Bonjour tout le monde !
Voilà un moment que je n’avais pas écrit un article de ce type ! Pour celui-ci, tout a commencé grâce à la Pause Café #19 du blog Zoé prend la plume qui proposait une réflexion personnelle sur la surproduction littéraire (comprenez toujours plus de nouveautés tout le temps) et la surconsommation que cela engendre forcément ou du moins, la pression de la surconsommation. Je vous invite à d’abord aller lire son billet avant de vous plonger dans celui-ci car mon but n’est pas de paraphraser son article mais bien d’y répondre grâce aux questions qu’elle pose à la fin. Zoé avance en effet des chiffres en plus de sa vision de la problématique et, finalement, je ne cherche qu’à apporter un point de vue personnel.
Avant d’aller plus loin, je rappelle que mes réflexions me sont personnelles et je ne cherche en aucun cas à les imposer comme une vérité absolue. Je vous partage simplement mon point de vue de lectrice mais aussi d’autrice et vous allez voir que, assez étonnamment, ils se marient bien.
Que pensez-vous de la production éditoriale ? Trouvez-vous qu’elle augmente plus vite que votre capacité à suivre ? Quel est votre avis là-dessus ?
En tant que lectrice mais aussi autrice, j’ai un avis assez tranché sur le sujet qui a évolué avec le temps mais aussi grâce à ma pratique de blogueuse littéraire et mes observations personnelles. Je trouve que dans le paysage littéraire francophone de l’imaginaire (je ne suis pas compétente pour évoquer les autres pays ou la littérature blanche) trop de livres sortent chaque mois. Je me fais cette réflexion de manière systématique quand Anne-Laure (Chut Maman Lit) et Lhisbei (RSF Blog) mettent chaque mois en image les sorties littéraires à venir. Et encore, il n’y a pas tout ! Il manque pas mal d’indés. Comment est-il possible de lire autant sur un mois ? Ça ne l’est tout simplement pas. Et ça me provoque des angoisses.
Pendant plusieurs années, je m’efforçais de suivre tout ce qui sortait, au moins chez les éditeurs phares (ou que je considérais comme phare). Je voulais être à la pointe de l’actualité littéraire et j’ai réussi pendant un temps… Le problème c’est que j’ai fini par craquer. Par me dégoûter de lire, de chroniquer, j’en avais ma claque parce que finalement, je pensais en terme de consommation, de rendement, de « si je lis ce roman en x temps j’aurais une chronique prête pour tel jour donc ça va tourner ». J’ai voulu faire trop et c’est pour cette raison que j’ai réduit mon nombre d’articles sur le blog (deux par semaine) et arrêté les services presses. C’était une façon, pour moi, de reprendre le contrôle, de retrouver goût à la littérature mais aussi de me donner le droit de relire des séries si je le souhaitais. Ce que j’ai fait depuis, d’ailleurs.
Du coup, oui, je trouve qu’elle augmente trop vite, qu’elle est déjà trop importante et j’ai abandonné l’idée de la suivre. Je n’ai aucune prise dessus donc tant pi, je lis et chronique ce qui me plait sans me préoccuper du reste. À ce stade, je dois apporter l’opinion d’autres personnes qui se sont manifestées sur Twitter pour expliquer qu’iels ne comprenaient pas le problème puisque si davantage de livres sont disponibles, ça permet un plus large choix pour ell·eux. Je suis d’accord pour dire que cette situation de départ qui a enclenché le questionnement de Zoé ne touchera pas tout le monde de la même manière et que tout dépend de notre façon d’aborder nos lectures et cette production. Toutefois, on ne peut pas nier qu’un problème existe et je vais tâcher de l’expliciter à la suite.
Pensez-vous que la décroissance est gage de meilleure qualité ?
Non. Déjà parce que la qualité des uns n’est pas celle des autres. Je peux adorer un roman que le reste de la blogosphère va détester et vice versa, cela arrive régulièrement. On pourrait donc dire que toute cette production permet simplement au plus grand nombre de profiter du type de roman qu’iel souhaite ? C’est ce que j’affirmais juste avant. Sauf que cette surproduction entraine plusieurs problèmes, notamment l’invisibilisation rapide des romans. Il faut savoir qu’écrire un livre prend énormément de temps, sans parler du travail éditorial, des corrections, etc. Se dire qu’on fait « tout ça » pour même pas un mois de visibilité ? C’est déprimant. Et c’est un problème directement lié à la surproduction dans le milieu.
