Les Enfants de la Terreur – Johan Heliot

les-enfants-de-la-terreur
Il n’est pas rare pour moi de lire les romans de Johan Heliot dont j’apprécie beaucoup le talent pour l’uchronie. À  mes yeux cet auteur est une référence dans le domaine si bien que je fonce sur ses publications adultes (parfois jeunesses mais moins) sans une once d’hésitation. Alors quand l’Atalante a annoncé une nouvelle parution qui allait se dérouler durant la Révolution française avec le Marquis de Sade en personnage principal, j’ai tout de suite été emballée puisque je me suis passionnée par les récits du monsieur durant ma scolarité. Imaginez moi, ado, avec Justine ou les malheurs de la vertu dans mon sac… Je me sentais trop rebelle.

Bref, sur le papier, les Enfants de la Terreur avait tout pour me plaire. Hélas…

J’ai commencé sa lecture à un moment inadéquat si bien qu’au bout d’une cinquantaine de pages, j’ai refermé le livre sans trop savoir où le ranger. Le remettre dans ma PàL ? Le condamner à la caisse des dons sans autre forme de procès ? Le ranger dans ma bibliothèque en trichant un peu parce que bon, c’est Johan Heliot quand même ? Finalement, plusieurs chroniques sont sorties peu après et m’ont convaincues de lui redonner une chance sans trop tarder. Cette fois-ci, je suis allée au bout et si dans l’ensemble, j’ai plutôt apprécié, je me dois de nuancer.

Quelques éléments de contexte :
Qui dit uchronie dit forcément lien avec l’Histoire mais aussi point de divergence. Dans Les enfants de la Terreur, Johan Heliot choisit de laisser Robespierre en vie. Il n’est donc pas assassiné en 1794, ce qui lui permet d’ancrer ses idées et son gouvernement pendant plusieurs années. La France s’étend sur un plan militaire, elle devient conquérante avec à la tête de son armée un certain Napoléon Bonaparte, pendant que son peuple vit dans la misère… Une misère qui pousse à certaines extrémités.

Johan Heliot décrit une société qui fonctionne en économie de guerre, où les jeunes valides sont envoyés au front, laissant les enfants et les femmes se débrouiller pour trouver de quoi survivre. Toute critique envers le régime peut mener à une arrestation arbitraire, toute personne doit pouvoir présenter ses papiers de citoyen au risque d’être également arrêté et les premières victimes sont bien entendu les enfants des rues.

L’ambiance se veut résolument sombre et dure. L’auteur dépeint avec brio toute la noirceur humaine et victimise un peuple pressé jusqu’à la dernière goutte de son sang. Un tel roman, avec de tels propos et une telle mise en scène d’un gouvernement excessif ne me semble pas anodin dans le paysage actuel de la France et même de l’Europe…

Je ne me permettrais pas d’aborder la question de la qualité de l’uchronie ici dans le sens où j’ai des bases concernant la Révolution française mais ce n’est pas une période sur laquelle je peux me targuer d’une quelconque spécialité. D’autres l’ont fait mieux que moi et je vous ai mis les liens de leurs chroniques à la fin de ce billet. Je n’ai donc pas en main les clés pour juger de la plausibilité du concept ou de l’idée. En lisant le roman, je peux toutefois dire que la construction paraît solide et qu’on sent le passé d’historien de l’auteur, qui a même été, si je ne me trompe pas, enseignant dans cette matière.

Un duo improbable :
L’intrigue s’étend sur une certaine période de temps et partage principalement sa narration entre deux personnages. D’un côté, le fameux Sade qui se fait appeler citoyen Louis et a tourné le dos à son passé sulfureux après bien des années en prison. Il a troqué les plaisirs charnels contre ceux d’une bonne table même si sa relative pauvreté l’empêche d’assouvir toutes ses envies. Il s’est rangé et vend sa plume aux journaux pour faire vivre sa petite famille recomposée.

Dans l’ensemble, la manière dont Johan Heliot s’est réapproprié ce personnage est plaisante et intéressante. On constate l’évolution de cet homme qui s’écarte de l’image du libertin excessif pour se concentrer sur celle d’homme de lettres, une facette généralement moins connue de lui. Il a su me toucher par son humanité, dans ses bons comme ses mauvais côtés.

L’autre personnage principal est Geneviève, une ancienne espionne royale qui s’est exilée en Angleterre avant la Révolution. Geneviève est aussi le Chevalier d’Éon, elle change de genre à plusieurs reprises et semble souffrir d’un trouble dissociatif de l’identité, quoi qu’elle soit en quelque sorte capable de dialoguer avec cette facette masculine d’elle-même. Je dis elle mais le personnage historique semble plutôt être né masculin et avoir un goût pour le travestissement. En réalité, son identité de genre est qualifiée d’énigme historique et je comprends que ça ait attiré l’attention de l’auteur. Si l’idée ne manque pas d’intérêt, j’ai trouvé l’exécution maladroite car Geneviève en devient presque caricaturale et me suis régulièrement ennuyée dans les chapitres de son point de vue.

Il arrive à la narration de prêter une voix de manière ponctuelle à l’un ou l’autre enfant afin de donner plus d’épaisseur au mystère de leur disparition mais aussi de matérialiser concrètement la misère qui est la leur. Forcément, ces chapitres se veulent touchants. Mais…

Une exécution maladroite :
On arrive ici au premier point qui fâche : si j’ai compris les intentions de l’auteur, elles ne sont pas passées dans l’exécution. L’intrigue du roman (chercher les enfants disparus) m’a semblé prétexte à un discours plus politique dans son sous-texte et à une réflexion philosophico-sociale via le personnage, notamment, de Sade. Si bien que je n’ai rien ressenti lorsque le plan du Comité est mis à exécution alors qu’il est terrible. Il m’a manqué l’émotion nécessaire pour être horrifiée. Sans parler de la fin qui manque clairement d’envergure. Il y a, à mon goût, un chapitre ou deux de trop.

Ce n’est pas la première fois que je rencontre ce problème avec l’auteur. En fait, il est même récurent à chaque fois qu’il s’essaie à l’exercice du one-shot et je m’en suis rendue compte en relisant d’anciens billets pour compléter celui-ci. Il me semble donc assez clair que je préfère lire Johan Heliot au format série, quand il a davantage le temps d’étaler ses bonnes idées et n’est pas contraint à tout faire tenir en un seul tome, sacrifiant ainsi ses personnages à l’exécution de son univers ou au message qu’il tient à faire passer.

La conclusion de l’ombre :
Sur un plan formel, Johan Heliot n’a rien à se reprocher avec ce roman. Malheureusement, pour moi, les ingrédients sont maladroitement mixés et si Les enfants de la Terreur garde un intérêt principalement pour la réécriture du personnage de Sade et son devenir (quoi que la fin, encore une fois…), il n’a pas l’envergure d’une Trilogie du Soleil qui avait beaucoup plus à raconter avec des personnages bien plus solides. J’en ressors mitigée, probablement parce que j’en attendais trop en me basant sur les autres titres de l’auteur en matière d’uchronie. Le texte n’en reste pas moins recommandable dans la mesure où le concept, les idées et le message vous intéressent plus que les protagonistes.

D’autres avis : Au pays des cave trollsLe nocher des livresBoudiccaJust a word – vous ?

Mes autres lectures de l’auteur : Grand Siècle #1, Grand Siècle #2, Grand Siècle #3, Lena Wilder #1, Reconquérants, Frankenstein 1918, La Trilogie de la Lune #1, La Trilogie de la Lune #2, La Trilogie de la Lune #3, L’imparfé #1.

Informations éditoriales :
Les Enfants de la Terreur par Johan Heliot. Éditeur : l’Atalante. Illustration de couverture : Dorian Danielsen. Prix au format papier : 19.90 euros.

Simulacres Martiens – Eric Brown

16
Sherlock Holmes sur Mars !

Simulacres Martiens est une novella qui s’inspire de la Guerre des mondes écrit par H. G. Wells et du célèbre duo créé par Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes et le Dr. Watson. Je dois confesser que je n’ai pas lu le roman de Wells et que même si j’aime beaucoup la figure de Holmes (notamment grâce à l’excellente série Sherlock) je n’ai lu qu’un seul de ses textes : le chien des Baskerville. J’ai donc abordé ce texte sans attentes particulières ni point de comparaison spécifique.

Concept :
Les Martiens ont envahi la Terre il y a une dizaine d’années, apportant avec eux quelques bénéfices pour l’humanité. La novella est racontée par le Docteur Watson, comme c’est toujours le cas pour les textes de Doyle mettant en scène Holmes. Watson évoque une enquête (à lire dans le Bifrost 105 dont j’attends l’arrivée sous peu dans ma boîte aux lettres) qui a tissé des liens entre Sherlock et l’ambassade de Mars. Ainsi, l’ambassadeur lui demande son aide pour tenter de résoudre un nouveau meurtre qui aurait été commis… Sur Mars.

