Demon days – Peach Momoko

Quelques mots sur le projet :
Peach Momoko est le pseudonyme d’une illustratrice japonaise qui travaille aujourd’hui en exclusivité pour Marvel. Elle est surtout connue pour ses couvertures (pour lesquelles elle a même reçu un prix) mais il lui arrive aussi d’écrire et dessiner ses propres histoires. Ici, d’ailleurs, Marvel lui a donné carte blanche.

Le concept de Demon Days est de mélanger l’univers Marvel avec les mythes japonais, non pas en transposant tels quels les personnages comme ç’avait pu être fait dans, au hasard, l’art de la guerre selon Deadpool (excellent titre au demeurant) mais en écrivant une histoire originale et en y incorporant des personnages que l’on reconnait grâce à leur nom ou à leur chara-design.

Le but est ainsi de rendre l’histoire accessible à n’importe quel lectorat, qu’on y connaisse ou non quelque chose à l’univers Marvel mais aussi, je pense, d’offrir une transition entre deux médias à savoir le manga et le comics qui ne répondent pas aux mêmes codes. Il n’y a pas non plus besoin de suivre plusieurs séries différentes pour comprendre le contenu de celle-ci, ce qui est un plus non négligeable à mes yeux. Évidemment, un fan de Marvel savourera les clins d’œil mais il est parfaitement possible de comprendre l’aventure sans cela (sur le papier, on reviendra plus bas sur cet aspect). On est sur du one-shot en terme de tome et d’univers quoi qu’une suite possible risque de voir le jour si j’en juge par le point d’interrogation à côté du mot « fin ».

Quelques mots sur l’objet :
L’album Demon Days contient les cinq épisodes initiaux de la série ainsi que divers bonus, notamment deux histoires courtes, l’une intitulée King is Back et l’autre sur Elektra, qui a la particularité de ne comporter aucun dialogue. L’ouvrage est également pourvu d’un bestiaire sur les onis et les yokais et d’une galerie de couvertures alternatives. Pour le prix de 26 euros, je trouve que Panini ne se moque pas du client. L’ouvrage, en terme de qualité graphique et de quantité de contenu, vaut la dépense.

Deux éléments m’ont attirée vers Demon Days. Le premier, c’est le style graphique de l’autrice qui utilise l’aquarelle d’une très belle façon. J’ai été charmée par son trait, par les couleurs utilisées et par la personnalité qui s’en dégage inévitablement. Le second, c’est évidemment cette promesse de plonger dans les légendes japonaises, qui a été tenue. Et il y en a un troisième : la recommandation enthousiaste de mon libraire.

Hélas… Quelques mots sur le contenu : 
L’intrigue en elle-même est prévisible et beaucoup trop rapide dans son exécution. Le premier chapitre est une sorte de flashback ou d’histoire parallèle dans un Japon féodal, on ne sait pas très bien jusqu’à ce que Mariko se réveille de ce rêve étrange qui conduira sa grand-mère à lui révéler qu’elle l’a trouvé un jour dans la montagne et que sa mère était une oni. Mariko va donc partir en quête de son passé pour essayer de se comprendre. C’est un début classique qui a tendance à me lasser mais j’aurais pu passer outre si l’exécution avait été à la hauteur. Ce n’est malheureusement pas le cas.

Pour une histoire aussi courte, il y a trop de personnages qui sont là juste pour les clins d’œil à l’univers Marvel et n’ont pas grand intérêt car on apprend à peine à les connaître qu’ils disparaissent déjà, soit mort soit continuer leur vie. La volonté était, au départ, de proposer un titre dont tout le monde pourrait jouir sans connaissances préalables (j’imagine ?) mais le fait est qu’un fan de l’univers Marvel aura bien plus de facilité à apprécier Demon Days grâce aux liens qu’il pourra créer entre les personnages croisés et ceux qu’il connait d’autres comics, grâce à leur background, notamment. Il y a probablement, d’ailleurs, un second niveau de lecture qui m’a totalement échappé à cause de cela vu à quel point ce titre semble encensé de partout…