Alors quoi, publier moins pour laisser à certains romans la possibilité d’avoir une plus longue durée de vie ? Dans le système actuel, cela signifierait que seuls les grands noms pourraient encore sortir des romans et ça n’est en rien une solution. En tant qu’autrice, j’ai envie de dire que tout le monde a le droit de vouloir partager son histoire. Et je le pense. Sauf que beaucoup d’histoires que j’ai eu l’occasion de lire ne sont pas suffisamment abouties. Il y a un besoin entretenu par le milieu et cette logique de marché qui pousse à publier au moins un roman par an, pour ne pas que le public nous « oublie » sauf que l’inspiration n’est pas toujours présente et cela donne lieu, parfois, à des productions de qualité moindre si pas médiocre, chez des auteur·ices qui possèdent pourtant de grandes qualités littéraires. Et pour quelle raison ? Outre entretenir sa communauté ? Et bien vivre, tout simplement. Sur un plan personnel, je fais partie des auteur·ices qui ont trop publié et mal publié, sortant des textes qui ne méritaient pas qu’on use du papier pour les imprimer parce qu’ils manquaient clairement d’un véritable travail. J’en ai déjà parlé dans mon article sur ma première trilogie. À l’heure actuelle, j’ai d’ailleurs décidé de changer radicalement ma manière d’écrire et de penser ma littérature. Si je dois sortir un texte, c’est parce que j’en suis fière, parce que j’ai quelque chose à raconter. Pas juste parce que « ça fait longtemps ».
La question de la (sur)production est d’autant plus complexe qu’il est déjà, à l’heure actuelle, extrêmement difficile de vivre de sa plume. Cela n’est plus mon souhait depuis longtemps, je l’ai déjà dit. J’ai besoin de stabilité, besoin de savoir précisément quand je touche mon salaire chaque mois et combien. Mais il y a des personnes avec plus de courage (ou de folie ?) que moi qui ont décidé d’en vivre et qui doivent donc sortir des textes manière (très) régulière pour toucher de quoi vivre décemment -ou essayer. Et parfois, dans des genres qui ne sont pas ceux qu’iel préfèrent, mais qui sont ceux rapportant le plus.
Alors, que faire ? Produire moins et vivre de manière encore plus précaire ? Ou produire davantage pour répondre aux exigences du marché en y sacrifiant probablement la qualité ?
À l’heure actuelle, force est de constater qu’il n’y a aucune bonne solution pour tenter de résoudre ces problématiques. J’affirme donc qu’il faut revoir en profondeur la chaîne du livre ainsi que la répartition des bénéfices pour que ce soit ENFIN l’auteur·ice qui touche la plus grosse part du gâteau et donc qu’iel ne soit pas enfermé·e dans une logique purement commerciale, qui touche parfois à la simple survie. Je sais, facile à dire, moins à faire et pourtant… Il faut se rendre à l’évidence. Le système tel qu’il existe actuellement n’évolue pas, ne convient plus pour ses acteur·ices et a besoin d’être réformé. Il y a une raison pour laquelle de plus en plus d’auteur·ices se tournent vers l’auto-édition… Pensez-y.
Autre point de réflexion, le fait que le livre soit (devenu) un produit. Je ne dis pas que ça s’est passé maintenant en 2022, je dis qu’à un moment donné de l’histoire du livre (quelque part au 19e siècle, peut-être quand le principe de roman-feuilleton s’est lancé dans les journaux ? Un moment charnière illustré par le pamphlet « De la littérature industrielle » rédigé par Sainte-Beuve en 1839 d’ailleurs si certain·es sont curieux·ses) la manière dont on considérait un texte a changé. Et la révolution française a transformé en profondeur le modèle économique jusque là basé sur le mécénat. Attention, je ne dis pas ici que la littérature doit être réservée à une élite intellectuelle ! Pas du tout. Toutefois, pensons-y : avec les systèmes de crowdfunding, on revient un peu à cette logique du mécène sauf qu’au lieu d’un seul qui contribue en totalité, on en a des dizaines, des centaines si pas des milliers qui contribuent chacun à la mesure de leur moyen. Et il y a quelque chose de beau là-dedans, quand c’est correctement exécuté.
