’échelle d’une vie. À nouveau, l’adjectif vertigineux se prête bien à qualifier les enjeux de ce texte d’une grande richesse, des enjeux que je ne vais évidemment pas vous dévoiler ici afin de ne pas vous gâcher les découvertes finales.

La conclusion de l’ombre :
La Millième Nuit est une novella de hard-sf qui mêle de manière très satisfaisante une construction d’univers ambitieuse à des personnages qui ne se réduisent pas à leur fonction dans le récit. Le rythme narratif est maîtrisé et les interrogations sur les notions de communication ont évidemment su m’intéresser. C’était mon premier texte de cet auteur mais je doute que ça soit le dernier !

D’autres avis : les lectures du MakiAu pays des cave trollsGromovarL’épaule d’OrionLa Lutine au miel – vous ?

Informations éditoriales :
La Millième Nuit, écrit par Alastair Reynolds. Traduction de l’anglais par Laurent Queyssi. Éditeur : Le Bélial. Couverture : Aurélien Police. Prix au format papier : 10,9 euros.

Terra Ignota #5 Peut-être les étoiles – Ada Palmer

Finir un roman n’est jamais chose aisée. Finir une saga, encore moins. Alors ne parlons même pas d’achever une saga d’une telle envergure…

Peut-être les étoiles est le cinquième tome de Terra Ignota, cinquième tome qui n’existe a priori qu’en français car il était impossible pour le Bélial de sortir le dernier volume en une fois tant il aurait été beaucoup trop en dehors de nos standards éditoriaux. Théoriquement, c’est l’Alphabet des créateurs qui comporte le titre inédit mais ne commençons pas à chicaner ni à digresser pour ne pas entrer dans le vif du sujet.

Que dire…
Chroniquer un dernier tome n’est jamais chose aisée non plus car, par essence, la chronique s’adressera aux gens qui auront lu les précédents et servira (avec un peu de chance) d’espace où discuter, échanger des impressions, des théories. Je sais que cet article sera peu consulté mais j’ai quand même envie de l’écrire pour tout un tas de raisons que j’ai déjà pu évoquer sur le blog. Ce ne sera pas vraiment une chronique, en réalité, plutôt un billet dans lequel je vous partage un instant d’émotion brut, ce que m’inspira finalement la lecture de ces derniers chapitres si denses. Un jour, dans un futur que j’espère pas trop lointain, je vais relire ces romans après en avoir lu d’autres pour mieux comprendre toutes les références qui le parsèment et qui ont pu m’échapper. Je sais que, si je suis dotée d’une longue vie, je les relirais même à plusieurs reprises tout au long de celle-ci car ma perception changera peut-être ou mon expérience de vie m’aura apporté d’autres éléments sur lesquels réfléchir. J’affirme aussi que, désormais, à la fameuse question « quel livre emporteriez-vous sur une île déserte si vous ne deviez en choisir qu’un ? » je répondrais sans hésiter : Terra Ignota (et je tricherais mais qu’importe !)

Je pense très sincèrement qu’Ada Palmer a écrit ici une saga qui s’inscrira dans la postérité au sein de l’histoire littéraire au sens large. La richesse des réflexions proposées en font un titre qui n’est pas accessible à tout le monde mais qui, pourtant, semble plus nécessaire qu’on aurait pu le croire et je trouve en cela que la postface écrite par l’autrice est très éclairante sur le sujet. Elle permet de mettre des mots sur des impressions fugaces, d’éclairer des sentiments complexes et de m’expliquer pourquoi j’ai terminé ma lecture avec une boule dans la gorge et les larmes aux yeux.

Le 25 octobre à Lille j’ai eu la chance de rencontrer Ada Palmer (et Jo Walton). On a pu échanger et discuter notamment de tout ce que le lecteur apporte à un livre, de la façon dont chaque lecteur s’en empare, le comprend, lui donne un sens propre à lui en lien avec ses expériences et sa propre culture. Terra Ignota résonne (et raisonne !) en moi non seulement parce que l’autrice exploite les œuvres du passé si chères à mon cœur, qu’elle le fait dans un contexte science-fictif mais aussi parce qu’elle y transmet son amour de la littérature au sens large et ce, à chaque ligne, à chaque choix narratif, sans se priver de rien et en osant tous les ressorts narratifs surprenants. Ce n’est pas qu’un roman, c’est une construction qu’on pourrait rapprocher d’une Merveille du Monde par sa finesse et sa richesse. Plus que la littérature, en réalité, Ada Palmer montre tout au long de Terra Ignota ce que les « mondes non-réels » (pour reprendre sa propre expression) ont à nous apprendre, de quelle manière nous pouvons apprendre d’eux et en le prouvant en opérant de judicieux parallèles avec notre actualité. Lire cette saga en 2022 n’est pas anodin. C’est même nécessaire.

Nécessaire car non seulement Ada Palmer raconte l’histoire d’un conflit mondial, de ce qui l’a précédé et des quelques cinq cents jours qu’il durera mais elle questionne aussi le(s) système(s), la Loi, les coutumes, la manière de mener une guerre, le genre, bref elle questionne l’Humanité par le regard de Mycroft Canner, à la fois narrateur, historien, acteur et même monstre dans tout ce que ce terme a de beau et de complexe. Par le regard aussi, parfois, du 9e Anonyme quand Mycroft fait défaut. Il y a l’histoire en elle-même, celle de ce que la présence et l’existence de J.E.D.D. Maçon implique pour l’humanité, celle de ces Ruches qui s’opposent parce qu’elles prônent une organisation des buts à atteindre au mieux différente, celle de la conquête possible des étoiles, d’un premier contact, les tours et détours d’un conflit mondial, mais ce n’est pas qu’un récit de guerre. C’est bien plus que cela.

J’ai envie de terminer ce bref billet en citant un extrait de la postface traduite par Erwann Perchoc et écrite par Ada Palmer elle-même. Cet extrait résume l’idée centrale qui traverse tout Terra Ignota et se suffit à lui-même. S’il ne vous transperce pas le cœur, alors peut-être n’êtes vous pas la cible adéquate pour ce roman. Mais si, comme moi, ces mots résonnent en vous alors armez-vous de courage et plongez vous dans l’histoire narrée par cette autrice qui, s’il y a un peu de justice dans ce monde, gagnera l’immortalité dans la mémoire collective pour son esprit si brillant : « Ce que j’ai choisi d’écrire est (…) un futur imparfaitement bon dans lequel, comme notre présent imparfaitement bon, les groupes que l’État et les infrastructures sont censés servir se montrent heureux ; vivre une vie à peu près correcte rend très difficile d’entendre les voix qui disent : non, ce monde a des défauts, il doit changer, nous devons perturber cette vie à peu près correcte, que ce soit pour libérer les opprimés ou pour protéger la planète. »

Je remercie Erwann et le Bélial pour ce service presse.

