La Maison des Jeux #3 le Maître – Claire North

Conclure une saga n’a rien de facile, surtout une saga de qualité car les attentes du lectorat seront forcément élevées. Avec les deux premiers tomes de la Maison des Jeux, Claire North avait placé la barre très haut et si j’ai, dans l’ensemble, apprécié cette lecture, il m’a manqué un petit quelque chose pour utiliser le qualificatif de coup de cœur, comme ce fut le cas pour le premier tome.

De quoi ça parle ?
Voilà deux volumes que le mystérieux Argent apparait au bon moment pour sortir nos protagonistes de la mouise et récolter, du même coup, un service à lui rendre dans un futur plus ou moins proche. Depuis des siècles, Argent est un joueur et il accumule les faveurs comme les pions en vue de ce jour, qui est enfin arrivé : en 2018, il défie la Maîtresse des Jeux dans une partie d’échec grandeur nature. Leur plateau ? Le monde. Leurs limites ? Et bien… aucune.

Nous ne sommes que des pions.
C’est le sentiment qui a dominé toute ma lecture. La narration du point de vue d’Argent (qui a en fait toujours été le narrateur, si j’ai bien compris) nous montre avec quel détachement il considère des vies humaines, des institutions, des sociétés toutes entières et souligne la facilité avec laquelle les puissants sacrifient ce qu’ils ne voient pas réellement. Obsédé par son objectif de vaincre la Maîtresse des Jeux, il ne reculera devant rien pour y parvenir, tout comme elle, donnant l’impression d’assister à un duel entre deux adolescents obstinés, chacun refusant de considérer le point de vue de l’autre. Ça en devient absurde, incompréhensible, de constater avec quelle facilité des institutions, des vies, peuvent s’écrouler en un claquement de doigts. Le texte se transforme alors une parfaite illustration de l’effet papillon sauf qu’au lieu de jolis insectes aux ailes colorées, on a deux joueurs qui se prennent pour des dieux en oubliant tout sens commun.

Ainsi s’enchainent les coups dans une traque à travers le monde. Cela devient vite peu lassant car il y a trop d’évènements qui paraissent trop énormes et sur lesquels on s’arrête trop peu. Même si ce n’est pas le propos, j’en ai retiré une sensation de tournis et de malaise désagréable. Au cas où nous aurions oublié notre insignifiance dans l’univers, Claire North s’emploie à nous la rappeler…

Hélas, quand la fin arrive, elle tire en longueur dans un échange qui n’a fait que renforcer mon sentiment initial d’observer la dispute immature de deux ados frustrés qui se pensent animés de beaux sentiments alors qu’il n’en est rien, il n’y a que de l’ego mal placé. Les siècles et l’obsession du jeu ont apparemment fait régresser les protagonistes et au lieu de sagesse, il ne leur reste que mensonges, faux semblants et obsessions diverses. D’ailleurs, je parle de fin mais il s’agit d’une fin ouverte. Je n’ai rien contre sauf qu’ici, à mon sens, refuser de donner le dénouement dénote un manque d’engagement clair dans le propos de l’autrice et ça me déçoit. J’aurais préféré qu’elle assume jusqu’au bout l’aspect désabusé de la chose.

La conclusion de l’ombre :
L’enthousiasme semble unanime et ardent sur la blogosphère. Peut-être suis-je passée à côté d’une clé de compréhension (ça m’apprendra à lire en étant malade !), peut-être l’époque moderne me lasse-t-elle profondément ou peut-être le seul jeu fait pour moi était-il celui de Thene. Je ne regrette toutefois pas ma lecture car la plume de Claire North reste rythmée et délicieuse au point qu’il est difficile de reposer l’ouvrage une fois entamé. Pour ne rien gâcher, il se dégage du Maître un désenchantement, une mélancolie et une forme de cruauté qui me plaisent. La Maison des Jeux reste une très bonne saga, j’attendais simplement une autre conclusion.

D’autres avis : OutrelivresLa LutineYuyineL’épaule d’Orion – vous ?

Les autres romans de l’autrice sur le blog : Le SerpentLe Voleur

Informations éditoriales :
Le Maître de Claire North (La Maison des Jeux 3/3), traduction par Michel Pagel. Éditeur : le Bélial. Illustration de couverture : Aurélien Police. Prix au format papier : 10,90 euros.

Terra Ignota #5 Peut-être les étoiles – Ada Palmer

Finir un roman n’est jamais chose aisée. Finir une saga, encore moins. Alors ne parlons même pas d’achever une saga d’une telle envergure…

Peut-être les étoiles est le cinquième tome de Terra Ignota, cinquième tome qui n’existe a priori qu’en français car il était impossible pour le Bélial de sortir le dernier volume en une fois tant il aurait été beaucoup trop en dehors de nos standards éditoriaux. Théoriquement, c’est l’Alphabet des créateurs qui comporte le titre inédit mais ne commençons pas à chicaner ni à digresser pour ne pas entrer dans le vif du sujet.

Que dire…
Chroniquer un dernier tome n’est jamais chose aisée non plus car, par essence, la chronique s’adressera aux gens qui auront lu les précédents et servira (avec un peu de chance) d’espace où discuter, échanger des impressions, des théories. Je sais que cet article sera peu consulté mais j’ai quand même envie de l’écrire pour tout un tas de raisons que j’ai déjà pu évoquer sur le blog. Ce ne sera pas vraiment une chronique, en réalité, plutôt un billet dans lequel je vous partage un instant d’émotion brut, ce que m’inspira finalement la lecture de ces derniers chapitres si denses. Un jour, dans un futur que j’espère pas trop lointain, je vais relire ces romans après en avoir lu d’autres pour mieux comprendre toutes les références qui le parsèment et qui ont pu m’échapper. Je sais que, si je suis dotée d’une longue vie, je les relirais même à plusieurs reprises tout au long de celle-ci car ma perception changera peut-être ou mon expérience de vie m’aura apporté d’autres éléments sur lesquels réfléchir. J’affirme aussi que, désormais, à la fameuse question « quel livre emporteriez-vous sur une île déserte si vous ne deviez en choisir qu’un ? » je répondrais sans hésiter : Terra Ignota (et je tricherais mais qu’importe !)

Je pense très sincèrement qu’Ada Palmer a écrit ici une saga qui s’inscrira dans la postérité au sein de l’histoire littéraire au sens large. La richesse des réflexions proposées en font un titre qui n’est pas accessible à tout le monde mais qui, pourtant, semble plus nécessaire qu’on aurait pu le croire et je trouve en cela que la postface écrite par l’autrice est très éclairante sur le sujet. Elle permet de mettre des mots sur des impressions fugaces, d’éclairer des sentiments complexes et de m’expliquer pourquoi j’ai terminé ma lecture avec une boule dans la gorge et les larmes aux yeux.

Le 25 octobre à Lille j’ai eu la chance de rencontrer Ada Palmer (et Jo Walton). On a pu échanger et discuter notamment de tout ce que le lecteur apporte à un livre, de la façon dont chaque lecteur s’en empare, le comprend, lui donne un sens propre à lui en lien avec ses expériences et sa propre culture. Terra Ignota résonne (et raisonne !) en moi non seulement parce que l’autrice exploite les œuvres du passé si chères à mon cœur, qu’elle le fait dans un contexte science-fictif mais aussi parce qu’elle y transmet son amour de la littérature au sens large et ce, à chaque ligne, à chaque choix narratif, sans se priver de rien et en osant tous les ressorts narratifs surprenants. Ce n’est pas qu’un roman, c’est une construction qu’on pourrait rapprocher d’une Merveille du Monde par sa finesse et sa richesse. Plus que la littérature, en réalité, Ada Palmer montre tout au long de Terra Ignota ce que les « mondes non-réels » (pour reprendre sa propre expression) ont à nous apprendre, de quelle manière nous pouvons apprendre d’eux et en le prouvant en opérant de judicieux parallèles avec notre actualité. Lire cette saga en 2022 n’est pas anodin. C’est même nécessaire.