Le nœud central de l’intrigue, à savoir Mariko et son mystérieux passé, aurait pu être réussi si l’antagoniste disposait d’un peu plus de nuance et d’épaisseur. Malheureusement, difficile de s’y attacher ou de ressentir la moindre empathie pour elle. Aucun personnage ne dispose d’une réelle personnalité, d’ailleurs, pas même Mariko, parce que Peach Momoko ne prend pas son temps pour nous les présenter et nous les faire aimer. Il y a sans doute derrière tout cela des impératifs éditoriaux qui ont fait que mais je trouve ça vraiment dommage parce qu’on distingue clairement les contours d’une œuvre qui aurait pu être bien meilleure… Ce qui me cause une gigantesque frustration.

Finalement, Demon Days est intéressant pour son expérience et ce qu’il représente : la rencontre entre deux cultures, deux univers, ainsi que pour l’aspect graphique qui montre une vraie personnalité. Tout le reste est, au mieux, anecdotique. 

D’autres avis : pas dans mon blogo-cercle !

Informations éditoriales :
Demon Days par Peach Momoko (au dessin, scénario et mise en couleur). Traduction par : … Éditeur : Panini. Prix : 26 euros.

À l’ombre des bulles #1 : { White Knight : Harley Quinn / Trois Jokers }

Salutations à tous/tes/x !

J’inaugure cette année un concept très semblable à l’ombre du Japon… mais pour les BD et les comics ! En effet, je lis de plus en plus dans ce format et j’ai envie de pouvoir partager mes lectures. Toutefois, chaque titre ne remplit pas forcément un article complet à lui tout seul… Ou certains ont des thématiques qui, d’office, me permettront de faire une comparaison intéressante ou un rapprochement pertinent. D’où cette rubrique.

C’est d’ailleurs le cas ici avec deux comics tirés de l’univers Batman qui abordent tous les deux une figure centrale de méchant : celle du Joker.

12
Batman White Knight : Harley Quinn

Malgré ma profonde appréciation de cette œuvre, je n’ai encore jamais écrit au sujet de White Knight puisque j’ai lu le premier volume fin 2020 et que tout un tas d’évènements se sont enchainés, si bien qu’au final… J’ai trop procrastiné pour pouvoir rédiger un article digne de ce nom à l’heure actuelle. J’ambitionne toutefois de le relire bientôt mais d’ici là, je profite de l’occasion de la sortie du tome centré sur Harley pour me rattraper.

Le concept de White Knight est simple : Jack Napier alias le Joker souffre de graves troubles dissociatifs de l’identité. Dans le premier volume, il prend un sérum qui lui permet de se soigner et de faire campagne contre Batman, arguant que c’est son harcèlement et sa violence qui l’ont poussé toujours plus loin et qui font du mal à Gotham… Le monde à l’envers ! Pourtant, ça fonctionne parfaitement et c’est passionnant à lire puisqu’au fond, assez crédible. On voit de quelle manière Batman se comporte, au point de commencer à se dire que Napier n’a pas foncièrement tort…

Harley se déroule après les évènements racontés à la fois dans White Knight et dans Curse of the White Knight. Attention, je vais divulgâcher : Jack Napier est mort, tué par Harley. Celle-ci, enceinte, a donné naissance à des faux jumeaux. On la retrouve mère célibataire, aidée par ses deux hyènes et par quelques connaissances bienveillantes. Elle s’est retirée du monde du crime et essaie de se débrouiller comme elle peut… Malheureusement, la police de Gotham a besoin de son expertise psychiatrique puisqu’un imitateur du Joker sévit. Et Batman n’y peut rien, il est en prison pour expier ses crimes ! On suit donc l’enquête de Harley, l’évolution de sa relation avec Bruce mais aussi ses tourments en tant que jeune mère qui n’est pas vraiment faite pour ça mais tente malgré tout de gérer du mieux qu’elle peut.

C’est aussi l’occasion de connaître le début de la relation entre Harleen et Jack, et je dis bien Harleen et Jack, pas Harley et le Joker, car on apprend que tout a commencé entre eux bien avant Arkham et que si Harleen s’est retrouvé psychiatre dans le célèbre asile, ce n’est vraiment pas par hasard… La manière dont les évènements s’imbriquent et s’enchaînent, dont l’auteur réécrit l’histoire de ce duo emblématique, est tout simplement brillante.

