La Lune seule le sait est le premier tome de la Trilogie de la Lune écrite par l’auteur français Johan Heliot. Publié chez Mnémos au début du millénaire (donc en 2000 pour ceux qui ne suivent pas) ces trois volumes ont été réédités dans une intégrale prestige en décembre 2019 par le même éditeur. Vous trouverez cette intégrale au prix de 30 euros.
J’ai longuement hésité pour finalement choisir de couper cette chronique en trois parties, une par roman. Je vous parle donc bien ici d’une intégrale prestige reçue en service presse mais avec trois articles pour le prix d’un. Je tiens au passage à remercier chaleureusement Nathalie, Estelle et les éditions Mnémos pour ce service presse.
Avant de commencer, un mot sur l’objet constitué d’une belle couverture cartonnée, d’une reliure en tissu et d’un signet. L’intérieur est plutôt sobre mais le papier de bonne qualité. L’intégrale vaut largement son prix que je trouve même démocratique face à la qualité de ce qu’on a dans les mains. Un parfait cadeau à offrir à tous les collectionneurs ! Forcément, un bel objet comme celui-là est encombrant et ne conviendra pas aux lecteurs des transports en commun, à moins qu’ils ne disposent d’un sac avec suffisamment de place. Mais ça vaut quand même le coup.
France, toute fin du 19e siècle, sous le règne de Napoléon III. Jules Verne part enquêter sur la Lune pour le compte de son vieil ami surnommé le banni de Guernesey (Oui, Victor Hugo quoi), chef de file d’une révolution qui gronde de plus en plus au sein de l’Empire. Jules Verne est chargé de retrouver Louise Michel, envoyée au bagne lunaire des années auparavant suite à quoi elle a perdu le contact avec Hugo, son ami, qui conçoit pour son sort une vive inquiétude. Parallèlement à ses aventures, le lecteur découvre une série d’intermèdes du point de vue du préfet de police Andrieux. Ce dernier confie à l’inspecteur principal Jaume la mission de surveiller Jules Verne, qu’il soupçonne de préparer un mauvais coup pour les comptes des révolutionnaires (à raison en quelque sorte). Jaume doit donc utiliser ses talents particuliers dans l’art du déguisement pour s’embarquer dans une nef cosmique et ce, incognito. Comme couverture, Jules Verne entre dans la peau d’un journaliste. Il se présente en tant que lui-même mais prétend être là pour le compte d’un journal. Cela lui permet de se lier avec d’autres journalistes, personnages secondaires non dénués d’intérêt, à savoir Isidore Bautrelet du Petit Parisien et son photographe Ernest.
La lune seule le sait est un roman surprenant et difficile à classer. Lorsqu’on découvre la préface d’Étienne Barillier, on apprend avec surprise que l’auteur ignorait tout du genre steampunk avant de poser les premières lignes de son roman qui s’inscrit pourtant comme un précurseur. Avant de me lancer dans des explications plus précises, je dois d’abord vous dire que La lune seule le sait est une uchronie dont le point de divergence avec notre Histoire se situe en 1889. En effet, cette année-là, lors de l’Exposition Universelle, un vaisseau ishkiss a débarqué aux yeux de tous en changeant radicalement la face du monde. L’humanité apprend donc que la vie existe en dehors de leur planète mais cela va plus loin: les Ishkiss disposent d’une technologie avancée, basée sur le vivant, qui va permettre à l’Empereur de survivre plus longtemps qu’il ne le devrait et donc assoir son régime politique au-delà de ce que notre propre Histoire raconte. On évolue alors de l’uchronie vers la science-fiction.
La technologie ishkiss est basée sur le vivant (leurs vaisseaux sont vivants, on utilise des animalcules pour respirer sur la lune, des insectoïdes pour se déplacer) mais n’est plus suffisante pour leur permettre de continuer leurs voyages. En effet, les nefs se meurent. Ils sont donc venus quémander l’aide du seul peuple, à leur connaissance, apte à maîtriser les technologies mécaniques. La fusion des savoirs va permettre l’élaboration de nombreuses technologies comme les trottoirs mécaniques, des canons électriques, des dirigeables, bref de grandes évolutions. Je ne suis pas certaine que j’y aurai spontanément apposé le terme steampunk car à mon sens, la technologie décrite par Johan Heliot ne me semble pas basée sur la vapeur mais plutôt sur des évolutions à la fois mécaniques, biologiques et électriques. Toutefois ce serait chipoter et je suis trop loin des connaissances de notre maître serpent pour vraiment me le permettre sans risquer de me tromper. Je me contente donc ici de vous partager une réflexion personnelle.
Voilà pour le genre du livre en lui-même.
Les Ishkiss sont des êtres mystérieux qui se dissimulent d’abord sous des espèces de scaphandres. On apprend plus tard dans le roman de quoi ils sont réellement constitués mais je tais ici le détail. Sachez simplement qu’ils ont besoin de tout un appareillage pour survivre dans notre atmosphère, raison pour laquelle ils se sont installés sur la Lune. L’Empire développe sur cet astre une base dite Cyrano où on exile les opposants politiques. On les fait travailler sur place à l’édification d’infrastructures à visées conquérantes car Napoléon ne compte pas se limiter à la Terre. Imaginez donc vu l’époque, on parle déjà de conquête spatiale à grande échelle ! Ainsi, au début du roman, le premier vaisseau d’une armada qui doit en compter cinq cents vient d’être terminé et Jules Verne le découvre à cette occasion.