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Ma chronique sur les autres volumes : Trop semblable à l’éclair (tome 1), Sept Reddition (tome 2) et La volonté de se battre (tome 3), L’Alphabet des Créateurs (tome 4)

INFORMATIONS ÉDITORIALES :
Peut-être les Étoiles (TERRA IGNOTA #5, PREMIÈRE PARTIE DE « PERHAPS THE STARS ») PAR ADA PALMER. TRADUCTION : MICHELLE CHARRIER. ILLUSTRATION DE COUVERTURE : AMIR ZAND. ÉDITEUR : LE BÉLIAL. PRIX : 24,90 EUROS AU FORMAT PAPIER, 11.99 EUROS AU FORMAT NUMÉRIQUE.

Les abandons de l’Ombre : Summerland, Unity et Ymir.

Voilà un moment que j’hésitais à lancer ce format d’article, surtout que les abandons s’enchaînent cette année. Je n’ai pas toujours envie d’évoquer tous les textes que j’abandonne et ce pour diverses raisons mais les cas présentés ici sont particuliers. Déjà, il s’agit de service presse alors si on prend le temps de me les envoyer -sous divers formats- je peux bien prendre le temps d’écrire un mot à leur sujet. Surtout quand, objectivement, ce sont de bons livres dont le seul tord est de ne pas correspondre à mes goûts de lecture.

Je me propose donc d’aborder chaque texte séparément puis de tirer un constat général. Après chaque court retour, je vous référencerais d’autres chroniques qui offre un regard différent du mien sur ces romans, afin de vous permettre d’accéder à davantage d’avis.


L’histoire se déroule en 1938 au sein d’une uchronie où le point de divergence se situe après la Première Guerre Mondiale, notamment dans les vainqueurs qui redessinent le paysage politique. On a d’un côté la Grande-Bretagne et de l’autre la Russie qui, comme de juste, continuent de se méfier l’un de l’autre. Ce n’est pas la seule chose qui a changé car côté anglais, on a découvert Summerland à savoir l’endroit où on se rend après la mort. Il est donc possible désormais de discuter avec des gens décédés et toute la société s’est construite autour d’un système de ticket à avoir au moment de son décès pour ne pas se perdre. Le concept est très pointu et intéressant. Hélas, passé la découverte initiale, ça devient vite ennuyeux à mon goût.

C’est la chronique d’Apophis qui avait attiré mon attention sur ce roman et donné envie d’essayer, ce qui est assez paradoxal puisque les éléments qui m’ont finalement poussé à abandonner ont tous été détaillés dans son retour très complet. Ce qui, pour lui, étaient des qualités ont, pour moi, été source d’ennui ce qui rappelle aussi qu’il peut être intéressant et même important de parler d’une lecture décevante puisque cela pourrait donner envie à d’autres personnes de lire le livre en question. Ce qui nous déplait peut séduire d’autres lecteurs et vice versa.

Histoire d’être un peu plus claire : je suis intellectuellement capable de reconnaître la qualité de l’univers qui a été construit ainsi que son ambition mais je ne suis pas parvenue à m’intéresser aux personnages qui ont plus une fonction qu’une âme, ce qui est un gros handicap pour moi qui ne peut pas me contenter d’une bonne idée, surtout pas sur un format long. De plus, l’intrigue type espionnage dans les années 30 n’est pas ce que je préfère, même au sein d’une uchronie, sans que je puisse vraiment donner une raison recevable à ça autre que : les goûts et les couleurs. La mise en scène du sexisme propre à l’époque sert à le dénoncer mais ça ne suffit pas pour relever mon intérêt.

Il paraît que le livre s’épanouit dans son dernier tiers sauf que je suis assez lassée de devoir me taper deux tiers d’un livre ennuyeux pour enfin arriver à quelque chose d’excitant. Ce n’est pas le type de construction narrative qui me convient, j’ai donc décidé de ne pas poursuivre la découverte.

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Unity est un roman cyber-punk / thriller / post-apo / sûrement d’autres genres que j’oublie. L’humanité vit en partie sous l’océan, dans des cités bulles qui sont sous le contrôle d’une puissance totalitaire. Pourquoi vivre sous l’eau ? Parce que sur la terre, c’est bien foireux et il ne reste pas grand chose hormis du désert -ce qui n’empêche pas les gens d’essayer d’y survivre. Dans ce contexte, on rencontre Danaë, une femme pas comme les autres qui s’avère rapidement être plus qu’une humaine : elle porte en elle une sorte de conscience collective dont on ne savait pas grand chose au moment où j’ai arrêté ma lecture.

Encore un roman repéré chez Apophis (décidément on n’est plus sur la même longueur d’onde en ce moment) que j’ai reçu un peu par hasard en demandant les sorties de la rentrée littéraire chez AMI (j’entendais par là Marguerite Imbert et Émilie Querbalec). Comme il a été envoyé avec les autres fichiers, j’y ai quand même jeté un œil et ce qui m’a perdue ici, c’est l’absence de contexte clair. Il y a bien trop d’informations, données trop vites et trop mélangées. J’ai eu le sentiment que l’autrice avait une check-list de thèmes et de concepts qu’elle voulait absolument aborder et qu’elle avait peur d’en oublier si elle ne s’y mettait pas directement. On se retrouve balancé au milieu de l’intrigue sans avoir les bases de l’univers ce qui implique un vocabulaire spécifique qui ne renvoie à rien pour la lectrice novice en SF que je suis, ce que j’ai un temps mis de côté pour essayer de me plonger dans l’intrigue sauf que celle-ci prend la forme d’une sorte de course poursuite. Quelqu’un veut tuer le personnage principal, qui elle veut s’enfuir d’une cité sous-marine pour ne pas mourir, c’est un trope qui m’ennuie au plus haut point parce que c’est rare de croiser un·e auteur·ice qui maîtrise la tension narrative.

Pour ne rien arranger, je n’ai pas accroché au personnage de Danaë, je trouvais Alexeï plus intéressant mais cela n’a pas suffit pour me donner envie de continuer à tourner les pages. Enfin, l’ambiance « régime totalitaire et complot global » me hérisse depuis quelques mois, je ne le gère plus bien du tout. Sans doute l’écho avec notre réalité, notre quotidien. J’ai envie d’un autre genre de lecture.

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Yorick est un mercenaire qui a quitté Ymir, sa planète natale, bien des années plus tôt en jurant de ne plus jamais y remettre les pieds. Le problème, c’est que son employeur se moque pas mal de ses états d’âme et le détourne durant sa stase pour l’envoyer chasser le grendel -un genre de monstre cybernétique. À cette traque va se mêler des échos du passé de Yorick et notamment le retour de son frère, qui lui a arraché la mâchoire bien des années plus tôt.