J’ajoute une précision : oui à l’heure actuelle le livre est un produit et oui en tant que blogueuse, je participe au « marketing » autour de ce produit peu importe mon intention de base. Quand je parle d’un livre, j’essaie de donner envie à d’autres personnes de le lire et donc, de l’acheter. On peut donc s’étonner de me voir tenir un tel discours sauf qu’il s’agit ici de plaider pour un système qui permettrait une plus longue durée de vie des romans et pas juste des œuvres « jetables » qui marquent peu ou pas, qu’on consomme vite pour diminuer sa PàL ou que sais-je. Et tant que j’y suis, si ce nouveau système à mettre en place pouvait permettre aux artistes de vivre correctement…
Dans ce paysage littéraire tel qu’on le connait aujourd’hui, les auteur·ices produisent quelque chose qu’ils doivent vendre mais la qualité intrinsèque du texte n’entre que peu en considération sur le total de ces ventes. On pourrait d’ailleurs discuter sur ce qu’on regroupe sous cette notion de qualités mais on en arriverait vite à la conclusion que ça dépend du public ainsi que de la sensibilité de chacun·e. Les gens achètent un produit sur base d’un nom, d’une structure éditoriale, d’une belle couverture, bref de marketing… Au final, la partie écriture dans le métier d’auteur·ice n’est pas / plus majoritaire. L’auteur·ice devient aussi un produit, une image sur laquelle jouer. Personnellement, j’ai essayé un temps mais ça ne me convenait vraiment pas.
Donc non, je ne pense pas que la décroissance soit synonyme d’une augmentation de la qualité, pas si elle s’inscrit comme seule variable du problème. Je pense que le milieu littéraire et la chaine du livre doivent être réformés pour permettre aux auteur·ices de vivre dignement de leur plume et donc de produire moins pour produire mieux sans pour autant s’enfermer dans la précarité.
Selon vous, comment un texte pourrait gagner en visibilité sur le long terme ? Comment accroître la durée de vie d’un bouquin ?
Je pense que ça passe d’abord et avant tout par une stratégie éditoriale adaptée. Je vais prendre l’exemple de Livr’S : quand on part en salon, on prend au moins un exemplaire de chaque livre dans le catalogue et on le présente au même titre que les autres, peu importe qu’il date de 2016 ou de 2022. On a eu aussi récemment l’idée de proposer à chaque lancement de précommande la possibilité pour nos partenaires de redécouvrir un titre plus ancien de notre catalogue et donc de pouvoir générer de nouvelles chroniques à son sujet, de le ramener sur le devant de la scène. De plus, nos titres sont toujours disponibles sur notre boutique, même les plus anciens. On s’assure d’avoir du stock, ainsi si un auteur sort un nouveau roman, on remet aussi ses plus vieux titres sur le devant de la scène et ça leur permet de vivre plus longtemps. Enfin, on compte aussi sur un investissement des auteur·ices pour aller à la rencontre du public même un an ou plus après la sortie d’un roman.
La rencontre du public passe aussi par des dédicaces en librairie ou en salons et pour ça, il faut prendre le temps de démarcher, de se rappeler à leur bon souvenir. Les libraires n’ont pas une place infinie, ils sont obligés de renvoyer du stock pour faire de la place aux nouveautés qui arrivent sans arrêt et par palettes. Du coup, si vous organisez des évènements, la librairie va vendre votre livre (normalement) et donc le garder en stock même s’il commence à dater, ce qui permettra de le montrer à des gens potentiellement intéressés, qui vont peut-être même l’acheter, et ainsi de suite, entrainant un cercle vertueux. Cela demande qu’une personne au sein de la structure éditoriale s’occupe de ce suivi et le fasse pour tous·tes les auteur·ices de la maison. C’est clairement un boulot temps plein !
Si je parle d’un point de vue plus personnel : Quand Clément Coudpel contre les spectres de Samain est sorti, c’était en octobre 2020 pendant la pandémie COVID et j’étais persuadée que le texte allait être enterré, comme c’est arrivé à d’autres. Souvenez-vous, les messages à ce sujet fleurissaient à l’époque sur les réseaux… J’avais fait mon deuil et ça me renforçait même dans mon envie d’arrêter d’écrire. J’y voyais un signe. Pendant plus d’un an, il n’y a pas eu de salons où le présenter et si les précommandes s’étaient bien déroulées, si la blogosphère avait bien suivi (encore merci pour ça), cela n’a pas suffit pour assurer la pérennité à mon roman.
Je vois la différence sur mes chiffres de vente maintenant que j’ai pu retourner en salon. Sur deux week-end j’ai vendu davantage que sur tout 2021… Il y a donc clairement un avantage à aller à la rencontre du public. C’est fondamental pour permettre à son œuvre de vivre plus longtemps. Et pour le faire dans de bonnes conditions, des défraiements officiels doivent être mis en place afin que les auteur·ices ne perdent pas de l’argent à se déplacer. J’ajoute aussi que si j’ai eu cette possibilité, c’est parce que mon éditrice fonctionne toujours sur le long terme. Je n’ai pas été mise au placard parce que mon roman datait d’un an ou deux. Elle l’a traité de la même manière que n’importe quel autre titre, il a eu sa place comme les autres et ça vaut pour les autres romans sortis pendant cette sombre période. C’est donc, selon moi, en premier lieu une stratégie éditoriale et une mentalité bien spécifique à la structure qui permet de défendre un livre sur le long terme.