Nécessaire car non seulement Ada Palmer raconte l’histoire d’un conflit mondial, de ce qui l’a précédé et des quelques cinq cents jours qu’il durera mais elle questionne aussi le(s) système(s), la Loi, les coutumes, la manière de mener une guerre, le genre, bref elle questionne l’Humanité par le regard de Mycroft Canner, à la fois narrateur, historien, acteur et même monstre dans tout ce que ce terme a de beau et de complexe. Par le regard aussi, parfois, du 9e Anonyme quand Mycroft fait défaut. Il y a l’histoire en elle-même, celle de ce que la présence et l’existence de J.E.D.D. Maçon implique pour l’humanité, celle de ces Ruches qui s’opposent parce qu’elles prônent une organisation des buts à atteindre au mieux différente, celle de la conquête possible des étoiles, d’un premier contact, les tours et détours d’un conflit mondial, mais ce n’est pas qu’un récit de guerre. C’est bien plus que cela.

J’ai envie de terminer ce bref billet en citant un extrait de la postface traduite par Erwann Perchoc et écrite par Ada Palmer elle-même. Cet extrait résume l’idée centrale qui traverse tout Terra Ignota et se suffit à lui-même. S’il ne vous transperce pas le cœur, alors peut-être n’êtes vous pas la cible adéquate pour ce roman. Mais si, comme moi, ces mots résonnent en vous alors armez-vous de courage et plongez vous dans l’histoire narrée par cette autrice qui, s’il y a un peu de justice dans ce monde, gagnera l’immortalité dans la mémoire collective pour son esprit si brillant : « Ce que j’ai choisi d’écrire est (…) un futur imparfaitement bon dans lequel, comme notre présent imparfaitement bon, les groupes que l’État et les infrastructures sont censés servir se montrent heureux ; vivre une vie à peu près correcte rend très difficile d’entendre les voix qui disent : non, ce monde a des défauts, il doit changer, nous devons perturber cette vie à peu près correcte, que ce soit pour libérer les opprimés ou pour protéger la planète. »

Je remercie Erwann et le Bélial pour ce service presse.

D’autres avisL’épaule d’Orion – Gromovar – OutrelivresLe syndrome QuicksonLe dragon galactiqueLes chroniques du Chroniqueur – vous ?

Ma chronique sur les autres volumes : Trop semblable à l’éclair (tome 1), Sept Reddition (tome 2) et La volonté de se battre (tome 3), L’Alphabet des Créateurs (tome 4)

INFORMATIONS ÉDITORIALES :
Peut-être les Étoiles (TERRA IGNOTA #5, PREMIÈRE PARTIE DE « PERHAPS THE STARS ») PAR ADA PALMER. TRADUCTION : MICHELLE CHARRIER. ILLUSTRATION DE COUVERTURE : AMIR ZAND. ÉDITEUR : LE BÉLIAL. PRIX : 24,90 EUROS AU FORMAT PAPIER, 11.99 EUROS AU FORMAT NUMÉRIQUE.

Les abandons de l’Ombre : Summerland, Unity et Ymir.

Voilà un moment que j’hésitais à lancer ce format d’article, surtout que les abandons s’enchaînent cette année. Je n’ai pas toujours envie d’évoquer tous les textes que j’abandonne et ce pour diverses raisons mais les cas présentés ici sont particuliers. Déjà, il s’agit de service presse alors si on prend le temps de me les envoyer -sous divers formats- je peux bien prendre le temps d’écrire un mot à leur sujet. Surtout quand, objectivement, ce sont de bons livres dont le seul tord est de ne pas correspondre à mes goûts de lecture.

Je me propose donc d’aborder chaque texte séparément puis de tirer un constat général. Après chaque court retour, je vous référencerais d’autres chroniques qui offre un regard différent du mien sur ces romans, afin de vous permettre d’accéder à davantage d’avis.


L’histoire se déroule en 1938 au sein d’une uchronie où le point de divergence se situe après la Première Guerre Mondiale, notamment dans les vainqueurs qui redessinent le paysage politique. On a d’un côté la Grande-Bretagne et de l’autre la Russie qui, comme de juste, continuent de se méfier l’un de l’autre. Ce n’est pas la seule chose qui a changé car côté anglais, on a découvert Summerland à savoir l’endroit où on se rend après la mort. Il est donc possible désormais de discuter avec des gens décédés et toute la société s’est construite autour d’un système de ticket à avoir au moment de son décès pour ne pas se perdre. Le concept est très pointu et intéressant. Hélas, passé la découverte initiale, ça devient vite ennuyeux à mon goût.

C’est la chronique d’Apophis qui avait attiré mon attention sur ce roman et donné envie d’essayer, ce qui est assez paradoxal puisque les éléments qui m’ont finalement poussé à abandonner ont tous été détaillés dans son retour très complet. Ce qui, pour lui, étaient des qualités ont, pour moi, été source d’ennui ce qui rappelle aussi qu’il peut être intéressant et même important de parler d’une lecture décevante puisque cela pourrait donner envie à d’autres personnes de lire le livre en question. Ce qui nous déplait peut séduire d’autres lecteurs et vice versa.

Histoire d’être un peu plus claire : je suis intellectuellement capable de reconnaître la qualité de l’univers qui a été construit ainsi que son ambition mais je ne suis pas parvenue à m’intéresser aux personnages qui ont plus une fonction qu’une âme, ce qui est un gros handicap pour moi qui ne peut pas me contenter d’une bonne idée, surtout pas sur un format long. De plus, l’intrigue type espionnage dans les années 30 n’est pas ce que je préfère, même au sein d’une uchronie, sans que je puisse vraiment donner une raison recevable à ça autre que : les goûts et les couleurs. La mise en scène du sexisme propre à l’époque sert à le dénoncer mais ça ne suffit pas pour relever mon intérêt.

Il paraît que le livre s’épanouit dans son dernier tiers sauf que je suis assez lassée de devoir me taper deux tiers d’un livre ennuyeux pour enfin arriver à quelque chose d’excitant. Ce n’est pas le type de construction narrative qui me convient, j’ai donc décidé de ne pas poursuivre la découverte.

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Unity est un roman cyber-punk / thriller / post-apo / sûrement d’autres genres que j’oublie. L’humanité vit en partie sous l’océan, dans des cités bulles qui sont sous le contrôle d’une puissance totalitaire. Pourquoi vivre sous l’eau ? Parce que sur la terre, c’est bien foireux et il ne reste pas grand chose hormis du désert -ce qui n’empêche pas les gens d’essayer d’y survivre. Dans ce contexte, on rencontre Danaë, une femme pas comme les autres qui s’avère rapidement être plus qu’une humaine : elle porte en elle une sorte de conscience collective dont on ne savait pas grand chose au moment où j’ai arrêté ma lecture.

Encore un roman repéré chez Apophis (décidément on n’est plus sur la même longueur d’onde en ce moment) que j’ai reçu un peu par hasard en demandant les sorties de la rentrée littéraire chez AMI (j’entendais par là Marguerite Imbert et Émilie Querbalec). Comme il a été envoyé avec les autres fichiers, j’y ai quand même jeté un œil et ce qui m’a perdue ici, c’est l’absence de contexte clair. Il y a bien trop d’informations, données trop vites et trop mélangées. J’ai eu le sentiment que l’autrice avait une check-list de thèmes et de concepts qu’elle voulait absolument aborder et qu’elle avait peur d’en oublier si elle ne s’y mettait pas directement. On se retrouve balancé au milieu de l’intrigue sans avoir les bases de l’univers ce qui implique un vocabulaire spécifique qui ne renvoie à rien pour la lectrice novice en SF que je suis, ce que j’ai un temps mis de côté pour essayer de me plonger dans l’intrigue sauf que celle-ci prend la forme d’une sorte de course poursuite. Quelqu’un veut tuer le personnage principal, qui elle veut s’enfuir d’une cité sous-marine pour ne pas mourir, c’est un trope qui m’ennuie au plus haut point parce que c’est rare de croiser un·e auteur·ice qui maîtrise la tension narrative.