J’ai déjà parlé plus d’une fois de Rich Larson sur le blog, que ce soit pour l’excellent recueil La fabrique des lendemains ou pour ses nouvelles parues dans le Bifrost. De mémoire, je n’avais pas encore été déçue par l’auteur et il fallait bien que ça arrive un jour. C’est juste dommage que ce soit avec son premier roman…

J’ai décidé d’arrêter ma lecture à la moitié pour plusieurs choses : déjà, à nouveau, l’ambiance. On est sur une planète inhospitalière, on évolue dans des bas-fonds crasseux, il y a une méga entreprise hyper totalitaire, c’est très sombre, oppressant, ça ne correspond pas du tout à ce que j’ai envie / besoin de lire pour le moment.

Pourtant, j’ai persévéré parce que je connaissais déjà le travail de l’auteur et que j’avais confiance. Je me disais qu’il méritait bien que je m’accroche un peu, que je lui laisse le bénéfice du doute. Hélas, j’ai rapidement eu l’impression que l’histoire racontée aurait pu aisément tenir dans une novella et que le roman souffrait de longueurs, de digressions, sans parler des flashbacks nébuleux mélangés à des trips de drogue qui n’aident pas à s’accrocher malgré la brièveté de ses chapitres parfois longs de deux ou trois pages seulement. Ce dernier point a été relevé comme négatif par d’autres mais c’est quelque chose que j’ai apprécié et qui m’a d’ailleurs poussé à aller aussi loin dans ma lecture.

Autre élément en faveur du roman : le personnage de Yorick et la mise en scène de ses pulsions autodestructrices. C’est quelque chose qui m’accroche bien en général sauf qu’ici, ça manquait d’âme par moment, de sentiments, de densité, comme si l’auteur n’arrivait pas bien à jongler entre son univers, son intrigue et son protagoniste au point de me perdre en route car mon intérêt pour Yorick n’a pas suffit à éclipser mon malaise face à l’univers. Même s’il a des qualités indéniables, ce ne sont pas celles qui m’attirent dans un roman, encore moins en ce moment. Je tournais les pages sans réelle envie d’en savoir plus, ce qui a conduit à mon abandon un peu après la moitié du livre.

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Quelles conclusions en tirer ?
Depuis quelques mois, il semble évident que je ne suis plus du tout attirée par les romans étouffants, crasseux, qui mettent en scène des régimes tyranniques et la misère humaine. Peut-être (sans doute) que ça a un rapport avec l’actualité, peut-être que mes goûts évoluent simplement, mais je recherche tout autre chose dans mes lectures. Le souci, c’est que je ne sais pas quoi précisément donc je navigue en aveugle, au petit bonheur la chance.

Je suis aussi de plus en plus attirée par le format court. Ces romans ne sont pourtant pas très épais, ils font entre 350 et 450 pages ce qui est dans la norme et même dans la norme basse mais j’ai remarqué que j’éprouvais davantage d’indulgence envers une nouvelle ou une novella qui m’ennuie qu’un roman. J’ai besoin d’un certain type de construction narrative pour m’accrocher sur le long terme et surtout, de m’intéresser aux personnages. J’ai besoin qu’ils aient une âme, pas juste qu’ils servent une intrigue ou jouent les pantins dans un monde-super-bien-construit-pour-nous-en-mettre-plein-la-vue.

Je ne suis pourtant pas mécontente d’avoir essayé de les lire car même si j’ai abandonné en cours de route, l’expérience m’a appris des choses sur moi-même et permis d’affiner davantage mes critères de sélection d’un livre. Une chance que ça ait chaque fois été avec des services presses numériques (à l’exception d’Ymir qui, avec l’accord du Bélial, sera offert à la bibliothèque de mon village afin d’en faire profiter le plus grand nombre), si bien que ça n’a rien coûté à personne hormis un mail et un peu de temps.

Et vous, est-ce que vous avez abandonné un livre récemment ?

Les Flibustiers de la mer chimique – Marguerite Imbert

Tout qui me connait un peu sait qu’en d’autres circonstances, je n’aurais pas posé un regard sur ce roman parce que je ne suis pas une grande adepte du post-apo (quoi qu’on m’annonce du pirate enfin son équivalent, j’avoue que je suis un peu faible avec ça moi…). Il ne faut jamais dire jamais, d’autres ouvrages ont gagné au fil du temps leur statut d’exception mais je n’y peux rien, ce genre littéraire me déplait. Je le trouve souvent inutilement violent, défaitiste et malheureusement, de plus en plus raccord avec la réalité. Si j’ai arrêté de regarder les infos de 19h, c’est pas pour me les infliger quand j’essaie de m’évader par la lecture…

Bref, des exceptions, il y en a et le roman de Marguerite Imbert en est une belle. Qu’on se comprenne bien : c’est du post-apo. C’est sombre. Sans concession. Mais y’a pas que ça. C’est aussi complètement barjot, drôle, déjanté. L’autrice assume pleinement toutes les facettes de son livre et il en a de nombreuses.

De quoi ça parle ?
Les Flibustiers de la mer chimique propose une narration alternée à la première personne entre Ismaël et Alba. Le premier est fait prisonnier par les Flibustiers après un « accident », ce qui nous permet de découvrir l’équipage du sous-marin PK (pour Player Killer) ainsi que son… excentrique… dirons-nous… capitaine Jonathan. La seconde est une Graffeuse, une personne barrée (pour rester polie) qui dispose de vastes connaissances sur l’ancien monde que son clan se transmettait de génération en génération. Elle est emmenée à Rome pour servir la Métareine.

Il s’agit donc bien d’un roman postapocalyptique qui se déroule plusieurs dizaines d’années après une catastrophe qui a décimé une grosse partie de l’humanité. Laquelle ? On le découvre au fil du livre. À quoi ça ressemble ? Et bien les océans sont toxiques, les chiens sauvages ont pris le contrôle des terres pendant que des monstres marins se baladent dans la mer, on a un continent de plastique, des clans divers et variés qui prônent tous leur petite idéologie, des tentatives pour survivre plus ou moins heureuses… L’univers est assez riche, bien pensé, immersif et crédible. C’est dans ce décor qu’on se lance à la rencontre de nos protagonistes.

