Rouge – Pascaline Nolot

19
Rouge
est un one-shot fantastique écrit par l’autrice française Pascaline Nolot. Publié par Gulfstream dans sa collection Électrogène, vous trouverez ce roman partout en librairie au prix de 17 euros.

Je remercie FungiLumini du blog Livraisons Littéraires pour m’avoir prêté ce roman. Allez lire sa chronique, elle m’a mis l’eau à la bouche ! Ce roman a été repoussé suite à la crise du COVID-19, il devait à l’origine sortir en avril. N’hésitez pas à lui faire un bon accueil et à vous montrer curieux pour qu’il ne tombe pas dans l’oubli 🙂

De quoi ça parle?
Dans une époque moyenâgeuse indéterminée, Rouge vit dans le petit village maudit de Malombre. Pour être exacte, elle y survit, rejetée et malmenée par les autres habitants pour sa face défigurée et son ascendance prétendument maléfique. Si Rouge n’a pas péri au berceau, c’est parce qu’elle est une fille et que la Grand-Mère réclame toutes celles du village qui commencent à saigner. Qu’arrive-t-il à ces Bannies? Rouge va le découvrir car son tour arrive…

Une réécriture sombre de conte.. mais pas que.
Ce qui saute aux yeux en premier lieu quand on entame la lecture de ce roman, c’est sa parenté avec l’histoire du Petit Chaperon Rouge notamment au niveau des figures représentées : le Chasseur (on pense d’abord à Blanche Neige d’ailleurs mais j’ai vérifié, il y en a un aussi dans une réécriture plus tardive du Petit Chaperon Rouge), les loups, la Grand-Mère, le village qui s’oppose à la forêt. Pourtant, ce sont bien là les seuls points communs tant Pascaline Nolot se réapproprie l’histoire avec brio au point de modifier en profondeur les rôles de chaque protagoniste. Je ne peux m’étendre davantage sur le sujet sans divulgâcher le contenu du roman toutefois en dehors des noms, finalement… L’histoire d’origine n’a plus grand chose en commun avec celles de Perrault ou des frères Grimm bien qu’on retrouve l’idée d’une marche en forêt tendant vers un but : aller voir la Grand-Mère en lui apportant un panier avec des victuailles. Comme quoi, avec un concept vu et revu depuis des siècles (littéralement !) on peut toujours innover.

L’originalité et la réappropriation de ce conte connu par l’autrice est un des éléments que j’ai le plus aimé parce qu’il permet de sortir le lecteur de ses certitudes. Il ne s’agit pas bêtement de moderniser une histoire vue et revue avec des thématiques modernes, non ! Pascaline Nolot joue avec nous en nous empêchant de nous fier à ce qu’on croit connaître. J’adore !

Rouge : une héroïne attachante.
Le personnage de Rouge est la seconde grande force de ce roman. La jeune fille survit à Malombre et subit des traitements assez horribles de la part des villageois. Sa mère lui a donné naissance alors qu’elle sombrait dans la folie, une folie induite par le démon avec qui elle aurait forniqué, toute entière obsédée par son désir de maternité (enfin, c’est ce qu’on dit au village). Selon les Malombreux, cela explique sa face rouge. Ils la pensent même contagieuse : si on la touche, on risque d’attraper son mal. Depuis la vieille nourrice qui l’a prise en charge jusqu’à ses quatre ans (et est décédée ensuite, la faute à Rouge ?), Rouge n’a plus eu le moindre contact humain. Personne n’a de considération pour elle à l’exception du Père François qui essaie de tempérer un peu les ardeurs de ses ouailles en délimitant les périodes où ils ont le droit d’être agressifs avec Rouge et de Liénor, son meilleur ami qui manque un peu de courage pour la défendre sans pour autant cesser de la fréquenter.

Rouge possède une psychologie soignée, nuancée, la rendant ainsi très crédible dans son rôle de victime harcelée sans pour autant tomber dans le larmoyant lourd. La jeune fille garde la tête haute, encaisse, souffre mais ne s’apitoie jamais. Un bel exemple ! J’ai vraiment adoré la suivre jusqu’au bout de son histoire.

Entre passé et présent, une narration alternée.
L’autrice opte pour une narration en alternance entre le présent de Rouge et les différents éléments de son passé, notamment ce qui concerne sa mère. Ainsi, le lecteur apprend petit à petit de quelle manière Rouge a véritablement été conçue, comment sa mère a pu accoucher, comment les villageois ont interagis avec elle, etc. L’idée est bonne mais j’ai souvent trouvé ces passages redondants à mesure que j’avançais puisque les informations revenaient souvent. Parfois pour révéler un mensonge mais la majorité du temps, non. En se plongeant dans la psyché d’autres protagonistes, Pascaline Nolot se répète un peu trop sur les éléments de son histoire et c’est le seul vrai point noir de ce roman selon moi. Heureusement, il a bien d’autres qualités ! Notamment la plume de l’autrice qui se plie à l’ambiance ancienne de Malombre avec des tournures de phrase qui offrent une belle musicalité au texte.

Un drame ordinaire pour des thématiques modernes.
Pascaline Nolot met en scène un drame ordinaire (vous comprendrez en lisant) qui prend des proportions gigantesques à cause de l’avidité / stupidité (choisissez votre mot favori) humaine. Elle traite ainsi plusieurs thématiques hélas trop actuelles : le harcèlement, le culte des apparences, le fanatisme religieux mais aussi le sexisme ordinaire dans tout ce qu’il a de plus répugnant. Pour exemple (ceci est un divulgâchage donc surlignez pour lire 😉 ) je pense surtout au Père François qui excuse son comportement obscène en affirmant que le Diable a pris possession de son corps et que grâce à sa foi, il a réussi à ne pas devenir fou au contraire de la pauvre femme dont il abuse, viol qui donnera finalement naissance à Rouge. Les chapitres de son point de vue sont admirablement maîtrisés et provoquent un choc rehaussé d’indignation à mesure qu’on avance.

La conclusion de l’ombre :
Pascaline Nolot signe ici la réécriture d’un conte sombre et dérangeant qui met en avant des thématiques tristement actuelles telles que le harcèlement, le culte des apparences mais aussi la femme en tant qu’être-objet. L’autrice se réapproprie des archétypes connus en y apportant une véritable originalité. Si on peut déplorer quelques longueurs sur les parties du roman consacrées au passé de l’héroïne, cela n’empêche pas de dévorer ce page-turner en quelques heures à peine. Un texte tout à fait recommandable qui n’épargnera pas les sentiments du lecteur.

D’autres avis : FungiLumini, les Dream-Dream d’une bouquineuse, l’ourse bibliophile.

Métro Paris 2033 #1 Rive Gauche – Pierre Bordage

bordage_metro2033_2.indd
Rive Gauche
est le premier tome de la trilogie Métro Paris 2033 écrite par l’auteur français Pierre Bordage. Publié chez l’Atalante, vous trouverez ce roman dés le 28 mai partout en librairie au prix de 23.9 euros.
Je remercie Emma et les éditions l’Atalante pour ce service presse.

De quoi ça parle ?
La surface n’est plus habitable depuis 2033 (enfin, on suppose ?). Les survivants parisiens se sont réfugiés dans le métro et se sont divisés en plusieurs communautés aux profils divers et variés. Dans ce monde post-apocalyptique, des voix s’élèvent pour former une vraie fédération là où d’autres préfèrent se battre pour leurs privilèges… Un tableau dérangeant de ce que la nature humaine a de pire.

Le post-apo et moi.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je me dois d’écrire quelques mots au sujet du genre littéraire « post apo » et de ma relation avec lui. Pour ceux qui l’ignorent (bah quoi, on ne peut pas tout savoir !), il s’agit d’un univers où une catastrophe donnée a détruit la civilisation telle que nous la connaissons et qui prend place dans un après. Je lis très peu de romans post-apo parce qu’ils me mettent mal à l’aise pour la grande majorité d’entre eux. Je ne trouve aucun plaisir à découvrir des univers de ce type même si je pense qu’il est nécessaire d’en inventer parce que ça participe à une réflexion plus globale au sujet de notre actualité. Donc sur un plan personnel, je ne suis pas du tout le public pour ce roman et j’ai ressenti un certain nombre de difficultés à le lire, à arriver au bout. Si ça n’avait pas été un SP de l’Atalante doublé d’un livre qui a souffert de la crise COVID vu que décalé dans le planning, je n’aurais probablement pas fait ces efforts. Un état qui n’est pas lié au texte en lui-même ou à sa qualité (à l’exception d’un élément sur lequel je vais revenir plus bas) mais bien à mes goûts personnels. Aussi pardonnez moi d’avance de rester relativement factuelle dans ce billet.

Vous allez me dire… Pourquoi t’en parles, du coup ? Et bien parce que je ne suis pas égoïste ! Je sais que le post-apo est très à la mode, beaucoup de lecteurs, dont ceux du blog, apprécient les lectures de ce genre donc pourquoi les empêcher de découvrir un bon roman ?