Je suis très intéressée par ces deux personnages et leurs interactions ainsi que le trio formé par extension avec Batman. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que j’en parle ici. Dans tout ce que j’ai pu lire, White Knight est l’une des réécritures les plus riches et novatrices. Pour ne rien gâcher, Harley est ici une héroïne forte et crédible, superbement écrite, avec justesse et équilibre. Probablement l’une des meilleures réécritures, avec Harleen.

Scénario : Sean Murphy, Katana Collins.
Dessinateur : Matteo Scalera.
Informations éditoriales : Urban Comics.

5
Un one-shot d’un tout autre genre qui part du postulat qu’il y aurait non pas un mais trois Joker, un qui aurait sévi pour chaque grand moment de la Bat Family. Il faut rappeler à ce stade qu’à chaque fois que Batman affronte le Joker en comics, il se passe quelque chose de grave : la torture et le handicap de Barbara (The Killing Joke), la torture et l’assassinat de Jason Todd (Un deuil dans la famille), ce qui a causé de profonds traumatismes et ce même si Jason n’était pas vraiment mort (enterré vivant, wouhou fun) et que Barbara est parvenue à remarcher après des mois de rééducation.

Ces évènements ont eu lieu de façon très espacée dans le temps et dans les parutions, si bien qu’ils ont été commis par des Joker dont le style (pas seulement visuel) avait évolué au gré des besoins des différentes histoires. D’où l’origine de l’idée qui est plutôt bien exploitée ici. Le flou persiste : qui est le Joker d’origine ? Combien de Joker y aura-t-il eu en tout ? Pourquoi chercher à en créer un nouveau ? Les réponses se trouvent dans ce one-shot.

C’est aussi l’occasion d’évoquer les tourments de Jason, les obsessions de Bruce, la droiture morale de Barbara ainsi que la quête de rédemption qui n’a pas toujours les effets escomptés… J’ai beaucoup apprécié les planches finales, que ce soit la conclusion entre Bruce et le Joker (si on peut appeler ça ainsi) ou la façon dont un concours de circonstance empêchera Jason de recevoir l’aide dont il a besoin. Il y a dans ce comics un côté vain, un brin cruel, que j’ai trouvé passionnant.

Scénario : Geoff Johns
Dessinateur : Jayson Fabok
Informations éditoriales : Urban Comics.

À bientôt pour d’autres bulles dans l’ombre !

Joker / Harley : Criminal Sanity

12
Joker / Harley : criminal sanity
est une intégrale parue dans le black label de chez DC qui rassemble huit chapitres et un dossier secret qui forment ainsi une mini-série, scénarisée par Kami Garcia (aidé en cela par le Dr Edward Kurz) et dessinée par Mico Suayan, Mike Mayhew, Jason Badower, David Mack et Cat Staggs. Il s’agit d’un objet assez volumineux qui est vendu au prix de 29 euros dans toutes les bonnes librairies.

(les images utilisées dans cet article sont la propriété de DC comics et de ses dessinateurs, elles sont incluses uniquement pour illustrer mon propos.)

Peut-être l’aviez-vous remarqué mais je lis de plus en plus de comics et je m’intéresse notamment beaucoup au personnage du Joker dans Batman ainsi qu’à Harley Quinn, par extension. J’ai découvert un certain nombre de titres et était très intriguée par celui-ci, dernier en date, paru fin août de cette année. J’hésitais à me lancer, toutefois, parce que très honnêtement la couverture ne me disait rien… J’ai pourtant bien fait de surmonter mon préjugé !

De quoi ça parle ?
Harleen Quinzel est une profileuse de renom à Gotham. Elle aide le GCPD à résoudre une vague de crimes assez violents alors qu’elle-même reste hantée par une affaire s’étant déroulée cinq ans plus tôt. Sa colocataire et proche amie, Edie, a été assassinée par un criminel surnommé le Joker, qui a ensuite disparu sans laisser de traces. Et s’il était de retour …. ?