Des personnages… excentriques.
Les Flibustiers de la mer chimique roman sans concession pour l’humain et pour l’Humanité au sens large. L’autrice brosse le portrait de multiples personnages (le plus marquant restera pour moi Jonathan) pour lesquels on se prend d’affection avant d’encaisser une trahison quand on découvre leur partie sombre, dégueulasse, lâche parfois. Et on se sent coupable de continuer à les apprécier, on se sent presque sale de se chercher des excuses pour le justifier. Marguerite Imbert est cruelle avec son lectorat qu’elle met face à ses contradictions, face à sa propre lâcheté, face à ses justifications foireuses. J’apprécie de me faire ainsi malmener, d’être heurtée dans mes convictions et surtout, de suivre les mésaventures de personnages que personne (encore moins l’autrice) ne cherche à excuser. Iels sont plus d’une fois horribles, immondes, comme n’importe qui peut l’être mais ce n’est pas si courant qu’on le montre en littérature, même en littérature de l’imaginaire. Rien que pour ce terrible pragmatisme, les Flibustiers de la mer chimique est un texte à découvrir. Mais il a encore d’autres choses à offrir…

Un texte riche et intelligent.
C’est en effet un roman d’une rare intelligence non seulement par ses multiples références à la pop culture comme à l’Histoire mais aussi par sa manière de questionner notre rapport au passé et à la mémoire. À l’instar du brillant Évangile selon Myriam de Ketty Stewart, Marguerite Imbert utilise le personnage d’Alba pour réécrire partiellement (notre) Histoire, la truffant parfois de quelques erreurs, imprécisions ou tout simplement d’éléments issus de nos propres fictions pour montrer à quel point le savoir, pourtant érigé comme important, fondamental, peut être aisément faussé et relatif. Le sous-texte est aussi inspiré et sans concession que les protagonistes. J’adore ! Évidemment, l’engagement écologique saute aux yeux et est rappelé par l’intrigue plus d’une fois mais je ne peux trop m’appesantir dessus sans risquer de divulgâcher certaines surprises -ce qui serait au mieux criminel de ma part.

Enfin, pour ne rien gâcher, l’humour et les tirades mémorables sont au rendez-vous, provoquant volontiers plus d’un sourire au fil de la lecture. Pourquoi l’apocalypse devrait être quelque chose de triste ? De déprimant ? De résolument sombre ? Désenchanté ? On peut très bien réfléchir sur ce terrible « après » d’une manière crédible sans pour autant s’infliger de l’ultra-violence et des excès de tous les côtés. L’équilibre trouvé par l’autrice a su me convaincre et m’emporter au fil des pages. Pour ne rien gâcher, la fin ouverte me fait rêver, elle laisse entrevoir la possibilité d’autres aventures pendant la fin du monde mais quoi que choisisse de faire l’autrice avec son excellent matériel, je tiens déjà à la remercier pour ce grand moment de lecture.

La conclusion de l’ombre :
« Je ne crois pas que l’apocalypse soit nécessairement une chose triste. » C’est ainsi que commence les Flibustiers de la mer chimique et on peut dire que la mise en bouche tient toutes ses promesses. Dans une narration à la première personne alternée entre deux narrateurs, le lecteur suit une galerie de personnages barrés, désespérément humains, avec leurs excès et leurs faiblesses dépeints d’une bien habile et savoureuse manière. Le texte, riche de réflexions sur la crise écologique, la mémoire historique et la postérité, nous rappelle qu’un roman engagé n’est pas forcément lourd ni désespéré et que même s’il ne reste plus d’espoir, ce n’est pas une raison pour se laisser abattre. Je suis plus que convaincue par la première incursion de Marguerite Imbert dans les genres de l’imaginaire et je vais suivre avec attention la suite de sa carrière.

Je remercie Gilles Dumay et les éditions Albin Michel Imaginaire pour ce service presse numérique.

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Informations éditoriales :
Les Flibustiers de la mer chimique par Marguerite Imbert. Éditeur : Albin Michel Imaginaire. Illustration de couverture : Sparth. Prix au format papier : 22,9 euros.

Un psaume pour les recyclés sauvages – Becky Chambers

C’est cette semaine que sort en librairie (le 15 septembre très exactement) une novella de Becky Chambers intitulée « Un psaume pour les recyclés sauvages ». J’ai la chance d’avoir lu tout ce qui a été traduit de l’autrice en français jusqu’ici et on retrouve une constante dans ses textes : une science-fiction positive, résolument tournée vers l’humain, des questions sociales, culturelles, et évidemment de l’inclusion. Si ses romans m’ont paru un peu longuet, c’est la seconde novella que je lis et qui me touche profondément. Après « Apprendre, si par bonheur » je vous propose de m’arrêter quelques instants sur ce texte qui s’ouvre avec la dédicace suivante : « À vous qui avez besoin de souffler. »

Quelques mots simples qui résument merveilleusement ce titre.

De quoi ça parle ?
Il y a des siècles, les robots ont accédé à la conscience et décidé de se retirer de l’humanité. Ils sont donc tout simplement parti ailleurs, au point de devenir des légendes. Dex, moine de thé, vit son existence comme tout membre de son ordre mais commence à ressentir un inexplicable malaise. Iel décide donc de s’éloigner de la ville et des villages alentours dans le but de trouver des grillons et d’en écouter le chant (ce qui est bien sûr un prétexte à sa quête d’un sens à sa vie). Dans son périple, iel va croiser la route d’Omphale, un robot venu prendre des nouvelles de l’humanité…

Une science-fiction optimiste…
Panga est un monde sur lequel il y a « presque » eu une catastrophe mais où l’humanité est parvenue à se rattraper juste à temps. La société décrite frôle l’utopie par sa bienveillance généralisée, son retour à la nature et son éloignement des folies industrielles bien qu’une certaine technologie continue d’exister. En quelques pages, Becky Chambers parvient à peindre un monde crédible (pour qui a un peu plus d’optimisme que moi dans sa vie, ce qui ne m’a pas empêché de vouloir y croire) duquel la souffrance personnelle n’est pas exclue, ce qui participe justement à le rendre cohérent. C’est d’ailleurs la raison d’être d’un moine de thé qui parcourt les villes et les villages pour offrir une oreille, du réconfort et une tasse de thé aux gens qui ont besoin d’aide, de lâcher prise, de vider leur sac. J’ai trouvé ce simple concept très inspiré et je regrette qu’il n’existe pas par chez moi !

… et philosophique
À partir du moment où Dex rencontre Omphale, la novella prend une tournure plus philosophique. Omphale possède des archives datées au sujet des humains, il ignore beaucoup de choses à leur sujet tout comme Dex n’en sait pas beaucoup sur les robots. C’est ainsi un choc des cultures qui se joue et donnera lieu à quelques scènes touchantes mais aussi à des réflexions intéressantes qui déboucheront à un questionnement au sujet des buts dans la vie. C’est quelque chose qu’on entend souvent dans notre société, il existe une véritable incitation à avoir « un but », à se montrer « utile » au point de culpabiliser les personnes qui ne sont pas « exceptionnelles » ou qui ne se démarquent pas. Cela me touche beaucoup à titre personnel car j’en ai longtemps souffert (je ne sais pas pourquoi je parle au passé ->) du coup, j’ai noté une phrase qui m’a chamboulée, adressée à Dex par Omphale : « Tu n’as pas besoin de justifier ni de mériter ton existence, tu as le droit de te laisser vivre. »

On peut y voir de la philosophie de comptoir mais je trouve important qu’il existe des textes véhiculant de tels messages dans le paysage littéraire, encore plus dans la littérature de l’imaginaire qui a justement souvent tendance à mettre en scène des aventures exceptionnelles et épiques avec des personnages de grande envergure. Je grossis un peu le trait mais à ma connaissance, les romans de Becky Chambers sont assez uniques en leur genre.

