À l’ombre des bulles #3 { les vieux fourneaux }

Voilà des années que je vois cette BD chez Kazabulles en me demandant pourquoi tout le monde en fait tout un pataquès. Je ne saurais pas trop expliquer pour quelle raison, justement début de cette année, j’ai décidé de me lancer à la découverte de ce titre. L’envie d’explorer d’autres formats, d’autres genres d’histoire, et j’ai bien fait parce que les sept tomes lus jusqu’à maintenant ont été de vrais régals !

De quoi ça parle ?
Antoine, Emile et Pierrot sont amis d’enfance. Aujourd’hui, ils sont septuagénaires et ont toute une vie derrière eux mais aussi devant ! Certains ont fondé une famille, d’autres fait le tour du monde ou encore se sont battus pour les causes sociales. Entre passé et présent, la BD raconte des morceaux de leur vie, des petits drames du quotidien, des histoires un peu dingues, et aborde avec juste ce qu’il faut d’humour la folie de notre époque.

Je ne connaissais pas encore le travail de Lupano même si j’ai vu plusieurs de ses BDs sur les réseaux ou dans les rayons, encensées et mises en avant. Je comprends pour qui vu l’intelligence du scénario des Vieux Fourneaux et la façon dont il parvient avec habileté à mêler engagement politique avec humour tout en créant des personnages attachants. Dans le premier tome, Antoine vient de perdre son épouse et apprend que celle-ci l’a trompé il y a des années avec leur patron. Il décide donc de partir en Toscane, armé d’un fusil, pour venger son honneur en tuant Garan-Servier. C’est l’occasion d’un road trip où Emile, Pierrot et la petite fille d’Antoine, Sophie, enceinte jusqu’aux yeux, essaient de l’arrêter. Comme quoi, il n’y a pas d’âge pour les crimes passionnels !

Une BD drôle et engagée.
Ce voyage sera l’occasion d’évoquer le passé, les engagements syndicalistes d’Antoine mais aussi de s’interroger sur la raison qui pousse une jeune femme enceinte à revenir s’installer dans le fin fond de la campagne pour reprendre le théâtre itinérant de sa grand-mère, quittant le confort de la ville et un travail prometteur, le tout sans l’ombre d’un père à l’horizon.

Ce tome propose une histoire complète, comme chacun des suivants, avec un fil conducteur qui permet d’éclaircir certains mystères antérieurs. On peut donc s’arrêter quand on veut, ce qui est appréciable mais pourquoi aurait-on envie de s’arrêter, vu la qualité de l’histoire ? Grande question.

Dans les volumes suivants, on évoque la désertification des campagnes en terme d’emploi, le capitalisme, les engagements anarchistes, la façon dont on considère la vieillesse, les personnes âgées mais aussi les femmes enceintes, la manière dont tout le monde a toujours un avis sur tout, les engagements écologiques, etc. Je reste assez générale à dessein car à tous ces éléments se mêlent aussi des aventures du passé qui reviennent dans le présent, pour notre plus grand bonheur !

Pour ne rien gâcher, le dessin de Paul Cauuet est soigné, j’ai tout de suite accroché à sa manière de caractériser les trois comparses et de donner vie au cadre de l’histoire.

L’adaptation en film
Je n’ai rien contre le cinéma français mais force est de constater que ces dernières années, il ne brille pas toujours par sa finesse ou sa qualité. Quand j’ai appris qu’il y avait eu une adaptation cinématographique de la BD, j’ai hésité à la regarder mais mon libraire m’a assuré qu’elle valait le coup. Je lui ai donc fait confiance et je rejoins son avis : c’est une pépite ! Le premier film reprend les deux premiers tomes et parvient à l’adapter à l’écran en restant fidèle au matériel d’origine tout en s’octroyant quelques libertés dues au format qui ne gâchent rien. J’ai passé un excellent moment devant ce film que je vous recommande avec enthousiasme.

La conclusion de l’ombre :
J’ai eu un énorme coup de cœur pour cette série de BD, toujours en cours, qui a su me faire sourire dans une période où ce n’était pas gagné. Je me sens proche des personnages et j’adore découvrir les éléments parfois farfelus de leur existence. C’est touchant, sincère, drôle aussi, bref un indispensable.

Informations éditoriales :
Les vieux fourneaux, série en cours de 7 tomes. Scénario : Wilfrid Lupano. Dessin : Paul Cauuet. Couleur : Jérôme Maffre. Éditeur : Dargaud. Prix : 13 euros par tome.

À l’ombre des bulles #2 { des histoires de capes et d’animaux. }

Bonjour tout le monde !
On se retrouve pour un nouvel épisode d’à l’ombre des bulles, une rubrique encore neuve et qui se fait pourtant déjà rare puisque je ne lis pas tant de BD que cela, surtout en comparaison de ma consommation manga… Pour rappel, cette rubrique me permet de parler de plusieurs titres qui ont au moins un point en commun et comme vous allez le voir, sur cette sélection, ça vient surtout des capes et des animaux. Vous allez comprendre…

De cape et de mots – Flore Vesco (scénario) & Kerascoët (dessin) chez Dargaud.

Voici une BD qui est à l’origine un roman et dont la sortie est prévue pour octobre 2022. Je suis un peu en avance mais j’ai rendu service à mon libraire en la lisant comme service presse afin de leur en parler parce que les pauvres se noient sous les nouveautés.

