Nightwork – Vincent Mondiot

« Abdel et moi, on n’était pas des mauvaises personnes. Je voulais que vous le sachiez. Parce que l’histoire que je vais raconter, la vraie histoire de mon frère et moi, elle, elle va vous faire penser le contraire. »

Voilà quelques années déjà que je suis le travail de Vincent Mondiot chez ses différents éditeurs et à travers plusieurs genres littéraires. Je l’ai lu en SF, en fantasy et en blanche et définitivement, c’est dans cette dernière que l’auteur brille le plus pour moi. Il possède un talent fou pour écrire les tranches de vie adolescente, un talent déjà démontré dans l’excellent Les derniers des branleurs qui avait été un gros coup de coeur. Si Nightwork n’a rien de comparable en terme d’ambiance ou d’enjeux, il a résonné d’une manière particulièrement puissante en moi et m’a plus d’une fois suscité de très fortes émotions.

Il faut dire que Patrick, le narrateur, ne laisse pas indifférent. J’ai rapidement ressenti beaucoup d’empathie à son égard. Il écrit son histoire alors qu’il a une vingtaine d’années et raconte ce qui lui est arrivé l’hiver de ses quatorze ans. Il commence par dresser un tableau de sa vie : son quotidien avec sa mère au chômage qui souffre de dépression et est violente avec lui, la manière dont ses camarades du collège le malmènent, comment il se réfugie dans les jeux-vidéos avec sa meilleure amie Mégane, elle aussi une souffre-douleur à l’école mais également sa relation privilégiée avec son frère, Abdel. Son demi-frère en réalité même si aucun des deux ne connait leur père. Abdel a passé six mois en prison et le moment où il ressort est qualifié par Patrick « d’élément déclencheur » car c’est ce qui précipitera les évènements suivants, ceux qui font dire à Patrick qu’ils ne sont pas des gens biens.

« En écrivant tout ça, ces centaines de pages manuscrites que peut-être personne ne lira jamais, j’ai réalisé que n’importe lequel des « personnages secondaires » de mon histoire pourrait raconter sa version des faits, dans laquelle je serais moi-même un personnage secondaire. (…) Tous ces gens ont vécu des choses, eux aussi, des choses dont je n’ai même pas idée et tout ce que je peux faire ici, c’est l’accepter. Je ne pourrai jamais comprendre que ce que moi j’ai vécu et toute ma vie, je devrais me contenter de moi-même. Je ne suis le héros d’aucune histoire. Je suis simplement le pauvre type qui raconte celle-ci. »

Cette plongée dans la psyché de cet adolescent est aussi une occasion pour l’auteur de jouer avec les codes de base du récit littéraire en les incluant dans sa diégèse. Plus d’une fois, Patrick, qui aime le cours de français, se rappelle d’un cours sur la construction d’un récit et essaie de s’y tenir d’une manière presque scolaire pour organiser ses pensées décousues. La narration possède un ton assez familier qui ne plaira pas à tout le monde mais qui sonne très juste et participe à créer l’empathie qu’on ne peut manquer de ressentir pour ce pauvre gamin à qui la vie n’octroie aucun cadeau. L’ensemble du texte est cohérent, propre sur un plan formel mais surtout, violent sur un plan émotionnel. J’ai quelques fois eu les larmes aux yeux, j’ai tourné les pages sans avoir une seule seconde envie de reposer le livre parce que même si je devinais certains éléments à venir, j’espérais me tromper. Le roman contient quelques surprises scénaristiques mais me restera surtout en mémoire pour les vives émotions qu’il a su susciter en moi, des émotions différentes de Les derniers des branleurs, différentes sans être moins fortes ou intenses.