Un univers inspiré de Dmitry Glukhovsky…. mais pas que !
Vous le savez peut-être mais ce roman est tiré du même univers que Métro 2033 de l’auteur russe Dmitry Glukovsky. Un texte que je n’ai jamais lu donc je peux vous affirmer que sa lecture n’est pas du tout nécessaire pour comprendre le contenu de Rive Gauche. Tout ce qu’on doit savoir est d’ailleurs expliqué dans un chapitre d’introduction écrit à la première personne, du point de vue de ce que je vais qualifier « d’érudit ». Cet homme – Roy comme on l’apprendra plus tard- conserve des livres dans le plus grand secret afin de préserver la mémoire culturelle de l’humanité. Un but noble et important (remarque totalement impartiale hum-hum) qui lui permet d’être au courant de pas mal d’éléments du passé. Il dépeint au lecteur son présent : comment s’organisent les stations, quelles difficultés rencontrent les gens. Cela permet d’entrer dans le vif du sujet et d’établir clairement les codes du background.

Les parisiens se répartissent en fonction des stations du métro dont les noms sont restés identiques à ceux d’aujourd’hui aussi je ne doute pas que les lecteurs parisiens s’amuseront à suivre IRL le trajet des protagonistes. Je l’aurais fait si j’avais pu. Certaines disposent de plus de richesses que d’autres et quand je dis richesse, il ne s’agit pas tant de monnaie que de ressources : l’eau, la nourriture, les bougies pour s’éclairer, des objets vitaux du quotidien. Un peu comme dans notre société, une élite se partage la majorité du gâteau pendant que la plupart des gens meurent dans leurs excréments. La maladie fait rage, les couples se reproduisent trop pour la quantité de ressources dont ils disposent et certains enfants naissent avec des mutations, s’adaptant à leur nouvelle vie sous terre et causant des cas de conscience. On croisera aussi un culte religieux, l’Élévation, qui incarne tout ce qu’on peut retrouver de pire dans l’idée de foi.

Cet univers est anxiogène et dérangeant. Pierre Bordage retranscrit très bien l’ambiance du métro. On a l’odeur de merde dans le nez quand on le lit, la pénombre perpétuelle, on se sent limite observé, comme si un monstre allait nous sauter dessus sans prévenir. Tout ce qui m’a rendu la lecture pénible sur un plan personnel se révèle en fait plutôt une qualité pour ceux qui apprécient justement le post-apo.

Une intrigue classique mais efficace pour explorer des thématiques nombreuses.
Rive Gauche ne révolutionne pas la manière de raconter une histoire. Pierre Bordage opte pour une narration chorale qui permet de suivre plusieurs points de vue qui représentent chacun un clan, une façon de considérer le monde, de vivre donc, tout simplement. On a la révolutionnaire égalitaire, les religieux véreux, le gamin débrouillard ou encore la femme flouée qui cherche à se venger. Des archétypes évidents dans une intrigue classique dans le genre puisqu’il s’agit de changer profondément la politique actuelle et, par extension, de réfléchir sur notre propre système. L’auteur n’apporte pas grand chose de neuf au post-apo toutefois il propose un titre assez solide dans sa construction et son déroulé. C’est plutôt cohérent, parfois intriguant, souvent ultra violent. Il vaut mieux ne pas avoir un petit cœur pour lire Rive Gauche parce que Pierre Bordage vous met en scène l’humanité dans ce qu’elle a de pire.

Un sexisme ordinaire bien marqué
C’est le point qui m’a vraiment dérangée et qui n’est pas fondamentalement lié au genre (du moins pas à ma connaissance ?). J’ai conscience que l’auteur s’inscrit probablement dans une démarche de dénonciation du sexisme mais tous les personnages masculins pensent avec leur queue -pour rester aussi vulgaire que dans le texte. Ils considèrent TOUS les femmes comme des objets à posséder, même Juss, qui est un gosse. Il accepte de protéger une gamine nyct en se disant qu’elle sera sûrement belle plus tard donc que ça vaut le coup pour se marier avec elle plus tard. Autant je le pardonne à un enfant qui se contente de reproduire les réflexions des adultes (il va évoluer au fil du roman sur ce point et ce d’une bien belle façon d’ailleurs) autant c’est vite pénible chez les autres. Prenons l’exemple de la femme malmenée qui veut se venger aka Aube. Elle est décrite comme superbe, une déesse (ce mot est employé) tout le monde veut coucher avec elle ce qui lui permet plus d’une fois de sauver sa vie. Les hommes deviennent complètement idiots à son contact et non seulement c’est réducteur pour les femmes… Mais ça l’est aussi pour les hommes ! Comme si les personnages masculins se réduisaient à un pénis… Alors que non, désolée, ils valent mieux que ça autant que les femmes valent mieux que ça. Madone, par exemple, la révolutionnaire, couche avec son capitaine puis s’en désintéresse pour un autre type. À chaque fois qu’elle le voit, elle a envie de coucher avec lui ce qui donne lieu à des scènes de sexe vraiment pas utiles. Je sais que ça ne dérange pas la plupart des lecteurs toutefois moi, ça m’a saoulée.

J’ai bien conscience que Pierre Bordage veut mettre en scène une société post-catastrophe où les gens n’ont rien appris et ne se sont pas améliorés afin de permettre au lecteur de prendre conscience de nos problèmes actuels. C’est un choix et il fonctionne très bien puisque j’ai relevé toutes ces thématiques. Toutefois, je suis plutôt partisane d’une dénonciation du sexisme par la création d’une normalité, comme dans À la pointe de l’épée ou le Prieuré de l’oranger, plutôt que dans une mise en scène aussi brute. Je n’aime pas ça. Je n’aime plus ça, encore moins depuis ma lecture de l’édifiant article sur le sexisme en fantasy de Planète Diversité.

Mais voilà, c’est moi, ça ne concerne QUE moi et ma sensibilité. Et je conçois parfaitement que d’autres lecteurs s’y retrouvent totalement, d’où mon envie de quand même vous parler de ce roman parce qu’il est intelligent, actuel, plutôt bien écrit avec certains personnages réussis qui ont droit à une belle évolution (notamment Juss et Plaisance).

La conclusion de l’ombre :
Rive Gauche est le premier tome d’une trilogie post-apocalyptique qui se déroule à Paris, dans l’univers de la saga Métro 2033 de Dmitry Glukovsky chez le même éditeur. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu les romans d’origine pour comprendre le contenu de Rive Gauche car Pierre Bordage reprend surtout le principe d’habitants réfugiés sous terre pour échapper à une catastrophe ayant rendu la surface inhabitable. Rive Gauche contient tous les ingrédients qu’on attend d’un roman de ce type en proposant une intéressante réflexion sur la nature humaine. Je pense pouvoir affirmer qu’il plaira aux aficionados du genre -ce que je ne suis pas donc je prends des pincettes !

Les Flots sombres – Thibaud Latil-Nicolas

C1-Les-Flots-sombres-OK-734x1024
Les Flots sombres
est un roman de fantasy à poudre écrit par l’auteur français Thibaud Latil-Nicolas. Publié par Mnémos, vous trouverez ce roman au prix de 21 euros.
Je remercie Nathalie, Estelle et les éditions Mnémos pour ce service presse !

Souvenez-vous, je vous ai déjà évoqué cet auteur et cet univers avec son premier roman, Chevauche-Brumes, pépite de l’imaginaire 2019 qui méritait bien son titre.

De quoi ça parle ?
Les créatures maléfiques retenues par la Brume ont été libérées et sèment la panique dans les villages du Bleu-Royaume. La Neuvième Compagnie du Roy, que le lecteur suivait dans le premier volume et qui se fait appeler Chevauche-Brumes, ont juré de les combattre jusqu’à la mort. Pendant ce temps, les tensions entre pouvoir et culte d’Enoch s’exacerbent à la capitale et pour ne rien arranger, un terrible monstre fout la pagaille sur les voies maritimes entre le continent et les Îles Jumelles. En bref, c’est le bordel.

Un faux one-shot ?
Chevauche-Brumes a été présenté au public comme un one-shot mais les Flots sombres se déroule dans le même univers avec une partie de personnages en mettant en scène les conséquences directes des évènements relatés auparavant. Mensonge ! Manipulation ! Scandale ! Je vous entends déjà hurler mais calmez vos ardeurs car non, l’éditeur n’a pas menti. Thibaud Latil-Nicholas propose une aventure à part qui certes découle des évènements de Chevauche-Brumes mais peut se lire de manière indépendante en grande partie grâce au résumé présent au début du tome ! En voilà une idée qu’elle est bonne et dont je vous parlais dans une réflexion de l’ombre. Je suis ravie de cette initiative qui non seulement permet au roman de toucher un public plus large mais aussi aux blogueurs distraits de se rafraichir la mémoire. Ces courtes pages ont été plus que bénéfiques pour moi en me permettant de me replonger directement dans l’univers créé par ce jeune auteur talentueux.

Vous pensez qu’il s’arrête là? Que nenni ! En plus du résumé, le lecteur a aussi droit à un lexique des personnages à la fin du roman, des fois qu’il s’embrouille. C’est vrai qu’il y a tout un petit monde qui grouille entre les pages et ce n’est pas plus mal d’éclaircir un peu tout ça.