Sérine est l’aînée d’une famille noble et pauvre qui n’a pas très envie de se marier et préfère plutôt monter au palais pour devenir dame d’honneur de la reine. Très vite, son bon caractère se heurte aux mesquineries de la cour et quand on la chasse, elle décide de revenir en tant que Fou du Roi pour se venger et mettre à jour un complot.

Le découpage venu du roman fait que cette BD est construite comme une alternance de petites scènes qui forment un tout narratif. Le style de dessin fait plutôt penser à des strips de comics en ligne axés sur les dialogues au lieu du visuel -ce qu’on conçoit bien vu l’origine. Les personnages sont très fortement caractérisés d’une façon qui met leurs traits de caractère en avant et permet tout de suite d’identifier qui est le gentil et qui est le méchant. Ce n’est pas un style qui me parle mais il convient bien ici. On est clairement sur un récit à destination d’un public jeunesse comme Flore Vesco sait si bien les écrire car on y retrouve son amour pour la langue, les jeux de mots et les doubles sens. L’écriture est intelligente et maîtrisée, j’aurais aimé lire le roman et j’espère qu’il sera réédité un jour.

Je ne comprends par contre pas trop pourquoi l’éditeur le classe comme un roman graphique… On ne doit pas avoir la même définition du concept. C’est bien une bande-dessinée.

Blacksad, tome 1 : Quelque part entre les ombres de Juan Diaz Canales (scénario) et Juanjo Guarnido (dessin) chez Dargaud.

Après ma découverte des Indes Fourbes, j’ai eu très envie de voir ce que donnait le dessinateur sur d’autres titres et mon libraire m’a donc très logiquement orienté sur Blacksad. J’en entendais parler depuis des années mais jusqu’à Beastars, j’ai toujours été repoussée par des œuvres « adultes » avec des animaux anthropomorphisés (je ne sais pas pourquoi, je n’ai jamais eu de soucis avec les Disney par contre…).

Je me suis donc lancée avec le premier tome. Il faut savoir que chaque volume contient une histoire terminée sur elle-même à l’exception du 6 (déjà paru) et du 7 (à venir) dont l’intrigue a été coupée en deux. La première histoire dont je vais parler ici est un grand classique du film noir où un détective privé enquête sur la mort brutale d’un ancien amour, qui s’avère être une actrice célèbre. Il n’y a rien de très original là-dedans mais ça n’empêche pas le scénario d’être convainquant et correctement rythmé.

La force de ce premier tome est et restera le dessin extraordinaire de Guarnido qui donne vie à cet univers où les animaux anthropomorphisés remplacent les humains. Pour tout qui a également lu Beastars, ça a une saveur particulière parce qu’on retrouve certaines divisions dans la société avec, ici, une présence majoritaire d’animaux « carnivores ». J’ai été enchantée par le soin accordé aux détails et j’ai immédiatement commandé le tome 2 chez mon libraire. À mesure que je découvrirais l’univers, je verrais s’il y a lieu de continuer les parallèles et, peut-être, de produire une analyse croisée des deux titres.

De Cape et de Crocs, tome 1 : le secret du janissaire par Alain Ayroles (scénario) et Jean-Luc Masbou (dessin) chez Delcourt.

Dans la même logique que pour la BD précédente, puisque j’ai adoré autant le scénario que le dessin des Indes Fourbes, j’ai eu envie d’essayer de Capes et de Crocs du scénariste français Alain Ayroles. Et dans le même ordre d’idée, je ne me serais sûrement pas lancée si je n’avais pas autant aimé à la fois les Indes Fourbes et Beastars, ce manga m’ayant réconcilié avec le principe d’animaux anthropomorphes. Ici, on suit deux gentilhommes, un loup et un renard, l’un espagnol et l’autre français, qui vont malgré eux s’embarquer dans une chasse aux trésors…

Un début plutôt très classique donc mais qui sort du lot par la qualité de son verbe. On retrouve ici de nombreuses références au théâtre, jusque dans la façon qu’ont les protagonistes de dialoguer ce que, personnellement, j’adore. Ça a un petit goût d’Edmond Rostand avec son Cyrano qui a forcément tout de suite fait mouche chez moi. Sans compter que le dessin de Jean-Luc Masbou est plutôt réussi quoi qu’incomparable avec la maestria du dessinateur précédent. Il fait le job et il le fait bien, ce qui donne au final une BD de qualité dont je vais m’empresser de découvrir la suite.

Je ne lis pas beaucoup de BD mais cette année, je semble dénicher des titres de qualité ! Et vous, vous connaissiez ces séries ? Vous avez aussi découvert une BD qui vous a plu récemment ? 

Les Indes fourbes – Ayroles & Guarnido


Qui de mieux qu’un libraire spécialisé en BD pour t’offrir une des meilleures BD que tu as pu lire dans ta vie ? Pour mon anniversaire, j’ai reçu les Indes fourbes dans une belle édition cartonnée de chez Delcourt avec des pages magnifiques et un signet en tissu qui ajoute une petite touche de style. Cette BD est une sorte de suite à un roman espagnol écrit durant le 17e siècle et intitulé « El Buscón ». Ce texte met en scène le personnage de Pablos, un gueux qui a des rêves de gloire et qui va vivre tout un tas d’aventures rocambolesques.