Est-ce que les nouveautés vous angoissent, ou vous réjouissent ? Ou les deux ? Comment réagissez-vous face aux sorties ? Foncez-vous, ou laissez-vous décanter un peu ?
Ça dépend. Souvent, ça m’angoisse surtout quand Anne-Laure et Lhisbei alimentent l’album facebook et que je vois +60 ou +80 photos… En un mois sort donc ce que je lis sur un an (et encore…). Alors vous pourriez me dire qu’il n’y a rien de dramatique là-dedans mais je souffre d’une frustration. Il y a trop de sorties, je n’ai pas le temps de même lire tous les résumés. Je juge sur un nom, sur une couverture, sur un concept, une maison d’édition et finalement, pas sur le travail de l’auteur·ice en iel-même. Quand on sait le temps et l’investissement que demande l’écriture d’un roman, c’est profondément injuste et cela ne me convient pas. Ce problème vient de la surproduction. On peut aussi penser que c’est le jeu mais je suis persuadée qu’il y a moyen de contenter tout le monde sans laisser uniquement la part belle aux géants du milieu.
Du coup j’ai revu ma façon de fonctionner et je m’intéresse désormais à un très petit nombre de maisons d’édition ainsi qu’à un petit nombre d’auteur·ices dont je suis la production parce qu’iels ont su me convaincre. Actuellement, il y a le Bélial (je suis soulante avec eux, je sais :D), Livr’S bien entendu pour tout un tas de raisons évidentes mais aussi 1115 car le format court me convient parfaitement. Je jette toujours un œil aux sorties Mnémos, l’Atalante, Chat Noir et ActuSF mais c’est de plus en plus rare que je sois vraiment enthousiaste pour un de leurs titres. Mes goûts évoluent de mois en mois et mes exigences aussi, exigences conditionnées justement par de nombreuses lectures moyennes ou médiocres qui m’ont rendues très critique, des romans issus de cette surproduction, de cette nécessité de vendre. Ici, j’ai conscience que c’est une considération propre à mes goûts mais elle a quand même son importance… Depuis quelques mois, la SF me passionne tout comme le format court. Il est donc logique que je me tourne vers des structures spécialisées dans ces deux domaines.
Pour mes autres achats, c’est plutôt lié directement aux auteur·ices. Exemple récent : Ariel Holzl a annoncé son nouveau roman chez Slalom, je sais déjà que je vais l’acheter car je lis tout ce qu’il publie. Idem pour Jean Laurent Del Socorro, Estelle Faye (pour ses textes adultes), Audrey Alwett et David Bry, pour ne citer que ceux-ci et rester dans le francophone. Je sais aussi que je vais acheter tout nouveau Une Heure Lumière, peu importe que le pitch me parle ou non, car il y a ici l’aspect collection qui joue (je suis presque au bout !).
Et quand je suis décidée sur un titre, j’ai envie de l’acheter et de le lire dés que possible. L’attente ne me réussit pas en général.
C’est la solution que j’ai trouvée pour me préserver. J’ai aussi fait la paix avec moi-même sur le fait que non, je ne pourrais pas tout lire et oui, je vais passer à côté de bons textes. Mais c’est ainsi ! De toute manière, objectivement, il n’est pas possible de tout lire même en y consacrant 24h/24 et 7j/7. Éventuellement sur les nouveautés (et encore) mais qu’en est-il du catalogue de fond ?
Pile à lire tour de Pise, ou pile à lire matée ?
Clairement matée même si ça a demandé de la discipline. Chaque fois que j’ai envie d’acheter un livre, même en salon, je m’oblige à me demander trois fois si je le veux vraiment et si je ne réponds pas trois fois oui de manière ferme, je laisse. Quitte à changer d’avis plus tard sur le prochain évènement mais j’ai eu trop de déception, trop d’argent gâché dans des craquages impulsifs et dont j’aurais pu me servir pour acheter d’autres livres plus tard ou simplement économiser à un autre dessein. J’ai envie de permettre aux auteur·ices de vivre et j’achète des livres avec plaisir mais je dois le faire autrement, surtout de nos jours où tout augmente. C’est un peu terre à terre, j’en ai conscience. Que voulez-vous ! Si encore le craquage impulsif me rendait heureuse, mais même pas. J’ai vite des regrets, alors autant m’épargner.
Et voilà, je me rends compte que ce billet est devenu beaucoup plus long que prévu… J’espère que mes réflexions ont un intérêt pour vous, permettront de nourrir les vôtres et / ou vous donneront envie de partager votre point de vue. N’hésitez pas à le faire en commentaire, dans le respect évidemment 🙂