Une narration plurielle et riche.
J’ai retrouvé dans les Flots sombres tout ce que j’ai aimé dans Chevauche-Brumes et même davantage car le texte gagne en profondeur avec le développement de son univers sur un plan plus politique. Les chapitres s’articulent autour de quatre grands axes que je m’en vais développer.

Le premier est celui du jeune roi Téobane, un enfant qui a du mal à gérer son rôle. Il est chapeauté par Poltrick de l’Escois, le Régent, qui fait de son mieux pour jongler avec toutes ses obligations.
Le second est celui de Juxs, membre haut placé de l’église d’Enoch qu’il juge trop laxiste face au pouvoir en place. Il va intriguer pour se rapprocher du jeune roi en espérant éclairer son esprit.
Le troisième est celui d’Ophélie, une jeune femme qui survit à l’attaque du monstre marin dont il est question dans le résumé, au contraire du reste de son équipage. Elle est sauvée par Léandres, un modeste pêcheur somme toute sympathique qui va se retrouvé embarquer malgré lui dans des intrigues qui le(s) dépassent largement. Ophélie va tenter de prévenir les Îles Jumelles de la présence de ce monstre et se verra confier par le pouvoir en place un navire afin d’enquêter à ce sujet. Si, au départ, on y croit moyen, elle va prendre de plus en plus d’importance et son axe narratif va rejoindre celui des Chevauche-Brumes.
La compagnie (enfin, ceux qui ont choisi d’embrasser la cause des Chevauche-Brumes) constitue donc bien le quatrième groupe d’importance même s’ils se trouvent moins au centre de l’intrigue que dans le premier roman. On replonge avec eux dans l’ambiance camp militaire, familiale et fraternelle. On y retrouve les doryactes qui n’ont pas cessé de les accompagner et vont prendre une place qui gagne en importance. On pourrait croire (et espérer) qu’ils soient reçus en héros pour leur bravoure mais le pouvoir militaire les considère plutôt comme des déserteurs (ingratitude bonjour !), ce qui leur complique la tâche mais ne les empêche pas de soutenir Ophélie dans son combat contre le monstre marin.

Un monde qui gagne en profondeur.
Si le premier volume prenant place dans cet univers se concentrait surtout sur la Compagnie, celui-ci, comme je l’ai montré dans le paragraphe précédent, développe plusieurs pans en y amenant des intrigues religieuses et politiques qui ne sont pas sans rappeler certains évènements historiques. À ce niveau, on ne peut pas dire que Thibaud Latil-Nicolas réinvente le genre mais d’un autre côté, ce n’est pas ce qu’on lui demande. Il place ses pions sans être (trop) prévisible. Si on voit venir certains dénouements, on reste sur le cul face à d’autres au point de se demander s’il ne nous a pas jeté un peu de poudres aux yeux pour détourner notre attention. Bref, on sent que l’auteur gagne en maîtrise et en expérience au fil de ses textes, comme je le pressentais à la lecture de son premier roman.

Baston !
Thibaud Latil-Nicolas écrit de la fantasy militaire. On peut chipoter pour se demander dans quel genre la classer spécifiquement (à poudre ? à voile ? (bah oui, y’a l’aspect océan)) mais ces deux qualificatifs restent pertinents entre tous. L’auteur s’améliore d’ailleurs au fil des romans. Si je trouvais ses combats au sol plutôt bien maîtrisés dans Chevauche-Brumes, je n’avais encore aucune idée de son talent pour les combats en mer ! Immergée (sans mauvais jeu de mots) dans le récit, je n’ai eu aucun mal à me représenter les affrontements habilement décrit par l’auteur. C’est, à mon sens, l’un des grands points fort du roman et ce que je recherche avant tout quand je le lis.

Encore une chose… Aidez à remettre ce roman à flot !
Promis j’arrête avec les jeux de mots pourris. Vous le savez peut-être mais comme je l’ai déjà expliqué dans un autre article, les éditeurs indépendants ont souffert de cette crise COVID-19 à l’instar d’autres milieux. Thibaud Latil Nicolas, tout comme son collègue Raphaël Bardas (auteur du très bon les Chevaliers du Tintamarre) ont eu la malchance d’atterrir sur le planning éditorial au tout début de cette crise si bien que leurs romans n’ont pas eu le rayonnement mérité. Je vous encourage donc à les soutenir si le cœur vous en dit, il y a pour cela plusieurs options : achetez directement leurs textes sur le site de Mnémos, parlez en autour de vous, repartagez vos chroniques, photographiez les si vous les croisez en librairie, même si vous ne l’achetez pas. Bref, mettez les en avant pour que ces deux pépites puissent jouir d’une longue et belle vie littéraire.

La conclusion de l’ombre :
Avec les Flots sombres, Thibaud Latil-Nicolas continue sur une lancée prometteuse en proposant une fantasy militaire de qualité. L’intrigue se complexifie, les personnages se multiplient et jouissent d’une psychologie bien exploitée. Si les tropes du genre restent classiques (conflit religieux, héros injustement rejetés, révolution pour un changement de régime) l’auteur les rend intéressant dans ce page-turner de qualité. Je ne peux que vous en recommander d’urgence la découverte !

Nixi Turner contre les Croquemitaines #4 le Marchand de Sable – Fabien Clavel

5
Nixi Turner contre les croquemitaines
est une saga jeunesse fantastique en 5 tomes écrite par l’auteur français Fabien Clavel. Publié aux Éditions du Chat Noir dans la collection Chatons Hantés, vous trouverez ce roman en papier (uniquement !) au prix de 10 euros.

Pour vous rafraichir la mémoire, je vous invite à lire mon retour sur les trois premiers volumes : Baba Yaga, la Goule et le Père Fouettard.

De quoi ça parle ?
Nixi Turner, c’est la Buffy du collège made in France. La jeune fille sort de nulle part et vient combattre les Croquemitaines qui sévissent à Paris en prenant les enfants pour cible. Dans ce quatrième tome, on suit Kylian, le type qui harcelait Nawel dans le premier volume et qui crush sur Chora dans le troisième. Petit loubard doté d’un lourd passif négatif avec la bande à Nixi, il essaie pourtant de les rejoindre parce qu’il aime vraiment bien Chora et a envie de faire des efforts pour elle. Sauf qu’il se rend compte que tout n’est pas si simple dans la vie. Encore moins quand sa mère biologique débarque, sortie de nulle part.

Personnifier les maux des pré-adolescents : amour parental et existence par le regard des autres.
Kylian a été adopté et il le sait. Il adore ses deux parents, un couple homosexuel, ce qui ne l’empêche pas de se poser des questions sur ses origines. Il reçoit un mystérieux SMS d’une femme qui se présente comme sa mère biologique et qui, onze ans plus tard, aimerait le rencontrer. Il hésite, ressent une forte culpabilité d’avoir envie de la connaître mais décide tout de même de se rendre au rendez-vous. Les révélations que cette femme a à lui faire sont surprenantes et le lecteur attentif comprend qu’il y a anguille sous roche. Pourtant, Kylian se laisse manipuler.

Pour un lecteur adulte, les ficelles paraitront grosses et elles le sont un peu. Une inconnue débarque et sans même donner de vraies preuves de leur lien, il la croit ? Elle lui parle d’éléments surnaturels et pareil, il se laisse convaincre très facilement ? Ici plus que jamais, il faut se remémorer le public auquel est dédié cette saga et cette collection : les 9 – 12 ans. En fait, Kylian a la réaction d’un enfant normal, un peu naïf et mal dans sa peau même si, comme il le dit lui-même, il n’a aucune raison de l’être puisque ses deux parents l’aiment. Cela ne l’empêche pas de rechercher une figure maternelle ou plutôt, de ressentir ce besoin humain consistant à connaître ses origines.

Pour rappel, Kylian, c’est un peu la brute du collège. En suivant l’histoire de son point de vue, on comprend qu’il se comporte comme un enfoiré sans trop savoir pourquoi. Brutaliser les autres lui permet d’exister à leurs yeux, il le dit d’ailleurs lui-même. Les plus faibles rejoignent sa bande, lui accordent de l’attention, c’est ce qu’il veut… Comme la majorité des enfants, en fait. Kylian n’en reste pas moins un petit con, un petit con qui se remet quand même en question grâce à Chora et qui a envie de changer pour devenir meilleur. J’ai trouvé l’idée intéressante, ça permet de gommer un peu le manichéisme qu’on sert trop souvent aux enfants. Parfois, on est une brute sans raison, il n’y a pas toujours une histoire tragique derrière. Et oui, parfois, on peut vouloir changer avec plus ou moins de succès.

L’homosexualité parentale.
C’est presque un détail dans cette histoire toutefois j’ai été contente de lire un roman jeunesse où on présente un couple homosexuel qui a adopté et qui gère assez bien dans son rôle de parent. À aucun moment Kylian n’a un problème avec l’orientation sexuelle de ses adoptants. La seule chose qui le gêne, c’est qu’ils sont plus âgés que les parents de ses camarades et… C’est tout. Fabien Clavel traite le sujet sans l’aborder de front, c’est encore la meilleure manière de s’y confronter quand on s’adresse à des jeunes puisque, ainsi, il l’inclut dans une dynamique de normalité.