Les images utilisées dans cet article le sont à seule fin de promotion de l’ouvrage. Elles appartiennent à l’éditeur et à son dessinateur. 

C’est ce personnage de Pablos qu’on retrouve à son arrivée dans les Indes (comprenez pour l’époque, en Amérique du Sud) puisque c’est là-bas qu’il se rend à la fin du roman qui aurait du avoir une suite mais n’en aura jamais. Ces deux auteurs se sont donc associés pour la lui offrir !

Le lecteur découvre Pablos en très mauvais état. Au seuil de la mort, il a une histoire à raconter à un homme puissant, une histoire à propos d’un certain Eldorado qu’il aurait vu de ses propres yeux… Le premier chapitre (sur trois que compte la BD) est donc consacré à ce récit fabuleux où Pablos digresse dans les grandes largeurs, en profitant aussi pour parler de lui, de son enfance, de son parcours, ce qui a le don d’agacer son interlocuteur…

Jusqu’ici, un lecteur naïf pensera qu’il s’agit d’une simple histoire sur la conquête de l’Amérique du Sud et sur l’obsession de l’or qui y est immanquablement attachée. On se rend compte grâce aux chapitres suivants que c’est bien davantage…

Car Pablos n’est pas sans rappeler un certain Mycroft Canner puisqu’il ballade allègrement son lectorat en lui racontant pléthores de mensonges ou en modifiant la vérité comme cela l’arrange lui. Ainsi, après ce premier chapitre, on découvre un plan surprenant mené à bien par Pablos pour s’emparer de l’or puis, dans la dernière partie, on en revient à la vérité plus crue, moins romanesque. C’est ce chapitre trois qui a su le plus me toucher et me remuer, surtout mis en lumière avec les éléments narrés dans le premier. J’accroche volontiers à une narration de ce genre, encore faut-il qu’on la maîtrise et heureusement, c’est le cas d’Alain Ayroles, scénariste français auquel je vais m’intéresser de plus près.

J’ai tout trouvé dans cette bande-dessinée : non seulement un scénario solide et brillamment découpé mais également des planches d’une beauté à couper le souffle, comme vous pouvez le voir ci-dessous sur une page dédiée à un décor marin. J’ai souvent pris le temps de m’arrêter sur les décors, sur les détails, sur la caractérisation des personnages. Juanjo Guarnido possède un style extraordinaire qui convient parfaitement bien à cette histoire. Je vous laisse juger sur les planches disponibles sur le site de l’éditeur.

En clair, je ne peux que vous encourager à acquérir ce magnifique ouvrage. Pour peu que vous aimiez les protagonistes filous et les manipulations scénaristiques, pour peu que vous ayez un goût certain pour la beauté des planches de Guarnido, ce titre devrait vite devenir un indispensable dans votre bédéthèque.

D’autres avis : Les blablas de Tachan – vous ?

Informations éditoriales :
Les Indes fourbes scénarisé par Alain Ayroles, dessiné par Juanjo Guarnido. Éditeur : Delcourt. Prix : entre 35 et 45 euros selon la version.

L’esprit critique – Isabelle Bauthian & Gally

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L’esprit critique est un concept fondamental à mes yeux que j’essaie en prime d’enseigner chaque année depuis trois ans à mes étudiants qui en manquent souvent. Je fais de mon mieux mais je dois admettre qu’il me manquait une ressource ludique, claire, qui servirait de tremplin pour ouvrir des discussions que j’imagine passionnantes.

Heureusement, Isabelle Bauthian et Gally sont là.

La première est, entre autre, autrice de l’imaginaire. Je vous en ai déjà parlé une fois par ici avec son roman Montès. La seconde est autrice / dessinatrice / libraire et je n’avais pas encore été en contact avec son travail. Ensemble, elles proposent une BD de 122 pages qui met en scène Paul, un jeune trentenaire qui aime se croire informé. Alors quand il rencontre Masha, une druide qui affirme avoir vu des fées et avoir été guérie par elles… Il a du mal à conserver son calme. Cette situation de départ permet l’arrivée de l’Esprit Critique qui va d’abord se lancer dans un point historique (montrer comment certaines personnes à travers l’Histoire ont remis en question des absolus afin d’évoluer) avant de détailler la méthode scientifique moderne, d’expliquer ce qu’est la science, s’arrêter sur les biais cognitifs, s’interroger sur la meilleure manière de vérifier une information et de l’analyser… Le tout avec plein d’exemples ludiques et frappants que je ne suis pas prête d’oublier.

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(et oui évidemment sur un blog SFFF je mets l’extrait qui concerne Asimov afin de vous appâter, ce qu’on pourrait presque apparenter à un biais de cadrage non ? 😀 )

Beaucoup de gens se reconnaitront à un moment donné dans le personnage de Paul, dont les failles sont mises au jour à mesure que son échange avec l’Esprit Critique avance. Personnellement, quand il se désespère en se demandant quoi faire de sa culture acquise grâce aux recherches éclairées s’il suffit d’un biais cognitif (celui qui parle plus fort, qui fait la meilleure blague, etc.) pour qu’on ne lui prête plus aucune attention, je me suis vraiment entendue penser et c’était une expérience assez troublante -dans le bon sens du terme.