Le célèbre détective et son ami devront donc embarquer dans un vaisseau pour trente-cinq jours de voyage ! Une aubaine pour Sherlock Holmes qui se passionne pour la culture martienne et a même appris leur langue. Mais pourquoi en appeler à lui spécifiquement pour résoudre un meurtre sur une autre planète qui dispose probablement d’enquêteurs compétents ? Rapidement, on se rend compte qu’il y a anguille sous roche…

Mon ressenti :
J’ai lu ce texte avec un certain plaisir. Les pages s’enchainent, les informations sur l’univers nous parviennent sans exposition inutile et on a envie de savoir où tout cela va mener. C’est bien maîtrisé dans l’ensemble toutefois j’ai été surprise par le déroulé des évènements. Quand on me parle de Sherlock Holmes, j’ai tendance à m’attendre à une véritable enquête théoriquement impossible à résoudre qui mettra à profit son intellect. Ici, on est plutôt dans une aventure au sens classique du terme et les talents de Sherlock ne servent pas à grand chose, si pas… à rien du tout. Tout comme Watson, il est spectateur des évènements et des rebondissements politiques qui se présentent à lui au point que j’ai l’impression que sa présence est davantage un prétexte à mettre en avant pour attirer l’œil sur le texte qu’autre chose. En soi, cela ne m’a pas gêné mais les personnes plus intéressées par l’aspect victorien-holmesien resteront probablement sur leur faim.

En parlant de fin (vous excuserez le jeu de mots !), je dois admettre que celle de cette novella me laisse perplexe. Rétrospectivement, Simulacres Martiens constitue plutôt une introduction au concept d’Eric Brown car le dernier chapitre ne conclut rien, que du contraire. Il annonce d’autres évènements à venir qui ne manqueront certainement pas d’intérêt ! Et que, je suppose, le Bélial traduira quand le moment sera venu. Mais du coup, j’ai l’impression d’avoir lu une sorte de bande-annonce très complète…

À ce stade, vous avez probablement l’impression que ma lecture s’est avérée, au mieux, mitigée mais ce n’est pas le cas. J’ai beaucoup apprécié le principe d’une uchronie victorienne où des envahisseurs aliens s’en prennent à l’humanité et où une faction rebelle tente de les chasser. C’est pourtant un principe classique mais l’époque de départ change tout pour moi, ça me séduit. Et la présence de Sherlock en rajoute une couche même s’il ne brille pas le moins du monde, au contraire du personnage de Freya Hadfield-Bell qui est très intéressante dans son rôle de rebelle militante et femme d’action. Je me demande si elle conservera cette saveur dans la suite.

La conclusion de l’ombre :
Simulacres Martiens est une uchronie de science-fiction où les Martiens ont envahi la Terre au début du 20e siècle. Contemporain de cette situation, Sherlock Holmes est sollicité par eux pour résoudre un crime sur Mars. Si j’ai regretté que le personnage de Sherlock Holmes soit plus un spectateur qu’autre chose et que la novella soit finalement une introduction plus qu’un texte terminé sur lui-même, les idées d’Éric Brown et son concept ont su m’intriguer et je me réjouis de lire ce qu’il écrira d’autre dans cet univers.

Informations éditoriales :
Simulacres Martiens écrit par Éric Brown. Éditeur : Le Bélial. Traducteur : Michel Pagel. Illustration de couverture par Aurélien Police. Prix : 9.90 euros.

D’autres avis : Lutin82XapurGromovarLe Syndrome de QuicksonLe nocher des livresL’épaule d’OrionAu pays des cave trolls – vous ?

logochallenge
+1 nouvelle
Avancée du challenge : 32 textes lus
Bonus : Lire un texte se déroulant sur Mars

#ProjetOmbre : { Les Tambours du dieu noir suivi de l’Étrange affaire du djinn du Caire – P. Djéli Clark }

tambours-dieu-noir_dos11.indd
Ce 15 avril 2021, l’Atalante sortait un petit ouvrage de 144 pages reprenant deux textes de l’auteur américain P. Djéli Clark. Le premier, les Tambours du dieu noir, est une uchronie fantastique qui se déroule dans une Nouvelle-Orléans alternative. Le second, l’étrange affaire du djinn du Caire, est également une uchronie fantastique mais avec un parfum plus steampunk, qui se déroule, comme son titre l’indique… Au Caire.

Vous noterez peut-être que la couverture ne mentionne que le premier titre. Il faut lire le verso pour savoir qu’un second texte est présent dans ce qui est donc un recueil. Ces textes n’ont rien en commun, pas même leur univers. Ils sont à considérer comme une mise en bouche du travail de l’auteur longuement vanté par l’ami Apophis et qui m’a donné, d’ailleurs, envie de les lire.

Si cet ouvrage vous intéresse, vous le trouverez partout en librairie au prix de 12.90 euros.
Je remercie Emma et les éditions l’Atalante pour ce service presse numérique.

Les Tambours du dieu noir.
Louisiane, en 1880. Jacqueline dite « LaVrille » a treize ans et se retrouve embarquée dans une histoire qui la dépasse car quelqu’un en veut à sa ville chérie au point d’utiliser contre elle une arme divine, dangereuse, mortelle même : les fameux tambours du dieu noir. Il va donc falloir les arrêter d’urgence !

Ce pitch assez classique ne cache pas de rebondissement d’intrigue qui laisseront le lecteur pantois. Autant le dire tout de suite ! La force du récit se situe ailleurs…

Tout d’abord, au sein de la narration et par extension dans le style d’écriture de l’auteur. Le texte est écrit à la première personne, du point de vue de Jacqueline qui utilise une langue française fleurie avec ses erreurs grammaticales et certains mots populaires. En lisant la chronique d’Apophis, j’ai découvert que la VO était en fait rédigée en Créole, dans un mélange d’anglais et de français. Je salue donc le travail de Mathilde Montier, la traductrice, qui a du s’arracher les cheveux pour réussir à rendre un résultat probant en français… Si cet élément pourra faire grincer certains des dents, je l’ai particulièrement apprécié car l’auteur pousse jusqu’à retranscrire les accents des personnages, si bien que certains échanges, notamment entre Jacqueline et la capitaine, demandent qu’on les lise à voix haute pour bien les comprendre. C’est original, cela participe à l’immersion mais, sur un plan personnel, cela m’a un peu lassé sur la longueur.

Ensuite, dans l’univers inspiré du folklore d’Afrique du Sud avec ses divinités et ses croyances. Le cadre de la Nouvelle-Orléans et de cette Amérique uchronique embourbée dans une guerre de Sécession sans fin est original et très enthousiasmant. Tellement qu’on regrette, finalement, de n’avoir qu’une aventure aussi banale et courte qui s’y déroule. J’aurais aimé que l’auteur aille plus loin et peut-être le fait-il dans d’autres nouvelles ou romans ? L’avenir nous le dira.

Enfin, dernier point mais non des moindres : la présence quasi exclusive de personnages féminins forts et de couleur, au point qu’on ne croise que peu d’hommes dans ce texte. C’est un élément à mettre en avant, surtout auprès des lecteurs en recherche de diversité. Je vois beaucoup passer des débats et des remarques à ce propos sur les réseaux sociaux, cela me paraissait fondamental de le signaler.

Pour résumer en deux mots les Tambours du dieu noir : une intrigue classique portée par un univers bluffant, très inspiré et des personnages féminins dont on se souviendra.

D’autres avis sur ce texte : Le culte d’ApophisLutin 82La bibliothèque d’AelinelLes chroniques du chroniqueurAu pays des cave trolls –  vous ?

L’étrange affaire du djinn du Caire.
On quitte la Nouvelle-Orléans pour le Caire ! Nouveau décor, nouvel univers, nouveaux personnages aussi. Cette fois, une narration à la troisième personne permet de suivre Fatma, une jeune agente du ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités Surnaturelles. L’intrigue se déroule en 1912, au Caire, dans une uchronie au sein de laquelle l’Égypte occupe une place de premier plan sur la scène internationale grâce à l’arrivée des djinns quarante ans plus tôt mais aussi au développement d’une technologie mécanique qui rappelle l’esthétique steampunk (notamment via la présence d’automate et d’horlogerie très avancée) mais n’en porte pas le nom, peut-être parce qu’il y manque justement la vapeur.

Bref, passons outre ce détail. L’étrange affaire du djinn du Caire est une enquête que je vais à nouveau qualifier de classique : un djinn est retrouvé mort, chose assez rare, et Fatma essaie de comprendre pour quelle raison. On suit donc son cheminement jusqu’à un dénouement un brin rapide. Le concept comme l’univers auraient mérité un développement plus solide car l’auteur ne laisse finalement qu’entrevoir toute son inventivité. Apophis signale qu’il existe un roman court dans le même univers et je me réjouis qu’il soit traduit car la lecture de cette nouvelle m’a agréablement dépaysée. Cela change de quitter l’Europe ou les États-Unis et de se retrouver au Caire, avec un folklore issu des légendes arabes. J’ai beaucoup apprécié le voyage.