Un peu plus de noirceur dans ce monde pas si brutal.
Ce tome est, selon moi, plus violent que les trois précédents. Entendons-nous, ça ne se massacre pas dans tous les sens mais il y a du sang, des paroles dures, on y envisage même le meurtre de sang froid. Ce n’est pas pour me déplaire, notez ! J’ai l’impression d’arriver à l’avant dernier épisode d’une saison de Buffy et de devoir attendre la reprise de diffusion après les vacances d’hiver. Frustration intense. D’ailleurs la saga fait de plus en plus référence à la tueuse de vampire, allant jusqu’à donner des surnoms des personnages aux protagonistes afin de les relier à un archétype. Excellent pour ceux de ma génération, un peu moins pour le public cible qui n’aura probablement jamais (hélas) regardé un épisode de la série.

La conclusion de l’ombre :
Ce quatrième tome des aventures de Nixi Turner marque clairement un tournant dans la saga et précède un dernier volume qui promet en intensité. On y traite ici de la quête d’attention / d’identité d’un pré-adolescent et des extrêmes auxquels cela peut pousser. Page-turner qu’on lit d’une traite, Fabien Clavel propose à nouveau un roman jeunesse efficace. Je recommande aux plus jeunes mais aussi aux parents et aux professeurs car il constitue un matériel didactique intéressant.

Nixi Turner contre les croquemitaines #3 le Père Fouettard – Fabien Clavel

15
Nixi Turner contre les croquemitaines
est une saga jeunesse fantastique en 5 tomes écrite par l’auteur français Fabien Clavel. Publié aux Éditions du Chat Noir dans la collection Chatons Hantés, vous trouverez ce roman en papier (uniquement !) au prix de 10 euros.

Pour vous rafraichir la mémoire, je vous invite à lire mon retour sur les deux premiers volumes : Baba Yaga et la Goule.

De quoi ça parle ?
Nixi Turner, c’est la Buffy du collège made in France. La jeune fille sort de nulle part et vient combattre les Croquemitaines qui sévissent à Paris en prenant les enfants pour cible. Dans ce troisième volume, la bande d’amis qui gravite autour de Nixi décide de la suivre quand elle annonce devoir temporairement repartir d’où elle vient. Cette filature dans les rues de Paris se termine par une descente aux Enfers… Au sens propre.

Personnifier les maux des pré-adolescents : la maladie grave.
En plus de Nixi, cette fois-ci, c’est Chora que nous suivons et qui est aux prises avec un Croquemitaine : le Père Fouettard. Cette narratrice souffre d’une malformation cardiaque assez grave : son cœur peut s’arrêter à n’importe quel moment. Elle a toujours su que quelque chose clochait mais cela ne fait que quelques mois qu’elle a pu mettre un nom dessus. Le concept prend aux tripes et pousse à la réflexion. Comment vivre, comment s’intéresser au monde, comment se sentir exister, quand on ne peut rien planifier sur le long terme ? D’un œil adulte, ces questionnements induisent une réflexion particulièrement mature et je trouve que ce tome s’éloigne des thématiques standards de la sphère pré-adolescente pour offrir une nouvelle dimension à son personnage. Un personnage que les lecteurs attentifs reconnaîtront…

Tisser des liens entre ses univers : de Nixi à Asynchrone.
En effet, Chora est l’héroïne du roman Asynchrone, un autre texte de l’auteur dans la veine Young Adult publié cette fois chez Lynks. J’aime bien l’idée de tisser des liens entre ses œuvres, surtout destinées à un public différent. Je garde un excellent souvenir de ce titre, cela a été ma première découverte de la maison d’édition et je ne m’attendais pas à un tel coup de poing. J’en profite pour vous le recommander chaudement.

Un tome mieux équilibré.
Je reprochais aux tomes précédents un équilibre parfois maladroit entre le traitement des thématiques (harcèlement scolaire puis anorexie) qui n’allait pas assez loin à mon goût et l’aspect aventure qui était par moment trop rapidement expédié. Dans le Père Fouettard, je trouve que Fabien Clavel a vraiment gommé les défauts ressentis sur les deux premiers opus à ce niveau. Les actions s’enchaînent comme dans un épisode de Buffy à l’ancienne. Tout colle, on a même droit à l’introduction d’une nouvelle facette chez un personnage inattendu. On en apprend aussi davantage sur Nixi en tant que personne, ce qui permet de lever des mystères sur ses origines qui n’avaient que trop traîné. J’ai aimé les choix de l’auteur à son sujet qui éclaircissent bien des choses dites dans les premiers tomes.

La mythologie grecque : une approche didactique.
Ce roman s’inscrit clairement dans la mythologie grecque puisque la bande se retrouve dans les Enfers affiliés. Ce sera l’occasion de croiser Perséphone, de découvrir qui sont vraiment les Croquemitaines et surtout, d’apprendre quelques anecdotes plutôt intéressantes grâce aux interventions du Professeur Hugo. Une excellente initiative pour son public cible !

La conclusion de l’ombre:
Le Père Fouettard est le troisième tome de la saga Nixi Turner contre les croquemitaines et sans doute celui que j’ai le plus aimé à ce jour. Je l’ai dévoré d’une traite avec un réel enthousiasme tant l’auteur a amélioré l’équilibre entre les différentes facettes de son texte. Le mal traité ici ne manque pas d’intérêt (la maladie grave) et est plutôt bien exploité. Pour ne rien gâcher, Fabien Clavel s’illustre dans une approche ludico-didactique qui m’aurait séduite à l’époque de mes 10-12 ans. Une saga qui se bonifie avec le temps et qui est plus que recommandable aux plus jeunes ainsi qu’aux parents qui ont envie de faire lire leurs enfants.

La divine proportion – Céline Saint Charle

19
La divine proportion
est un thriller dystopique écrit par l’autrice française Céline Saint Charle. Édité par Livr’S Éditions, vous trouverez ce roman au prix de 18 euros dans sa version papier et 4.90 dans sa version numérique.

Je vous ai déjà parlé de cette autrice avec un autre one-shot, post-apocalyptique cette fois : #SeulAuMonde.

De quoi ça parle?
Héléna (alias Léna) est journaliste web. Contrainte par son patron de se rendre à Berdoux pour effectuer un reportage au sujet d’un orphelinat qui reçoit une subvention, elle va découvrir l’envers d’un décor effrayant. Elle y rencontre la petite Cerysette, une enfant souffrant d’un angiome qui la défigure. En échangeant avec la petite, Léna prend conscience des conditions de vie assez affreuses pour ces invisibles, ces oubliés du système. Quand la gamine disparaît, la journaliste s’empresse de déposer plainte au commissariat auprès de Lucas Donadio, un flic sur le point de partir à la retraite. Ensemble, ils vont enquêter et remuer des secrets que le gouvernement français aurait préféré continuer de cacher.

Une dystopie terrifiante aux accents quasi prophétiques.
Si l’action se déroule en France, l’autrice évoque la situation des États-Unis afin d’expliquer quelques éléments clés du fond historique. En 2020, le président américain a pété un câble, fermé les frontières du pays et réinstauré une dictature patriarcale (wait a minute…). Depuis, des femmes fuient en masse pour se réfugier en Europe, notamment en France où elles n’ont aucune existence légale. On les parque dans des bidon-villes où elles n’ont pas beaucoup de choix quant à leur avenir. Peu après, le président Rollin arrive au pouvoir en France et propose plusieurs projets politiques. D’une, le réaménagement du territoire en dédiant des villes à certains secteurs / métiers et en reconstruisant sur base du nombre d’or. Il reçoit beaucoup de moqueries des politiques mais un grand soutien des citoyens qui accrochent plutôt bien à ses idées novatrices. De deux, l’application de la loi du Talion.

Oui, le Talion, celui de la Bible : œil pour œil, dent pour dent. Grâce à un procédé technologique dont je vous épargne les explications précises pour ne rien gâcher du roman, on peut faire vivre à un bourreau les souffrances de sa victime pendant x temps en guise de châtiment. Ça calme les ardeurs, direct. D’autant que tous les adolescents ont droit à un « Talion d’essai » en guise de prévention… Ça fonctionne si bien que la criminalité a drastiquement baissé, assez pour que la police ne porte plus d’armes et que les légistes se contentent d’autopsier des suicidés et des morts naturels pour ne pas perdre la main.