À ce stade, peut-être qu’une inquiétude vous taraude : c’est pas un peu beaucoup de matière pour « seulement » 122 pages ? Oui et non. Je trouve que les autrices ont bien travaillé le sujet, les enchainements sont logiques et l’ensemble reste clair. D’un autre côté, cela rend la BD assez costaude et nécessitera une ou plusieurs relectures pour vraiment en tirer tout ce qu’elle a à offrir.

Ce qui ne l’empêche pas d’être un outil pédagogique in-dis-pen-sable. Mon seul regret est de ne pas l’avoir découverte à sa sortie l’année dernière et de ne pas déjà l’avoir intégré dans mon programme car ça aurait été très utile (pour certaines sections, il n’est heureusement pas trop tard !)

Ceci dit, elle ne se limite pas à un outil pédagogique. Cette BD vous permettra de réfléchir sur vous-même et vos biais, d’évoluer en tant qu’être humain et de, peut-être, si vous l’offrez à la bonne personne, changer une vie. Je ne peux que vous la recommander si vous ne l’avez pas déjà lue !

D’autres avis : je n’en ai pas trouvé sur mon cercle blogo donc signalez-vous si jamais !

Informations éditoriales :
L’esprit critique scénarisé par Isabelle Bauthian, illustré et colorié par Gally, avec Reiko Takaku comme assistante couleur. Éditeur : Delcourt. Prix : 16.50 euros.

À l’ombre des bulles #1 : { White Knight : Harley Quinn / Trois Jokers }

Salutations à tous/tes/x !

J’inaugure cette année un concept très semblable à l’ombre du Japon… mais pour les BD et les comics ! En effet, je lis de plus en plus dans ce format et j’ai envie de pouvoir partager mes lectures. Toutefois, chaque titre ne remplit pas forcément un article complet à lui tout seul… Ou certains ont des thématiques qui, d’office, me permettront de faire une comparaison intéressante ou un rapprochement pertinent. D’où cette rubrique.

C’est d’ailleurs le cas ici avec deux comics tirés de l’univers Batman qui abordent tous les deux une figure centrale de méchant : celle du Joker.

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Batman White Knight : Harley Quinn

Malgré ma profonde appréciation de cette œuvre, je n’ai encore jamais écrit au sujet de White Knight puisque j’ai lu le premier volume fin 2020 et que tout un tas d’évènements se sont enchainés, si bien qu’au final… J’ai trop procrastiné pour pouvoir rédiger un article digne de ce nom à l’heure actuelle. J’ambitionne toutefois de le relire bientôt mais d’ici là, je profite de l’occasion de la sortie du tome centré sur Harley pour me rattraper.

Le concept de White Knight est simple : Jack Napier alias le Joker souffre de graves troubles dissociatifs de l’identité. Dans le premier volume, il prend un sérum qui lui permet de se soigner et de faire campagne contre Batman, arguant que c’est son harcèlement et sa violence qui l’ont poussé toujours plus loin et qui font du mal à Gotham… Le monde à l’envers ! Pourtant, ça fonctionne parfaitement et c’est passionnant à lire puisqu’au fond, assez crédible. On voit de quelle manière Batman se comporte, au point de commencer à se dire que Napier n’a pas foncièrement tort…

Harley se déroule après les évènements racontés à la fois dans White Knight et dans Curse of the White Knight. Attention, je vais divulgâcher : Jack Napier est mort, tué par Harley. Celle-ci, enceinte, a donné naissance à des faux jumeaux. On la retrouve mère célibataire, aidée par ses deux hyènes et par quelques connaissances bienveillantes. Elle s’est retirée du monde du crime et essaie de se débrouiller comme elle peut… Malheureusement, la police de Gotham a besoin de son expertise psychiatrique puisqu’un imitateur du Joker sévit. Et Batman n’y peut rien, il est en prison pour expier ses crimes ! On suit donc l’enquête de Harley, l’évolution de sa relation avec Bruce mais aussi ses tourments en tant que jeune mère qui n’est pas vraiment faite pour ça mais tente malgré tout de gérer du mieux qu’elle peut.

C’est aussi l’occasion de connaître le début de la relation entre Harleen et Jack, et je dis bien Harleen et Jack, pas Harley et le Joker, car on apprend que tout a commencé entre eux bien avant Arkham et que si Harleen s’est retrouvé psychiatre dans le célèbre asile, ce n’est vraiment pas par hasard… La manière dont les évènements s’imbriquent et s’enchaînent, dont l’auteur réécrit l’histoire de ce duo emblématique, est tout simplement brillante.

Je suis très intéressée par ces deux personnages et leurs interactions ainsi que le trio formé par extension avec Batman. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que j’en parle ici. Dans tout ce que j’ai pu lire, White Knight est l’une des réécritures les plus riches et novatrices. Pour ne rien gâcher, Harley est ici une héroïne forte et crédible, superbement écrite, avec justesse et équilibre. Probablement l’une des meilleures réécritures, avec Harleen.

Scénario : Sean Murphy, Katana Collins.
Dessinateur : Matteo Scalera.
Informations éditoriales : Urban Comics.