De plus, le personnage de Fatma, brossée ici dans cette nouvelle, est très intéressant dans sa mise en place et fleure bon le féminisme. C’est le genre d’héroïne avec de l’esprit que j’adore suivre. J’espère donc la revoir dans d’autres textes !

Pour résumer en quelques mots L’étrange affaire du djinn du Caire, je vais utiliser des termes semblables à la première nouvelle : un univers bluffant, une protagoniste solide qu’on a envie de retrouver ailleurs mais une intrigue résolument classique dans le genre policier.

D’autres avis : Le culte d’ApophisLutin82La bibliothèque d’AelinelLes chroniques du chroniqueurAu pays des cave trolls – vous ?

La conclusion de l’ombre :
Ce premier contact avec P. Djéli Clark est une réussite. Il est évident que l’auteur possède une imagination débordante, riche et originale. Il va piocher dans des cultures qu’on n’a pas forcément l’habitude de croiser en imaginaire pour proposer des univers très intéressants au sein desquels, malheureusement, les intrigues restent assez classiques. Mais on l’oublie presque devant l’intérêt constitué par ses personnages principaux féminins diversifiés et solides. Je suis très curieuse de découvrir les prochaines œuvres de cet auteur traduites par l’Atalante !

Logo ProjetOmbre
+2 nouvelles
Avancée du challenge : 27 nouvelles lues.

Anergique – Célia Flaux

1
Anergique
est un one-shot steampunk écrit par l’autrice française Célia Flaux. Publié par ActuSF sous le label Naos, vous trouverez ce roman partout en librairie au prix de 17.90 euros.
Je remercie les éditions ActuSF pour ce service presse numérique.

De quoi ça parle ?
Lady Liliana Mayfair est une lyne qui appartient à la garde royale. Elle et son compagnon sont envoyés en Inde sur les traces d’une violeuse d’énergie qui sévit depuis des années. Une seule victime a, à ce jour, survécu : Aminat, agressé alors qu’il n’avait que dix ans et anergique depuis. De Londres à Surat, voici une enquête dans une Angleterre steampunk victorienne…

Du steampunk ?
C’est quand même le premier élément que je souhaitais relever car Anergique est qualifié de roman steampunk par son éditeur, toutefois je n’y ai pas retrouvé les codes du genre en le lisant. Ou, du moins, pas de manière suffisamment marquée pour que ça me saute aux yeux. Je me fie pour cela au guide d’Apophis qui, pour résumer, définit le genre de cette façon : Grossièrement, on pourrait définir le Steampunk comme une Uchronie (un monde où l’histoire s’est déroulée différemment par rapport à la nôtre) dans laquelle des technologies que nous qualifierions d’ « avancées » (typiquement : informatique, robotique, mechas et exosquelettes de combat, voire exploration spatiale) sont apparues à un stade bien plus précoce que dans notre monde, typiquement lors de la période Victorienne (d’où le « Steam » : ère de la vapeur).
Bien sûr, l’intrigue prend place dans une Angleterre victorienne mais à l’exception du dirigeable qui semble être plus développé (et encore, on a peu d’informations), il n’y a pas trace des éléments précités. Au contraire, c’est plutôt la magie qui est mise en avant. Attention donc si vous lisez ce livre en recherchant un roman à l’esthétique steampunk, vous serez probablement déçu. Personnellement, ça ne m’a pas vraiment dérangée car j’avais oublié ce point lors de ma lecture (je m’en suis souvenue en lisant le résumé de l’éditeur pour écrire ce billet) mais je pense important de le préciser.

Une violeuse ?
Autre point que je dois souligner, l’utilisation du terme violeuse qui a fait tiquer sur une autre chronique que j’ai pu lire. Il ne s’agit pas du tout d’une erreur de ma part ou de celle de l’éditeur. La lyne qui a agressé Aminat est bien qualifiée de violeuse et j’ai l’impression que ce terme heurte, choque aussi, peut-être par sa mise au féminin ? Pourtant, il est correctement employé par l’autrice car, dans la description de l’agression, on retrouve des bien des éléments reliés au viol. Ces points sont également présents dans la manière dont se sent la victime, dont elle essaie de surmonter son traumatisme. Ce mot est donc pertinent et son utilisation renforce les exactions de la criminelle.

Une métaphore sociale
Outre l’aspect enquête qui reste plutôt classique, la force du roman se situe, pour moi, dans la métaphore sociale que tisse l’autrice autour des concepts de lyne et de dena. Une lyne est un individu, de sexe masculin comme féminin, qui aspire l’énergie d’un dena (qui est donc un donneur, de sexe masculin comme féminin) pour se nourrir et être capable de prouesses magiques comme la création d’un bouclier ou le jet d’énergie. Cela ne sera pas sans rappeler à certain/e le mythe du vampire.

Je n’ai pas ressenti de discrimination genrée au sein de la société décrite dans le roman, ce qui est rafraichissant. Par contre, Célia Flaux dessine clairement, selon moi en tout cas, une métaphore sur le prolétariat face aux patrons puisque ceux qui produisent (ici les denas) sont exploités par les lynes qui dépendent pourtant d’eux pour survivre. De plus, les denas doivent se plier à tout un tas de règles. Il est par exemple interdit et tabou de donner son énergie à une plante en tant que dena. La problématique se pose avec Aminat, qui souffre d’un énorme traumatisme depuis son viol et n’arrive plus à nourrir qui que ce soit et donc à se débarrasser de ce surplus d’énergie. Quand sa mère le surprend à donner son énergie à un arbre, elle va jusqu’à qualifier son acte de blasphème envers les dieux.

Ces concepts sont abordables dans l’ensemble et exploités d’une manière assez intelligente pour faire passer le message voulu. L’univers créé par l’autrice n’est pas des plus fouillés ni des plus complexes mais il a le mérite de se tenir et d’induire de vraies thématiques. Je n’ai pas eu besoin de plus pour l’apprécier et m’y plonger.

Une narration à trois voix.
Ce roman est écrit à la première personne, au présent, et les points de vue alternent entre Liliana (la garde royale), Clément (son compagnon) et Aminat (la victime qui est aussi un ami d’enfance de Clément). Les transitions sont annoncées à chaque début de partie et on en a plusieurs au sein d’un même chapitre. Parfois, le changement se fait au bout d’une ou deux pages seulement (sur ma liseuse) ce qui permet un vrai dynamisme au sein de l’action et de l’intrigue. Les pages passent sans qu’on s’en rende compte, l’ensemble est plutôt efficace et bien mené. Les personnages sont suffisamment caractérisés pour qu’on ne les confonde pas même si les transitions restent rapides et parfois abruptes, ce qui peut gêner les lecteurs qui n’aiment pas trop qu’on les bouscule.

Liliana est une Lady issue d’une famille noble et en rébellion contre son père qui n’approuve pas sa relation avec Clément, qui n’est qu’un fils d’une famille bourgeoise. Elle a donc quitté le domicile familial et vit par elle-même depuis qu’elle a rejoint la Garde Royale, se mettant ainsi au service de la reine. J’ai vraiment aimé le fait de trouver un couple déjà formé au début du roman et entretenant une relation saine dés le départ puisque les intrigues / considérations amoureuses ont tendance à ne pas m’intéresser du tout. Le point de vue de Clément sert aussi à nuancer celui de Liliana mais également à apporter des informations sur Aminat et leur relation d’enfance. Aminat va ensuite prendre une plus grande part au sein de l’intrigue puisqu’il est le seul capable d’identifier cette violeuse, étant sa seule victime à avoir survécu. Cela a tissé un lien entre eux dont l’homme, devenu précepteur dans une noble famille, ne parvient pas à se débarrasser. Le traumatisme est toujours présent malgré les années. J’ai trouvé cet aspect vraiment intéressant et (surlignez la suite pour la lire mais attention, elle contient un élément d’intrigue) j’ai regretté qu’il disparaisse aussi vite tout comme je n’ai pas su me projeter dans l’évolution de la relation entre Liliana et Aminat, qui ne m’a pas semblée très crédible. L’aspect deuil et souffrance n’a pas su me toucher car trop vite oublié.  Après, c’est une affaire de goût, vous savez comment je suis avec les histoires de cœur…

Une postface enrichissante
J’ignore qui a rédigé la post-face (probablement Jean Laurent Del Socorro qui a dirigé l’ouvrage ?) toutefois celle-ci fait le point sur l’univers créé par Célia Flaux et sur la façon dont elle met en scène la magie, avec les lynes et les denas. C’est vraiment intéressant à lire même si ça peut paraître redondant à un lecteur attentif. Dans le cadre d’une collection comme Naos, qui se destine aux adolescents, je trouve que cette postface a une certaine utilité pour être exploitée, pourquoi pas, dans un cadre scolaire par exemple.