« Mais déjà à l’époque, je savais qu’on n’avait jamais ce qu’on voulait dans la vie. C’est presque une règle immuable. Il suffit de désirer quelque chose pour que ça nous échappe. »

Nightwork est un roman touchant, qui parle de harcèlement scolaire, de maltraitance sur mineur, de dépression. C’est un roman qui parle de l’importance qu’a l’imaginaire pour réussir à affronter un quotidien difficile et d’à quel point les jeux-vidéos peuvent être salvateurs. C’est un roman sur la famille, celle du sang et celle qu’on se construit, sur l’amitié aussi et sur la part sombre qui existe en chacun de nous. C’est un roman qui dérange parce qu’il est cru, sans concession, qu’il montre un adolescent dans toute sa complexité et dans toute sa franchise tout en dépeignait une société qui a échoué à le protéger. Ce n’était pas un texte facile à lire sur un plan émotionnel parce qu’il est désenchanté, tristement réaliste mais bon sang, comme je suis heureuse de l’avoir acheté et lu d’une traite. Je vous en recommande plus que chaudement la lecture.

D’autres romans de Vincent Mondiot sur le blog : Les derniers des branleursColonie Kitej – AfterwaveLes Mondes-MiroirsL’Ombre des arches

Informations éditoriales :
Nightwork de Vincent Mondiot. Éditeur : Actes Sud Junior. Illustration de couverture : … Prix : 14.50 euros au format papier.

Colonie Kitej : Afterwave – Vincent Mondiot & Élodie Denis

Afterwave est un volume intermédiaire au sein de la trilogie Colonie Kitej écrite par Vincent Mondiot et édité (si on peut dire…) par les Saisons de l’Étrange. Il contient cinq nouvelles se déroulant entre Toute entrée est définitive, dont je vous ai précédemment parlé sur le blog, et Élections et exécutions, la suite qui se trouve dans ma PàL.

Mais avant toute chose… 
Au départ, honnêtement, je ne voulais pas écrire d’article sur mon blog à propos de ces titres parce que ça donne de la visibilité à une initiative éditoriale qui, selon moi, n’en mérite pas vu le peu de considération qu’elle semble (c’est ce que je constate de l’extérieur en tout cas) avoir pour ses propres titres (aucune annonce pour la sortie officielle, mauvais suivi pour les envois aux contributeurs, etc.). Mais j’apprécie Vincent. J’apprécie son travail. Et je suis autrice moi-même. Je sais ce que ça fait d’écrire un titre « dans l’eau », un titre qui nous tient à cœur parce qu’on y a mis notre âme, qu’on y a mis tout ce qu’on aime, tout ce qu’on est, pour lequel on ressent une profonde fierté, mais que personne ou presque ne va lire, sur lequel personne ou presque ne va écrire, parce qu’invisible dans la masse. C’est le jeu de l’édition, me direz-vous. Sauf qu’ici, Kitej n’a même pas eu le début d’une chance… Et merde, c’est injuste.

Alors aujourd’hui, j’enfile ma cape et mes collants (de modératrice) j’écris ce billet pour soutenir un auteur que j’aime et lui montrer que oui, ses textes valent le coup qu’on écrive une chronique à leur sujet. J’écris pour Vincent et pour vous encourager à le suivre LUI directement. Il prépare des surprises sympas pour cette année, ce serait dommage de rater ça :  Son facebookson twitterson blog.

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Rentrons dés à présent dans le vif du sujet ! Parce qu’on est là pour parler littérature, au départ, quand même.

Niveau 1.18,5 : la voie du modérateur.
Ce texte d’introduction multiplie les points de vue. Le lecteur retrouve Mme Azul qui désespère d’avoir rouvert son bar, rencontre Arthur Bones alias Skull, un modérateur plutôt extrême ainsi que deux criminels à la petite semaine. L’intrigue est assez linéaire mais sert surtout à poser une ambiance et à illustrer un peu plus dans le détail la profession de modérateur, sorte de vigilant qui se chargent de faire vaguement respecter une forme de justice sur la colonie Kitej.