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Un one-shot d’un tout autre genre qui part du postulat qu’il y aurait non pas un mais trois Joker, un qui aurait sévi pour chaque grand moment de la Bat Family. Il faut rappeler à ce stade qu’à chaque fois que Batman affronte le Joker en comics, il se passe quelque chose de grave : la torture et le handicap de Barbara (The Killing Joke), la torture et l’assassinat de Jason Todd (Un deuil dans la famille), ce qui a causé de profonds traumatismes et ce même si Jason n’était pas vraiment mort (enterré vivant, wouhou fun) et que Barbara est parvenue à remarcher après des mois de rééducation.

Ces évènements ont eu lieu de façon très espacée dans le temps et dans les parutions, si bien qu’ils ont été commis par des Joker dont le style (pas seulement visuel) avait évolué au gré des besoins des différentes histoires. D’où l’origine de l’idée qui est plutôt bien exploitée ici. Le flou persiste : qui est le Joker d’origine ? Combien de Joker y aura-t-il eu en tout ? Pourquoi chercher à en créer un nouveau ? Les réponses se trouvent dans ce one-shot.

C’est aussi l’occasion d’évoquer les tourments de Jason, les obsessions de Bruce, la droiture morale de Barbara ainsi que la quête de rédemption qui n’a pas toujours les effets escomptés… J’ai beaucoup apprécié les planches finales, que ce soit la conclusion entre Bruce et le Joker (si on peut appeler ça ainsi) ou la façon dont un concours de circonstance empêchera Jason de recevoir l’aide dont il a besoin. Il y a dans ce comics un côté vain, un brin cruel, que j’ai trouvé passionnant.

Scénario : Geoff Johns
Dessinateur : Jayson Fabok
Informations éditoriales : Urban Comics.

À bientôt pour d’autres bulles dans l’ombre !

Green Manor (intégrale) – Bodart et Vehlmann

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Green Manor
est une intégrale constituée par 18 historiettes criminelles dessinées par Bodart et scénarisées par Vehlmann. Ce volume contient 2 histoires inédites par rapport à la version d’origine ainsi que des pages montrant les crayonnés et les dessins préparatoires. Vous trouverez Green Manor partout en librairie au prix de 39 euros. La couverture et l’extrait de la BD utilisés dans cet article sont la propriété de Dupuis et de ses auteurs et ne servent qu’à illustrer ma chronique. 

Le meurtre n’est rien sans un peu d’élégance. Voilà la phrase qui se situe au dos de ce bel objet avec reliure cartonnée, signet en tissu et papier épais, vernis, qui reçoit à merveille les dessins couleurs de Bodart. Plus qu’un livre, nous sommes sur un livre-objet magnifique dans une bibliothèque, ce qui justifie amplement son prix.

Quant au contenu, le principe est assez simple : un psychiatre se rend dans un asile pour discuter avec le majordome de Green Manor qui semble devenu fou. Celui-ci va raconter une série d’histoires dont « il » aurait été témoin à travers les années d’existence de ce club pour gentlemen. Les temporalités se mélangent mais on est grosso modo entre les 18e et 19e siècle. La date de chaque histoire est précisée dans la première case.

Côté esthétique, on est sur une Londres industrielle et toute l’ambiance graphique victorienne qui en découle. Cela se ressent également dans la palette de couleur mise en avant, allant du gris extérieur au brun chaud du bois en intérieur, avec des déclinaisons beiges et sépias, un ensemble assez sobre.

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Chaque histoire ne compte que quelques pages, moins de dix en vérité, ce qui rend le tour de force narratif encore plus impressionnant. En vrac : un homme paralysé tente de se venger de l’amant de sa femme, un médecin rêve d’examiner le cerveau de William Blake alors que ses amis lui jouent un tour, une famille sombre dans la folie à cause d’un testament, un objet historique d’une valeur sans précédent sème la mort chez ses propriétaires, ce ne sont que quatre exemples parmi d’autres. Le tout est à la fois varié et plutôt classique. Du moins, de prime abord… car j’ai été surprise du dénouement de chaque histoire. Il n’y en a pas une seule où j’ai vu venir ce qui allait se produire alors même que je suis familière du genre. Vehlmann a brillamment joué avec son / sa lecteur.ice pour lui embrouiller l’esprit. On sent que, si l’auteur n’est pas fan du genre policier (j’ignore si c’est le cas) il a au moins effectué de très nombreuses recherches pour s’imprégner de ses codes. Ça a porté ses fruits !

Cela donne une intégrale riche qui apporte en prime une fantastique leçon d’écriture efficace au format court et permet de passer un excellent moment. Je ne regrette pas du tout mon achat et je vous recommande très chaudement de laisser sa chance à cet ouvrage, malgré son prix qui peut rebuter. Les fêtes de fin d’année approchent, après tout. Pensez à votre sapin !

D’autres avis : je n’en ai pas trouvé mais si j’ai loupé le vôtre, manifestez-vous.

Le Jardin, Paris – Gaëlle Geniller

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Le Jardin, Paris
est une bande-dessinée scénarisée, illustrée et colorisée par l’artiste française Gaëlle Geniller. Publié par Delcourt, vous trouverez cette bande-dessinée partout en librairie au prix de 25.50 euros.

Cet article contient deux extraits de la BD qui servent uniquement à illustrer des éléments de ma chronique. Ces extraits appartiennent évidemment à l’autrice et à sa maison d’édition.