La conclusion de l’ombre :
Un psaume pour les recyclés sauvages est une novella plutôt contemplative et réflexive qui invite tout en douceur à la réflexion sur le sens de (notre) la vie. En une petite centaine de pages, Becky Chambers peint un monde presque utopique et développe une relation intéressante entre un·e moine et un robot qui lui permet d’aborder l’une de ses thématiques récurrentes à savoir le respect des différences culturelles ainsi que la richesse qu’elles apportent aux individus. Une réussite que je recommande vivement.

Je remercie Emma et les éditions l’Atalante pour ce service presse.

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S4F3 : 17e lecture

Informations éditoriales :
Un psaume pour les recyclés sauvages par Becky Chambers. Traduction : Marie Surgers. Éditeur : L’Atalante. Illustration de couverture : Feifei Ruan. Prix au format papier : 12,90 euros.

After Yang et autres nouvelles – Alexander Weinstein

Je dois avouer détester quand la couverture d’un livre est celle de son adaptation au cinéma. Je comprends l’intérêt et l’enjeu marketing mais, sur un plan personnel, cela ne m’attire pas du tout d’autant qu’après ma lecture, je ne trouve pas cette couverture représentative du contenu de ce recueil. Je m’interroge aussi sur le pourquoi le titre affiché sur le site d’ActuSF est différent de celui sur la couverture… Et pourquoi le titre anglais « After Yang » est conservé sur celle-ci (sans doute à cause du film ?) alors qu’il est traduit en « Nos adieux à Yang » à l’intérieur… Bref, sans la chronique de l’amie Trollesse, je n’aurais jamais posé les yeux sur After Yang et autres nouvelles et ç’aurait été assez dommage vu sa qualité.

Treize nouvelles donc, écrites par l’auteur américain Alexander Weinstein qui est adepte du format court et qu’il maîtrise plutôt bien si j’en juge par ma présente lecture. Certains textes m’ont davantage parlé que d’autres toutefois, à l’exception d’un ou deux à côté desquels je suis passée, j’ai été sensible aux émotions dégagées par ces histoires courtes et plus précisément les thématiques abordées. On se trouve en plein dans le genre science-fiction avec une interrogation sur notre rapport à la technologie au sens large du terme ainsi que sur l’évolution de notre société, ce qui a une saveur particulière un peu douce-amère, de nos jours…

Dans « Nos adieux à Yang » on suit un père de famille dont le robot grand frère de sa fille adoptive déconne après plusieurs années et la manière dont sa famille va gérer le deuil d’une machine. Je ne m’attendais pas à éprouver autant d’empathie envers eux, et pourtant… Dans « les cartographes » l’auteur évoque une technologie de téléchargement des souvenirs qui tourne évidemment mal, au point que les utilisateurs en perdent la notion de réel. Dans « les enfants du nouveau monde » on parle d’un couple qui devient parent dans un monde en ligne et du déchirement provoqué par un virus qui va les obliger à rebooter toute leur vie virtuelle, enfants compris…. La question de la vie (au sens sentience du terme) des éléments numériques créés revient assez fréquemment et c’est une thématique qui me parle.

Mais ce n’est pas tout car Alexander Weinstein aborde aussi à plusieurs reprises la question du dérèglement climatique et de ses conséquences comme dans « lignes de pente » où on suit un ancien skieur de l’extrême dans un monde où la neige disparaît ou bien dans « Migration » où plus personne ne sort de chez soi car l’extérieur est dangereux, ce qui déplait à Max, un adolescent révolté ou encore dans « Âge de glace » qui est une nouvelle résolument post-apo survivaliste où on découvre un petit groupe de personnes ayant survécu à une ère glaciaire et essayant de réorganiser un semblant de société. J’ai particulièrement apprécié l’ironie amère de la conclusion…

À chaque fois, l’auteur se concentre sur les gens à petite échelle, sur les émotions, ce qui fait de After Yang et autres nouvelles un recueil touchant face auquel on ne peut rester indifférent. Mention spéciale à deux textes très courts mais particulièrement violents sur un plan psychologique : « Heartland » où un père de famille désespéré commence à envisager de vendre des photos pornographiques de son enfant sur Internet pour gagner de l’argent car il n’y a plus de travail nulle part pour lui (il faut bien vivre, il paraît, puis ce ne sont que des photos… n’est-ce pas ? Le petit ne risque rien, pas vrai ? Glaçant, je vous dis.) et « La nuit de la fusée » qui flirte avec l’absurde où chaque année, les enfants d’une école choisisse l’un d’entre eux pour l’obliger à prendre une fusée et aller dans l’espace, apparemment sans possibilité de retour et tout le monde semble trouver ça normal. Aucune explication ici sur le pourquoi du comment hormis, peut-être, pour se débarrasser d’un individu marginal ? Ce qui serait ainsi une critique de la norme dominante et de ses dérives. Il y aurait beaucoup à dire et à analyser sur ces deux textes dans leur rapport à notre société et les valeurs qui y sont questionnées. J’ai apprécié d’être horrifiée, bousculée, par leur lecture. Pour moi, un texte qui me donne envie de m’arrêter dessus et d’y réfléchir est une réussite et c’est presque un sans faute pour Alexander Wellenstein.

Je dis presque parce qu’on trouve plus d’une fois des scènes de sexe dont la présence a beau être logique dans leurs histoires respectives, ça reste quelque chose qui personnellement me lasse un peu. Puis il y a deux textes étranges, un qui semble enchaîner les brèves d’information et un autre qui résume un grand évènement, à côté duquel je suis malheureusement passée. Mais dans l’ensemble, ce recueil mérite qu’on s’y attarde.

La conclusion de l’ombre :
Il ne faut pas juger un livre à sa couverture ! After Yang et autres nouvelles est un recueil de treize textes courts appartenant au genre de la science-fiction qui interroge notre rapport à la technologie, à son évolution ainsi que ses dérives et aborde également des problèmes sociaux comme climatiques. L’auteur choisit de rester à échelle humaine et peint des personnages masculins (ce sont chaque fois eux les narrateurs) crédibles, efficaces, dans toute la pluralité qui forme l’humanité. J’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir ces nouvelles et je vous en recommande chaudement la lecture.