Pour vous donner une petite idée du ton, voici comment se conclut ce texte: « (…) le nombre de modérateurs dans la colonie spatiale Kitej était estimé à deux mille cent individus, pour une population totale de six millions d’habitants. Parmi ces modérateurs, seuls quarante-neuf détenaient une licence professionnelle accordée par la Mairie. »

Chaque nouvelle s’achève d’ailleurs par un paragraphe en italique qui donne une information surprenante, un brin ironique et surtout qui prête à sourire (si on aime l’humour noir).

Niveau 1.2 : Kitej Plage
Probablement la nouvelle qui m’a le plus parlée. On y rencontre Hayden Tegan, amie de Soraya (une des principales protagonistes du premier volume) qui se désespère des idées débiles de la Mairie (après, j’admets, Kitej Plage, il fallait l’oser… ) et porte un regard plutôt cynique sur le monde.

Hayden est une jeune adulte, avec des réflexions et des considérations propres à son âge. Elle est pourtant très touchante dans sa colère et sa rébellion intérieure. C’est une nouvelle à taille humaine, qui parle d’amitié et du passage à l’âge adulte, de l’angoisse du futur. Un thème qu’on va retrouver dans le texte suivant.

Niveau 1.3 : Afterwave
Dieter Papadiamandis est le plus célèbre DJ de Kitej, connu sous le pseudonyme de Saintish. Comme beaucoup d’artistes, il a l’impression que son activité est vaine et semble souffrir d’une forme de dépression. Je n’ai pas pu m’empêcher d’y voir une forme de catharsis de la part de l’auteur ? Dans ce texte, on le retrouve aux côtés d’Ariane, une fan qui semble au départ avoir juste envie d’un contact sexuel avec lui (c’est la manière polie de dire qu’elle lui demande toutes les deux minutes s’il a envie qu’elle le suce) mais avec qui il partagera finalement bien davantage.

C’est un texte assez touchant sur le passage du temps, le sens de la vie et le fait de se contenter des petites choses pour être heureux. Si Ariane m’agaçait au départ dans sa manière de tout ramener au sexe, j’ai finalement vu davantage derrière ce personnage. L’esquisse est subtile, c’est un texte qui comporte beaucoup de non-dits mais aussi d’émotions, du moins j’en ai ressenti en le lisant. Une belle réussite !

Niveau 1.4 : Dentaculaire (par Élodie Denis)
Dans ce texte, le seul du recueil qui ne soit pas écrit par Vincent Mondiot, on retrouve Soraya et Guillermo, personnages principaux de Toute entrée est définitive, dans une enquête qui va leur faire rencontrer un nouveau modérateur justicier et qui va évoquer la cause animale sur la colonie… un sujet que je n’aurais pas pensé être abordé ici !

C’est également le texte le plus long, un peu plus de 40 pages. Je n’ai pas grand chose à en dire car je l’ai trouvé divertissant mais sans plus. Il lui manquait la portée émotionnelle des deux précédents pour vraiment réussir à me toucher.

Niveau 2.1,5 : ni juge ni bourreau
Ce texte est très court, huit pages à peine, et me fait plutôt l’impression d’un prologue ou d’un teasing, d’une mise en bouche quoi, pour Élections et exécutions (le second tome de Colonie Kitej) plutôt que d’une nouvelle au sens classique du terme car les dernières lignes ne terminent rien, que du contraire ! Elles lancent le tout et donnent envie de découvrir ce qui va se passer…

Et pourquoi pas, d’ailleurs ? Il n’a jamais été annoncé nulle part sur cet ouvrage qu’il s’agissait uniquement de nouvelles au sens classique du terme.

La conclusion de l’ombre :
Ce volume intermédiaire et bonus de Colonie Kitej est un divertissement efficace qui permet de se plonger davantage dans l’univers désenchanté imaginé par Vincent Mondiot. C’est sombre, étouffant mais c’est aussi terriblement humain, avec plein d’action et une esthétique toujours indubitablement influencée par le manga. À consommer sa modération (ni modérateur, si vous tenez à la vie).