De quoi ça parle ?
Paris, 1920. Rose est un jeune homme de dix-neuf ans qui a vécu toute sa vie dans le cabaret « le Jardin ». Le lecteur le rencontre au soir de sa première apparition sur scène, car Rose aime danser et compte bien suivre les pas de sa mère.

Une BD bienveillante.
Il suffit d’un mot pour résumer l’œuvre de Gaëlle Geniller, un mot qu’on peut trop rarement apposer sur bien des fictions de nos jours. Ce mot, c’est bienveillance. L’autrice met en scène la vie du cabaret le Jardin à travers le personnage de Rose, dix-neuf ans, fils de la propriétaire. Rose grandit dans ce jardin (avec et sans majuscule d’ailleurs) entouré par plusieurs danseuses qui portent elles aussi des noms de fleurs. Au sein de ce groupe féminin, Rose se sent bien, soutenu, épanoui. Les personnages entretiennent des relations saines et positives basées sur l’encouragement, le dépassement de soi. La mesquinerie ne semble pas exister au Jardin, aucune bassesse ni jalousie, on frôle l’utopie.

Mais cela fait du bien et permet de traiter finement des thématiques importantes comme le poids du patriarcat ou encore l’importance (ici relative) du genre. Voyez plutôt…

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Dans le premier cas, on assiste à plusieurs scènes où Rose, habillé en femme, fait sa première expérience de harcèlement de rue ou encore reçoit une remarque d’un homme qui, en substance, lui dit qu’il ne comprend pas pourquoi il renonce à sa supériorité en « devenant une femme » (représenté par l’extrait ci-dessus). Sous-entendu, les femmes sont inférieures… Pourtant, l’homme en question n’apparait pas malveillant et Rose lui adresse une répartie très intelligente avec le sourire. Ce ne sont que deux exemples parmi d’autres qui permettent d’aborder cette thématique sans pour autant noircir inutilement ce joli univers floral. Gaëlle Geniller a, à mon sens, trouvé un bel équilibre là-dessus.

La question du genre.
J’évoquais également plus haut la question de l’importance (relative) du genre. En effet, Rose est un homme au sens biologique du terme mais il aime s’habiller en femme, se produire sur scène en tant que femme. Pourtant, il n’est pas transgenre car il préfère qu’on utilise avec lui le pronom masculin. Il entretient également une relation platonique avec un homme, relation très belle, basée sur le respect et l’écoute. C’était la première fois que je croisais une relation de ce type dans un ouvrage autre que classique et j’en ai été enchantée même si j’avoue qu’à chaque page, je m’attendais à ce que ça tourne d’une manière plus classique. Arriver à la fin en ayant été détrompée m’a ravie !

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Toutefois, je dois dire que les personnes qui ressentent le besoin de qualifier chaque chose et de mettre des éléments dans des cases ressortiront frustrés de cette lecture. Mon analyse toute personnelle consiste à penser que l’autrice a voulu souffler un vent de tolérance et de bienveillance, en rappelant que peu importe qu’on comprenne ou non, qu’on cautionne ou non, chacun/e a bien le droit d’être heureux/se comme iel l’entend, sans devoir justifier ou s’inquiéter de se conformer à la binarité genrée qui prédomine actuellement dans nos sociétés.

La conclusion de l’ombre :
Le Jardin, Paris est un petit bonbon à savourer pour retrouver le sourire et l’apaisement. Gaëlle Geniller parle d’acceptation de soi avec beaucoup de bienveillance dans un contexte parisien du début du 20e siècle un brin utopique mais ça ne fait que renforcer son propos. J’ai beaucoup aimé découvrir cette bande-dessinée que je recommande largement.

D’autres avis : La bibliothèque d’Aelinel – vous ?

Ceux qui restent – Busquet & Xöul

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Ceux qui restent
est une bande-dessinée scénarisée par l’auteur espagnol Josep Busquet et dessinée par l’illustrateur catalan Alex Xöul. Publiée par Delcourt, vous trouverez cette BD partout en librairie au prix de 19.99 euros. Un tout grand merci à Light & Smell grâce à qui j’ai découvert ce titre !

Qu’arrive-t-il aux parents des enfants qui partent sauver d’autres mondes imaginaires ? Voilà la question que se pose Josep Busquet et qu’il met en scène dans son histoire à travers le drame vécu par la famille Hawkins. Un matin, quand les parents de Ben se réveillent, ils constatent sa disparition et mettent tout en œuvre pour le retrouver. Ils reçoivent le soutien de la police, des voisins, des médias. Puis le temps passe… L’actualité se tourne vers d’autres drames plus frais. Et soudain, Ben réapparait en racontant des histoires fabuleuses de dragons, de châteaux, de princesses à sauver…

Il semble évident pour les adultes que Ben a subi un traumatisme qu’il dissimule derrière ces histoires incroyables. Vraiment ? Quand il disparait pour la seconde fois, l’attitude des gens change et les Hawkins sont approchés par un groupe de parents qui vivent la même situation qu’eux et se rassemblent pour s’entraider.

Ceux qui restent a été une vraie claque pour moi. Qui, dans son enfance, n’a jamais attendu une lettre de Poudlard ou scruté le fond d’une vieille armoire en espérant poser un pied dans un monde aussi extraordinaire que celui de Narnia ? J’ai grandi avec cet imaginaire et, personnellement, j’étais de ces enfants qui rêvent de grandes aventures. Pourtant, je ne m’étais pas un instant posé la question des conséquences que ces grandes histoires peuvent avoir sur les personnes qui restent en arrière.