Une réécriture d’un duo iconique.
Dans une interview présente au début du volume, Kami Garcia explique qu’elle a toujours voulu écrire une histoire sur un tueur en série et qu’elle s’est énormément documentée sur le sujet, aidée en cela par le Dr Kurz, psychiatre criminel (et ami, si j’ai bien compris). Elle est pourtant connue pour ses romans young-adult sur les Teen Titans… La retrouver à la tête d’un titre du black label peut donc surprendre, elle-même ne s’y attendait pas. Elle s’en sort avec les honneurs et c’est probablement grâce à sa volonté d’explorer une version réaliste de la relation entre le Joker et Harley. Elle part en effet du principe suivant : si Harley est une profileuse qui travaille comme consultante pour la police de Gotham (et donc bien armée pour affronter les psycho / sociopathe), comment réagirait-elle face à un Joker « sain » d’esprit ?

Le qualificatif peut dérouter. Le Joker, sain d’esprit ? Les versions de ce personnage iconique sont nombreuses et on ne peut pas vraiment parler de lui comme d’une personne saine… Ce que la scénariste entend par là, c’est que pour elle, le Joker n’est pas malade mental au sens où il n’entend pas de voix qui le poussent à tuer ou n’a pas d’hallucination. Il tue parce qu’il le peut et parce qu’il n’a aucune empathie. C’est encore plus effrayant que la folie furieuse, explique-t-elle. Une pensée que je partage.

Ainsi, dans Criminal Sanity, on se retrouve finalement dans un schéma d’enquête et d’opposition entre un criminel et un profiler des plus classiques. Le Joker est ici un tueur en série artistique qui met en scène ses cadavres et ses meurtres d’une manière assez originale, en s’inspirant par exemple des tableaux de grands peintres. Il faut un moment avant de comprendre qu’il existe en réalité un lien entre les victimes et de saisir ses motivations. D’ailleurs, expliciter les motivations et l’identité du Joker, voilà qui est aussi surprenant puisqu’à mon sens, une partie de l’intérêt du personnage réside justement dans toutes les questions sans réponse qu’il suscite. Qui est-il ? Pourquoi agit-il ainsi ? Quelle est sa véritable histoire ? Kami Garcia le « réduit » au rang d’humain, elle gomme les mystères qui construisent sa légende mais pas la peur qu’il inspire, rappelant ainsi qu’il existe tout un tas de monstres différents…

J’ai trouvé la tension bien maîtrisée tout au long des huit chapitres qui alternent entre le passé (en couleur) et le présent (en noir et blanc). Les pages se tournent avec avidité, on a envie de savoir quelle(s) horreur(s) nous attend(ent) et en même temps, on se sent coupable de vouloir absolument découvrir ce qui se cache derrière la page suivante. L’intrigue est rondement menée tout comme la relation qui existe entre les deux protagonistes, si différente de ce dont on a l’habitude. Je n’ai pas de problème avec ça mais les puristes seront peut-être dérangés par ces changements.

Un design particulier…
Au niveau du dessin, on sent qu’il y a eu de nombreux dessinateur.ices qui ont travaillé sur le projet car en fonction des scènes, le style varie pas mal et cela peut dérouter. Par moment, on a presque l’impression de voir des photographies -comme sur la couverture- ce qui ne m’attire pas. Par contre, les planches en noir et blanc sont superbes et permettent de bien mettre le Joker en avant puisque les seules couleurs qu’on y retrouve sont le vert de ses cheveux et le rouge de son maquillage, couleurs pas trop appuyées si bien qu’on pourrait presque les manquer au premier coup d’œil.

fdb7a6f3e0bd1410df08c80979027f0bdb07ffe7

Mais !
Pourtant, si j’ai beaucoup aimé me plonger dans ce comics, je regrette finalement un peu que Kami Garcia ait utilisé les figures du Joker et de Harley pour son histoire. Cela ressemble à un coup marketing alors que tout se tenait très bien sans forcément proposer cette réinterprétation de leur relation, une réinterprétation assez différente au sein de laquelle Batman n’a même pas sa place… Alors qu’il s’agit quand même d’un élément fondamental du personnage du Joker, qui impacte d’ailleurs toutes ses autres relations. Je comprends que ç’avait un côté plus simple de réutiliser des personnages connus au sein du canon comme Gordon ou certains vilains internés à Arkham mais je suis certaine que l’autrice aurait pu s’en passer. Toutefois, c’est un sentiment tout personnel et ça ne m’a pas empêché de passer un excellent moment !