Pour ne rien arranger, je n’ai pas accroché au personnage de Danaë, je trouvais Alexeï plus intéressant mais cela n’a pas suffit pour me donner envie de continuer à tourner les pages. Enfin, l’ambiance « régime totalitaire et complot global » me hérisse depuis quelques mois, je ne le gère plus bien du tout. Sans doute l’écho avec notre réalité, notre quotidien. J’ai envie d’un autre genre de lecture.

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Yorick est un mercenaire qui a quitté Ymir, sa planète natale, bien des années plus tôt en jurant de ne plus jamais y remettre les pieds. Le problème, c’est que son employeur se moque pas mal de ses états d’âme et le détourne durant sa stase pour l’envoyer chasser le grendel -un genre de monstre cybernétique. À cette traque va se mêler des échos du passé de Yorick et notamment le retour de son frère, qui lui a arraché la mâchoire bien des années plus tôt.

J’ai déjà parlé plus d’une fois de Rich Larson sur le blog, que ce soit pour l’excellent recueil La fabrique des lendemains ou pour ses nouvelles parues dans le Bifrost. De mémoire, je n’avais pas encore été déçue par l’auteur et il fallait bien que ça arrive un jour. C’est juste dommage que ce soit avec son premier roman…

J’ai décidé d’arrêter ma lecture à la moitié pour plusieurs choses : déjà, à nouveau, l’ambiance. On est sur une planète inhospitalière, on évolue dans des bas-fonds crasseux, il y a une méga entreprise hyper totalitaire, c’est très sombre, oppressant, ça ne correspond pas du tout à ce que j’ai envie / besoin de lire pour le moment.

Pourtant, j’ai persévéré parce que je connaissais déjà le travail de l’auteur et que j’avais confiance. Je me disais qu’il méritait bien que je m’accroche un peu, que je lui laisse le bénéfice du doute. Hélas, j’ai rapidement eu l’impression que l’histoire racontée aurait pu aisément tenir dans une novella et que le roman souffrait de longueurs, de digressions, sans parler des flashbacks nébuleux mélangés à des trips de drogue qui n’aident pas à s’accrocher malgré la brièveté de ses chapitres parfois longs de deux ou trois pages seulement. Ce dernier point a été relevé comme négatif par d’autres mais c’est quelque chose que j’ai apprécié et qui m’a d’ailleurs poussé à aller aussi loin dans ma lecture.

Autre élément en faveur du roman : le personnage de Yorick et la mise en scène de ses pulsions autodestructrices. C’est quelque chose qui m’accroche bien en général sauf qu’ici, ça manquait d’âme par moment, de sentiments, de densité, comme si l’auteur n’arrivait pas bien à jongler entre son univers, son intrigue et son protagoniste au point de me perdre en route car mon intérêt pour Yorick n’a pas suffit à éclipser mon malaise face à l’univers. Même s’il a des qualités indéniables, ce ne sont pas celles qui m’attirent dans un roman, encore moins en ce moment. Je tournais les pages sans réelle envie d’en savoir plus, ce qui a conduit à mon abandon un peu après la moitié du livre.

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Quelles conclusions en tirer ?
Depuis quelques mois, il semble évident que je ne suis plus du tout attirée par les romans étouffants, crasseux, qui mettent en scène des régimes tyranniques et la misère humaine. Peut-être (sans doute) que ça a un rapport avec l’actualité, peut-être que mes goûts évoluent simplement, mais je recherche tout autre chose dans mes lectures. Le souci, c’est que je ne sais pas quoi précisément donc je navigue en aveugle, au petit bonheur la chance.

Je suis aussi de plus en plus attirée par le format court. Ces romans ne sont pourtant pas très épais, ils font entre 350 et 450 pages ce qui est dans la norme et même dans la norme basse mais j’ai remarqué que j’éprouvais davantage d’indulgence envers une nouvelle ou une novella qui m’ennuie qu’un roman. J’ai besoin d’un certain type de construction narrative pour m’accrocher sur le long terme et surtout, de m’intéresser aux personnages. J’ai besoin qu’ils aient une âme, pas juste qu’ils servent une intrigue ou jouent les pantins dans un monde-super-bien-construit-pour-nous-en-mettre-plein-la-vue.

Je ne suis pourtant pas mécontente d’avoir essayé de les lire car même si j’ai abandonné en cours de route, l’expérience m’a appris des choses sur moi-même et permis d’affiner davantage mes critères de sélection d’un livre. Une chance que ça ait chaque fois été avec des services presses numériques (à l’exception d’Ymir qui, avec l’accord du Bélial, sera offert à la bibliothèque de mon village afin d’en faire profiter le plus grand nombre), si bien que ça n’a rien coûté à personne hormis un mail et un peu de temps.

Et vous, est-ce que vous avez abandonné un livre récemment ?

Les Flibustiers de la mer chimique – Marguerite Imbert

Tout qui me connait un peu sait qu’en d’autres circonstances, je n’aurais pas posé un regard sur ce roman parce que je ne suis pas une grande adepte du post-apo (quoi qu’on m’annonce du pirate enfin son équivalent, j’avoue que je suis un peu faible avec ça moi…). Il ne faut jamais dire jamais, d’autres ouvrages ont gagné au fil du temps leur statut d’exception mais je n’y peux rien, ce genre littéraire me déplait. Je le trouve souvent inutilement violent, défaitiste et malheureusement, de plus en plus raccord avec la réalité. Si j’ai arrêté de regarder les infos de 19h, c’est pas pour me les infliger quand j’essaie de m’évader par la lecture…

Bref, des exceptions, il y en a et le roman de Marguerite Imbert en est une belle. Qu’on se comprenne bien : c’est du post-apo. C’est sombre. Sans concession. Mais y’a pas que ça. C’est aussi complètement barjot, drôle, déjanté. L’autrice assume pleinement toutes les facettes de son livre et il en a de nombreuses.

De quoi ça parle ?
Les Flibustiers de la mer chimique propose une narration alternée à la première personne entre Ismaël et Alba. Le premier est fait prisonnier par les Flibustiers après un « accident », ce qui nous permet de découvrir l’équipage du sous-marin PK (pour Player Killer) ainsi que son… excentrique… dirons-nous… capitaine Jonathan. La seconde est une Graffeuse, une personne barrée (pour rester polie) qui dispose de vastes connaissances sur l’ancien monde que son clan se transmettait de génération en génération. Elle est emmenée à Rome pour servir la Métareine.

Il s’agit donc bien d’un roman postapocalyptique qui se déroule plusieurs dizaines d’années après une catastrophe qui a décimé une grosse partie de l’humanité. Laquelle ? On le découvre au fil du livre. À quoi ça ressemble ? Et bien les océans sont toxiques, les chiens sauvages ont pris le contrôle des terres pendant que des monstres marins se baladent dans la mer, on a un continent de plastique, des clans divers et variés qui prônent tous leur petite idéologie, des tentatives pour survivre plus ou moins heureuses… L’univers est assez riche, bien pensé, immersif et crédible. C’est dans ce décor qu’on se lance à la rencontre de nos protagonistes.