La façon dont Josep Busquet l’aborde dans son scénario est brillante et crédible. Il traite finement l’aspect psychologique non seulement des parents mais aussi des policiers, des médias, des voisins, en montrant ce que l’humain peut faire de meilleur comme de pire. Il ne tombe pas pour autant dans l’excès. Les parents de Ben ont leurs failles, comme Ben après eux. Il n’y a pas d’idéalisation, juste la vérité nue, crue, qui laisse un semblant d’amertume quand on referme cette bande-dessinée. Mais ça n’a rien de négatif, au contraire. Je trouve que ça renforce davantage l’idée de départ et que le scénariste va vraiment jusqu’au bout de son concept, sans concession.

Qui dit BD dit d’ailleurs dessin. Je trouve que le style graphique d’Alex Xöul correspond très bien à l’histoire (même s’il ne me plait pas plus que ça sur un plan personnel) avec son réalisme dans les traits et ses couleurs fanées, sobres, qui montrent finalement la grisaille de notre monde en comparaison avec ceux où se rendent ces enfants, même si on n’y va jamais en tant que lecteur. Un excellent travail !

Ceux qui restent fait partie, selon moi, des œuvres qui marquent et qui ouvrent la voie à de nombreuses interrogations. L’idée de départ est originale, son exploitation très réussie. C’est le genre de bande-dessinée que j’ai envie de lire davantage, qui est vraiment remarquable à tous les niveaux.

D’autres avis : Light & Smell – vous ?

Francis – Loputyn

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Francis
est une bande-dessinée scénarisée et dessinée par Jessica Cioffi, une illustratrice italienne qui utilise le pseudo Loputyn. Publié chez l’éditeur Shockdom, vous trouverez cet album au prix de 16 euros partout en librairie.

De quoi ça parle ?
Métillia est une sorcière qui préfère s’amuser au lieu d’étudier. Pourtant, son grand jour approche, celui où elle va devoir se mesurer à sa meilleure amie / rivale, Camélia, pour savoir laquelle deviendra la prochaine chef de clan. La veille de ce moment crucial, Métillia prend conscience du retard accumulé et se laisse décourager. Mieux vaut boire pour oublier… Sauf que la boisson lui donne de mauvaises idées : et si elle invoquait un esprit pour l’aider ? Ainsi arrive Francis, incarné sous la forme d’un renard.

Un premier contact enthousiasmant.
J’ai eu du mal à rédiger cette chronique car je ne possède pas la culture liée à la bande-dessinée qui me permettrait d’en faire une analyse poussée comme un roman, en tout cas d’un point de vue graphique. De plus, j’avais un peu de mal à trouver les mots adéquats pour expliquer quelles émotions j’ai pu ressentir au contact de Francis. Mais j’ai décidé de passer outre tout cela car ce titre m’a vraiment touchée et je voulais absolument vous en dire quelques mots.

Je vais commencer par m’arrêter sur le dessin et sur l’objet-livre en tant que tel, qui est superbe. Il me rappelle les dessins anciens, crayonnés puis travaillés avec de l’aquarelle ou des pastels, pour un résultat dont se dégage beaucoup de personnalité. J’ai été séduite par les représentations des personnages, les couleurs qui se marient bien à l’ensemble. Le tout est imprimé sur du papier épais qui rappelle celui des cours de dessin que j’ai suivi à l’école, un peu granuleux, agréable au toucher. C’est, en prime, un papier issu du développement durable puisque l’éditeur finance la plantation d’arbres en Colombie, une initiative que je trouve plutôt positive.

Quant à l’histoire, elle est assez courte mais aborde de nombreux thèmes comme le poids de l’héritage face aux ambitions personnelles, l’importance de se confronter à notre vraie nature et de l’assumer. C’est bien fait, ça change du manichéisme habituel qu’on peut retrouver dans ce type d’histoire liées à la magie avec le bien d’un côté et le mal de l’autre. La relation qui se développe en quelques pages à peine entre Métillia et Francis est à la fois effrayante et touchante. L’autrice ne se perd pas dans trop de dialogue, préférant la mise en scène subtile pour faire passer ses messages et ses émotions. C’est très réussi.

Résolument immersif donc, je me dois de relever un petit bémol ou deux. Premièrement, les corrections de la version française laissent à désirer si bien que malgré le peu de textes, j’ai trouvé deux ou trois coquilles. Deuxièmement, l’histoire a une fin très (trop?) ouverte qu’on peut choisir d’interpréter comme on veut. L’autrice se laisse peut-être le loisir de retourner dans cet univers mais j’aurais aimé un peu plus de réponses ou au moins, entrevoir une suite.

La conclusion de l’ombre :
Malgré une fin un peu trop ouverte à mon goût qui m’a donc provoqué une sorte de frustration, Francis est une bande-dessinée magnifique autant par son dessin à la forte personnalité que pour son histoire de sorcière qui aborde des thèmes comme le poids de l’héritage et l’envie de s’en défaire. Voilà un titre plus que recommandable !

D’autres avis : je n’en ai pas trouvé hélas !