La conclusion de l’ombre :
Criminal Sanity est un comics de qualité à la personnalité affirmée. La psychologie des personnages est finement travaillée pour offrir une intrigue haletante qui n’a rien à envier au meilleur épisode d’Esprits Criminels. Je recommande sans hésiter à tout qui apprécie les thrillers efficaces.

Joker : killer smile – Jeff Lemire & Andrea Sorrentino

14
Joker : killer smile
est un comic de l’univers Batman scénarisé par Jeff Lemire et dessiné / colorisé par Andrea Sorrentino. Publié dans la collection Black Label chez DC Comics, vous trouverez ce tome au prix de 16 euros.

De quoi ça parle ?
Le docteur Ben Arnell s’est mis en tête de trouver un moyen de guérir le Joker. Hélas, ce bon père de famille va rapidement comprendre que cette ambition signe le début de sa descente aux Enfers.

Un Joker plus réaliste
Dans l’introduction, les deux auteurs expliquent qu’ils ont souhaité proposer une vision du Joker davantage axée sur la psychologie. Ils voulaient « dépeindre un homme qui peut ramper sous votre peau et rentrer dans votre esprit par la seule force de ses mots ». On peut dire qu’ils ont largement réussi leur coup ! L’ouvrage s’entame lentement par une discussion entre le Joker et le Docteur Arnell. Le décor est très sobre, bien loin de l’esthétique quasiment gothique qu’on retrouve en général à Arkham et même à Gotham. L’attention est concentrée sur les visages, qui prennent une grande place dans chaque case ou presque. De plus, on le voit à un moment donné vers le milieu de l’histoire, cet asile ressemble à n’importe quel autre hôpital qu’on pourrait voir dans notre réalité. Les auteurs ont choisi de gommer cet aspect presque surnaturel qui résonne dans chaque Batman que j’ai pu lire pour le remplacer par celui de la folie, une folie d’abord palpable, ordinaire, qui va ensuite glisser de plus en plus loin du réel au point de brouiller les frontières et de ne plus savoir à quoi se raccrocher, à quelle certitude se fier. On en vient à se demander qui est vraiment fou et qui ne l’est pas… Magistral.

La folie tient donc une place prépondérante dans Killing smile, on s’en rend compte à mesure que les pages se tournent même si, forcément, une œuvre centrée sur le Joker ne peut pas être très saine (ou alors, elle est ratée !). Déjà, Arnell enchaine les cauchemars mais surtout, il se retrouve en contact avec une étrange histoire, celle de Monsieur Sourire qui se présente comme un album pour enfant sauf que son contenu est franchement malsain. Des passages de cet album sont dessinés entre les planches plus réalistes. Ces passages sont très colorés, enfantins et dérangeants, ce qui participe à l’ambiance d’ensemble et tranche encore plus avec les couleurs bien plus ternes de la réalité. Le travail réalisé par Andrea Sorrentino est véritablement époustouflant, que ce soit dans le découpage ou le soin minutieux accordé aux expressions des personnages. Surtout celles du Joker que j’ai rarement vu aussi sérieux et, paradoxalement, aussi malade.

L’album compte trois chapitres et un épilogue. Cet épilogue laisse entendre qu’une suite est possible puisqu’il s’achève sur une fin ouverte et porte la mention « fin ? » avec un point d’interrogation. Toutefois, Joker : killer smile peut (et devrait, à mon goût) se suffire à lui-même. Il laissera sur moi une vive empreinte. Je le recommande chaudement si ce personnage vous intéresse ou si vous aimez les personnalités psychologiques complexes qui vous collent des frissons par l’ampleur de leur folie. Je précise également qu’il n’est pas utile d’être fan ou très renseigné sur l’univers Batman pour profiter de cette œuvre. 