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+5 nouvelles
Avancée du challenge : 27 nouvelles lues.
Bonus : Lire un auteur francophone + lire un texte qui se passe dans une ville spécifique.

Les derniers des branleurs – Vincent Mondiot

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Les derniers des branleurs
est un one-shot de littérature contemporaine pour ado’ écrit par l’auteur français Vincent Mondiot. Publié chez Actes Sud Junior, vous trouverez ce roman au prix de 16.80 euros partout en librairie.

De quoi ça parle ?
Minh Tuan, Gaspard et Chloé sont au lycée. Ils sèchent les cours, n’ont pas de bonnes notes, fument des joints, se droguent un peu… Pour eux, l’avenir, c’est le lendemain. Mais le bac approche et la pression commence à monter. Heureusement, y’a Tina, une migrante congolaise de leur classe, douée pour les études, qui va peut-être leur permettre de le décrocher, ce bac.

Être ado en 2020
Vincent Mondiot brosse dans son roman un panorama de l’éducation nationale française tel qu’elle est à l’heure actuelle, en 2020. Il met en scène un panel d’élèves divers et variés en se concentrant toutefois sur cinq personnages en particulier qui ont droit à des chapitres de leur point de vue -bien que l’auteur adopte systématiquement la troisième personne dans son écriture.

Chloé est un peu la cheffe de bande, fille au fort caractère, toujours en colère, qui taxe des clopes et sèche, qui cherche la merde et la bagarre. Elle se met en scène, poste régulièrement sur Instagram, se pose des questions sur sa sexualité en essayant d’entrer dans le moule hétéro alors qu’elle ne ressent pas de désir sexuel envers qui que ce soit, peu importe son sexe. Oui, on tient un personnage asexuel et même si ce n’est pas le thème central du roman, j’ai vraiment apprécié en retrouver une dans un texte à destination des ados.
Chloé est assez vulgaire dans ses paroles et inconséquente aussi, au point que ses amis la pensent raciste alors que pas du tout, elle ne réfléchit simplement pas à ce qu’elle dit. C’est une fille maladroite, finalement, qui a envie d’être aimée et s’y prend comme un manche. Elle boit beaucoup, à s’en rendre malade.

Minh Tuan est à demi vietnamien par sa mère, fils de diplomate, dans une situation financière aisée mais souffrant d’un manque de considération de la part de ses parents qui s’en occupent à peine. Il est entré dans la bande deux ans auparavant, a toujours des clopes et des mangas à prêter à Gaspard. C’est un garçon décrit comme un « plutôt ». Il est plutôt beau, plutôt intelligent, plutôt sympa, mais ne reçoit jamais le qualificatif en tant que tel si bien qu’on a tendance à le remplacer par un gars beau, un gars intelligent, un gars sympa. Il sort d’une rupture avec Marina, la star de la classe qui est influenceuse sur YouTube et avec qui ça s’est mal terminé. De lui viendra l’idée de tricher au bac parce qu’il a conscience de s’y prendre trop tard pour obtenir une note correcte ou même une mention. Il a envie de se distinguer pour prouver à tout le monde qu’ils se trompent sur leur compte bien qu’en cas de réussite, il obtiendra pourtant l’effet inverse. C’est un personnage que j’ai eu un peu de mal à apprécier avant la toute fin du roman pour sa fidélité à ses amis.

Gaspard est le troisième membre du trio, un garçon lambda, classe moyenne, qui aime le rock et la pornographie. Il se pose beaucoup trop de questions sur des sujets improbables, fume des joints, du shit, boit de lean, bref vous voyez le tableau. Diagnostiqué dépressif suite à la mort de sa sœur aînée, Gaspard est un peu un looser sympathique, le gars un peu relou qu’il y a dans presque toutes les écoles mais qu’on aime bien parce qu’on sait qu’il a un bon fond même s’il est « con ». C’est un personnage auquel on s’attache très vite.