Je remercie Jérôme Vincent et les éditions ActuSF pour ce service presse.

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S4F3 : 16e lecture
Informations éditoriales :
After Yang et autres nouvelles par l’auteur américain Alexander Weinstein. Traduction : Hermine Hémon, Erwan Devos. Éditeur : ActuSF. Illustration de couverture : ??? Prix au format papier : 20.90 euros.

Un an dans la Ville-Rue – Paul Di Filippo

Un an dans la Ville-Rue est le genre de texte qui provoque chez moi une certaine frustration car j’ai du mal à me plonger dans son univers tout en parvenant sans peine à m’intéresser à son personnage principal, Diego Patchen.

Pourtant, l’univers en question ne manque pas d’inventivité et, par bien des aspects, j’y vois une forme de critique ou même de réflexion sur le nôtre. Sauf que je me sens vite perdue devant une avalanche de termes nouveaux (un comble quand on connait un peu ma propre bibliographie…) et que les descriptions, aussi graphiques, riches et originales soient-elles, m’ont laissé de marbre parce qu’elles ne m’intéressaient tout simplement pas. J’ai même failli abandonner cette courte lecture mais j’ai été accrochée à partir du second chapitre où on découvre davantage le métier de Diego. Cet élément permet une réflexion intéressante sur la littérature, plus spécifiquement la science-fiction.

Diego, donc, est écrivain et il publie des nouvelles dans une revue intitulée Mondes Miroirs. Il écrit de la Cosmos-Fiction, c’est-à-dire qu’il imagine d’autres mondes, d’autres possibilités, d’autres alternatives, ce qui n’est pas bien vu par les lecteurs élitistes mais fonctionne bien auprès d’un public que le tenancier du kioske, Teuf-Teuf, décrit comme bien plus populaire. Difficile de ne pas penser à ce fossé qui existe entre la littérature dite « blanche » et celle dite « populaire », de l’imaginaire. La nouvelle date d’il y a vingt ans et on constate que certaines choses ne changent hélas pas.

J’ai trouvé assez amusante la façon dont l’auteur donne à Diego des idées qui évoquent notre monde (comme cette technologie filière qui permettrait de discuter avec quelqu’un sur une longue distance ou encore un univers où personne ne saurait ce qui se déroule après la Mort) en les faisant passer pour loufoques au sein de sa propre diégèse. C’est plutôt intelligent.

Au travers de quatre chapitres, Paul Di Filippo emmène son lecteur arpenter cette immense ville aux millions de Blocs qui semble à la fois si familière et si incongrue. J’ai toujours été plus sensible aux personnages et aux émotions qu’au world-building, ce qui ne m’empêche pas d’en reconnaître la saveur et d’en saluer les idées. Ce fut une lecture en demi-teinte où je me suis parfois ennuyée mais je n’en ai aucun regret, ressortant particulièrement enthousiaste et concernée par les réflexions sur la littérature et la façon dont l’auteur a décidé de les mettre en scène.

Un texte particulier qui ne pouvait paraître nulle part ailleurs que dans la collection Une Heure Lumière.

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S4F3 : 15e lecture.
Informations éditoriales :
Un an dans la Ville-Rue de Paul Di Filippo. Traduction par Pierre-Paul Durastanti. Éditeur : Le Bélial, pour la collection Une Heure Lumière. Illustration de couverture : Aurélien Police. Prix : 9.90 euros au format papier, 4.99 en numérique.

Le Chant des Fenjicks – Luce Basseterre

Le Chant des Fenjicks est ce genre de roman que je commence en me disant que ça ne va pas le faire puis que je finis par lire en entier pour une raison obscure, et en y prenant un certain plaisir en plus quoi que le texte ne soit pas exempt de quelques défauts (à mon goût tout personnel). J’en profite pour remercier ma chère Trollesse du Pays des cave trolls pour ce cadeau ♥

De quoi ça parle ?
La narration de ce roman est ce qu’on appelle une narration chorale c’est-à-dire qu’on découvre l’intrigue via une multitude de points de vue qui sont ici développés sur des chapitres longs de deux ou trois pages à peine. Pendant un bon tiers du livre, on se consacre principalement à Smine Furr et Waü Nak Du. Le premier est le représentant mâle d’une espèce féline appartenant à l’Empire Chalecks. Sur leur planète, le taux de fertilité chute dangereusement si bien que les mâles capables de procréer sont très prisés et même exploités. Cette société semble donner la plus grosse part du pouvoir à ses femelles et celles qu’on rencontre ne sont pas vraiment commodes… Smine n’est pas satisfait de sa vie ni du fait que tout le monde tente de se servir de lui pour ses talents en codage. Quand une occasion se présente pour se tirer de là, il n’hésite pas…

Waü Nak Du est un·e chaleck, une espèce de type saurien. Iel travaille avec les fenjicks ou plutôt, iel les étudie pour essayer de trouver un moyen de les faire se reproduire en captivité car il est de plus en plus difficile de les capturer pour les transformer en cybersquales. Malheureusement pour iel, son projet connaît des contretemps et la menace de la procréation forcée pend au-dessus de sa tête, histoire de rembourser sa dette à l’Empire…

À ce stade, vous avez peut-être déjà décroché devant tous ces mots et concepts inconnus. Pas de panique, on va revenir dessus. Et en premier lieu sur ce qu’est un cybersquale car c’est le cœur même du livre. Un cybersquale est un vaisseau, il peut y en avoir de diverses tailles. Sa particularité ? C’est un vaisseau créé à partir d’un être vivant, un fenjick, qui est une sorte de baleine cosmique (ou en tout cas un cétacé). À l’état sauvage, elles se déplacent en groupe dans l’espace et ont la capacité de « sauter » sur de très longues distances, en plus d’avoir une coque à toute épreuve. Vous commencez à comprendre leur intérêt ? Les chalecks se sont dit que ce serait une super idée de vider l’intérieur (oui, c’est immonde) de ces pauvres bêtes pour profiter de leurs capacités et de les contrôler à l’aide d’une I.A après avoir tout bien réaménagé à leur goût.
Sauf que…
Et si ces cybersquales parvenaient toujours à entendre le chant des fenjicks ? Et s’il restait quelque chose des fenjicks au fond d’eux ? Et si l’un de ces cybersquales reprenait le contrôle de lui-même et demandait l’assistance de planétaires pour libérer le plus possible des siens ?

Voilà, en gros, le concept sur lequel repose ce roman.