D’autres avis : Narre ton livreL’accro des bullesComics powerLa vague métaphysique – vous ?

Harleen – Stjepan Sejic

7
Harleen est un comics écrit, dessiné et colorisé par l’artiste croate Stjepan Sejic. Publié chez Urban Comics au sein du Black Label, vous le trouverez partout en librairie au prix de 18 euros.
Je tiens à remercier Julie de chez Kazabulles (qui participe aussi au blog la Brigade Éclectique) pour ce conseil de lecture.

De quoi ça parle ?
Harleen Quinzel tente d’obtenir un financement pour prouver que l’absence d’empathie chez les criminels provient d’une détérioration d’une zone du cerveau qui survient dans des situations de stress intense -sous-entendu qu’il serait possible de les guérir en régérant cette zone. Pour ça, elle doit se rendre à Arkham où elle va rencontrer plusieurs grands criminels de Gotham mais surtout… Le Joker ! Commence alors sa descente aux Enfers.

Aux origines du drame.
Si vous vous intéressez un peu à l’univers Batman, peut-être connaissez-vous déjà l’histoire, grosso modo, entre Harley Quinn et le Joker, ce duo qui a été maintes fois réinterprété que ce soit en comics ou au cinéma. Histoire d’amour tragique, relation malsaine, bourreau et victime, on peut coller tous ces qualificatifs au lien qui uni ces deux personnages. Stjepan Sejic en propose sa propre vision et raconte comment Harleen devient Harley à travers 244 pages aussi sublimes que glaçantes. Il le raconte à travers son personnage principal puisque c’est Harleen elle-même qui parle et au passé qui plus est. Tout participe donc à créer cet effet de fascination, d’attente. On sait déjà que ça va mal se terminer. La narratrice elle-même le sous-entend et souligne bien à quel(s) moment(s) elle aurait pu / du faire un choix différent pour s’en tirer. C’est d’autant plus glaçant quand on arrive à la toute dernière page qui m’a collée un frisson.

Harleen exerce donc en tant que chercheuse en psychiatrie et aimerait obtenir un financement pour ses recherches, financement qui viendra, ironiquement, de Wayne Enterprise… Le hasard veut que juste avant de commencer à Arkham, elle rencontre le Joker qui venait de cambrioler un trafiquant d’armes et de faire exploser un entrepôt. Mauvais endroit, mauvais moment. Harleen se retrouve face au célèbre criminel, une arme pointée sur elle. Pourtant, le Joker l’épargne et s’enfuit à l’arrivée de Batman. Harleen, de son côté, n’arrive pas à se mettre à l’abri et va suivre leur combat, observant la réaction des passants, cette soif de sang morbide et sauvage qui les anime à chaque coup porté par le chevalier noir à son némésis.

Cette rencontre ne laissera pas Harleen indemne. Secouée par des cauchemars et des angoisses, elle prendra soin d’éviter le Joker autant que possible une fois à Arkham jusqu’à finalement oser affronter ses démons. Si, au départ, l’homme l’agace avec ses discours mégalomanes et son narcissisme, la situation va petit à petit évoluer. En tant que lecteur, on tourne les pages avec un voyeurisme teinté de gêne. On sait que tout ce qui se déroule sous nos yeux est mal, dangereux, terrible, mais on ne peut pas s’empêcher d’apprécier cette relation qui nait, d’espérer comme Harleen tout en comprenant à quel point le Joker est un génie de la manipulation. Stjepan Sejic maîtrise son histoire du début à la fin. Chaque case a une signification, chaque regard, chaque expression, chaque dialogue, tout est millimétré pour servir le rythme du récit et pour souffler au lecteur les indices dont il a besoin pour comprendre l’étendue du génie de ce célèbre criminel et à quel point Harleen n’avait, finalement, aucune chance de lui échapper. Une telle maestria m’a coupé le souffle, impossible de refermer le comics avant d’arriver à la toute fin.