Jules Verne est donc le principal protagoniste de l’histoire. À travers ses yeux d’écrivain novateur pour son époque, le lecteur découvre la réalisation de certains fantasmes qu’il a pu avoir dans ses romans. Pour ma part, je n’ai que très peu lu cet auteur, ne goûtant pas à son style trop didactique. J’ai donc loupé une partie des références qui raviront les fans mais cela n’a pas été gênant pour comprendre ni apprécier le contenu de ce roman. Johan Heliot s’amuse beaucoup à imaginer, à innover et cela se sent dans ses descriptions très visuelles de tout ce que découvre Verne. Ses articles s’intercalent d’ailleurs à certains moments du récit, ce qui permet de couper des scènes et d’éviter que le texte contienne trop de longueurs. Honnêtement, il y en a à certains moments mais quand j’ai découvert dans la préface qu’il s’agissait du premier roman de l’auteur, j’ai été soufflée par sa qualité. On sent que Johan Heliot est un érudit passionné par l’Histoire mais aussi (et surtout) par l’Histoire littéraire. Ce texte est, à mon sens, un hommage aux gens de lettres et un hommage maîtrisé.
La Lune seule le sait est donc une uchronie très référencée mais elle narre également une enquête et un combat pour la liberté. Fidèle à ses habitudes, l’auteur se sert de son intrigue pour évoquer des opinions politiques qui passent pour révolutionnaires dans l’époque où se déroule son histoire. Ici, il s’agit de renverser la tyrannie du pouvoir napoléonien et d’opter pour un autre modèle. Modèle qui sera représenté par les ishkiss, une société que j’ai ressentie comme la concrétisation d’une utopie communiste et qui, aux yeux des protagonistes de cette histoire, démontre qu’un tel régime est possible contrairement à ce qu’on affirme sur Terre.
Vous l’aurez compris, il s’agit d’un premier tome déjà très dense et qui aurait pu se suffire à lui-même puisque l’enquête se résout totalement à son terme et que, sans l’épilogue, Johan Heliot aurait pu en rester là sans frustrer personne. Même avec l’épilogue d’ailleurs. À voir si la suite sera celle de trop ou non.
Globalement, j’ai passé un agréable moment de lecture même si ce premier volume n’est pas à la hauteur de la claque ressentie à la lecture de Grand Siècle. J’y ai trouvé quelques longueurs et un manichéisme parfois dérangeant. Pour l’exemple, les agents de l’Empire sont représentés comme des personnes monstrueuses, folles pour certaines, sans compassion ni pitié. Le trait est trop gros, on a du mal à y croire et cela manque un peu de subtilité. Je pense toutefois qu’il s’agit d’une volonté de l’auteur afin d’ajouter un clin d’œil supplémentaire à destination des feuilletonistes de l’époque qui avaient le même genre d’habitudes avec leurs propres personnages dans les romans policiers. Mais je ne suis pas dans sa tête , je me contente donc d’extrapoler.
Pour résumer, la Lune seule le sait, premier tome d’une trilogie rééditée en intégrale prestige, est un premier roman bluffant d’une exceptionnelle qualité. Novateur pour son époque (l’air de rien, déjà vingt ans depuis la première publication !) Johan Heliot pose les bases d’une uchronie de science-fiction qui trouve son origine à la toute fin du 19e siècle. Texte très référencé et parsemé de personnages historiques autant que de personnalités littéraires, la Lune seule le sait ravira les plus érudits, les adeptes des feuilletonistes du 19e siècle et les fans de Jules Verne. Ceux qui sont peu sensibles à ces sujets risquent par contre de passer à côté de la richesse du texte et de n’y voir qu’une simple enquête dans un univers un peu original, ce qui serait dommage. Je vous recommande la découverte mais sachez à quoi vous attendre !
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Je l ai lu a sa sortie et mon enthousiasme de l époque de ce steampunk naissant. Heliot est prof ça se sent.Va falloir que je lise grand siècle si c est mieux.Moi j attendais de l auteur un très gd roman j attends encore
Oui on sent qu’il est enseignant et qu’il est passionné par son sujet, il réussit à transmettre cette passion je trouve mais avec les maladresses qu’on trouve souvent dans les premiers romans. Je trouve Grand Siècle plus abouti, plus mâture aussi en quelque sorte. Si je peux te donner un conseil, c’est de lui laisser sa chance 🙂
Dommage pour le côté manichéen. Je pense que je vais plutôt me tourner vers Grand siècle pour découvrir mieux cet auteur !
Je pense que c’est mieux oui dans un premier temps ! Après vu que Grand Siècle a été un coup de cœur, j’avais aussi énormément d’attentes sur ce roman ci donc j’ai probablement été plus sévère, de manière inconsciente 🙂 Ce n’est pas du tout un mauvais roman pour la cause loin de là.
J’ai lu ce roman il y a quelques années. Je l’ai dans une vieille collection avant que la trilogie soit édité. J’en garde un assez bon souvenir sans être incroyable non plus. La fin m’avait donné envie de voir ce que la suite donnerait.
C’est drôle parce que justement la fin m’avait totalement satisfaite et j’avais pas forcément envie d’aller plus loin. Je ne voyais pas trop comment l’auteur pourrait encore développer. Je ne suis pas assez loin sur le tome 2 pour juger pour le moment mais il se déroule dans les années 1935-40 et c’est une période qui de base me branche beaucoup moins. Mais à voir, il peut y avoir de bonnes surprises ☺️
Si l’auteur est présent aux Imaginales cette année, j’irai le voir avec grand plaisir. J’ai beaucoup aimé la trilogie de Grand Siècle.
Il y est chaque année depuis que j’y vais en tout cas ! J’ai adoré Grand Siècle aussi.
J’ai bien envie de prendre son uchronie romaine la prochaine fois.
Pour le moment c’est le texte auquel j’ai le moins accroché de l’auteur mais faut dire que la période me branchait moins. Si toi tu aimes oui n’hésites pas !