Tina est la petite nouvelle, immigrée congolaise suite à des problèmes politiques dans son pays. Ses parents sont parvenus à l’envoyer en France, elle a obtenu un visa pour y rester. C’est d’abord une jeune fille timide, seule, perdue, studieuse par défaut puisqu’elle n’a pas d’argent de poche ou quasi pas. Sa présence permet à Vincent Mondiot d’aborder une thématique sur laquelle je vais revenir et de parler d’une réalité dont on a tendance à détourner les yeux : la présence des migrants et la manière dont ils sont intégrés dans notre société. Tina est très touchante, son personnage et la manière dont elle est considérée par les autres permettent vraiment de réfléchir et de s’interroger sur nos propres comportements.

Enfin, dernier personnage à avoir droit à ses chapitres bien qu’ils soient moins nombreux : Mme Danverre, prof depuis quelques années seulement qui avait beaucoup d’idéaux en commençant. Au fil du roman, on la voit interagir avec le trio, commettre des erreurs, essayer de se rattraper. En tant que jeune prof, j’avais les larmes aux yeux en lisant ses chapitres tellement je la comprenais. Une belle réussite. C’est elle qui va qualifier le trio de « branleurs » et qui provoquera un déclic. Cette scène est une des plus réussies du roman selon moi parce que je m’y suis retrouvée en tant qu’élève et en tant que prof. Bravo à l’auteur !

Mais ce roman, comme je l’ai dit, parle surtout des adolescents et de ce qu’on attend d’eux aujourd’hui. Il évoque le futur, la transition vers l’âge adulte avec toutes les angoisses que ça comporte, la difficulté de trouver sa place dans la vie et dans le monde de manière générale. C’est profond, ça prend aux tripes, surtout quand on est jeune et qu’on s’interroge encore sur ces sujets. Ou même quand on est un peu moins jeune. Personnellement, je viens d’avoir vingt-sept ans, je suis jeune prof et j’ai presque eu l’impression d’être dans ma propre tête, à certains moments.

Un roman réaliste, au sens littéraire du terme.
Pour moi Les derniers des branleurs est très clairement un roman qui s’inscrit dans le courant du réalisme littéraire car il a pour ambition de décrire notre société de façon rigoureuse, en prenant un cliché instantané crédible d’une période donnée. Ici, l’action se déroule à Paris, en 2020 et elle commence au mois de mars pour s’étendre jusqu’à juin, chaque partie étant divisée et marquée d’une citation. On voit de quelle façon les trois adolescents vivent, comment commence leur amitié avec Tina. On apprend beaucoup sur eux mais aussi sur les modes, sur leur style de vie, sur leurs habitudes, sur la ville de Paris, etc. grâce à des notes en marge (j’insiste, pas en bas de page : en marge) qui décrivent toutes les références citées : groupes musicaux, mangas, jeux-vidéos mais aussi drogues, vocabulaire du système scolaire, émissions, journaux, personnages secondaires, anecdotes, clin d’œil divers… Bref, en lisant ce roman dans cinquante ans, on aura un excellent aperçu du quotidien des lycéens en 2020. Vincent Mondiot rend ainsi service aux futures générations de sociologue, en espérant que ceux-ci ne dédaignent pas son texte sous prétexte de la fiction.

Parce que la fiction n’empêche pas de traiter de sujets actuels, je crois que c’est plus ou moins clair pour tout le monde. Les inquiétudes de Chloé sur sa sexualité font écho à ce que vivent de nombreuses personnes de tout âge à travers le monde. La situation de Tina ne peut qu’émouvoir puisque malgré ses bons résultats, elle ne pourra pas obtenir un visa d’étudiant et devra travailler au lieu d’aller à la fac -cela fait également écho à ce que vivent de nombreux jeunes immigrés en Europe. La réforme du bac, la célébrité sur Internet, les agressions sexuelles (sur les deux sexes !), l’hypocrisie bien pensante du plus grand nombre, la solitude, la souffrance silencieuse, le masque social… Vincent Mondiot parle de tout ça et de bien plus encore. Là où ça devient encore plus intéressant, c’est que l’auteur n’enfourche pas un cheval de bataille pour défendre ou imposer une bienpensance. Il décrit, comme les auteurs du mouvement Réaliste au 19e siècle, ce qu’il voit, ce qu’il a vécu, ce qui est, tout simplement.