La conclusion de l’ombre :
Anergique est un roman qui se dit steampunk mais qui me parait plutôt de fantasy victorienne car l’esthétique du genre (définie plus haut dans ce billet) n’est pas pas présente. Cela ne l’empêche pas de proposer une enquête intéressante dans une Angleterre victorienne alternative qui a l’originalité de se dérouler en partie en Inde. Je retiendrais surtout la métaphore sociale tissée par l’autrice à travers ses concepts de lyne et de dena ainsi qu’une aventure menée sans temps morts dans une narration alternée plutôt efficace. J’ai passé un bon moment avec ce roman tout à fait recommandable !

D’autres avis : Lauryn BooksPlumes de LuneTasse de thé & Piles de livresLes dream-dream d’une bouquineuseEncres et calamesIel était une fois – vous ?

printempsimaginaire2017
Première lecture – défi « nouveaux horizons »
(découvrir une nouvelle autrice)

Vers les étoiles – Mary Robinette Kowal

2
Vers les étoiles
est un roman de science-fiction écrit par l’autrice américaine Mary Robinette Kowal. Publié par Denoël dans sa collection Lunes d’encre, vous trouverez ce texte partout en librairie au prix de 24 euros.
Un tout grand merci à Un papillon dans la lune pour m’avoir offert ce roman à l’issue d’un concours !

Petite précision : il a été porté à ma connaissance que ce texte s’inscrit dans une série d’autres (dont le recueil Lady Astronaut publié par Folio) mais aucune mention de tomaison n’étant présente, je considère qu’il peut se lire de manière indépendante et donc j’en ai parlé comme d’un one-shot. Cette affirmation sera vouée à évoluer en fonction de la traduction ou pas de la suite par l’éditeur mais ça me semblait intéressant de le préciser.

De quoi ça parle ?
En 1952, une météorite s’écrase au large de Washington, dévastant la côte Est des États-Unis dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres. Elma et son mari Nathaniel en réchappent par chance puisqu’ils se trouvaient en congé à ce moment-là, loin de la capitale où ils résident normalement. Elma est une ancienne pilote de l’unité WASP durant la seconde guerre mondiale ainsi qu’une génie des maths. Son mari, lui, est ingénieur spatial. Ils vont donc prêter main forte à ce qui reste de gouvernement américain et découvrir qu’outre les conséquences dramatiques immédiates, cette météorite va entrainer des changements climatiques radicaux qui ne laissent qu’une seule option à l’espèce humaine : coloniser l’espace. 

À la frontière des genres
Ce roman se place à la frontière de plusieurs genres littéraires et je vais laisser le Grand Serpent vous détailler les termes exacts à utiliser (il vous faudra donc lire sa chronique 😉 ). Je dois commencer par dire qu’on se trouve dans une uchronie puisqu’un évènement (ici la chute de la météorite) change radicalement le cours de l’Histoire telle que nous la connaissons. Cette météorite provoque un début de « fin du monde » et amorce une forme d’apocalypse puisque sa chute va rendre petit à petit la planète inhabitable. Et pour cause, puisque la vapeur envoyée dans l’atmosphère au moment de l’impact va entrainer un réchauffement climatique radical en l’espace d’une dizaine d’années. Elma s’en rend rapidement compte via une série de calculs et c’est cette base qui va sonner le départ du roman. 

C’est également un texte axé sur la science et l’exploitation de concepts scientifiques. Ma formation ne me permet pas de dire si tout y est correct ou pas (je vous laisse lire la chronique de personnes plus expertes que moi là-dessus) mais, sauf erreur de ma part, ça peut classer ce roman dans la « light hard sf » parce que les éléments scientifiques restent malgré tout plutôt accessibles, détaillé avec un côté presque pédagogique.

De plus, Vers les étoiles se veut un roman social et féministe car il aborde toute une série de thématiques (le statut de la femme, l’inclusion des personnes de couleur) sur lesquelles je vais revenir en profondeur plus bas dans ce billet. C’est donc un roman d’une grande richesse qui se place à la frontière des genres et des publics. 

Une richesse thématique qui laisse pantois. 
Mary Robinette Kowal écrit à la première personne, du point de vue d’Elma York, docteur en physique, génie des maths mais également juive, femme mariée et pilote. Son profil détonne déjà dans l’époque où elle évolue et permet d’aborder les fameuses thématiques sociales évoquées plus tôt. En effet, si son mari est un homme charmant et pas du tout sexiste, ce n’est pas le cas d’autres hommes qui remettent sans arrêt ses compétences en doute, pas tant sur un plan mathématique que sur celui de ses exploits de guerre ou de pilote. On se rend rapidement compte que si certains la voient comme une petite chose fragile à protéger (parce que c’est une femme donc elle est fragile, logique… #ironie) d’autres ne considèrent même pas son intelligence, uniquement à cause de son sexe. Si les choses ont un peu évolué depuis jusqu’au 21e siècle, Vers les étoiles reste hélas assez moderne sur la question, notamment celle du sexisme ordinaire.

Mais pas que ! On y aborde aussi la discrimination raciale qui causait encore des ravages aux États-Unis dans les années cinquante. Un racisme qui reste lui aussi d’une dérangeante modernité, quand on y pense… Il suffit de voir tout ce qui se passait là-bas sous la présidence de Trump. En effet, si les femmes sont dépréciées, que dire des personnes de couleur à qui on n’offre même pas assistance après la catastrophe ? La prise de conscience d’Elma de ce racisme qu’elle ne remarquait même pas jusqu’ici accompagne celle du lecteur avec brio. Cela vient par petites touches et ce combat se rajoute à celui des femmes puisqu’Elma va rencontrer plusieurs pilotes de sexe féminin ET afro-américaines. Des femmes très compétentes en tant que pilote mais à qui on dénie même le droit de postuler pour devenir astronaute. Pas frontalement, bien entendu. Toutefois, les présélectionnées sont toutes Blanches et une fois qu’Elma commence à le remarquer, la discrimination systématique saute aux yeux. 

Le traitement de ces thèmes et l’évolution de ceux-ci sont présents au cœur du roman et accompagnent l’intrigue en elle-même qui est celle du combat d’une femme pour le droit à se rendre dans l’espace. On pourrait craindre des longueurs et un trop plein d’introspection mais ce n’est pas le cas. L’autrice gère très bien les différents éléments constitutifs de son univers, si bien qu’on ne s’ennuie pas une seconde. 

Pour ne rien gâcher, chaque chapitre est surmonté d’un extrait de journal qui fait le point sur la situation à un endroit du monde ou montre de quelle manière la presse aborde tel ou tel sujet (et c’est le retour du sexisme / racisme ordinaire !). L’autrice explique dans sa note historique que la plupart de ces extraits sont très réels et même si elle en a réadapté certains à la situation, c’est loin d’être le cas pour la majorité. Et franchement, vu le ton employé envers les femmes ou les personnes de couleur, ça fait froid dans le dos. 

Elma York, héroïne malgré elle
Elma est la Lady Astronaut, celle qui se retrouve sur le devant de la scène sans le vouloir et va devoir assumer cette pression médiatique. Son intelligence et ses compétences ne l’empêchent pas de souffrir d’anxiété chronique, jusqu’à l’en rendre malade (elle vomit quand elle est trop stressée, c’est pas super pratique quand les journalistes sont sans arrêt sur son dos…) ce qui la montre comme étant très humaine, avec ses forces et ses faiblesses. J’ai trouvé son personnage vraiment nuancé, bien travaillé. On a d’un côté une femme qui se bat pour la cause féminine mais est mariée, se préoccupe du travail de son mari, le soutient en tout, avec une mentalité très « années cinquante » à sa manière, sans l’aspect soumis. Et il le lui rend bien. Nathaniel est un homme adorable, qui a lui aussi ses failles mais qui croit toujours en sa femme et ne l’empêche jamais de mener à bien ses projets. Au contraire, il la soutient et c’est vraiment agréable de suivre un couple comme eux, unis, sains dans leurs échanges. Mes tendances défaitistes font que je les trouve même un poil idéalisés sur ce plan mais au fond, ça ne fait de mal à personne. Au contraire !

La conclusion de l’ombre :
Vers les étoiles est un roman de science-fiction à la frontière des genres. Mary Robinette Kowal raconte à la première personne l’histoire d’Elma York, une femme pilote et génie des maths qui se bat contre la discrimination des 50′ afin de participer à la colonisation spatiale. Ce texte très humain est un régal à découvrir, je le recommande chaudement au plus grand nombre ! Et ce que vous aimiez ou non la SF parce que, pour ne rien gâcher, il est vraiment très accessible en tant qu’uchronie spatiale. 