Des personnages… excentriques.
Les Flibustiers de la mer chimique roman sans concession pour l’humain et pour l’Humanité au sens large. L’autrice brosse le portrait de multiples personnages (le plus marquant restera pour moi Jonathan) pour lesquels on se prend d’affection avant d’encaisser une trahison quand on découvre leur partie sombre, dégueulasse, lâche parfois. Et on se sent coupable de continuer à les apprécier, on se sent presque sale de se chercher des excuses pour le justifier. Marguerite Imbert est cruelle avec son lectorat qu’elle met face à ses contradictions, face à sa propre lâcheté, face à ses justifications foireuses. J’apprécie de me faire ainsi malmener, d’être heurtée dans mes convictions et surtout, de suivre les mésaventures de personnages que personne (encore moins l’autrice) ne cherche à excuser. Iels sont plus d’une fois horribles, immondes, comme n’importe qui peut l’être mais ce n’est pas si courant qu’on le montre en littérature, même en littérature de l’imaginaire. Rien que pour ce terrible pragmatisme, les Flibustiers de la mer chimique est un texte à découvrir. Mais il a encore d’autres choses à offrir…

Un texte riche et intelligent.
C’est en effet un roman d’une rare intelligence non seulement par ses multiples références à la pop culture comme à l’Histoire mais aussi par sa manière de questionner notre rapport au passé et à la mémoire. À l’instar du brillant Évangile selon Myriam de Ketty Stewart, Marguerite Imbert utilise le personnage d’Alba pour réécrire partiellement (notre) Histoire, la truffant parfois de quelques erreurs, imprécisions ou tout simplement d’éléments issus de nos propres fictions pour montrer à quel point le savoir, pourtant érigé comme important, fondamental, peut être aisément faussé et relatif. Le sous-texte est aussi inspiré et sans concession que les protagonistes. J’adore ! Évidemment, l’engagement écologique saute aux yeux et est rappelé par l’intrigue plus d’une fois mais je ne peux trop m’appesantir dessus sans risquer de divulgâcher certaines surprises -ce qui serait au mieux criminel de ma part.

Enfin, pour ne rien gâcher, l’humour et les tirades mémorables sont au rendez-vous, provoquant volontiers plus d’un sourire au fil de la lecture. Pourquoi l’apocalypse devrait être quelque chose de triste ? De déprimant ? De résolument sombre ? Désenchanté ? On peut très bien réfléchir sur ce terrible « après » d’une manière crédible sans pour autant s’infliger de l’ultra-violence et des excès de tous les côtés. L’équilibre trouvé par l’autrice a su me convaincre et m’emporter au fil des pages. Pour ne rien gâcher, la fin ouverte me fait rêver, elle laisse entrevoir la possibilité d’autres aventures pendant la fin du monde mais quoi que choisisse de faire l’autrice avec son excellent matériel, je tiens déjà à la remercier pour ce grand moment de lecture.

La conclusion de l’ombre :
« Je ne crois pas que l’apocalypse soit nécessairement une chose triste. » C’est ainsi que commence les Flibustiers de la mer chimique et on peut dire que la mise en bouche tient toutes ses promesses. Dans une narration à la première personne alternée entre deux narrateurs, le lecteur suit une galerie de personnages barrés, désespérément humains, avec leurs excès et leurs faiblesses dépeints d’une bien habile et savoureuse manière. Le texte, riche de réflexions sur la crise écologique, la mémoire historique et la postérité, nous rappelle qu’un roman engagé n’est pas forcément lourd ni désespéré et que même s’il ne reste plus d’espoir, ce n’est pas une raison pour se laisser abattre. Je suis plus que convaincue par la première incursion de Marguerite Imbert dans les genres de l’imaginaire et je vais suivre avec attention la suite de sa carrière.

Je remercie Gilles Dumay et les éditions Albin Michel Imaginaire pour ce service presse numérique.

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Informations éditoriales :
Les Flibustiers de la mer chimique par Marguerite Imbert. Éditeur : Albin Michel Imaginaire. Illustration de couverture : Sparth. Prix au format papier : 22,9 euros.

After Yang et autres nouvelles – Alexander Weinstein

Je dois avouer détester quand la couverture d’un livre est celle de son adaptation au cinéma. Je comprends l’intérêt et l’enjeu marketing mais, sur un plan personnel, cela ne m’attire pas du tout d’autant qu’après ma lecture, je ne trouve pas cette couverture représentative du contenu de ce recueil. Je m’interroge aussi sur le pourquoi le titre affiché sur le site d’ActuSF est différent de celui sur la couverture… Et pourquoi le titre anglais « After Yang » est conservé sur celle-ci (sans doute à cause du film ?) alors qu’il est traduit en « Nos adieux à Yang » à l’intérieur… Bref, sans la chronique de l’amie Trollesse, je n’aurais jamais posé les yeux sur After Yang et autres nouvelles et ç’aurait été assez dommage vu sa qualité.

Treize nouvelles donc, écrites par l’auteur américain Alexander Weinstein qui est adepte du format court et qu’il maîtrise plutôt bien si j’en juge par ma présente lecture. Certains textes m’ont davantage parlé que d’autres toutefois, à l’exception d’un ou deux à côté desquels je suis passée, j’ai été sensible aux émotions dégagées par ces histoires courtes et plus précisément les thématiques abordées. On se trouve en plein dans le genre science-fiction avec une interrogation sur notre rapport à la technologie au sens large du terme ainsi que sur l’évolution de notre société, ce qui a une saveur particulière un peu douce-amère, de nos jours…

Dans « Nos adieux à Yang » on suit un père de famille dont le robot grand frère de sa fille adoptive déconne après plusieurs années et la manière dont sa famille va gérer le deuil d’une machine. Je ne m’attendais pas à éprouver autant d’empathie envers eux, et pourtant… Dans « les cartographes » l’auteur évoque une technologie de téléchargement des souvenirs qui tourne évidemment mal, au point que les utilisateurs en perdent la notion de réel. Dans « les enfants du nouveau monde » on parle d’un couple qui devient parent dans un monde en ligne et du déchirement provoqué par un virus qui va les obliger à rebooter toute leur vie virtuelle, enfants compris…. La question de la vie (au sens sentience du terme) des éléments numériques créés revient assez fréquemment et c’est une thématique qui me parle.

Mais ce n’est pas tout car Alexander Weinstein aborde aussi à plusieurs reprises la question du dérèglement climatique et de ses conséquences comme dans « lignes de pente » où on suit un ancien skieur de l’extrême dans un monde où la neige disparaît ou bien dans « Migration » où plus personne ne sort de chez soi car l’extérieur est dangereux, ce qui déplait à Max, un adolescent révolté ou encore dans « Âge de glace » qui est une nouvelle résolument post-apo survivaliste où on découvre un petit groupe de personnes ayant survécu à une ère glaciaire et essayant de réorganiser un semblant de société. J’ai particulièrement apprécié l’ironie amère de la conclusion…

À chaque fois, l’auteur se concentre sur les gens à petite échelle, sur les émotions, ce qui fait de After Yang et autres nouvelles un recueil touchant face auquel on ne peut rester indifférent. Mention spéciale à deux textes très courts mais particulièrement violents sur un plan psychologique : « Heartland » où un père de famille désespéré commence à envisager de vendre des photos pornographiques de son enfant sur Internet pour gagner de l’argent car il n’y a plus de travail nulle part pour lui (il faut bien vivre, il paraît, puis ce ne sont que des photos… n’est-ce pas ? Le petit ne risque rien, pas vrai ? Glaçant, je vous dis.) et « La nuit de la fusée » qui flirte avec l’absurde où chaque année, les enfants d’une école choisisse l’un d’entre eux pour l’obliger à prendre une fusée et aller dans l’espace, apparemment sans possibilité de retour et tout le monde semble trouver ça normal. Aucune explication ici sur le pourquoi du comment hormis, peut-être, pour se débarrasser d’un individu marginal ? Ce qui serait ainsi une critique de la norme dominante et de ses dérives. Il y aurait beaucoup à dire et à analyser sur ces deux textes dans leur rapport à notre société et les valeurs qui y sont questionnées. J’ai apprécié d’être horrifiée, bousculée, par leur lecture. Pour moi, un texte qui me donne envie de m’arrêter dessus et d’y réfléchir est une réussite et c’est presque un sans faute pour Alexander Wellenstein.

Je dis presque parce qu’on trouve plus d’une fois des scènes de sexe dont la présence a beau être logique dans leurs histoires respectives, ça reste quelque chose qui personnellement me lasse un peu. Puis il y a deux textes étranges, un qui semble enchaîner les brèves d’information et un autre qui résume un grand évènement, à côté duquel je suis malheureusement passée. Mais dans l’ensemble, ce recueil mérite qu’on s’y attarde.