Il en parle si bien qu’on ne peut rester de marbre à cette lecture. Ces quatre cent pages, on ne les sent pas passer. On vit avec Chloé, Minh Tuan, Gaspard et Tina. On les comprend parfois, d’autres non. On a envie de les baffer, de les consoler, de les aider, de leur parler. Je me suis sentie concernée par eux, par leur avenir mais surtout par leur présent. Vincent Mondiot maîtrise si bien la psychologie de ses personnages qu’on a le sentiment que, si on se pointe à Paris, on pourra les croiser et manger un kebab avec eux.

La conclusion de l’ombre :
Les derniers des branleurs est un roman de littérature contemporaine maîtrisé de bout en bout. S’inscrivant dans la veine Réaliste, Vincent Mondiot dépeint le quotidien de quatre adolescents français en 2020 sur le point de passer leur bac. Il aborde une pléthore de sujets actuels avec une finesse qui n’a rien à envier à celle de ses personnages, crédibles au point qu’on s’attend à les croiser dans la rue. J’ai eu un petit coup de coeur pour cette œuvre magistrale que je pense faire lire à mes élèves l’année scolaire prochaine si la situation s’y prête. Je ne peux que vous la recommander chaudement et vous encourager à en parler autour de vous car ce titre a malheureusement souffert de la crise COVID-19.

D’autres avis : Livres à profusionBookenstock (Dup) – A touch of blue marinelibrairie étincelle – vous ?

L’Ombre des arches – Vincent Mondiot

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L’Ombre des arches
est un roman de fantasy écrit par l’auteur français Vincent Mondiot. Publié chez Mnémos, vous trouverez ce texte au prix de 21 euros.
Je remercie Estelle, Nathalie et les éditions Mnémos pour ce service presse.

Rappelez-vous, l’année dernière, je vous ai parlé des Mondes-Miroirs, premier roman de Vincent Mondiot coécrit avec Raphaël Lafargue qui prenait place dans le même univers, avec des personnages semblables pour la plupart. L’Ombre des arches se déroule une année après les évènements relatés dans le volume susmentionné et je suis un peu surprise qu’il ne soit pas clairement annoncé comme une suite. En effet, même si L’Ombre des arches peut se lire de manière indépendante, je trouve que le lecteur passera à côté de liens importants s’il n’a pas précédemment pris contact avec l’univers posé par l’auteur. C’est toutefois un avis purement personnel et il y a probablement une bonne raison éditoriale à cela.

L’Ombre des arches raconte donc le voyage diplomatique d’Elsy et Elodianne. Le Palais central a envoyé la magicienne miroitiste en mission dans la province d’Aurterre afin de démontrer les nouvelles avancées magiques permises par la fréquentation des terroristes de Teliam Vore, présents dans le premier volume. Elsy accompagne Elodianne comme garde du corps et prend son rôle un peu par dessus la jambe, persuadée qu’il s’agit de vacances. Hélas ! Un évènement tragique va transformer les deux jeunes femmes en otages et les rendre complices malgré elles d’une tentative d’insurrection politique.