D’autres avis : Le Culte d’Apophis – L’Épaule d’Orion – Albédo – Les lectures du Maki – Le Dragon Galactique –  Un papillon dans la luneLes blablas de TachanAu pays des cave Trolls – vous ?

Les héritiers d’Higashi #2 Bakemono-san – Clémence Godefroy

28
Bakemono-san
est le second tome de la trilogie des héritiers d’Higashi écrite par l’autrice française Clémence Godefroy. Publié par les éditions du Chat Noir, vous trouverez ce roman sur leur site Internet au prix de 14.90 euros.

Souvenez-vous, j’ai déjà parlé du premier tome sur le blog !

De quoi ça parle ?
Je vous propose ici de vous réexpliquer en quelques mots l’univers du roman : À Higashi, il existe plusieurs espèces de bakemonos qui vivent cachées depuis la fin de la grande guerre qui les opposa au clan Odai (des renards roux) et aurait mené à l’extermination de toutes les autres espèces animales à l’exception des renards roux et de leurs alliés les serpents. Ce clan règne  sans partage sur l’archipel depuis plus d’un siècle et c’est dans ce contexte que nous suivons l’histoire d’une série de personnages. Le premier tome se centrait surtout sur trois femmes : Ayané, une discipline de la Main Pure qui brûle de se voir confier une mission d’importance. Numié Dayut, héritière d’un clan de loup blanc du Nord qui a été faite prisonnière pour forcer les siens à ne plus défier les Odais. Et Yoriko, une nekomata (chat) qui va s’introduire au palais pour se faire oublier et découvrir… tout un tas de choses. Dans cette suite, l’intrigue continue de se développer en laissant la parole à d’autres personnages.

Un roman chorale
Comme pour le premier tome, celui-ci propose de suivre plusieurs protagonistes aux quatre coins d’Higashi, afin de ressentir efficacement l’évolution de l’intrigue. Plusieurs groupes vont donc se former :

Ayané va accompagner Tadashi vers le Sud après avoir découvert le secret de ses origines. Elle se pose beaucoup de questions sur elle-même ainsi que sur son ascendance mais va devoir les éclipser au profit de son ami tanuki ( = chien viverin) qui retourne dans sa tribu alors qu’il en a été banni. Il risque donc la mort ! Pourtant, le soutien des tanukis sera nécessaire dans la révolution qui se prépare…

Jinyu et Shunpei, deux nekomatas (= chat) vont quant à eux se diriger vers les forêts de l’Est à la recherche de l’Oni Vert, capable de rallier tous les yokais (= créature surnaturelle, c’est un terme générique car il en existe toute une flopée). Une puissance qui ne sera pas de trop dans leur lutte… En chemin, ils vont croiser la route de Temma, une jeune jorogumo (araignée) qui s’est mise en tête de les suivre, poussée sur ce chemin par son hélice. Malheureusement pour eux, ils vont rencontrer une terrifiante créature dont l’occupation va permettre de lever un voile sur le mystérieux métal flottant dont on fait les armures à Higashi. À mon avis, ces passages se révèleront clés dans le tome 3.

Enfin, Midori est une orochi (serpent) qui se rend au palais des Mille Flammes pour épouser Ren Ishida, le meilleur ami de Kaito Odai, voué à prendre la succession de l’Empereur. Successeur qui s’était entiché de Numié dans le premier tome au point de retarder ses fiançailles, on va avoir droit à une évolution de ce côté là d’ailleurs. Midori est une jeune fille bien sous tout rapport qui place l’honneur de sa famille avant son propre bonheur. Une fois au palais, elle va rencontrer un diplomate étranger prénommé frère Joachim, un homme qui reconnaitra son érudition. En effet, Midori étant de constitution fragile, elle s’est tournée vers la lecture au lieu de développer des aptitudes physiques comme c’est habituellement le cas au sein de son clan. Forcément, cette attention toute intellectuelle va créer un émoi…

À l’exception d’Ayané, les narrateurs de ce tome ont donc changé puisqu’on ne croise plus du tout la princesse Numié (partie en mission dans le Nord, on aura le fin mot de l’histoire dans le tome 3 je suppose) ni Yoriko qui s’effacent assez vite du paysage l’une et l’autre alors que leurs actions ont des conséquences au sein de l’intrigue. J’ai apprécié suivre ces nouveaux protagonistes avec une petite préférence pour Midori parce que sa force se situe dans les savoirs qu’elle recherche avidement et dans son goût pour la lecture. Clémence Godefroy choisit de mettre l’érudition en avant, j’adore !

Je dois toutefois avouer que j’ai eu besoin de quelques chapitres pour bien tout replacer. En cela, le mémo à la fin a un peu aidé mais j’aurai aimé un résumé du contenu du tome 1 -tant qu’on y était. Si je n’avais pas eu ma chronique pour me rafraichir la mémoire, j’aurai vraiment eu du mal. Je vous suggère donc de lire les tomes à peu de temps d’intervalle !

Une suite à la hauteur, avec des qualités identiques.
Difficile de se montrer très originale quand on chronique des suites, surtout quand celles-ci se révèlent d’une qualité identique au premier tome. En effet, j’ai retrouvé dans ce second tome tout ce que j’ai apprécié dans le premier, absolument tout ! La mythologie japonaise est bien exploitée et l’autrice a entendu la demande des lecteurs en incluant un petit explicatif concernant les mots japonais, les races et les suffixes afin que les novices puissent s’y retrouver. Personnellement, je n’avais pas ressenti de souci majeur mais il faut dire que je consomme énormément de mangas, donc je suis habituée… L’univers se développe et s’enrichit à mesure des chapitres, tout comme l’intrigue qui reste bien rythmée. Quant à l’écriture de l’autrice, elle dépeint si bien les décors, les personnages et les interactions que j’avais l’impression de lire un manga… Si vous voulez en savoir plus sur ces différents points, je vous invite à lire ma chronique précédente puisque je ne vois pas l’intérêt de réécrire identiquement la même chose 🙂

La conclusion de l’ombre :
Avec Bakemono-san, Clémence Godefroy signe un second tome tout aussi enthousiasmant que le premier en reprenant une recette qui a bien fonctionné et en s’y tenant : une mythologie japonaise maîtrisée (et cette fois rendue accessible même aux novices), une intrigue bien ficelée, des personnages intéressants… La qualité est au rendez-vous et une fois au bout de ce tome, on n’a qu’une envie : enchaîner sur le troisième ! Hélas, il va falloir attendre encore un peu pour cela mais il y a des romans pour lesquels cela vaut la peine et celui-ci en fait partie. Si ce n’était pas clair, je recommande très chaudement cette saga !

D’autres avis : Pas encore mais cela ne saurait tarder !

104830016_196628828305750_7386869054363146438_n

That’s a long way to hell – Marianne Stern

9782379100314
That’s a long way to hell
est un one-shot écrit par l’autrice française Marianne Stern. Publié chez Livr’s Éditions dans la collection Névroses, vous trouverez ce roman au prix de 18 euros.

De quoi ça parle ?
Néoberlin, 2064, sous le régime communiste. Quelques années auparavant, un échange de bombes avec les États-Unis a effacé le reste du monde (selon la propagande en vigueur) de la carte. Hans vit dans les faubourgs et a un rêve : monter un groupe de metal qui jouera sur la Place Rouge à Moscou. Il va tout donner, tout sacrifier, pour l’accomplir. Enfin, si les fantômes le laissent faire…

Une uchronie fantastique ou une dystopie post apocalyptique ?
Jouons un peu sur les genres, sans chercher toutefois à égaler le Grand Serpent dans ce domaine. L’univers de fond créé par Marianne Stern n’est pas le point central du roman. Il est rapidement brossé dans le premier chapitre, quand Hans réfléchit à sa situation et qu’il montre à son meilleur ami un vinyle « de l’ancien monde » retrouvé aux puces. On apprend ainsi que l’action se déroule à Néoberlin, qui se situe dans ce que nous pouvons identifier comme l’Allemagne. Le Parti dirige le pays, nous sommes donc bien en plein régime communiste en partant du principe que la Russie a gagné la Guerre Froide, qui n’a pas vraiment eu le temps de durer. On peut donc parler d’uchronie puisque la modification historique se situe avant notre époque (en 1964 avec cette fameuse bombe). Mais si j’évoque la dystopie post apocalyptique, c’est pour deux raisons. La première, c’est pour sa définition stricto sensu. Une dystopie évoque une utopie sombre qui dépeint une société où les gens ne peuvent pas atteindre le bonheur. C’est un peu le cas dans ces faubourgs insalubres où vit Hans, qu’on tente de faire entrer dans le moule des gentils petits russes qui travaillent d’arrache-pied pour le bien de la société. Hans ne veut pas se tuer à l’usine comme Max. Il a un rêve, un rêve difficile à atteindre au point qu’il va lentement glisser vers le cauchemar. Enfin, je parle de post-apocalyptique parce qu’il semble que la société en tant que telle ne survive que sur une infime partie du Bloc de l’Est. On ignore tout de ce qui se passe ailleurs. À l’horizon, on ne voit que le no man’s land, réputé hanté. Tout qui s’y aventure n’en revient jamais et on repêche souvent son cadavre quelques jours plus tard. L’aspect surnaturel se situe ici et on s’interroge longtemps : sont-ce des superstitions? Hans perd-il la tête ? Délires tenant au psychiatrique ou à la trop grosse prise de drogue ? Le mystère plane et son classement dans la collection Névroses est extrêmement judicieux. Il permet de conserver le suspens jusqu’au bout.