Un texte en inclusif avec un lexique abondant. 
Avant d’aller plus loin, je dois avouer que j’ai failli ne pas terminer ce livre parce que pendant la première vingtaine de pages, j’avais du mal à câbler correctement mon cerveau sur l’inclusif et les pronoms / déterminants neutres. Si vous avez un problème avec iel, li ou la terminaison neutre ae alors passez votre chemin. Moi-même, qui me considère comme une alliée, j’ai du fournir un effort conscient pour me mettre dedans tout simplement parce que je n’ai pas l’habitude de lire un texte en inclusif. Qu’on se comprenne bien : je n’ai aucun problème avec cette façon d’écrire, au contraire. Je trouve importante qu’elle existe car quoi qu’on en dise, notre société civilisée est construite sur le langage et refuser de l’adapter à une réalité, c’est la nier. Moi, je refuse de nier l’existence des personnes non-binaires -entre autres. Mais soyons honnêtes : ce n’est pas quelque chose de très répandu, encore moins en fiction, même si on commence à en croiser davantage et que certaines structures (comme YBY) se spécialise dedans. Ça demande d’accepter de sortir de son petit confort, de sa petite routine, et on n’en a pas tous envie ou on n’en est pas tous capable au moment où on ouvre un tel livre. Alors, si / quand vous vous lance(re)z dans le Chant des Fenjicks, soyez prévenu·es et ne vous laissez pas rebuter par ces éventuelles difficultés. Ce serait dommage !

De même, comme régulièrement en science-fiction ou même en fantasy, le lexique propre à l’univers est assez fourni. Le problème ici est qu’il n’est jamais expliqué dans le texte même s’il y a bien un petit lexique à la fin, qui n’est d’ailleurs ni signalé avant d’y arriver ni même complet. L’autrice part du principe que son lecteur connait déjà tout cela, peut-être parce qu’il s’agit d’une préquelle à un autre de ses romans ? Ou parce que ce sont des termes que tout lecteur de SF connaît ? Ce sont des hypothèses, j’ignore la réponse et je ne suis pas suffisamment érudite en SF pour affirmer ou démonter quoi que ce soit. Toujours est-il que même si je n’aime pas qu’on me prenne par la main, j’apprécie quand même qu’on me fournisse les bases d’un monde. On peut deviner la signification de certains termes au fil de la lecture, grâce aux situations, mais entre ça et les appellations particulières propres aux différents peuples, planètes, les noms particuliers, etc. le lecteur facilement découragé pourrait baisser les bras.

J’admets avoir presque fait partie de cette catégorie.

Un roman choral. 
Si, dans ma présentation, j’évoque deux personnages principaux avec lesquels s’ouvre le Chant des Fenjicks, très vite iels sont rejoints par d’autres, surtout de nombreux cybersquales et c’est un reproche que j’ai souvent vu dans les chroniques consacrées à ce livre : il y a trop de protagonistes, on a parfois du mal à suivre. Hélas, c’est un sentiment que je partage. Parfois, je devais retourner voir qui était qui et pourquoi iel réagissait de cette manière d’autant que seuls Waü et Smirne sortent réellement du lot et sont véritablement caractérisés dans cet enchaînement de narration à la première personne. Les différents cybersquales se ressemblent assez dans leurs réactions, ce qui peut se justifier en partie par leur I.A. et le fait qu’elle soit chaque fois un clone d’elle-même qui tire ses particularités individuelles des expériences vécues. Du coup, quel intérêt d’en avoir autant ? Pourquoi ne pas se concentrer sur un ou deux autres cybersquales et soigner davantage leur psychologie pour qu’on parvienne à les reconnaître tout de suite dans la narration ? C’est le risque d’opter pour la première personne dans un roman choral, d’ailleurs, même si ça renforce la proximité entre le lecteur et les protagonistes.

Toutefois, ce roman choral a aussi le bon goût d’être dynamique grâce notamment à ses chapitres courts (deux ou trois pages maximum) qui permettent des avancées rapides au sein de l’intrigue. Trop rapides par moment, surtout dans les scènes d’affrontement, mais c’est une affaire d’appréciation personnelle.

Des thématiques riches et fortes.
Et c’est bien pour cela que j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir ce roman, malgré ce qui peut sembler une avalanche de points négatifs.

La première et la plus évidente est bien sûr celle de l’exploitation des ressources animales pour le développement d’une civilisation. Impossible de ne pas faire un parallèle avec notre planète ni de ne pas être touché·e par le destin des fenjicks / des cybersquales. Par cette porte d’entrée, Luce Basseterre invite également à réfléchir sur la façon dont la société impose une norme dominante à des individus qui ne s’y identifient pas et les conséquences que cela peut avoir non seulement sur ces individus mais aussi sur la société dans son ensemble. Ce ne sont là que deux exemples (déjà bien représentatifs) de ce qu’on peut trouver au sein de ce texte très riche et moderne qui, en plus, ne se regarde pas le nombril puisqu’il contient beaucoup d’actions, de combats et de rebondissements. Peut-être un peu trop, et peut-être que la fin n’est pas exactement à la hauteur de ce qu’on pourrait attendre mais d’un autre côté, toutes les révolutions ne se terminent pas sur un renversement frontal du système en place.

Pas dans la vraie vie. Et, avec le recul, ça n’en a rendu ma lecture que plus percutante parce que ce choix m’a invité à réfléchir sur tout ce que je venais de lire, à y rester au lieu de juste passer à autre chose.

La conclusion de l’ombre :
Le Chant des Fenjicks est un roman de science-fiction qui se veut inclusif dans son écriture et d’une grande richesse autant dans son univers que dans ses thématiques. Si sa narration chorale à la première personne manque parfois de maîtrise, ce texte rappelle que les auteur·ices francophones ont aussi du talent et sont aussi capables d’écrire de la SF de qualité.

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S4F3 : 14e lecture
Informations éditoriales :
Le Chant des Fenjicks par l’autrice française Luce Basseterre. Éditeur : Mnémos. Illustration de couverture : Wadim Kashin. Graphisme : Atelier octobre rouge. Prix au format papier : 21 euros.

L’Homme Illustré – Ray Bradbury

Vous le savez peut-être (ou pas) mais je suis une grande fan de la série Esprits Criminels depuis le début de mon adolescence. Elle m’a toujours fascinée et j’ai vu les premières saisons au moins une dizaine de fois. Récemment, j’ai décidé de tout regarder depuis le début puisque les quinze premières saisons sont disponibles sur Disney+ et c’est à cette occasion que j’ai re-re-re-re(…) vu l’épisode intitulé l’homme illustré, 20e de la 5e saison. Dans ce dernier, un tueur en série se suicide et son corps est complètement illustré par le visage des femmes qu’il a tué. Reid pense alors au recueil de Bradbury et en parle comme de « la bible des tatoueurs ». J’ai longtemps été intriguée par ce livre mais à l’époque, je me souviens qu’il n’était plus disponible. Ici, en le revoyant, je me suis renseignée et coup de bol, Folio SF venait de le ressortir. J’ai donc enfin pu lire ce recueil. Voyons ce que j’en ai pensé !