La conclusion de l’ombre :
Il ne faut pas juger un livre à sa couverture ! After Yang et autres nouvelles est un recueil de treize textes courts appartenant au genre de la science-fiction qui interroge notre rapport à la technologie, à son évolution ainsi que ses dérives et aborde également des problèmes sociaux comme climatiques. L’auteur choisit de rester à échelle humaine et peint des personnages masculins (ce sont chaque fois eux les narrateurs) crédibles, efficaces, dans toute la pluralité qui forme l’humanité. J’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir ces nouvelles et je vous en recommande chaudement la lecture.

Je remercie Jérôme Vincent et les éditions ActuSF pour ce service presse.

D’autres avis : Au pays des cave trolls – Marquise sur ClimaginaireUn dernier livre avant la fin du monde – vous ?

S4F3 : 16e lecture
Informations éditoriales :
After Yang et autres nouvelles par l’auteur américain Alexander Weinstein. Traduction : Hermine Hémon, Erwan Devos. Éditeur : ActuSF. Illustration de couverture : ??? Prix au format papier : 20.90 euros.

Noon du soleil noir – L. L. Kloetzer

Voilà un long moment que je ne me suis plus penchée sur de la bonne vieille fantasy et il peut paraître curieux que je me tourne pour cela vers un éditeur comme le Bélial qu’on reconnaît plus volontiers comme spécialiste en science-fiction. J’ai d’abord été attirée par la sublime couverture signée Nicolas Fructus avant de m’intéresser au résumé et de me dire que ouais, ça me bottait bien cette histoire. Allons-y !

De quoi ça parle ?
Le narrateur s’appelle Yors et raconte après coup sa rencontre avec un drôle de sorcier prénommé Noon du soleil noir, au service duquel Yors va entrer en espérant se faire un peu d’argent facile. Noon se rend dans cette grande cité pour ouvrir un commerce de magie et va tomber sur une drôle d’affaire impliquant un médaillon familial volé…

Sherlock Holmes version fantasy ?
Selon un bon nombre de chroniques tout comme l’éditeur, Noon du soleil noir est un hommage assumé au cycle des épées de Fritz Leiber. Je le crois bien volontiers. Le souci, c’est que je n’ai jamais lu ce cycle (qui a jeté un caillou ?!), il m’est donc impossible de dresser un parallèle entre les deux. Par contre, j’ai déjà lu quelques écrits de Sir Arthur Conan Doyle (et un peu trop re-re-re-regardé une certaine série avec un certain Benedict Cumberbatch…) donc le lien avec Sherlock Holmes me saute davantage aux yeux. Pas dans la période, évidemment, car on est bien ici dans de la fantasy dans une cité typée moyenâgeuse, mais bien dans la forme. En effet, l’histoire est écrite à la première personne, après l’action donc sous forme de mémoire ou de récit témoignage, du point de vue de Yors qui est en quelque sorte « l’assistant » de Noon, un sorcier mystérieux et d’une grande puissance. Le récit est celui d’une enquête menée tant bien que mal après que Noon ait refusé plusieurs affaires jugées inintéressantes… Vous voyez le lien ? En cela, la construction est plutôt classique en dehors des moments où Noon pratique la magie et où Yors sort du récit pour raconter des évènements qui se passent dans une autre cité très lointaine mais ont un lien avec l’enquête, ou encore pour nous mettre dans la tête de l’antagoniste sur place qui convoite ce médaillon.

Et c’est peut-être le seul reproche que j’ai à adresser au récit : ce sont ces passages qui cassent la narration si sympathique du mercenaire pour nous entrainer loin de son action, même si c’est nécessaire pour apporter certaines informations. J’aurais préféré une approche plus uniforme mais c’est mon côté un peu rigide…

Outre cet élément, je trouve que tout fonctionne bien dans Noon du soleil noir : les personnages sont attachants et mystérieux, l’intrigue se comprend facilement et ne manque pas de rythme ni d’intérêt, l’enquête se clôture sur elle-même si bien que, malgré l’annonce d’une « suite » j’ai le sentiment qu’on part sur des volumes indépendants ce qui est toujours une bonne chose selon moi et, petit bonus mais non des moindres : le livre est parsemé d’illustrations intérieures réalisées également par Nicolas Fructus, ce qui donne un relief supplémentaire à l’univers. Noon du soleil noir constitue donc un divertissement de très bonne facture. On en redemande !

La conclusion de l’ombre :
Noon du soleil noir est un roman de fantasy plaisant à découvrir avec un narrateur attachant, un sorcier intriguant et un petit côté Conan Doyle sur l’aspect narratif qui n’est pas pour me déplaire. L’univers esquissé ici est prometteur et référencé pour les vieux de la vieille de la fantasy, si j’en juge par ce qu’on en dit ailleurs. D’autres livres semblent prévus mais, si je comprends bien, avec des aventures indépendantes les unes des autres, ce qui est tout à fait appréciable. Je suis convaincue et je me réjouis donc de retourner aux côtés de Noon et Yors dans un proche avenir !

Merci à Erwann et au Bélial pour ce service presse.

S4F3 : 13e lecture.

D’autres avis : L’épaule d’OrionLe culte d’ApophisLorkhanGromovarDionysosXapurSometimes a bookAu pays des cave trolls – vous ?

Informations éditoriales :
Noon du soleil noir par L. L. Kloetzer. Éditeur : le Bélial. Illustration de couverture (et intérieures) : Nicolas Fructus. Prix au format papier : 19.90 euros.

L’Évangile selon Myriam – Ketty Steward

Ketty Steward est une autrice française originaire de Martinique. Autrice (de nouvelles, de poèmes, de romans) et chanteuse, elle a plus d’une corde à son arc et la richesse de son parcours se ressent dans le roman dont il est question ici.

Lors de sa sortie, ce roman a peu tourné sur la blogosphère et je ne savais pas trop quoi en penser. En reprenant les services presses de manière plus active avec, notamment, Mnémos, je me suis dit que c’était l’occasion de me lancer pour me faire mon propre avis sur ce texte qualifié de singulier et je remercie au passage Nathalie pour l’envoi.

L’Évangile selon Myriam est un ouvrage assez surprenant déjà par sa construction. Il prend place dans un monde qui parait post-apocalyptique, au sein d’une communauté où la majorité des gens ont oublié comment lire ou même écrire -sauf Myriam et son père avant elle. Myriam s’occupe du devoir de mémoire, elle consigne par écrit les mythes fondateurs de l’humanité afin de pouvoir les transmettre aux gens de sa communauté.

Et la majorité du texte est justement consacré à ces mythes qui sont une réécriture de ceux que l’on connait. Il y a des histoires bibliques (Lucifer, Samson, Caïn et Abel, etc.) des mythes (comme Œdipe), des contes (Cendrillon, le Petit Poucet) qu’on découvre dans des chapitres courts qui s’alternent avec des passages encore plus bref rédigés ou par Myriam ou par un membre de sa communauté car on comprend rapidement que Myriam a connu un destin funeste.

De prime abord, ce roman peut sembler brouillon et mes explications confuses. Pourtant, il porte en lui une grande richesse et une réflexion brillante sur l’influence que peuvent avoir les histoires / l’Histoire sur notre société, sur nos croyances. C’est certes déconcertant de découvrir davantage ces réécritures que l’histoire de Myriam en elle-même mais son style transparaît pourtant de manière claire dans la façon dont ces récits sont présentés, avec une touche de modernité manifeste accompagnée par des réflexions piquantes et parfois irrévérencieuses.

L’ensemble est délicieux et une véritable réussite. Les références sont nombreuses et ne se limitent pas à la réinterprétation d’histoires : il y a des chansons (beaucoup de Michael Jackson) mais aussi des citations d’autres auteur·ices au début de chaque chapitre. C’est le genre de roman à relire pour en saisir toute la richesse, le genre de texte sur lequel s’arrêter plus longtemps que ne le nécessite sa simple lecture, afin de mener les réflexions auxquelles il invite. Je ne suis pas surprise de voir un roman de ce niveau chez Mnémos et je suis ravie d’avoir découvert la plume de Ketty Steward. Je vais me pencher sur le reste de sa bibliographie !