Voilà pour le fond du roman. Personnellement en tant que lectrice, je n’ai à aucun moment ressenti le besoin d’en apprendre davantage. Marianne Stern donne les informations basiques de manière rapide, ce qui frustrera peut-être les accrocs aux univers approfondis mais ce n’est pas du tout le but de ce roman davantage axé sur la psychologie, la musique et les personnalités / relations toxiques.

De Hans à Richard, l’anti-héros par excellence.
That’s a long way to hell est écrit à la première personne au présent, ce qui nous offre une plongée dans la psyché de son personnage principal : Hans Schmidt qui deviendra Richard Sarakin en choisissant son nom de scène. Jeune adulte qui croit à fond dans ses rêves, il déteste la perspective de travailler en usine toute sa vie et rejette toute forme de contrainte. Le roman commence quand sa mère le met dehors après avoir découvert sa dope dans sa chambre. Sans se démonter, Hans va vivre chez Max, son meilleur ami, tel le bon parasite qu’il est parce qu’évidemment, il n’a pas une tune. Hans est un connard, n’y allons pas par quatre chemins. Il a un ego monstrueux, est vaniteux, exigeant envers les autres autant qu’envers lui-même. Il se donne à fond pour son projet au point de pourrir l’existence de ceux qui gravitent autour de lui. Pour ne rien arranger, le lectorat le vomira volontiers pour son comportement envers les femmes. Sa mère, déjà, Ana, dont il cherche l’amour à tout prix et qu’il n’hésite pas à insulter par frustration en se montrant carrément affreux. Sa copine aussi, Tania, avec qui il adopte un comportement de véritable enfoiré jusqu’à se mettre à lui taper dessus quand elle le contrarie. Ses accès de violence, il les justifie par la prise d’alcool et de drogue mais surtout par les actes de Tania qu’il qualifie très souvent d’emmerdeuse. Pour ne rien arranger, notre personnage principal souffre de plusieurs addictions qui lui rongent le corps autant que l’esprit.

Un connard, donc, il n’y a même pas à tortiller. Un type immonde et infect. Pourtant, Marianne Stern réussit l’exploit de provoquer chez son lecteur quelques étincelles de compassion à certains moments. Un sentiment qui dérange, parce qu’on n’a pas envie d’apprécier Hans / Richard malgré son génie, son talent musical. Et pourtant… Un anti-héros aussi maîtrisé que méprisable. Il fallait l’oser ! À mon sens, il est nécessaire de savoir où on met les pieds avec ce roman avant de l’entamer pour ne pas bloquer sur les éléments évoqués plus haut et que je vais encore m’employer à développer dans un paragraphe dédié.

Sexe, drogue et rock’n’roll.
That’s a long way to hell est clairement et avant toute autre chose, un roman musical qui exploite la culture metal underground avec tout ce qu’elle a d’excitant mais aussi de moche. Hans est un passionné, il vomit sur la musique imposée par les ruskis et se débrouille pour dénicher de vieux vinyles de groupes emblématiques pour apprendre et s’en inspirer. Les passages sur scènes dégagent une puissance qui fera vibrer les passionnés. On sent que l’autrice adore ce sujet et elle nous transmet brillamment sa passion.

Mais il n’y a pas que la musique, dans ce roman. Il y a tout le package qui va avec la formation d’un groupe. J’ai déjà parlé des addictions d’Hans mais il n’est pas le seul à boire, à fumer ou à considérer les filles comme des objets. Ces états seconds participent à l’ambiance générale du texte que l’autrice retranscrit très bien. On s’immerge volontiers dans le quotidien des Guns of Berlin et on les suit avec une fascination morbide en attendant l’instant où tout va exploser. Parce que oui, Hans a trouvé son équivalent en matière d’ego au moment où il a recruté Alex, le guitariste ! Il se pose là aussi dans le genre connard. Seuls Max et Tomas sont un peu plus posés. Le premier par amitié même si la coupe se remplit petit à petit. Le second par un tempérament plus doux. L’alchimie fonctionne bien dans le désaccordement de ces personnalités.

La représentation féminine.
Je ne peux pas ignorer cette thématique, surtout en cette période où fleurissent de nombreux articles très intéressants sur le sujet (j’en profite pour vous inviter à lire le billet de Planète Diversité !). J’ai tendance à penser que Marianne Stern représente mieux les personnages masculins que féminins dans le sens où elle maîtrise mieux leur psychologie (notez que je n’ai pas encore lu son dernier roman, Tu es belle Apolline, où l’héroïne est une femme. Mon opinion à ce sujet est donc amenée à évoluer). Ici, deux femmes sortent du lot. Ana, surnommée la Reine Mère par Hans, qui déteste son enfant depuis sa naissance, sans doute parce qu’il lui rappelle cet homme dont elle était folle et qui l’a abandonnée enceinte. J’évite de nuancer pour ne rien divulgâcher mais c’est l’impression qu’elle dégage pendant une grande partie du texte et même après certaines révélations, on ne eut s’empêcher de relever un certain paradoxe autour de cette notion d’amour maternel. Ana n’a jamais aimé que cet homme et se laisse mourir à petit feu depuis son départ. Elle apparaît assez souvent dans différents échanges avec son fils et j’ai trouvé leur relation vraiment passionnante en plus d’être terriblement toxique.

Quant à Tania, c’est à la base une jeune femme qui travaille dans un club à hôtesse et qui souffre visiblement d’anorexie. Elle y a rencontré Hans et est amoureuse de lui au point de finalement aller vivre à ses côtés dans l’appartement de Max. Toute femme qui lira That’s a long way to hell se demandera probablement pourquoi Tania s’obstine dans cette relation toxique magistralement mise en scène. C’est énervant, dérangeant, on a envie de rentrer dans le texte pour la gifler et j’en arrivais à avoir du mal à ressentir de l’empathie pour elle, alors que c’est la victime. Clairement, la représentation de la femme en prend un coup.

Mais…
Parce que oui, y’a un mais. Déjà, souvenez-vous, le roman se passe dans un univers uchronique sous régime politique communiste. Arrêtez moi si je me trompe mais je n’ai pas spécialement le sentiment que la femme est super bien considérée dans le Bloc de l’Est, peu importe que cent ans se soient écoulés. On peut se montrer tatillon en disant que l’autrice aurait pu justement changer mais mais ce n’est pas le propos de son roman. Ensuite, il est nécessaire d’avouer et d’accepter que des personnes comme Tania existent dans la réalité. C’est une victime défoncée par la vie, dépendante affective, anorexique, souffrant probablement d’autres troubles mentaux, bref c’est un personnage crédible qu’on pourrait -malheureusement- croiser dans nos vies. Enfin, tout est raconté et vécu du point de vue de Hans ce qui empêche les nuances puisque lui-même en manque, sauf quand il s’agit de musique. Je pense que c’est important de l’avoir à l’esprit en commençant ce roman. Enfin, ce n’est pas le sujet central de That’s a long way to hell qui se veut un roman musical, métalleux, qui suinte l’alcool et la drogue. On adhère ou pas, ça n’enlève rien à la qualité du texte. Personnellement, en tant que femme, je ne ressens pas systématiquement le besoin dans mes lectures de croiser des personnages féminins forts ou qui sortent du lot. J’avais déjà eu une réflexion semblable dans ma chronique sur Wyld. Le roman tient les promesses faites par la quatrième de couverture, c’est ce que je voulais lire, ça me suffit. Mais je sais que ça va déranger certain(e)s lecteur(ices) donc je me dois de préciser tout ça et de mettre en garde.

La conclusion de l’ombre :
That’s a long way to hell est un one-shot plutôt réussi qui pose une ambiance metal, drogue et décadence à l’ancienne mode. Porté par un anti-héros qu’on adore détester, le texte se place à la frontière des genres : surnaturel ou pas ? Vous le découvrirez en achevant sa lecture. Orienté autour de la psychologie des personnages et les relations toxiques, ce texte provocateur fera grincer des dents mais on le lit justement pour cette raison. J’ai beaucoup aimé et je ne peux que le recommander chaudement.