De quoi ça parle ?
Il s’agit d’un recueil de dix-huit nouvelles reliées autour d’un concept : dans le premier chapitre, un homme rencontre l’Homme illustré qui lui explique qu’une vieille femme a illustré (et non tatoué) son corps avec des histoires venues du passé mais aussi du futur. Il y a deux endroits particuliers sur son corps dont un qui montre l’avenir et l’autre le présent, ce qui fait que tout le monde rejette cet Homme illustré, mal à l’aise devant ce qui se représente sur l’espace blanc de son dos.

Une bonne surprise.
En commençant ce recueil, je m’attendais à quelque chose de plus fantastique, plus ancré dans la vie réelle et surtout dans les années 1950, époque à laquelle ce titre a été publié pour la première fois (1954 en anglais, pour être exacte). Pourtant, la majorité des histoires appartiennent au registre de la science-fiction et mettent en scène soit la vie sur Mars, soit des voyages spatiaux, soit un développement technologique particulier soit encore une invasion souvent martienne. J’ai apprécié découvrir chacun de ces textes mais certains m’ont davantage marqué. Une fois n’est pas coutume, je vais plutôt m’attarder sur ceux-ci.

Dans « Comme on se retrouve » un homme blanc arrive sur la planète Mars qui a été colonisée vingt années plus tôt par la population Noire en fuite de la Terre. Certains sont enthousiastes face à cette arrivée mais beaucoup se rappellent très bien de la ségrégation et ont envie de se venger sur cet Homme Blanc pour tout le mal fait par ses semblables à leur peuple. J’ai trouvé ce texte particulièrement humain que ce soit dans les réactions des habitants de Mars (toutes nuancées, certaines extrêmes) ou dans ce qu’annonce l’Homme Blanc. C’est d’autant plus vrai quand on regarde l’époque où il a été écrit, à savoir 1951… Dans la préface, Bradbury explique d’ailleurs qu’aucun éditeur américain n’en a voulu et qu’il a du le vendre en France… Révélateur.

Autre texte marquant : « La pluie ». Un groupe d’homme se retrouve coincé sur Vénus, une planète où il pleut sans arrêt, pas même une seule seconde. L’humanité a donc construit une série d’abris solaires afin que les personnes qui s’y trouvent pour travailler puissent se ressourcer à l’intérieur en attendant de rentrer chez eux. Ces hommes marchent donc jusqu’à l’un d’eux mais en arrivant, hélas, ils constatent que l’abri a été détruit… En général je suis peu sensible à ce type de récit orienté sur la survie et le désespoir qui va crescendo mais je trouve que Bradbury maîtrise très bien l’ambiance oppressante de cette pluie qui ne cesse jamais de tomber, qui décolore les vêtements, la peau, qui grignote petit à petit la raison des membres de l’équipe au point qu’ils se laissent mourir les uns après les autres. Le texte a su m’interpeller et me passionner.

J’ai aussi envie de dire quelques mots sur « La dernière nuit du monde » une très courte nouvelle de quelques pages où on suit un mari et sa femme qui, en rêve, tout comme le reste de l’humanité, apprend que le monde va tout simplement cesser d’exister. La question se pose alors : que faire pour cette dernière nuit ? Et la réponse est assez surprenante. J’ai été très touchée par la simplicité bienveillante qui se dégageait de ces quelques lignes.

Enfin, je terminerais en évoquant « Les bannis ». Cette nouvelle raconte l’histoire d’auteurs de l’imaginaire (tous des hommes mais bon vu l’époque, je vais fermer les yeux) dont les fantômes ou les souvenirs (on ne sait pas très bien ce qu’ils sont) se sont réfugiés sur Mars alors que, sur Terre, on détruit systématiquement leurs livres. Tant qu’un ouvrage subsistera, ils vivront mais si on brûle leur dernier livre, alors… Et c’est la panique, sur Mars, parce que justement une fusée est en approche et ces auteurs ne veulent pas être retrouvés par les humains. Ils vont demander l’aide de certains personnages créés par eux dont trois sorcières qui maudiront les membres de l’équipage. Cela semble un peu brouillon expliqué de cette manière mais je n’ai pas du tout envie de révéler la chute par inadvertance même si elle m’a brisée le cœur. J’y ai décelé tout un sous-texte sur la richesse de l’imagination ainsi que son importance au sein de notre société car on voit de quelle manière se comporte les humains qui en sont dépourvus. C’est une nouvelle assez sombre, désenchantée vu la fin, sorte de mise en garde face à la dangerosité de la censure qui se comprend très bien vu l’époque à laquelle a vécu l’auteur : il a connu la deuxième guerre mondiale, la Guerre Froide, le maccarthysme… Elle mériterait une analyse approfondie à elle seule et il est certain que je la relirai pour en saisir toutes les nuances ainsi que les références. On sent, à travers cette lecture, que Bradbury est un lecteur de l’imaginaire et qu’il l’aime profondément.

Ceci n’est qu’un échantillon de la richesse inhérente au recueil. On peut lui reprocher un aspect un peu désuet face à la production actuelle en science-fiction mais je le trouve justement plutôt charmant et accessible d’autant que la plupart des textes sont antérieurs aux années 1950 et donc au premier homme dans l’espace ou même aux premières images de Mars, ce qui se sent dans la manière dont l’auteur se l’approprie et représente les technologies futuristes ou même le paysage martien. Le mélange avec le fantastique pour justifier des éléments qu’aujourd’hui on exigerait de lire sous un prisme hard-sf me parle tout particulièrement et devrait justement plaire aux lecteur·ices qui débutent en science-fiction.

La conclusion de l’ombre :
Ce premier contact avec Ray Bradbury est un succès pour moi qui me permet de découvrir cet auteur de référence. Je vais continuer à me pencher sur sa bibliographie avec grand intérêt et surtout son monument, le fameux Fahrenheit 451. Dans l’Homme illustré, le lecteur découvre dix-huit nouvelles où le fantastique se mêle à la science-fiction. Ces histoires sont dessinées sur la peau d’un homme désespéré dont on apprend l’histoire dans la dernière nouvelle et qui a fait confiance à la mauvaise « illustratrice » pour de mauvaises raisons… Ce mélange des genres fonctionne merveilleusement bien, ce qui donne au recueil une touche très particulière où l’investissement émotionnel se fait naturellement. Bradbury est un auteur très talentueux au format court, je vous recommande donc chaudement cette lecture.

D’autres avis : Je n’en ai pas vu chez les blogpotes mais manifestez-vous si je vous ai loupé.

S4F3 : 12e lecture.
Informations éditoriales :
L’homme illustré écrit par l’auteur américain Ray Bradbury. Éditeur : Folio SF. Traduction : C. Andronikof et Brigitte Mariot. Illustration de couverture : Frederik Peeters. Prix : 6, 90 euros.