L’auteur le dit lui-même : si ç’avait été une histoire d’amour classique, Harleen aurait réussi à transformer le monstre en humain, il y aurait eu une véritable rédemption. On sait que cela n’arrive jamais. En fonction des versions, les raisons ne sont pas toujours identiques mais on sait qu’en lisant une histoire comme celle-là, on est dans une romance qui ne devrait même pas porter ce nom. Une relation, voilà, une relation malsaine de dépendance, peut-être un syndrome de Stockholm en prime. Quel que soit le qualificatif qu’on utilise, ce duo m’a toujours fasciné et Stjepan Sejic propose, avec Harleen, la plus belle interprétation de leur histoire que j’ai pu lire jusqu’ici. La seule, d’ailleurs, si je ne m’abuse car bien que ce duo apparaisse régulièrement, c’est la première fois qu’une histoire est consacrée entièrement au passé de ce personnage.

Un graphisme magnifique, un Joker rock star.
Comme on peut le voir sur la couverture, le coup de crayon et les choix de couleurs effectués par l’auteur ne laissent rien au hasard. C’est un type de trait auquel je suis très sensible. Comme je ne m’y connais pas trop sur la question, je ne peux pas en dire davantage mais je voulais revenir sur un élément intéressant selon moi : la représentation graphique du Joker. Vous savez peut-être qu’il y a différentes interprétations, différents visuels, que ce soit au cinéma ou en dessin, de ce personnage mythique. Certains s’axent davantage sur sa folie, d’autres sur son côté criminel, d’autres en font un gangster bling bling (un peu comme dans le film Suicide Squad qui, je le sais, fait grincer les puristes et que j’ai personnellement surtout apprécié pour sa bande son). Je l’ai dit, je ne suis pas spécialiste de l’univers Batman. J’en connais quelques éléments, il me plait beaucoup pour tout un tas de raison mais je suis loin de tout connaître ou d’être attachée à une représentation plutôt qu’une autre de ses personnages. Ici, Stjepan Sejic a opté pour un Joker qu’il qualifie lui-même de rock star. Il le dessine comme un homme plutôt beau (enfin selon mes goûts), charismatique, charmant à sa manière. Quand on le regarde, on oublie facilement la folie et, même en tant que lecteur, on se laisse avoir par le savant jeu d’expressions que lui confère le dessinateur. Très subtilement, Sthepan Sejic l’érotise sans jamais tomber dans la vulgarité ou le sensationnalisme. Ça passe par un trait plus appuyé sur son torse souvent nu, par un jeu d’ombre, par cette scène où Harleen le regarde dormir et contemple les cicatrices dans son dos, par cette première étreinte… Au risque de radoter : j’ai vraiment adoré cette représentation.

La conclusion de l’ombre :
Si je parle assez peu de comics sur le blog, je me devais d’évoquer ce chef-d’œuvre signé par Stjepan Sejic qui propose de découvrir le passé de celle qui deviendra la célèbre Harley Quinn. Sur 244 pages, l’auteur tisse magistralement la genèse de cette relation malsaine entre elle et le Joker jusqu’au point de non retour où Harleen va devenir Harley. Avec un développement psychologique aussi maitrisé que son trait est sublime, cette œuvre est selon moi un indispensable à posséder et à découvrir si on aime ce duo mythique. Gros coup de cœur !

D’autres avis : Les instants volés à la vieSambaBDEuphoxineLire en bullesThe Power Zone – vous ?

DIE #1 mortelle fantasy – Kieron Gillen & Stéphanie Hans

5
Mortelle fantasy
est le premier tome de DIE, un comic scénarisé par Kieron Gillen et illustré / colorisé par Stéphanie Hans. Publié dans sa version française chez Panini Comics, vous le trouverez au prix de lancement de 10 euros jusque fin 2020 et ce, partout en librairie.