La maison aux fenêtres de papier – Thomas Day

9
La maison aux fenêtres de papier est un one-shot difficile à classer écrit par l’auteur français Thomas Day. Publié chez Folio SF, vous trouverez ce roman partout en librairie au prix de 8.50 euros. J’ai découvert ce texte grâce à l’amie Trollesse que je remercie !

De quoi ça parle ?
Sadako est une femme panthère. À la fois captive et amante de Nagasaki-Oni, elle se retrouve prise au milieu de la guerre que cet homme livre depuis des années à son frère, Hiroshima-Oni. Ils se battent pour un idéal à imposer à l’humanité, un idéal propre à chacun. et qui nécessitera de nombreux sacrifices sanglants.

Mon résumé ne rend pas justice à ce roman troublant et complexe à décrire sans divulgâcher des passages de l’intrigue. Sachez-le. Ce bouquin, c’est une bombe, mais il ne conviendra pas à tout le monde.

À la croisée des genres, une réalité réinventée.
Avant toute chose, ce roman est une uchronie. Dés le début, Thomas Day indique qu’il s’est inspiré de certains éléments réels (comme les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki ou ce qui touche à l’histoire du Japon au 20e siècle) mais que son univers ne l’est pas du tout. De fait, on y côtoie des démons, on y lit des légendes et on s’y bat avec des artefacts tirés d’un folklore asiatique. Je dis asiatique car l’auteur ne se cantonne pas qu’au Japon et j’ai trouvé très intéressant ce dépaysement dans d’autres pays moins exploités comme le Cambodge ou la Thaïlande pour ne citer que ceux dont je me rappelle l’orthographe de tête. Malgré ça, il s’inspire fortement du monde nippon puisqu’il met en scène une organisation de yakuzas, dirigée par Wei, fidèle à Nagasaki-Oni et à Sadeko.

Une anti-héroïne troublante.
La maison aux fenêtres de papier est un titre poétique qui trouve rapidement sa signification puisqu’il représente l’esprit de Sadako, cette jeune femme à la vie assez tragique et aux névroses bien présentes. On ressent d’abord de l’empathie pour elle puisqu’on assiste aux abus qu’elle subit très jeune, qu’on apprend les horreurs infligées par Nagasaki-Oni, les épreuves qu’elle a du traverser. Impossible de rester de marbre. Pourtant, ce sentiment s’efface peu à peu face à ses choix égoïstes qui coûtent chers à ceux qui l’entourent. Elle commet des actes qu’on parvient à excuser, un peu, ce qui met à l’épreuve notre pragmatisme face à nos valeurs. J’adore suivre ce genre de personnage principal, je trouve l’expérience dépaysante et originale. Thomas Day s’en sort plus qu’honorablement avec elle, chapeau !

Une Asie légendaire…
Pourtant, l’histoire en elle-même ne commence ni ne se termine avec Sadeko. En effet, le roman débute sur une légende, celle de l’Oni-No-Shi puis se termine sur une autre version de cette histoire, qui n’a pas grand chose en commun avec la première si ce n’est de raconter l’origine de la même arme. Ce procédé est typiquement asiatique et la manière qu’a Thomas Day de narrer ces deux histoires l’est tout autant. On aime ou on n’aime pas mais personnellement, j’ai immédiatement accroché à ce parti-pris.

… mais aussi cinématographique.
On ressent dans ce texte toute l’influence japonaise de l’auteur, rien qu’à travers le traitement de la femme ou plus simplement la mise en scène du corps, du sexe, cru et sans détour qui m’a un peu rappelé l’Empire des sens. C’est un élément que j’avais déjà relevé dans la Voie du sabre (un autre roman de l’auteur à recommander !) et que j’aimais beaucoup. Plus que cela, la quatrième de couverture clame un lien avec le cinéma de Tarantino et je ne peux qu’approuver. Je ne suis pas spécialiste en la matière mais c’est vrai qu’on retrouve dans la maison aux fenêtres de papier cet aspect extrêmement violent et brut des affrontements, au point de frôler le grand-guignolesque.

Histoire de peaufiner tout ça, Thomas Day propose des références à la fin de son roman. Au sujet des yakuzas mais aussi sur le cinéma, ce qui permet de pousser plus loin notre curiosité si tant est qu’on ait apprécié le voyage. Et ça a été mon cas ! J’ai lu ce roman d’une traite. Il se dévore vite, difficile de le reposer quand on l’a ouvert. Toutefois, j’ai conscience qu’il ne peut pas convenir à tous les lecteurs à cause justement de son esthétique particulièrement sombre, de ses choix narratifs et de son ambiance asiatique assumée. C’est un texte de niche dans lequel on se bat tantôt avec une épée magique, tantôt avec des flingues, où on prend de mauvaises décisions et où on se tape dessus allègrement. Ce n’est pas un roman moralement acceptable mais bon sang qu’est-ce que c’est génial à lire !

La conclusion de l’ombre: 
Pour résumer, la maison aux fenêtres de papier est une uchronie surnaturelle s’inspirant de la mythologie asiatique et de ses codes autant littéraires qu’esthétiques. Thomas Day signe ici un one-shot qui ne ressemble à rien de ce que j’ai pu lire auparavant même s’il peut se revendiquer d’une parenté avec Tarantino sur sa construction visuelle. Des yakuzas qui se tirent dessus, des femmes qui s’affrontent au sabre (magique ou non), des démons et un peu de contes nippons, c’est tout cela qu’on trouve dans ce roman et davantage encore. J’ai adoré ma lecture mais j’ai conscience que ça reste un texte réservé à une niche de lecteurs tant son parti-pris est particulier.

La Trilogie de la Lune #3 La lune vous salue bien – Johan Heliot (3/3)

1
La lune vous salue bien
est le troisième tome de la Trilogie de la Lune écrit par l’auteur français Johan Heliot. Réédité chez Mnémos en intégrale prestige à la fin de l’année 2019, vous trouverez ce bel objet au prix de 30 euros partout en librairie.
Je remercie Nathalie, Estelle et les éditions Mnémos pour ce service presse.

Rappelez-vous, je vous ai déjà parlé des deux tomes précédents : la lune seule le sait et la lune n’est pas pour nous.

Ce volume se déroule dans les années 1950. Les américains ont débarqué en sauveurs pour aider l’Europe et ont ramené une forme de lumière après les Années Sombres, grâce à un système de miroirs. Boris Van, agent du secret français, va devoir mener une mission aux États-Unis après un passage par l’Afrique. Son but ? Comprendre ce qui se trame dans les hautes strates américaines et peut-être empêcher un désastre.

Contrairement aux volumes précédents, La lune vous salue bien est écrit à la première personne, du point de vue de Boris, à l’exception des débuts de chapitres qui sont toujours du point de vue d’un autre protagoniste, afin de comprendre davantage les enjeux de l’intrigue. Ce changement marque un certain dépaysement mais n’est pas dénué d’intérêt puisque ça aide à rendre le texte un peu plus immersif. Pas suffisamment pour moi, hélas (je vais y revenir) mais tout de même.

Dans cette uchronie, les États-Unis sont venus aider l’Europe après les évènements du volume 2, ce qui a permis une forme d’américanisation très présente pendant tout le roman. Comme Johan Heliot choisit d’écrire du point de vue de Boris, on prend conscience des nombreux mots anglais qui ont envahis le vocabulaire de tous les jours et qui sont écris phonétiquement dans le texte (nouillorque, bloudjine, etc.) Ce choix donne une saveur particulière à la narration, une couleur locale plutôt forte. Impossible de louper l’influence américaine sur la société européenne. L’écho est d’autant plus fort pour nous en tant que lecteur.

L’époque et le lieu permettent de développer les thématiques du patriotisme exacerbé, de la manipulation de masse par les médias télévisuels, de la force qu’a l’aura d’une star sur son public mais aussi des expériences secrètes aux conséquences terribles, rendues possibles par la mondialisation et l’interdépendance des pays. On retrouve là un sujet cher à l’auteur puisqu’il l’évoque de manière régulière dans ses œuvres. À mesure que l’intrigue avance, le lecteur prend conscience de quelle manière se construit une élection présidentielle, du poids des apparences, des enjeux du support privé, etc. Comme à chaque fois, Johan Heliot frappe fort avec ces thématiques malheureusement toujours actuelles.