Ballade pour Sophie – Filipe Melo & Juan Cavia

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Ballade pour Sophie
est une bande-dessinée scénarisée par Filipe Melo et dessinée par Juan Cavia, deux artistes d’origine portugaise. Publiée chez Paquet, vous la trouverez partout en librairie au prix de 27 euros.

De quoi ça parle ?
L’histoire se déroule à Cressy-la-Valoise, entre deux époques. Julien Dubois, aujourd’hui âgé et en train de mourir d’un cancer, raconte à Adeline Jourdain, une journaliste, comment il a rencontré Frédéric Simon et à quel point cela a influencé sa vie. Pourtant, c’est Julien qui a connu un succès mondial… Sans jamais penser le mériter.

Un coup de cœur inattendu
Vous le savez si vous suivez le blog, je ne suis pas du tout spécialiste de la bande-dessinée et j’en lis assez peu en dehors du manga parce que c’est un genre dans lequel j’ai du mal à vraiment me retrouver, sauf exceptions. Cette chronique prendra du coup la forme d’un ressenti global et sera dépourvue d’analyse poussée.

Quand j’ai acheté Ballade pour Sophie sous les conseils de Julie (de la Brigade Éclectique qui est aussi libraire chez Kazabulles) j’ignorais dans quoi je m’embarquais. Je savais juste que le dessin me plaisait et que vu son enthousiasme, l’histoire se révèlerait forcément agréable.

Dés les premières pages, j’ai été happée. On rencontre Adeline Jourdain, journaliste pour le Monde venue interviewer Julien Dubois afin d’écrire un article sur lui. On apprend rapidement que l’homme, surnommé Maestro par sa gouvernante, a pesé assez lourd dans le monde de la musique et s’en est retiré depuis plusieurs années suite à un accident. Lui n’a pas envie de parler à cette journaliste à qui il estime ne rien avoir de nouveau à dire qu’il n’ait pas déjà dit avant. Elle est donc mise dehors en moins de cinq minutes mais cela ne la décourage pas. Sa persévérance et une nuit passée sur le perron de la maison finira par convaincre Julien de lui parler.

Mais pas de lui, non ! Car Julien souffre beaucoup du syndrome de l’imposteur. Selon lui, le véritable artiste dont on devrait se rappeler et que beaucoup semblent avoir oublié en 1997 (date où il raconte son histoire) c’est Frédéric Simon, le fils d’un technicien de surface qui travaillait au théâtre et qui a appris le piano en autodidacte. Frédéric a un vrai don, hélas il n’est personne là où Julien est le fils d’une dame fortunée, bien décidée à ce qu’il rafle tous les honneurs même si elle doit corrompre tout un jury pour cela.

L’histoire de Julien commence en 1933 et avance petit à petit dans le temps via un découpage en différents actes, chacun consacré à un personnage. Julien commence par évoquer l’occupation en France durant la seconde guerre mondiale, un passage plus ou moins long dans la rue quand sa mère devient une « pute à nazis » puis un retour au bercail, le rejet de ceux qui les considèrent comme des collabos à la libération et ce pacte signé, presque avec le diable, pour devenir Éric Bonjour afin qu’on oublie son ancienne identité. Cette personnalité le transforme en artiste de variété un peu tout public, l’oblige à chanter des chansons qu’il n’écrit pas, jouer des morceaux qu’il n’aime même pas, continuant parce qu’il est accro à la reconnaissance du public, à leurs applaudissements. Arrive l’inévitable spirale infernale du show business, jusqu’à un dénouement tragique…

Pendant toute l’existence de Julien, l’ombre de Frédéric va planer sur sa carrière et le pousser à certains choix pas toujours très judicieux. Les émotions sont très bien retranscrites que ce soit par le travail des expressions ou simplement celui du texte, parfaitement découpé. Par moment, on a également droit à un dessin de pleine page qui symbolise certains excès d’Éric / Julien et illustre bien sa descente aux Enfers. Je me suis plongée dans cette histoire, tournant les pages avec fascination, curiosité, sans sentir le temps passer et j’avais même les larmes aux yeux à la fin. Une belle expérience, même si j’avais deviné la petite révélation sur Adeline. Ça ne m’a en aucun cas gâché la lecture.

Un contenu transmedia :
À la fin de la bande-dessinée, on trouve une partition pour jouer la fameuse Ballade de Sophie… Ballade qu’on retrouve au format musical, jouée par Filipe Melo lui-même. Cela permet de prolonger l’expérience ! Si vous aimez le piano, je vous recommande de prendre deux minutes pour l’écouter sur YouTube parce que ça vaut vraiment le coup je trouve.

La conclusion de l’ombre :
Ballade pour Sophie est une bande-dessinée qui raconte la vie (fictive) de Julien Dubois. Cet ancien artiste à succès se confie à une journaliste, Adeline Jourdain, sur un grand secret de son passé en la personne de Frédéric Simon, musicien talentueux et mystérieux qu’on ne voit finalement qu’à travers le regard des autres. Narrée entre passé et présent, cette bande-dessinée parle de musique, bien entendu, mais aussi de succès, de repentir et des excès de la rivalité. Magnifiquement dessinée, précisément scénarisée, elle instille chez son lecteur un large panel d’émotions. J’ai adoré et je vous la recommande !

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