Sur le papier, la France s’en sort plutôt bien. Les autres pays l’envient beaucoup, d’ailleurs. Sauf qu’on se rend rapidement compte qu’il y a anguille sous roche…

Des thématiques fortes et actuelles.
Céline Saint Charle ne se contente pas de proposer une enquête intéressante au rythme maîtrisé. Elle apporte une réflexion sur des sujets dangereusement d’actualité comme la question des réfugiés. Dans la divine proportion, il s’agit de jeunes femmes américaines qui essaient d’échapper à un pays rétrograde où on les considère à peine comme des objets de valeur. Elles cherchent donc une vie meilleure en Europe… Ça vous rappelle quelque chose ? Tant mieux, gardez ça à l’esprit. Ces femmes, en arrivant, n’ont pas d’identité. Elles n’existent pas, aux yeux de l’État. Si elles meurent, ça ne les regarde pas et elles n’ont même pas droit à une sépulture décente. Elles n’entrent même pas dans les statistiques des crimes commis sur le territoire, d’ailleurs. Si bien qu’une existence parallèle, presque un monde à part, se déploie dans l’ombre de l’officiel. On y trouve ceux qui ont commis des crimes et craignent le Talion, des prostituées utilisées par les citoyens français les plus riches (hypocrisie quand tu nous tiens) et bien entendu, leurs enfants qu’elles confient pour la plupart à l’orphelinat du coin en espérant qu’ils auront un avenir meilleur en étant adopté par des personnes disposant d’une nationalité.

Ces thématiques profondément humaines interpellent et ne peuvent pas laisser de marbre d’autant que l’autrice se les approprie très bien. Elle les met en avant en le justifiant par son histoire, sans jamais appuyer inutilement ou transformer la Divine Proportion en pamphlet politique. L’équilibre fonctionne.

Un texte porté par les femmes.
L’autrice réussit à brosser une galerie de personnages féminins crédibles et touchants. Elles n’ont pas toutes le beau rôle et c’est ça qui est intéressant parce qu’on ne tombe pas dans le manichéisme type les mâles sont des monstres et les pauvres femelles totalement en détresse. Elles sont victimes, elles sont bourreaux, elles sont tantôt fortes, tantôt faibles, elles vivent dans des conditions difficiles et se battent pour ce qui leur tient à cœur. Pour la petite histoire, l’autrice avait proposé à ses lecteurs de choisir les prénoms des personnages secondaires. Une info qu’elle révèle dans les remerciements. Je trouve l’initiative hyper sympa. Je ne vais pas détailler chacune de ces femmes parce qu’elles méritent toutes qu’on leur rende justice, toutefois je vais m’attarder sur Léna et Cerysette qui sont les héroïnes de ce texte. Léna est donc une journaliste qui a du mal avec les contacts humains. Pas très douée socialement, le sang chaud, la fougue de la jeunesse pas encore désabusée, elle se bat bec et ongle pour divulguer tout ce qu’elle apprend durant son enquête afin que le public soit au courant. Elle m’a agacée quelques fois mais ça ne la rend que plus humaine. Quant à Cerysette… C’est une gamine qui crève le cœur. Harcelée par les autres enfants à cause de son angiome, ils la traitent de monstre et refusent de devenir son amie. Enfant solitaire d’une résilience exceptionnelle, la vie ne lui fait vraiment pas de cadeau, ce qui ne l’empêche pas de conserver une candeur et une bonté qui provoquent plus d’une fois les larmes aux yeux du lecteur.

Le mieux dans tout ça c’est que Céline Saint Charle ne diabolise pas les hommes pour autant. Lucas Donadio est un flic bedonnant sur le départ pour sa retraite en Bretagne. Il est droit, honnête, il s’implique dans l’enquête alors qu’il pourrait très bien poser ses jours de congé pour préserver sa tranquillité. Il a un caractère un peu bourru ce qui ne l’empêche pas de posséder une véritable profondeur. La psychologie de ce protagoniste ne manque pas de nuance, je l’ai trouvé très réussi. Quant à Tony, autre homme remarquable, il est l’employé du bordel de Berdoux, chef de la sécurité. Un ancien malfaiteur qui a du cœur en plus de talents culinaires indéniables !

Pour le plus grand bien.
Jusqu’où peut-on aller pour le bien de la majorité ? Pour le bonheur du plus grand nombre? Voilà une question qui transcende tout le roman. Je ne peux pas développer dans le détail afin d’éviter tout divulgâchage toutefois sachez que la divine proportion ne se contente pas d’être un thriller efficace. Le roman va au-delà et se veut texte réflexif. Quand on le referme, on ressent un malaise en espérant qu’il ne devienne pas prophétique. C’est là tout le talent de cette autrice : ce qu’elle raconte est si crédible que ça en devient possible, envisageable. Chapeau.

Un mot sur le Chien…
En tant que personne engagée dans le bien-être animal, je ne pouvais pas occulter le sujet du Chien. Je mets une majuscule parce qu’il s’agit du nom du canidé adopté par Léna lors d’un reportage à la SPA pour se rattraper après qu’elle ait un peu gaffé. Elle le possède depuis plusieurs mois et ça ne se passe vraiment pas très bien entre eux. Ils ne se comprennent pas, lui pisse sur le tapis et se retient en balade exprès, bref elle vit l’enfer. Chien a une importance dans le roman que je tais pour vous laisser la découvrir mais ce que j’ai surtout apprécié c’est la manière dont Céline Saint Charle explique le problème de l’animal. Quand on a que les justifications de Léna, on imagine un animal un peu retord, vicieux même, ce qui donne une assez mauvaise image des chiens adoptés ou de la SPA qui est bien contente de lui refiler un de leurs pensionnaires. Pourtant, Donadio comprend tout de suite où le bât blesse puisque, chance, son oncle est éducateur canin. D’où l’importance de consulter des professionnels quand on rencontre un souci avec son animal au lieu de se braquer ou pire, de baisser les bras. Je ne vous en dis pas plus toutefois c’était la première fois que je lisais un roman qui évoquait ce type de sujet. Même si c’est accessoire face au reste de l’intrigue, j’avais envie d’en parler et de dire merci à l’autrice pour ça.

La conclusion de l’ombre :
La divine proportion est un thriller à la française de grande qualité. Non contente de proposer une intrigue intéressante et bien menée, Céline Saint Charle construit des personnages à la psychologie travaillée ainsi qu’un fond réflexif qui laisse pantois. Le talent de cette autrice auvergnate se confirme un peu plus à chaque roman. Je ne peux que vous en recommander chaudement la lecture !

Les damnés de Dana #2 les brumes du crépuscule – Ambre Dubois

12
Les brumes du crépuscule
est le second tome de la trilogie les Damnés de Dana écrit par l’autrice française Ambre Dubois et publié aux Éditions du Chat Noir dans la collection Griffe Sombre. Quasiment épuisé, il reste toutefois quelques exemplaires papiers à 19.9 euros. Vous pouvez également profiter de la promotion numérique jusque début mai au prix de 1.99 euros.

Pour vous rafraichir la mémoire, je vous invite à lire mon retour sur le premier tome : la dame sombre.

De quoi ça parle ?
Le printemps arrive au nord du mur d’Hadrien, ce qui signifie que Rome risque d’y envoyer ses armées pour reprendre la conquête de ce territoire. Une perspective qui inquiète beaucoup Mévéa. Elle doit en plus subir le rejet de certaines femmes du village -jalouses de son succès avec Galen, soigner ce dernier mordu par un serpent et remettre la main sur le Père des druides pour palier au déclin de la foi en les dieux anciens. Un opus où elle n’aura pas le temps de souffler.

Une suite à la hauteur du premier tome… mais pas au-delà. 
Ce second tome a le mérite de rester dans une continuité par rapport au premier. On y retrouve des qualités identiques : son univers riche et celtique maîtrisé autant que renouvelé, son héroïne intéressante, un dynamisme qui participe à l’aspect divertissant avec des actions qui s’enchaînent sans nous laisser le temps de souffler. J’adore ! Mais les défauts relevés dans la dame sombre n’ont hélas pas disparu. Des défauts qui, je le rappelle, sont totalement subjectifs car en réalité il s’agit plutôt de coller aux codes du genre littéraire auquel les Damnés de Dana se rattache. Je vous en ai d’ailleurs parlé dans ma chronique du tome 1, je vais donc éviter de paraphraser.  Toutefois, si vous aimez les ambiances estampillés bit-lit, vous apprécierez cette saga.

Des vampires qui se révèlent… et des mâles qui s’effondrent.
Si l’autrice restait assez mystérieuse dans le premier opus, elle nous donne ici un certain nombre d’informations au sujet des suceurs de sang. On apprend par exemple qu’il existe une Reine au nord, Sabd, qui apparaît dans ce roman en tant que personnage actif et qui a des visions politiques assez différentes de celles de Derek. Ce n’est pas plus mal vu à quel point ce personnage est profondément agaçant. Derek, c’est le prince vampire du coin qui règne en maître sur la région, déteste les humains (évidemment) et est au passage le père de Prasus. Ce personnage est un parfait archétype du chef vampire ancien, cruel, détestable, inutilement borné, qui n’arrête pas de menacer tout le monde parce que vous comprenez, il est si fort et si puissant. Je le trouve ultra pénible, il manque de profondeur autant que de subtilité.

Et c’est finalement le cas de la majorité des personnages masculins, quand j’y réfléchis, car ils rentrent tous dans des cases aux bords bien nets, à l’exception de Brannos et Prasus. L’autrice s’en sort beaucoup mieux pour proposer des femmes à la psyché et au statut nuancé. La reine vampire m’a inspiré autant de curiosité que de sympathie. On sent qu’il reste des mystères à découvrir et que la gent féminine risque d’avoir le beau rôle dans la résolution de toute cette affaire. Enfin.. J’espère. La lecture du tome 3 nous en dira plus à ce sujet.