La conclusion de l’ombre :
L’Évangile selon Myriam est un roman à la croisée des genres ultra référencé sur un plan culturel et d’une redoutable intelligence. En un peu plus de 200 pages, Ketty Steward propose de réfléchir sur la façon dont les histoires du passé influencent la construction de notre société, en réécrivant nos propres mythes et légendes fondateur·ices. Un bijou que je recommande !

D’autres avis : Le nocher des livresLes Chroniques du ChroniqueurLe syndrome QuicksonYuyine – vous ?

S4F3 : 4e lecture.
Informations éditoriales :
L’Évangile selon Myriam par Ketty Steward. Éditeur : Mnémos. Illustration de couverture : non renseigné Langue originale : français. Prix : 18 euros au format papier.

L’autre facette de l’Ombre : comment je gère les partenariats avec la blogosphère chez Livr’S ?

Bonjour à tous.tes.x !

J’ai décidé de consacrer le premier article de ma nouvelle rubrique à vous expliquer de quelle manière je gère les partenaires presses pour Livr’S Éditions, comment ça a commencé, quelle méthode j’emploie, etc. J’ai l’impression que le sujet intéresse pas mal de monde, il a secoué la twittosphère récemment, donc je me suis dit que c’était l’occasion.

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Comment j’en suis venue à gérer ça ?
Tout commence avec une certaine crise sanitaire… Il faut savoir que jusqu’ici, Livr’S se distinguait surtout en salon où la maison réalisait le plus gros de son chiffre d’affaire ainsi que dans les écoles pour la collection jeunesse. Au moment où ces manifestations ont commencé à s’annuler en cascade et où on a finalement compris que ça risquait de durer, il a été nécessaire de se réinventer.

Au départ, la structure ne croyait pas trop au potentiel de la blogosphère et préférait tenter sa chance auprès des journalistes. La personne qui s’occupait de ça avant moi ne lisait d’ailleurs pas de blogs ou quasiment pas, du coup elle ne connaissait pas la blogosphère SFFF du tout. Une tentative avait été réalisée antérieurement de solliciter des blogueur.euses mais uniquement via facebook, ce qui n’a pas permis de toucher beaucoup de gens. Je précise ici que je ne critique pas la méthode ou les croyances, chacun.e a sa façon de procéder et si ç’avait pu marcher avec les journalistes traditionnels, ç’aurait vraiment été super ! D’ailleurs ça a été le cas pour un titre dont on a parlé sur la RTBF et c’était déjà très bien. Mais entre la crise sanitaire et le fait que la presse traditionnelle boude l’imaginaire, même en Belgique, il a bien fallu se rendre à l’évidence… Je dois également préciser qu’à ce moment-là, une prestatrice extérieure réalisait les e-books et ils arrivaient plusieurs semaines après la sortie, ce qui empêchait de travailler correctement avec la blogosphère… Et n’aidait pas cette personne à bien faire son travail.

Quand je l’ai fait remarquer, la cheffe a appris elle-même comment réaliser un ebook en partant du fichier indesign et on a réglé, à ce stade, un premier grand problème.

J’ai alors proposé à l’éditrice de me servir de mon propre réseau pour tenter quelque chose de nouveau (nouveau pour Livr’S, entendons-nous). Je tenais mon blog depuis deux ou trois ans à ce moment-là, j’en lisais pas mal, je commençais à connaître le milieu. J’ai donc sollicité les blogpotes en prenant soin d’expliquer la situation et en proposant chaque fois des ouvrages, ou nouveaux ou anciens, qui correspondaient à ce que je savais de leurs goûts littéraires.
J’aime à penser que j’ai presque chaque fois tapé juste.
C’était une expérience, nous ignorions totalement si ça fonctionnerait ou pas… Et une chance pour nous, ça a bien pris !

J’ai, à ce moment là, créé une liste d’une dizaine de personnes à contacter pour envoyer des communiqués de presse de manière régulière, avec leur accord évidemment. J’ai du éplucher les blogs, trouver les adresses de contact (mettez les à jour s’il vous plaiiiit !), écrire des mails… Ça a pris du temps mais j’ai beaucoup aimé l’expérience ainsi que le rendu. On a commencé à voir Livr’S sur la blogosphère et c’était une grande satisfaction pour moi comme pour les auteur.ices et l’équipe de manière générale. L’éditrice semblait contente et elle m’a demandé si ça m’intéressait de continuer à m’occuper de ça. Comme j’avais du temps (je ne bossais pas temps plein à ce moment-là et en plus j’étais en distanciel) j’ai accepté et c’est ainsi que j’ai hérité du job.

À ce stade je vais rompre le tabou tout de suite et en toute transparence : oui, c’est une activité bénévole (je suis remerciée en cadeaux chez Kazabulles et en repas asiatiques au resto, ce qui me convient parfaitement puisque j’ai une activité professionnelle à temps plein). J’ai conscience que le principe de bénévolat pose des soucis à certain.e et il y a eut récemment une discussion (appelons ça comme ça…) sur Twitter au sujet du manque des moyens des maisons d’édition pour embaucher du personnel compétent afin de gérer la communication. Je ne vais pas m’étendre sur le sujet, toutefois pour mon cas personnel, j’agis par amitié pour l’éditrice et par solidarité avec un projet en lequel je crois. J’ai envie que Livr’S fonctionne, casse la barraque et perdure pour les prochains siècles ! (ouais carrément moi j’espère en siècles). Et j’agis aussi parce que j’en ai la possibilité. Le jour où je ne le pourrais plus, il a été clairement établi que je cesserais et ce, sans conséquences.

Une réflexion sur mes propres rapports avec les éditeur.ices :
J’ai plus haut évoqué l’un des éléments qui, selon moi, est l’un -si pas LE- plus important dans la relation avec la blogosphère, à savoir l’approche personnalisée. Étant moi-même blogueuse, j’ai été confrontée à plusieurs responsables presses et j’ai préféré travailler avec celles qui prenaient la peine de me contacter en nom propre pour me proposer des ouvrages qui me correspondraient. C’était notamment le cas d’Emma chez l’Atalante et cela me donnait toujours envie de prendre le livre, de lui accorder ma confiance pour découvrir une nouvelle œuvre. Au contraire, quand je recevais un mail générique qui avait visiblement été envoyé à tous les autres blogueurs, mon ressenti lors de la réception n’était pas le même. J’ai donc systématisé ce principe en me disant que je ne devais pas être la seule dans le cas. Certes, cela demande bien plus de temps… Quand j’envoie les communiqués presses, il faut compter une heure et demi si pas deux heures, mais je trouve que ça vaut le coup et je n’ai eu que de bons retours par rapport à ça avec les partenaires.

Je l’ai dit, je suis moi-même une blogueuse. Je connais donc les comportements qui agacent, j’en ai subis moi-même. J’estime que la relation entre une maison d’édition et une personne tenant un blog littéraire doit être respectueuse dans les deux sens. J’en avais longuement parlé dans mon billet « le service presse, ce privilège » que je vous invite à relire pour l’occasion si vous souhaitez connaître ma vision dans le détail.

De là, je partais avec un avantage puisque je n’avais qu’à imaginer mon partenariat idéal et le proposer aux blogpotes. Voici ce que ça donne :

– Ne pas imposer de délais.
C’est peut-être plus facile pour nous qui travaillons au format numérique uniquement mais nous n’exigeons aucun délai pour la lecture de nos SP. Je précise toutefois que si le partenaire a demandé des livres qu’il n’a pas lu durant l’année écoulée, nous ne réitérons pas le partenariat pour l’année à venir afin de lui laisser le temps de lire ce qu’iel a déjà, ce qui nous semble cohérent.
Dans le mail qui accompagne le communiqué, je donne soigneusement les dates de la période de précommande ainsi que la date de sortie officielle. Je demande à ce que les chroniques ne sortent pas avant et j’explique que ça nous aiderait beaucoup si elles sortaient pendant, toutefois ça reste facultatif et j’insiste bien là-dessus. Résultat ? Lors des dernières précommandes, on a reçu la plupart des chroniques pendant cette période de précommande et ça nous a donné beaucoup de matière à partager pour la promotion de nos ouvrages. Comme on n’a rien imposé, les blogpotes ont eu à cœur d’aider dans la mesure de leurs moyens (encore merci !) et l’ont fait avec une évidente bonne volonté.