De quoi ça parle ?
En 1991, six adolescents se rejoignent pour fêter l’anniversaire d’Ash avec une partie de jeu de rôle. Cette nuit-là, ils disparaissent pendant deux ans et lorsqu’ils reviennent dans le monde réel, ils ne sont plus que cinq dont une estropiée, tous et toutes incapables de parler de leur expérience. Trente ans plus tard, un dé 20 refait surface, celui du maître de jeu porté disparu. Les survivants vont donc devoir repartir dans DIE…

Une colorisation sublime.
La première chose que je me dois de relever pour parler de DIE c’est le travail titanesque sur le dessin mais surtout, sur la colorisation qui est un véritable chef-d’œuvre. Les couleurs sont vraiment porteuses de sens et accompagnent parfaitement l’intrigue, offrant une couche signifiante supplémentaire au travail de Kieron Gillen. Je vous laisse juger la magnificence de ces planches avec ces quelques images. Je ne possède malheureusement pas les connaissances graphiques nécessaires pour vous en parler plus en profondeur. Mais parfois, un visuel suffit.

Une plongée dans l’univers du JDR… mais pas que.
L’auteur, Kieron Gillen, est fan de jeu de rôle tout comme l’illustratrice d’ailleurs. Il le pratique depuis des années et selon ses propres mots, a souhaité mettre dans cette histoire toute son obsession pour cette pratique et toute sa fascination pour le genre de la fantasy bien qu’il ait « une histoire d’amour / haine » avec Tolkien. Histoire qui donnera lieu à une planche sublime que je me refuse de vous gâcher par avance mais franchement, j’en ai eu des frissons. On ressent cette passion au sein de l’intrigue, ce qui donne finalement une histoire d’une grande richesse, très humaine et débordante d’originalité.

Solomon était donc le meilleur ami d’Ash et avait invité plusieurs de leurs amis pour une partie à l’occasion de son anniversaire. On retrouve Chuck, le stéréotype de l’américain gros lourd un peu redneck, Matthew un jeune afro-américain très intelligent mais en grande souffrance depuis le décès de sa mère, Isabelle, la copine de Solomon un peu vulgaire et Angela, la sœur de Ash. Ash étant le narrateur de l’histoire et, on le comprend à mesure que le tome avance, habité par un mal-être du à son homosexualité mal assumée et conservée plus ou moins secrète. Son avatar dans DIE est d’ailleurs une femme, ce qui m’a fait penser qu’il était peut-être transgenre mais il s’avère que non. J’ai vu en ce choix de personnage une façon de davantage coller à la société en normalisant son goût pour les hommes à travers un corps de femme. J’ai trouvé l’aspect représentation vraiment intéressant et bien amené, en subtilité.

Ces personnages en incarnent d’autres une fois dans l’univers de DIE. On a une dictatrice, un chevalier triste, une dresseuse de dieux, une cyberpunk, un fou et le maître du jeu qui, ici, participe à la partie également en tant que joueur, ce qui interpelle tout le monde. Je n’ai pas beaucoup pratiqué le jeu de rôle sur table donc j’ignore si ces classes sont récurrentes ou pas, toutefois je les ai trouvées très originales, de même que les interactions entre leurs différents pouvoirs.

On rencontre ces personnages alors qu’ils sont adolescents, puis le second chapitre se déroule une trentaine d’années plus tard. Ce passage dans le temps permet des évolutions intéressantes non seulement en dehors mais aussi dans le jeu en lui-même, surtout avec le twist qui conclut ce premier volume et promet une suite de folie.

Un volume riche en contenu.
Outre l’histoire en elle-même, ce premier tome contient une préface ainsi que diverses interviews à la fin qui permettent de mieux comprendre l’auteur et ses œuvres, ainsi que des croquis préparatoires pour en savoir plus sur la façon de travailler de Stéphanie Hans. J’ai beaucoup aimé cet aspect très complet en un seul volume, surtout vu son prix dérisoire (pour rappel, seulement 10 euros jusqu’à la fin 2020 !).

La conclusion de l’ombre :
Ce premier tome de DIE est une réussite sur tous les plans. Visuellement, Stéphanie Hans a réalisé un travail splendide autant sur les traits que sur la couleur, transformant chaque planche en véritable œuvre d’art. Scénaristiquement, Kieron Gillen propose une histoire qui paraît classique de prime abord mais brille par ses références, son univers et surtout, son humanité. DIE est très clairement une saga à suivre avec attention !

D’autres avis : la brigade éclectique – vous ?