Les ravages du christianisme.
Ambre Dubois évoque, dans ce tome, une relation de nature homosexuelle. C’est l’occasion pour elle de donner dans la représentation active mais aussi de proposer une réflexion intéressante. Dans les religions qualifiées aujourd’hui de « païennes » la discrimination par rapport aux préférences sexuelles ne semblait pas exister. N’étant pas spécialiste de la question en profondeur, je prends des gants pour en parler et je m’appuie sur ce que l’autrice évoque dans son texte. On avait le droit de coucher avec des personnes du même sexe. Mévéa s’étonne d’ailleurs que les romains acceptent avec autant de ferveur une foi aussi restrictive quant à leurs pulsions. Deux personnages prennent des risques pour répondre à un amour naissant, non seulement parce qu’ils n’appartiennent pas au même camps mais aussi parce que la religion de l’un entrainera un aller simple sur le bucher si ça s’apprend. L’autrice aborde la thématique avec une certaine subtilité. Mévéa ne tombe pas dans le débat long et appuyé, cette partie ne prend pas une place démesurée. J’ai vraiment été enthousiaste face à cette idée qui rejoint les thèmes évoqués dans le premier volume : la défense de sa culture et de ses valeurs. face à ceux qui veulent imposer la leur.

Un bon divertissement.
Il est certain que les Damnés de Dana ne sera pas une saga coup de cœur et qu’elle ne révolutionnera pas son genre littéraire. On ne lui en demande pas tant. L’autrice gère bien l’aspect divertissant de sa trilogie, du moins jusqu’ici. Les actions s’enchaînent avec efficacité et clarté pendant que les intrigues se complexifient. Le lecteur obtient des réponses à certaines questions et d’autres mystères éclosent dans la foulée, maintenant son intérêt en alerte et provoquant un certain nombre de surprises inattendues (pas à chaque fois, notez). En lisant ce roman, je ressens la même émotion que devant une série télévisée dont on regarde la moitié de la saison en une soirée sans trop avoir compris comment on en arrivait à accrocher comme ça. Cette saga m’est agréable et provoque un effet un peu « couverture en pilou » (une métaphore qui, j’en conviens, fonctionne mieux en plein hiver) au point d’occulter ses défauts propres à son classement littéraire. Les scènes intimes superflues se passent aisément en sautant une page ou deux. La chance veut que l’autrice ne ressente pas le besoin de tout décrire en détail sur trois chapitres.

La conclusion de l’ombre :
Les brumes du crépuscule est une suite à la hauteur de son premier tome. L’opus ne se renouvèle pas et reste dans la continuité de ce que l’autrice a mis en place dans la dame sombre. Le lecteur sait donc dans quoi il s’engage : un bon divertissement à base de vampire et de mythologie celtique sur fond de conquête romaine au-delà du mur d’Hadrien. Si c’est votre tasse de thé, n’hésitez pas à vous lancer car c’est un bon cru !

Gabin sans « aime » & Le vert est éternel – Jean-Laurent Del Socorro

8
Gabin sans « aime »
et le vert est éternel sont deux nouvelles écrites par l’auteur français Jean-Laurent Del Socorro et présentes dans l’édition collector de son roman Royaume de Vent et de Colères dont je vous ai parlé il y a quelques jours. Édités par ActuSF, Le vert est éternel est même disponible gratuitement en numérique !
Lecture dans le cadre du Projet Maki.

De quoi ça parle ?
Ces deux nouvelles prennent place au sein de l’univers développé par l’auteur dans son premier roman, Royaume de Vent et de Colères. Gabin sans « aime » raconte l’histoire de Gabin, le commis de cuisine qui travaille à la Roue de la Fortune en compagnie d’Axelle. Personnage secondaire du roman, ce jeune garçon qui semble souffrir d’autisme se dévoile dans ce texte dont on prend toute l’ampleur après la lecture du roman. C’est sans doute la raison pour laquelle il n’est pas disponible à part, au contraire de Le vert est éternel.

Le vert est éternel se déroule après les évènements du roman, au sein de la compagnie du Chariot qui était auparavant dirigée par Axelle. N’a-qu’un-oeil a repris le flambeau et il participe au siège d’Amiens quand le roi lui envoie Fatima, sa chroniqueuse royale. Vous comprenez, ce n’est pas très bon de s’afficher avec une femme musulmane et espagnole alors qu’on assiège justement des espagnols à Amiens… Les deux vont se rapprocher et la nouvelle raconte leur histoire à tous les deux avec, en fond, les évènements du siège.

Des nouvelles bouleversantes.
Les deux textes ont chacun une dimension émotionnelle très forte et bien dosée par l’auteur. Dans Gabin sans « aime », le lecteur suit ce jeune garçon qui a perdu sa mère dans les premières années de sa vie et doit partager le toit d’un père violent qui n’accepte pas sa différence. Il souffre aussi de maltraitance de la part des autres enfants du quartier, ce qui n’enlève rien à sa pureté. Gabin aime son père même si l’homme le terrifie et qu’il cherche à s’en cacher pour ne pas devoir affronter la violence mal contenue en lui. C’est comme ça qu’il va grimper sur son toit, rencontrer Silas, puis s’enfuir pour ne plus quitter l’auberge d’Axelle. C’est dans cette situation que nous le rencontrons dans le roman, d’ailleurs.

La naïveté du personnage ne peut pas laisser de marbre. C’est touchant, c’est beau, ce texte écrit à la première personne déborde de sincérité au point que j’en ai eu les larmes aux yeux à la fin. Une vraie perfection.

Dans le vert est éternel, on rencontre cette fois N’a-qu’un-oeil, qu’on connait de nom grâce aux scènes du passé d’Axelle dans le roman. C’était le seul à savoir lire et la nouvelle s’ouvre sur un de ses hommes qui lui demande de déchiffrer le contenu d’un édit royal placardé partout. On comprend qu’il s’agit du fameux édit de Nantes qui prône la tolérance envers toutes les religions sur le territoire du royaume. Quand on vient de lire tout un roman à ce sujet et qu’on a pris conscience des tragédies induites par sa propre guerre, on a envie d’aller lui coller deux baffes à ce fichu roi. Mais c’est prétexte à un flashback de N’a-qu’un-oeil au sujet du siège d’Amiens, d’une tragédie qui a touché l’un de ses hommes et de sa rencontre avec Fatima.

Fatima est un personnage féminin fort. Femme simple, elle a refusé d’abjurer sa religion et a fuit l’Espagne. Elle est lettrée, c’est une astronome passionnée par les arts qui dégage une belle personnalité. On s’y attache immédiatement. Sa relation avec N’a-qu’un-oeil est plutôt touchante et le dénouement de la nouvelle ne peut que nous serrer le cœur. J’ai trouvé la mise en scène intelligente, rude mais harmonieuse avec le contexte historique.

Des personnages différents.
Que ce soit Gabin, Fatima ou N’a-qu’un-oeil, Jean-Laurent Del Socorro continue à mettre en scène des personnages du commun tout en versant subtilement dans la représentation de la diversité. Un enfant autiste, une femme maure de confession musulmane, un homme borgne, c’est très agréable et pertinent en plus d’être bien écrit.

Un style efficace.
Toutes les nouvelles sont rédigées à la première personne et au présent, ce qui permet une immersion totale. Maîtriser un tel type de narration n’est pas donné à n’importe quel auteur car l’exercice est plus compliqué qu’il n’y paraît. Ici, on ressent très bien la personnalité de chaque personnage à sa manière de s’exprimer, une réflexion que je m’étais déjà faite à la lecture du roman. L’exercice est plus que bien réussi pour l’auteur dont on n’a qu’une envie : lire de nouveaux textes.

La conclusion de l’ombre :
Gabin sans « aime » et Le vert est éternel sont deux nouvelles qui se placent dans l’univers du Royaume de vent et de colères. Écrites à la première personne dans un style maitrisé qui met en avant la personnalité de chaque personnage, Jean-Laurent Del Socorro nous propose d’en découvrir davantage au sujet de deux protagonistes secondaires du roman : Gabin et N’a-qu’un-oeil. Leurs histoires provoquent beaucoup d’émotions à la lecture et ces deux textes sont pour moi des coups de cœur. Je vous encourage plus que vivement à les découvrir !

Maki

Royaume de vent et de colères – Jean-Laurent Del Socorro

7
Royaume de vent et de colères
est un one-shot fantastico-historique écrit par l’auteur français Jean-Laurent Del Socorro. Édité par ActuSF, vous trouverez ce roman dans une magnifique édition collector au prix de 20 euros.

Je vous ai déjà parlé de cet auteur avec ses deux autres œuvres : BoudiccaJe suis fille de rage. Royaume de Vent et de colères est son premier texte (oui j’ai tout lu à l’envers, j’assume !) et celui qui m’a le plus fait vibrer. Il mérite largement son prix reçu en 2015 pour le meilleur roman de fantasy française !

De quoi ça parle ?
Marseille, 1596. La France s’embrase sous les guerres de religion et la République de Marseille s’oppose au Roi Henri IV en espérant conserver son indépendance. C’est dans ce contexte que s’épanouit la fresque du roman qui propose de suivre le quotidien de plusieurs personnages plus ou moins ordinaires.