Contacter suffisamment en avance.
On a raté le coche pour janvier 2022 à cause des envois de Loving Reaper (aventure à suivre sur notre Twitter) mais généralement, on fait en sorte que les communiqués soient envoyés au moins un mois avant le début des précommandes, ce qui laisse aux partenaires le temps de s’organiser, de lire, de préparer leur chronique…

Cibler le partenaire.
Je l’ai déjà dit mais je sais à qui proposer quel genre littéraire et même si je joins toujours la totalité des communiqués de presse, surtout pour information, je mets l’accent, dans mon mail, sur le titre qui me semblera le plus intéressant pour le partenaire. Notez qu’il peut y en avoir plusieurs, on n’impose pas de nombre maximum ni minimum, d’ailleurs. Cela me semble important pour montrer qu’on s’intéresse aussi, en tant que structure, au travail du / de la blogueur.euse.

Privilégier le plaisir de lecture.
Un partenaire peut décider de ne pas solliciter de SP pendant plusieurs mois voir pas du tout sur l’année si aucune sortie ne l’intéresse. Nous n’avons pas envie que nos partenaires se contraignent à nous lire juste pour nous faire plaisir, ça n’apportera rien de bon à personne. Nous respectons les goûts de chacun.e. De plus, nous n’avons aucun problème à acter qu’un SP a été abandonné (si la personne prend la peine de nous écrire pour nous le dire) ou n’a pas été apprécié. Si la chronique reste bienveillante et surtout, argumentée, nous la partagerons d’ailleurs avec joie !

Et en 2022 ?
Un petit quelque chose a changé, cette année ! Nous avons décidé d’ouvrir les soumissions pour les partenaires, donc de rendre la main au partenaire pour nous solliciter et non l’inverse. Durant les deux premières semaines de janvier, nous avons laissé aux blogueur.euses l’occasion de décider s’iels souhaitaient continuer l’aventure ou la rejoindre, en proposant un formulaire qui demandait, à la fin, d’expliquer pour quelle raison le partenariat intéressait. Nous avons reçu des messages très touchants et d’autres un peu moins… concernés, dirons-nous.

Il est évident que j’ai effectué un tri en me basant non pas sur le taux d’engagement (une notion chère aux experts de la communication) des blogs mais plutôt sur le sérieux de leur chronique. J’entends par là les personnes qui ne se contentent pas de trois lignes pour dire « j’ai aimé » ou l’inverse, mais des gens qui ont pris la peine et le temps de réfléchir sur le bouquin, de détailler pourquoi ça les a séduit (ou non) et qui partagent nos publications, nos annonces importants, bref des personnes actives dans l’échange qui ne cherchent pas simplement à obtenir des livres gratuits. Des gens aussi passionnés que nous, tout simplement. Comme nous partageons ces retours sur nos réseaux et que nous mettons des liens vers eux sur notre site Internet, ça nous paraissait important de privilégier la qualité à la quantité.

Nous verrons comment ça se passe avec ces nouveaux partenaires cette année et nous déciderons ensuite de quelle manière continuer avec ell.eux. En tout cas, le soutien s’intensifie de plus en plus sur nos réseaux et ça nous a vraiment permis de nous réinventer et de tenir en cette difficile période de pandémie. Les salons ont certes repris petit à petit mais la COVID a marqué un tournant chez Livr’S, un tournant finalement positif puisqu’il nous a obligé à nous ouvrir à la blogosphère et à nous réinventer avec les outils modernes, ce qu’on ne regrette pas du tout.

Voilà l’envers du décor en ce qui concerne les partenariats presses !

N’hésitez pas à me dire si vous avez apprécié ce type de billet, si vous avez des remarques ou à me poser vos questions 🙂 

Feuillets de cuivre – Fabien Clavel

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Feuillets de cuivre
est un roman policier / steampunk écrit par l’auteur français Fabien Clavel. Publié à l’origine en 2015 chez ActuSF, vous trouverez la réédition de ce texte dans une nouvelle édition type beau livre au prix de 19.90 euros.
Je remercie les éditions ActuSF pour ce service presse numérique.

De quoi ça parle ?
Paris, 19e siècle. L’inspecteur Ragon mène plusieurs enquêtes afin de résoudre des crimes aussi odieux que sanglants en s’aidant avant tout de son esprit et de son amour de la littérature.

J’ai découvert pour la première fois cet inspecteur dans l’anthologie Montres Enchantées des éditions du Chat Noir. J’avais été très emballée par ce texte et je m’étais promis de lire Feuillets de cuivre pour cette raison. Cela m’aura pris du temps pour me lancer mais je n’ai pas de regrets !

Un hommage aux feuilletons, mais pas que.
Avant toute autre chose, Feuillets de cuivre est un roman policier qui exploite les codes classiques du genre et propose une figure du détective atypique qui emprunte pourtant à Hercule Poirot (ce qu’on ressent tout de suite quand il utilise sa célèbre expression des petites cellules grises, triture sa moustache ou préfère utiliser son cerveau de manière générale) comme à Sherlock Holmes. Chaque enquête forme a priori une nouvelle, une histoire close sur elle-même. Il faut arriver dans la dernière partie du texte pour se rendre compte que tout est lié avec maestria.

La construction narrative rappelle celle des romans feuilletons et ceux-ci sont plusieurs fois évoqués durant les enquêtes de Ragon. On sent que l’auteur possède une passion pour la littérature, surtout celle du 19e siècle (ou alors, il la feint brillamment !) car tout crime en revient toujours, d’une façon ou d’une autre, à un ou plusieurs livres. D’ailleurs, Ragon le dit lui-même : si l’affaire n’est pas liée à un livre, alors il s’agit d’un crime vulgaire et sans intérêt. Le ton est donné ! Le nœud central de l’œuvre s’article donc autour du livre au sens large et quand on arrive à la fin, on prend conscience d’avec quelle minutie Fabien Clavel a tout mis en place depuis les premières lignes pour construire les Feuillets de cuivre. J’en suis restée pantoise.

Par contre, une fois de plus et comme ç’avait déjà été le cas avec Anergique de Célia Flaux chez le même éditeur, le terme steampunk me parait ici mal employé. Il s’agit plutôt d’un roman fantastique qui exploite par moment une forme d’énergie appelée éther mais qui ne répond pas aux codes stricto sensu du steampunk. Cela pourrait dérouter celles et ceux qui s’y attendraient, je préfère donc prévenir. Il y a bien une esthétique particulière, oppressante, désenchantée, salie par des vapeurs noires mais plutôt celles de l’humanité que des vapeurs charbonneuses. Il y a une petite étincelle en plus mais qui appartient davantage au registre du fantastique classique qu’autre chose.

Les enquêtes de Ragon.
Feuillets de cuivre se compose de plusieurs histoires qui s’étendent sur une quarantaine d’années. Chaque en-tête de chapitre renseigne l’année concernée et comporte une citation issue des classiques littéraires. On rencontre Ragon au tout début de sa carrière et on le suit d’affaire en affaire, jusqu’au dénouement final. Le personnage est atypique, déjà par son physique puisqu’il est obèse et tombe au fil du temps dans l’obésité morbide. C’est la première fois que je croise un personnage principal comme lui et je trouve ça finalement interpellant quand on pense à l’importance que prend la représentation de nos jours. Chapeau à Fabien Clavel pour cela d’autant qu’il ne réduit pas son personnage à son physique, au contraire. J’ai surtout retenu de Ragon son intelligence aiguisée et sa passion pour la littérature grâce à laquelle il résout ses affaires. Le voir évoluer tout au long de sa carrière ne manque pas d’intérêt, hélas c’est le seul personnage véritablement développé du roman. Comme souvent dans les romans policiers classiques, cette figure d’enquêteur éclipse les autres qui en sont presque réduits à des fonctions au point qu’on ne ressent pas grand chose face à leur disparition, que celle-ci soit ou non brutale. Quant aux femmes, n’en cherchez pas. Les seules présentes sont des prostituées, ce qui n’en fait pas un roman sexiste pour la cause ! À aucun moment l’auteur ne m’a donné ce sentiment. Simplement, elles ne tiennent aucun rôle dans les enquêtes de Ragon et les rares fois où cela arrive, ce sont des personnages très secondaires (même l’épouse de Ragon, ancienne prostitué, disparait vite après la première enquête). Je sais que cela peut déranger certain/es lecteur/ices donc je préfère le noter.

