La Trilogie de la Lune #2 la lune n’est pas pour nous – Johan Heliot (2/3)

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La lune n’est pas pour nous
est le second tome de la Trilogie de la Lune écrit par l’auteur français Johan Heliot. Réédité chez Mnémos en intégrale prestige à la fin de l’année 2019, vous trouverez ce bel objet au prix de 30 euros partout en librairie.
Je remercie Nathalie, Estelle et les éditions Mnémos pour ce service presse.

L’histoire de ce tome commence en 1933 soit une cinquantaine d’années après les évènements racontés dans La lune seule le sait dont je vous ai déjà parlé précédemment. Suite à la chute de l’Empire, une Guerre Totale s’est déroulée, gagnée par Hitler qui en profite pour assoir la domination allemande et développer son idéologie aryenne. Il ne fait pas bon vivre sur Terre et cela exacerbe la rancœur des Terriens envers les Sélénites au sujet desquels la rumeur raconte qu’ils vivent plus que confortablement et ne souffrent pas de la faim.

Le lecteur est invité à suivre plusieurs protagonistes dont certain qu’il a déjà pu rencontrer dans le premier volume, à savoir Isidore (souvenez-vous de ce journaliste ami de Jules Verne !) et Jaume, le commissaire zélé qui approche de la retraite et ne rêve que de partir au soleil avec son épouse. Jaume connait d’ailleurs une évolution très intéressante et j’ai presque eu le sentiment de côtoyer un autre personnage tant il me plaisait dans ce volume et m’exaspérait dans le précédent.
À eux s’ajoutent Léo, un cambrioleur qui n’a décidément pas beaucoup de chance dans sa vie ainsi que des hauts dignitaires du parti nazi. Je parle évidemment de Himmler, Goebbels et bien entendu, Hitler en personne. À mon sens, il s’agit ici d’un choix plutôt osé de la part de l’auteur et j’ai ressenti un certain malaise à la lecture de ces chapitres. On a tellement ancré en nous l’horreur de la seconde guerre mondiale que suivre des figures aussi importantes, qui ont commis des actes aussi affreux dans notre réalité et en arriver à ressentir par moment une forme d’intérêt et de compassion pour eux, c’est malaisant. Johan Heliot les humanise, ce qui n’est pas un mal en soi car après tout ils étaient humains, ils avaient aussi leurs émotions et leurs tourments, mais je pense que je n’étais pas préparée à être confrontée à quelque chose comme cela. Qu’on se comprenne bien : à aucun moment l’auteur ne fait l’apologie de l’idéologie nazie, au contraire. C’est juste qu’il nous oblige à voir que ces gens, qu’on qualifie de monstres, étaient aussi humains que n’importe qui. Et à les côtoyer.

Ce roman est coupé en parties, chaque partie correspond à une année qui s’étend entre 1933 et 1937. En tant que lectrice, j’ai mis un moment à suivre correctement l’intrigue et à comprendre les liens tissés par l’auteur. Johan Heliot prend son temps, ce qui plaira à certains et peut-être moins à ceux qui, comme moi, aiment que ça bouge tout le temps. L’auteur en profite pour traiter de nombreuses thématiques et la principale d’entre elles reste bien entendu la propagande. Mais ce n’est pas celle qui m’a le plus marquée puisque l’auteur pousse le culot encore plus loin en interrogeant notre perception même du réel. Je m’explique : Jaume, à nouveau sous couverture, entre en possession d’un manuscrit écrit par l’auteur allemand Hanns Heinz Ewers (personnage historique, j’ai vérifié) qui raconte une autre version de la guerre… La nôtre, celle de notre monde à nous ! Il y décrit un univers où les Sélénites ne sont jamais entrés en contact avec les humains, où le parti nazi a lancé son plan d’extermination des juifs (il découvre du même coup l’existence de camps) et où ce sont les alliés qui ont remporté la guerre. La mise en contact avec ce manuscrit va radicalement changer les convictions de Jaume. Là où Johan Heliot est absolument génial, c’est qu’il joue avec sa propre uchronie au point que le lecteur en vient à se demander s’il n’évolue pas lui-même au quotidien dans le roman d’un auteur venu d’ailleurs. J’ai adoré ce concept et la façon dont ce manuscrit poussait les protagonistes à réfléchir au-delà de ce qu’on essaie de leur faire croire via la propagande. Cela montre également le redoutable pouvoir des livres, des fois qu’on l’oublie (et beaucoup ont tendance à l’oublier).

Johan Heliot pourrait s’arrêter là, il en aurait assez fait. Mais non ! Avec ce roman, il touche désormais à la science-fiction puisqu’il développe dans son uchronie une technologie avancée pour l’époque, plus que ce qu’elle ne devrait, et s’accapare également à une forme de mutation dans la fusion entre un humain et un sélénite. Léo est, à mon sens, une sorte de figure super-héroïque moderne avec des pouvoirs mutants qui lui permettent d’accomplir les exploits les plus fous, jusqu’à défier la mort. La ville de Germania est également dépeinte comme une ville futuriste qui m’a un peu évoqué Metropolis de Fritz Lang. Ce n’est pas spécialement surprenant puisque dans ce volume, c’est le cinéma qui dame le pion à la littérature et le lecteur va avoir le plaisir de croiser énormément d’acteurs et d’actrices de l’époque qui ont dans l’histoire un rôle purement figuratif mais ont le mérite d’être là pour renforcer l’effet réel. Léo lui-même va se faire passer pour un acteur et un festival de cinéma organisé à Germania deviendra le théâtre du dénouement de l’intrigue de ce tome.

Mais voilà, si ce roman est divertissant et déborde de références culturelles qu’on s’amuse à traquer, je l’ai trouvé par moment un peu longuet. Il faut vraiment attendre le dernier tiers (si pas quart) pour que les évènements s’accélèrent et qu’il devienne difficile de lâcher sa lecture. On ne peut pas nier la qualité de ce texte, rien que par la manière magistrale qu’a Johan Heliot de jouer avec l’Histoire, mais sur le plan du pur divertissement, certains auront peut-être un goût de trop peu.

Pour résumer, La lune n’est pas pour nous est une suite à la hauteur de La lune seule le sait. L’histoire se déroule cinquante ans après et voir fleurir une Germania victorieuse de la Guerre Totale avec, à sa tête, un Hitler plus glaçant que jamais. Johan Heliot n’a rien perdu de sa maestria quand il s’agit de jouer avec l’Histoire et la culture, parfois au détriment du rythme de l’intrigue. Je m’en vais de ce pas découvrir le troisième -et dernier- tome de cette superbe intégrale prestige dont je vous recommande la lecture !

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8 réflexions sur “La Trilogie de la Lune #2 la lune n’est pas pour nous – Johan Heliot (2/3)

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    • J’en suis bien désolée :/ Mais je comprends. Si ce n’était pas un sp je l’aurais mis de côté un peu le temps d’être dans le mood adéquat. Chaque tome est tellement différent du précédent… Je m’attendais à rester à la fin du 19e tout du long mais les suites enchaînent coup sur coup des périodes qui m’attirent beaucoup beaucoup moins :’) pourtant la qualité du roman est là et est indéniable. Parfois ça ne suffit pas.

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