Une uchronie historique rondement menée.
Je classe ce roman dans le genre de l’uchronie mais nous pourrions débattre à ce sujet. En effet, les évènements décrits par l’auteur ont réellement eu lieu, les personnages historiques cités ont agi plus ou moins comme Jean-Laurent Del Socorro le raconte. On est donc davantage dans le roman historique puisqu’il s’agit de romancer un morceau de notre histoire. Pourquoi, alors, m’embarrasser à évoquer l’uchronie? Et bien parce qu’une forme de magie existe dans cette réécriture. L’Artbon est une pratique assez rare venue d’Orient et maîtrisée par quelques élus seulement dont se sert le roi Henri IV pour reconquérir les différentes villes de France aux mains de ses nombreux et multiples ennemis. C’est d’ailleurs cette guerre que fuit un couple d’Artbonniers, persuadés d’y trouver la mort. L’Artbon aura même un rôle central à jouer dans la chute de Marseille puisqu’un sort empêchera la flotte espagnole de rejoindre le port à temps. Je n’ai pas pu vérifier si c’était bien arrivé à Marseille (je suppose que oui vu le soin apporté par l’auteur à ce genre de détails) mais il est amusant de constater que la même année, l’Invincible (ahem) Armada espagnole subit un sort semblable face à l’Angleterre. Réappropriation historique ou simple clin d’œil ? L’auteur joue à la frontière des genres et il s’y emploie plus que bien.

Sachez toutefois que dans l’interview disponible sur le site d’ActuSF mais également à la fin de l’édition collector du roman, Jean-Laurent Del Socorro préfère ne pas parler d’uchronie parce que le résultat de la bataille ne change pas, malgré la présence de cette touche magique. Le débat est ouvert et j’ai bien conscience que c’est un peu pour le plaisir de titiller que j’écris tout ça (mais surtout parce que ça me donne un bon angle pour vous évoquer l’univers 😉 ).

L’Histoire par les petites gens.
Jean-Laurent Del Socorro écrit un roman chorale… à la première personne. Chaque chapitre court (ils ne font que deux, trois, maximum quatre pages !) plonge le lecteur dans l’esprit d’un personnage qui aura un rôle à jouer dans le conflit dont on parle ou qui tentera simplement d’y survivre. À ce titre, nous rencontrons dans le désordre : Gabriel, chevalier de St-Germain, un ancien protestant forcé de se convertir après le massacre de la St-Barthelemy qui lui a enlevé toute sa famille. Victoire, une vieille dame qui dirige pourtant la fameuse Guilde des assassins. Roland et Armand, un couple d’Artbonnier qui a fuit la guerre avant qu’on les mobilise de force et doivent souffrir du manque qui les ronge suite à l’abandon de leur art. Axelle, une ancienne capitaine mercenaire reconvertie en aubergiste à la Roue de la fortune. Et enfin, Silas, un maure qui est le second de Victoire et dont les chapitres sont rédigés comme un long monologue où il s’adresse au bourreau qui va puis qui l’a torturé afin de lui arracher des informations sur les attentats qui se préparent.

Ainsi, plus qu’un roman historique, c’est surtout un roman humain que propose l’auteur puisque chaque personnage a ses espoirs, ses rêves, ses déceptions, qui rejoignent parfois le contexte principal et parfois non. Ils ont tous réussi, d’une manière ou d’une autre, à me toucher. Comment rester de marbre face à la culpabilité qui ronge Gabriel ? Comment ne pas admirer Victoire pour son parcours émancipateur de son sexe ? Comment ne pas trembler face à la menace qui pèse sur Roland et Armand ? Comment ne pas comprendre Axelle qui regrette d’avoir raccroché, se trahissant elle-même d’une certaine manière ? Jean-Laurent Del Socorro donne vie à des protagonistes forts et fascinants qui portent son récit clairement son récit. D’ailleurs, je prie qu’il écrive à nouveau au sujet d’Axelle puisqu’il y a matière à, comme il le souligne dans son interview.

Une appréciable diversité.
Je l’ai dit, l’auteur propose de suivre plusieurs personnages forts, nuancés et intéressants. Parmi eux, un couple homosexuel, une femme guerrière noire, une tueuse qui prend la place des hommes, un maure, on croise même un jeune garçon qui semble souffrir d’une forme d’autisme. Ce que j’ai particulièrement aimé, c’est que Jean-Laurent Del Socorro inclut ces éléments dans son récit sans en faire des caisses, à l’instar d’Ellen Kushner dans À la pointe de l’épée. Il est évident que l’homosexualité n’est pas tolérée dans un royaume catholique mais si Armand et Roland fuient, c’est avant tout pour échapper à la guerre. Axelle a commencé à diriger la Compagnie du Chariot au mérite et a arrêté pour embrasser une « vie de femme » en se mariant, en ayant un enfant dont elle ne voulait pas vraiment mais qu’elle tâche d’assumer. C’est un personnage complexe, tiraillé, très intéressant, qui permet de parler des pressions sociales que subissent les femmes sans tomber dans le pamphlet engagé trop insistant. Le message n’en est, selon moi, que plus fort. Victoire a décidé d’entrer dans la Guilde pour ne pas se tuer au travail comme l’a fait sa sœur, sœur qui l’encourage et lui témoigne toute sa fierté pour avoir eu la force d’y parvenir. Le milieu reste pourtant difficile et elle s’y impose sans prendre de gants ni de raccourcis (enfin elle raccourcit les gens ceci dit mais c’est un autre débat !) Silas, le maure, subit une forme de racisme mais s’épanouit quand même dans la Guilde en prouvant son mérite. Quant à Gabin, l’enfant autiste, je vais en parler plus longuement dans un second article consacré à l’une des nouvelles présentes à la fin du roman.

Un objet-livre superbe.
Enfin, je dois terminer ce retour en évoquant le travail magnifique réalisé par ActuSF sur cette édition collector de Royaume de vent et de colères. À l’instar du roman d’Ellen Kushner, il s’offre une couverture cartonnée et un signet en tissu ainsi qu’une belle calligraphie intérieure. Chaque en-tête de chapitre indique au lecteur qui il suit et la première lettre est calligraphiée. Quant aux pages d’ouverture, elles rappellent la mise en page des romans anciens par les imprimeurs de l’époque. Cela rajoute à l’immersion et c’est sans hésitation un objet à posséder d’urgence.

En plus du roman, cette édition contient deux nouvelles : Gabin sans « aime » et Le vert est éternel qui sont deux bijoux du genre au point que je vais consacrer un prochain article à vous en parler dans le détail. On y trouve également la version papier de l’interview de l’auteur, plusieurs fois évoquée précédemment.

La conclusion de l’ombre :
Royaume de vent et de colères est le premier roman de Jean-Laurent Del Socorro -que je découvre en dernier… et qui a été un magistral coup de cœur. J’ai ressenti énormément d’émotions à la lecture de ces chapitres courts qui prônent le dynamisme et l’immersion dans un récit poignant. L’auteur nous embarque à Marseille en 1596 pour nous offrir non pas un énième roman historique qui évoque la chute de la cité mais bien un roman humain, un roman des gens du peuple qui se débattent et survivent comme ils peuvent face à la folie des puissants. Un chef-d’œuvre que je conseille plus que chaudement au plus grand nombre d’entre vous !

That’s a long way to hell – Marianne Stern

9782379100314
That’s a long way to hell
est un one-shot écrit par l’autrice française Marianne Stern. Publié chez Livr’s Éditions dans la collection Névroses, vous trouverez ce roman au prix de 18 euros.

De quoi ça parle ?
Néoberlin, 2064, sous le régime communiste. Quelques années auparavant, un échange de bombes avec les États-Unis a effacé le reste du monde (selon la propagande en vigueur) de la carte. Hans vit dans les faubourgs et a un rêve : monter un groupe de metal qui jouera sur la Place Rouge à Moscou. Il va tout donner, tout sacrifier, pour l’accomplir. Enfin, si les fantômes le laissent faire…

Une uchronie fantastique ou une dystopie post apocalyptique ?
Jouons un peu sur les genres, sans chercher toutefois à égaler le Grand Serpent dans ce domaine. L’univers de fond créé par Marianne Stern n’est pas le point central du roman. Il est rapidement brossé dans le premier chapitre, quand Hans réfléchit à sa situation et qu’il montre à son meilleur ami un vinyle « de l’ancien monde » retrouvé aux puces. On apprend ainsi que l’action se déroule à Néoberlin, qui se situe dans ce que nous pouvons identifier comme l’Allemagne. Le Parti dirige le pays, nous sommes donc bien en plein régime communiste en partant du principe que la Russie a gagné la Guerre Froide, qui n’a pas vraiment eu le temps de durer. On peut donc parler d’uchronie puisque la modification historique se situe avant notre époque (en 1964 avec cette fameuse bombe). Mais si j’évoque la dystopie post apocalyptique, c’est pour deux raisons. La première, c’est pour sa définition stricto sensu. Une dystopie évoque une utopie sombre qui dépeint une société où les gens ne peuvent pas atteindre le bonheur. C’est un peu le cas dans ces faubourgs insalubres où vit Hans, qu’on tente de faire entrer dans le moule des gentils petits russes qui travaillent d’arrache-pied pour le bien de la société. Hans ne veut pas se tuer à l’usine comme Max. Il a un rêve, un rêve difficile à atteindre au point qu’il va lentement glisser vers le cauchemar. Enfin, je parle de post-apocalyptique parce qu’il semble que la société en tant que telle ne survive que sur une infime partie du Bloc de l’Est. On ignore tout de ce qui se passe ailleurs. À l’horizon, on ne voit que le no man’s land, réputé hanté. Tout qui s’y aventure n’en revient jamais et on repêche souvent son cadavre quelques jours plus tard. L’aspect surnaturel se situe ici et on s’interroge longtemps : sont-ce des superstitions? Hans perd-il la tête ? Délires tenant au psychiatrique ou à la trop grosse prise de drogue ? Le mystère plane et son classement dans la collection Névroses est extrêmement judicieux. Il permet de conserver le suspens jusqu’au bout.