La conclusion de l’ombre :
Feuillets de cuivre est un texte brillant et érudit qui ravira les amateurs d’histoire littéraire comme de romans policiers. Fabien Clavel rend hommage autant à Holmes qu’à Poirot avec son inspecteur Ragon qui résout ses affaires par la force de son intelligence et non de ses poings. Les éléments des différentes enquêtes paraitront de prime abord classiques et violents pour le plaisir du spectacle mais Feuillets de cuivre ne prend sa complète ampleur qu’avec les révélations finales où on se rend compte à quel point Fabien Clavel s’est montré minutieux et brillant. Une belle réussite tout à fait recommandable !

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Numérique (brevis est) – Marina et Sergueï Diatchenko

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Numérique
est le second volume des Métamorphoses, écrit par les auteurs russes Marina et Sergueï Diatchenko. Publié par l’Atalante, vous trouverez ce roman au prix de 23.90 euros partout en librairie à partir du 27 mai 2021.
Je remercie Emma et les éditions l’Atalante pour ce service presse numérique.

De quoi ça parle ?
Je vous ai parlé de Vita Nostra il y a quelques mois sur le blog, qui est le premier tome des Métamorphoses. En substance, je ne suis pas parvenue à écrire une chronique classique ou à en fournir une analyse littéraire parce que je considère que ce roman fait partie de ceux qui se vivent. De ceux qui provoquent des émotions, des questionnements conscients ou non. Ceux qui induisent un malaise qu’on cherche à identifier et qui nous retournent ensuite le cerveau. Bref, un chef-d’œuvre. C’est également le cas pour Numérique mais je l’ai trouvé plus accessible. À moins que l’opus précédent m’ait tout simplement bien préparée.

Vita Nostra avait placé la barre très haut et j’ai été surprise d’apprendre qu’on ne suivrait pas Sacha dans Numérique. Nouveau personnage, nouveau cadre, nouveau concept aussi puisque cette fois, on parle d’un adolescent hardcore gamer qui incarne Ministre, un personnage clé de « Bal Royal » (un jeu-vidéo type massivement multi-joueurs en ligne) et élève des chiens virtuels qu’il revend à prix d’or. Du haut de ses quatorze ans, Arsène est d’une redoutable intelligence et possède un talent rare qui lui vaudra de nombreux ennemis dans le jeu… et en dehors. Quand ses parents décident de vendre son ordinateur pour sortir leur fils de ce qu’ils considèrent comme une grave dépendance, Arsène s’enfuit et est approché par un homme mystérieux prénommé Maxime, un homme qui semble doté de certains pouvoirs… magiques ? Arsène accepte alors de passer des tests pour postuler au sein d’une entreprise nommée Les Nouveaux Jouets, que Maxime semble diriger. Des tests où il va être en concurrence avec des adultes. Il va devoir réussir différentes épreuves dans des jeux-vidéos pour décrocher le job de ses rêves et ainsi légitimer sa passion du jeu auprès de ses parents… Sauf que tout ne se passe pas comme prévu. Arsène va petit à petit évoluer, prendre conscience de certaines réalités. Je ne vous en dit pas plus, histoire de ne pas gâcher votre plaisir !

Un questionnement sur notre dépendance au virtuel.
Voilà grosso modo le fil conducteur de Numérique, comme peut le laisser sous-entendre son titre. Dès le départ, le lecteur rencontre Arsène, un adolescent qui préfère passer des heures devant son écran, à peaufiner des plans dans un univers qui « n’existe pas » mais revêt pour lui une grande importance. Il va jusqu’à sécher les cours, forçant ses parents à intervenir. Des parents qui, pourtant, souffrent eux-mêmes d’addiction numérique : sa mère à des blogs et son père à la télévision. La première passe des heures à échanger avec des personnes qu’elle ne connait pas, à vivre une autre vie derrière son écran, une vie dans laquelle elle s’investit énormément et qui compte beaucoup pour elle. Quant au second, il se nourrit des informations données à la télévision, reste des heures à regarder ce qui se passe dans le monde et à émettre son opinion sur tous ces sujets. Petit à petit, on se rend compte d’à quel point c’est notre société toute entière qui est questionnée sur ses habitudes. Avec un peu d’honnêteté, il est probable que le lecteur se retrouve au minimum dans l’un des trois profils précédemment décrit, ce qui risque de provoquer un certain malaise accompagné d’une fascination un brin morbide. Personnellement, c’est comme ça que je l’ai vécu. Je voulais savoir jusqu’où iraient les auteurs, comment Arsène allait évoluer, quel chemin prendrait cette histoire et surtout, quelle fin allaient-ils lui donner ? Comme si je lisais, en quelque sorte, une roman me décrivant mon futur.

Redéfinir « réalité »
Le lecteur oscille donc tout du long entre l’univers numérique (au sens large, il n’y a pas que les jeux) et la réalité, jusqu’au moment où la frontière entre les deux se brouille. On en vient alors à questionner la notion même de réalité et à se demander s’il ne serait pas temps qu’elle évolue…
Et là, si vous avez lu Vita Nostra, certains liens évidents commencent à se créer dans votre esprit. Pendant toute ma lecture, j’ai cherché les indices, effectué des parallèles. Mon regret, c’est de ne pas avoir relu Vita Nostra juste avant pour que tout soit totalement frais dans ma tête. Pourquoi, me demanderez-vous ? Puisque les personnages n’ont rien avoir…

Tout simplement parce que si Numérique est très différent de Vita Nostra, il en est aussi assez proche par bien des aspects et la lecture de Vita Nostra me parait indispensable pour vraiment saisir l’essence du roman et des messages qui y sont dissimulés par les auteurs. On y retrouve d’ailleurs certains concepts connus et largement détaillés dans Vita Nostra. On commence à élaborer des hypothèses, aussi…. Parce que nous, lecteurs, possédons les clés pour comprendre le mystère qui entoure le personnage de Maxime, sans toutefois savoir jusqu’où vont nous emmener Marina et Sergueï Diatchenko.

Rien n’est à jeter dans Numérique. Les personnages dépeins sont complexes et travaillés, les interrogations autour de la technologie d’une effarante modernité… Marina et Sergueï Diatchenko vont loin mais vont-ils si loin que cela, si on balaie notre tendance naturelle à l’hypocrisie pour se poser véritablement la question ? Numérique pourrait appartenir au genre du fantastique, à moins qu’il ne glisse sur les premières notes d’une dystopie… Ou qu’il ne soit, tout simplement, qu’un reflet de notre réalité ?
Un nouvel OLNI, voilà ce qu’est Numérique.
Un OLNI que j’ai dévoré en deux jours à peine. Un OLNI qui retourne totalement le cerveau et qui mérite qu’on se pose un moment après sa lecture pour y réfléchir. Un OLNI qui mérite aussi qu’on le relise, parce que c’est clairement le genre de roman pour lequel de nouvelles significations apparaitront au fur et à mesure.

La conclusion de l’ombre :
Au cas où ce n’était pas clair, Numérique est un coup de cœur et même plus que cela. Cette expérience littéraire s’inscrit dignement dans la lignée de Vita Nostra tout en se démarquant, proposant ici une réflexion sur notre dépendance au virtuel et ses possibles dénouements. Je me languis déjà du troisième opus des Métamorphoses à paraître, je l’espère, l’année prochaine. Voilà une saga qui risque de laisser longtemps sa marque sur moi !

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