Souvenez-vous, dans le premier volume, j’avais relevé de nombreuses qualités que j’ai eu le plaisir de retrouver ici. Premièrement, la construction narrative ainsi que le rythme qui évoquent le médium manga. Vincent Mondiot découpe son intrigue et sa narration comme s’il s’agissait de planches dessinées japonaises. Les scènes d’action sont rédigées de manière claires et efficaces, très imagées. On n’a aucun mal à se projeter et c’est tant mieux car écrire une bonne scène d’action immersive n’est vraiment pas donné à tout le monde. Il laisse aussi une grande part aux dialogues ce qui apporte au lecteur un rythme stimulant, transformant l’Ombre des arches en page-turner. Ces dialogues, d’ailleurs, ne manquent pas de piquant. On retrouve par exemple Elsy, fidèle à elle-même, vulgaire, provocatrice et qui n’a pas sa langue dans sa poche. À elle seule, l’héroïne constitue un ressort comique qui passe ou qui casse. Je l’ai trouvé lassante par moment mais l’auteur est parvenu à la remettre dans mes bonnes grâces à mesure que l’histoire avançait en laissant entrevoir des pans de son passé qui surprennent, attendrissent.

J’avais également relevé la richesse des personnages. Dans l’Ombre des arches, le lecteur retrouve certaines têtes connues, déjà avec Elsy et Elodianne, mais Vincent Mondiot ajoute de nouveaux protagonistes afin de proposer un roman chorale d’une grande richesse non seulement sur la politique mais aussi sur l’Histoire de son univers. Corbès Salven, sa femme Linne, son neveu Alken, son âme damnée Rekvan ou encore l’un ou l’autre protagoniste éphémère, permettent de prendre conscience d’une nouvelle dimension de Mirinèce (sa géographie, son histoire, sa politique notamment) mais aussi de dévoiler au bon moment des éléments cachés d’une intrigue de grande ampleur, plus complexe que ce qu’on imagine au premier abord.

Comme je l’ai évoqué, suite à un évènement tragique, le légat d’Aurterre, Corbès Salven, développe des visées indépendantistes par rapport à la capitale Mirinèce (où se déroulait l’intrigue du premier roman) et à son ami Damnis à qui il avait prêté allégeance après la guerre contre les rebuts, trente ans plus tôt. Corbès charge donc son épouse de mener une délégation secrète à travers différentes provinces pour convaincre les légats de se rallier à sa cause et proposer un contre-pouvoir fort. Vincent Mondiot ne cherche pas à donner dans l’inspiration politique ou même dans le pamphlet engagé. Il propose un roman très réaliste et même assez désenchanté, cynique, sombre dans son ton, dans son déroulé, au point de confiner parfois à l’horreur lors de certaines scènes. La manière dont l’auteur présente les évènements rappelle une fois de plus l’aspect manga. Cela m’a notamment frappé à la fin quand les deux compères d’Elsy éclatent le crâne de Linne Salven et massacrent la délégation d’Aurterre en enchaînant les blagues et les remarques légères. C’est tellement typique d’un seinen, ce décalage complet, surtout avec les sentiments d’effroi de la part d’Elsy et Elodianne qui ont tout fait jusque là pour sauver leurs ravisseurs… Ce n’est qu’un exemple, d’autres me viennent à l’esprit comme cette protagoniste qui entretient des pensées suicidaires assez fortes sous le coup de la culpabilité ou le syndrome de Stockholm évident développé par Elsy et Elodianne, à des degrés différents, ce qui est aussi intéressant puisque ça aura des conséquences sur l’affrontement final du roman. Vincent Mondiot traite tous ces thèmes avec une certaine justesse, en s’y arrêtant juste comme il faut, sans trop appuyer ce qui évite le sentiment d’artificialité.

Pour résumer, l’Ombre des arches est une suite à la hauteur des Mondes-Miroirs. Le lecteur retrouve Elsy et Elodianne dans un roman de fantasy axé sur le voyage, la politique et le développement de nouvelles théories magiques. Avec un ton résolument sombre malgré des moments d’humour un peu potache parfois, Vincent Mondiot continue de dévoiler des pans entiers de son univers d’une incroyable richesse à travers ce page-turner addictif. Pour ne rien gâcher, l’ouvrage contient quelques illustrations réussies qui apportent un cachet supplémentaire à cette œuvre. Je vous recommande vivement la découverte de cet auteur talentueux !