Voilà pour le fond du roman. Personnellement en tant que lectrice, je n’ai à aucun moment ressenti le besoin d’en apprendre davantage. Marianne Stern donne les informations basiques de manière rapide, ce qui frustrera peut-être les accrocs aux univers approfondis mais ce n’est pas du tout le but de ce roman davantage axé sur la psychologie, la musique et les personnalités / relations toxiques.

De Hans à Richard, l’anti-héros par excellence.
That’s a long way to hell est écrit à la première personne au présent, ce qui nous offre une plongée dans la psyché de son personnage principal : Hans Schmidt qui deviendra Richard Sarakin en choisissant son nom de scène. Jeune adulte qui croit à fond dans ses rêves, il déteste la perspective de travailler en usine toute sa vie et rejette toute forme de contrainte. Le roman commence quand sa mère le met dehors après avoir découvert sa dope dans sa chambre. Sans se démonter, Hans va vivre chez Max, son meilleur ami, tel le bon parasite qu’il est parce qu’évidemment, il n’a pas une tune. Hans est un connard, n’y allons pas par quatre chemins. Il a un ego monstrueux, est vaniteux, exigeant envers les autres autant qu’envers lui-même. Il se donne à fond pour son projet au point de pourrir l’existence de ceux qui gravitent autour de lui. Pour ne rien arranger, le lectorat le vomira volontiers pour son comportement envers les femmes. Sa mère, déjà, Ana, dont il cherche l’amour à tout prix et qu’il n’hésite pas à insulter par frustration en se montrant carrément affreux. Sa copine aussi, Tania, avec qui il adopte un comportement de véritable enfoiré jusqu’à se mettre à lui taper dessus quand elle le contrarie. Ses accès de violence, il les justifie par la prise d’alcool et de drogue mais surtout par les actes de Tania qu’il qualifie très souvent d’emmerdeuse. Pour ne rien arranger, notre personnage principal souffre de plusieurs addictions qui lui rongent le corps autant que l’esprit.

Un connard, donc, il n’y a même pas à tortiller. Un type immonde et infect. Pourtant, Marianne Stern réussit l’exploit de provoquer chez son lecteur quelques étincelles de compassion à certains moments. Un sentiment qui dérange, parce qu’on n’a pas envie d’apprécier Hans / Richard malgré son génie, son talent musical. Et pourtant… Un anti-héros aussi maîtrisé que méprisable. Il fallait l’oser ! À mon sens, il est nécessaire de savoir où on met les pieds avec ce roman avant de l’entamer pour ne pas bloquer sur les éléments évoqués plus haut et que je vais encore m’employer à développer dans un paragraphe dédié.

Sexe, drogue et rock’n’roll.
That’s a long way to hell est clairement et avant toute autre chose, un roman musical qui exploite la culture metal underground avec tout ce qu’elle a d’excitant mais aussi de moche. Hans est un passionné, il vomit sur la musique imposée par les ruskis et se débrouille pour dénicher de vieux vinyles de groupes emblématiques pour apprendre et s’en inspirer. Les passages sur scènes dégagent une puissance qui fera vibrer les passionnés. On sent que l’autrice adore ce sujet et elle nous transmet brillamment sa passion.

Mais il n’y a pas que la musique, dans ce roman. Il y a tout le package qui va avec la formation d’un groupe. J’ai déjà parlé des addictions d’Hans mais il n’est pas le seul à boire, à fumer ou à considérer les filles comme des objets. Ces états seconds participent à l’ambiance générale du texte que l’autrice retranscrit très bien. On s’immerge volontiers dans le quotidien des Guns of Berlin et on les suit avec une fascination morbide en attendant l’instant où tout va exploser. Parce que oui, Hans a trouvé son équivalent en matière d’ego au moment où il a recruté Alex, le guitariste ! Il se pose là aussi dans le genre connard. Seuls Max et Tomas sont un peu plus posés. Le premier par amitié même si la coupe se remplit petit à petit. Le second par un tempérament plus doux. L’alchimie fonctionne bien dans le désaccordement de ces personnalités.

La représentation féminine.
Je ne peux pas ignorer cette thématique, surtout en cette période où fleurissent de nombreux articles très intéressants sur le sujet (j’en profite pour vous inviter à lire le billet de Planète Diversité !). J’ai tendance à penser que Marianne Stern représente mieux les personnages masculins que féminins dans le sens où elle maîtrise mieux leur psychologie (notez que je n’ai pas encore lu son dernier roman, Tu es belle Apolline, où l’héroïne est une femme. Mon opinion à ce sujet est donc amenée à évoluer). Ici, deux femmes sortent du lot. Ana, surnommée la Reine Mère par Hans, qui déteste son enfant depuis sa naissance, sans doute parce qu’il lui rappelle cet homme dont elle était folle et qui l’a abandonnée enceinte. J’évite de nuancer pour ne rien divulgâcher mais c’est l’impression qu’elle dégage pendant une grande partie du texte et même après certaines révélations, on ne eut s’empêcher de relever un certain paradoxe autour de cette notion d’amour maternel. Ana n’a jamais aimé que cet homme et se laisse mourir à petit feu depuis son départ. Elle apparaît assez souvent dans différents échanges avec son fils et j’ai trouvé leur relation vraiment passionnante en plus d’être terriblement toxique.

Quant à Tania, c’est à la base une jeune femme qui travaille dans un club à hôtesse et qui souffre visiblement d’anorexie. Elle y a rencontré Hans et est amoureuse de lui au point de finalement aller vivre à ses côtés dans l’appartement de Max. Toute femme qui lira That’s a long way to hell se demandera probablement pourquoi Tania s’obstine dans cette relation toxique magistralement mise en scène. C’est énervant, dérangeant, on a envie de rentrer dans le texte pour la gifler et j’en arrivais à avoir du mal à ressentir de l’empathie pour elle, alors que c’est la victime. Clairement, la représentation de la femme en prend un coup.

Mais…
Parce que oui, y’a un mais. Déjà, souvenez-vous, le roman se passe dans un univers uchronique sous régime politique communiste. Arrêtez moi si je me trompe mais je n’ai pas spécialement le sentiment que la femme est super bien considérée dans le Bloc de l’Est, peu importe que cent ans se soient écoulés. On peut se montrer tatillon en disant que l’autrice aurait pu justement changer mais mais ce n’est pas le propos de son roman. Ensuite, il est nécessaire d’avouer et d’accepter que des personnes comme Tania existent dans la réalité. C’est une victime défoncée par la vie, dépendante affective, anorexique, souffrant probablement d’autres troubles mentaux, bref c’est un personnage crédible qu’on pourrait -malheureusement- croiser dans nos vies. Enfin, tout est raconté et vécu du point de vue de Hans ce qui empêche les nuances puisque lui-même en manque, sauf quand il s’agit de musique. Je pense que c’est important de l’avoir à l’esprit en commençant ce roman. Enfin, ce n’est pas le sujet central de That’s a long way to hell qui se veut un roman musical, métalleux, qui suinte l’alcool et la drogue. On adhère ou pas, ça n’enlève rien à la qualité du texte. Personnellement, en tant que femme, je ne ressens pas systématiquement le besoin dans mes lectures de croiser des personnages féminins forts ou qui sortent du lot. J’avais déjà eu une réflexion semblable dans ma chronique sur Wyld. Le roman tient les promesses faites par la quatrième de couverture, c’est ce que je voulais lire, ça me suffit. Mais je sais que ça va déranger certain(e)s lecteur(ices) donc je me dois de préciser tout ça et de mettre en garde.

La conclusion de l’ombre :
That’s a long way to hell est un one-shot plutôt réussi qui pose une ambiance metal, drogue et décadence à l’ancienne mode. Porté par un anti-héros qu’on adore détester, le texte se place à la frontière des genres : surnaturel ou pas ? Vous le découvrirez en achevant sa lecture. Orienté autour de la psychologie des personnages et les relations toxiques, ce texte provocateur fera grincer des dents mais on le lit justement pour cette raison. J’ai beaucoup aimé et je ne peux que le recommander chaudement.