Mais… Et c’est là que le bât blesse, c’est que ce tome supposé être un polar / roman d’espionnage se transforme justement un peu trop en pamphlet politique engagé à mon goût. Si j’ai aimé l’épilogue résolument cynique, j’ai ressenti plusieurs longueurs dans les échanges et explications entre les différents personnages. Je devais parfois résister à la tentation de passer des pages, la faute à des scènes d’exposition qui duraient trop longtemps pour se terminer presque chaque fois sur une explosion de violence avec un goût de « tout ça pour ça ». Pourtant, il y a de bonnes idées comme la manière dont le gouvernement américain a exploité les écrivains pour se développer (coucou, ça vous rappelle quelque chose les amis français ?), la tentation du contrôle de masse sur l’agressivité pour empêcher les guerres, la mince frontière entre sauveur et tyran… Franchement, oui, il y a un fond cohérent et riche. Sauf que la manière de présenter les idées manquait de rythme et de subtilité à mon goût.

Dans son souci de fidélité historique, Johan Heliot parle évidemment du racisme, à travers le personnage noir de Lothair qui, au final, n’a pas de réel poids et s’oublie assez vite. Quand je dis qu’il en parle… Disons qu’il le montre vaguement sans aller plus loin. Je sais que ce n’était pas le propos du livre mais quand même, il y a ici un manque de mise en contexte. Il montre aussi une image assez peu flatteuse des femmes. Cette fois-ci, elles sont complètement absentes à l’exception de Lolita (décrite comme une fille facile et montrée comme objet du désir lubrique d’un peu tout le monde) et… Et c’est tout en fait, je n’ai même pas envie de considérer Jayne comme un personnage représentatif. Nous sommes d’accord, c’est cohérent avec l’époque, je pense que c’est ce que l’auteur voulait montrer, mais ça en devient un peu lassant et c’est précisément pour toutes ces raisons que ce tome est celui qui m’a le moins séduit des trois. Mais je m’en doutais un peu quand j’ai découvert l’époque où il se déroulait. Ce n’est pas un contexte historique que j’apprécie et j’en ai un peu ma claque des histoires politiques. Du coup, la sauce n’a pas pris.

Sans compter que la Lune en elle-même, les Sélénites et les Ishkiss sont plutôt absents de ce roman. Le titre prend sens littéralement à la toute dernière ligne. On apprend que le peuple lunaire s’est mis en route dans l’espace à la recherche d’un nouvel endroit où vivre et qu’il a laissé derrière lui ceux qui n’avaient pas envie de les accompagner en les déposant au passage sur Mars. Ce sont ces gens, des jeunes pour la plupart, qui vont intervenir dans la politique américaine pour tenter de trouver une solution à leur déchéance programmée (ouais parce que c’est un peu la galère sur la planète rouge en terme de ressources). L’auteur raconte donc les conséquences de tout ce qui a pu arriver avant mais je pense sincèrement qu’il aurait pu s’arrêter au tome précédent sans que, sur un plan personnel, je ressente un manque quelconque.

Mais ce n’est pas parce que ça n’a pas fonctionné avec moi que le roman en devient mauvais pour la cause. Au contraire ! Johan Heliot continue de défendre sa place de maestro ès uchronie. On sent qu’il connait son sujet à fond et qu’il le traite avec la minutie de l’historien. Il réfléchit soigneusement sur la manière d’adapter ses thématiques au genre du roman et s’en sort plus qu’honorablement. Ses choix ne manquent pas de justesse ou d’intelligence et sur un plan formel, ce roman est bon. Il ne colle juste pas à mes goûts et à ce que j’attendais de cette trilogie.

Ma découverte de la Trilogie de la Lune s’achève donc sur une note mitigée mais je continue à recommander la lecture de cet ouvrage et des autres titres de l’auteur, en particulier Grand Siècle (au risque de radoter), que je considère comme une réussite totale.

Pour résumer, La lune vous salue bien n’a pas su me séduire tout simplement parce que le roman ne correspond pas à mes goûts. Il se déroule dans les années 1950 et s’appuie sur la thématique principale de la manipulation médiatique. Construit comme un polar et même comme un roman d’espionnage, il contient trop de scènes d’exposition pour vraiment me plaire en plus du racisme / sexisme typique de l’époque qui m’agace au plus haut point. Si ça n’a pas fonctionné avec moi, cela n’empêche pas La lune vous salue bien d’être un texte de qualité qui confirme Johan Heliot comme maître de l’uchronie.

La Trilogie de la Lune #2 la lune n’est pas pour nous – Johan Heliot (2/3)

1
La lune n’est pas pour nous
est le second tome de la Trilogie de la Lune écrit par l’auteur français Johan Heliot. Réédité chez Mnémos en intégrale prestige à la fin de l’année 2019, vous trouverez ce bel objet au prix de 30 euros partout en librairie.
Je remercie Nathalie, Estelle et les éditions Mnémos pour ce service presse.

L’histoire de ce tome commence en 1933 soit une cinquantaine d’années après les évènements racontés dans La lune seule le sait dont je vous ai déjà parlé précédemment. Suite à la chute de l’Empire, une Guerre Totale s’est déroulée, gagnée par Hitler qui en profite pour assoir la domination allemande et développer son idéologie aryenne. Il ne fait pas bon vivre sur Terre et cela exacerbe la rancœur des Terriens envers les Sélénites au sujet desquels la rumeur raconte qu’ils vivent plus que confortablement et ne souffrent pas de la faim.

Le lecteur est invité à suivre plusieurs protagonistes dont certain qu’il a déjà pu rencontrer dans le premier volume, à savoir Isidore (souvenez-vous de ce journaliste ami de Jules Verne !) et Jaume, le commissaire zélé qui approche de la retraite et ne rêve que de partir au soleil avec son épouse. Jaume connait d’ailleurs une évolution très intéressante et j’ai presque eu le sentiment de côtoyer un autre personnage tant il me plaisait dans ce volume et m’exaspérait dans le précédent.
À eux s’ajoutent Léo, un cambrioleur qui n’a décidément pas beaucoup de chance dans sa vie ainsi que des hauts dignitaires du parti nazi. Je parle évidemment de Himmler, Goebbels et bien entendu, Hitler en personne. À mon sens, il s’agit ici d’un choix plutôt osé de la part de l’auteur et j’ai ressenti un certain malaise à la lecture de ces chapitres. On a tellement ancré en nous l’horreur de la seconde guerre mondiale que suivre des figures aussi importantes, qui ont commis des actes aussi affreux dans notre réalité et en arriver à ressentir par moment une forme d’intérêt et de compassion pour eux, c’est malaisant. Johan Heliot les humanise, ce qui n’est pas un mal en soi car après tout ils étaient humains, ils avaient aussi leurs émotions et leurs tourments, mais je pense que je n’étais pas préparée à être confrontée à quelque chose comme cela. Qu’on se comprenne bien : à aucun moment l’auteur ne fait l’apologie de l’idéologie nazie, au contraire. C’est juste qu’il nous oblige à voir que ces gens, qu’on qualifie de monstres, étaient aussi humains que n’importe qui. Et à les côtoyer.

Ce roman est coupé en parties, chaque partie correspond à une année qui s’étend entre 1933 et 1937. En tant que lectrice, j’ai mis un moment à suivre correctement l’intrigue et à comprendre les liens tissés par l’auteur. Johan Heliot prend son temps, ce qui plaira à certains et peut-être moins à ceux qui, comme moi, aiment que ça bouge tout le temps. L’auteur en profite pour traiter de nombreuses thématiques et la principale d’entre elles reste bien entendu la propagande. Mais ce n’est pas celle qui m’a le plus marquée puisque l’auteur pousse le culot encore plus loin en interrogeant notre perception même du réel. Je m’explique : Jaume, à nouveau sous couverture, entre en possession d’un manuscrit écrit par l’auteur allemand Hanns Heinz Ewers (personnage historique, j’ai vérifié) qui raconte une autre version de la guerre… La nôtre, celle de notre monde à nous ! Il y décrit un univers où les Sélénites ne sont jamais entrés en contact avec les humains, où le parti nazi a lancé son plan d’extermination des juifs (il découvre du même coup l’existence de camps) et où ce sont les alliés qui ont remporté la guerre. La mise en contact avec ce manuscrit va radicalement changer les convictions de Jaume. Là où Johan Heliot est absolument génial, c’est qu’il joue avec sa propre uchronie au point que le lecteur en vient à se demander s’il n’évolue pas lui-même au quotidien dans le roman d’un auteur venu d’ailleurs. J’ai adoré ce concept et la façon dont ce manuscrit poussait les protagonistes à réfléchir au-delà de ce qu’on essaie de leur faire croire via la propagande. Cela montre également le redoutable pouvoir des livres, des fois qu’on l’oublie (et beaucoup ont tendance à l’oublier).

Johan Heliot pourrait s’arrêter là, il en aurait assez fait. Mais non ! Avec ce roman, il touche désormais à la science-fiction puisqu’il développe dans son uchronie une technologie avancée pour l’époque, plus que ce qu’elle ne devrait, et s’accapare également à une forme de mutation dans la fusion entre un humain et un sélénite. Léo est, à mon sens, une sorte de figure super-héroïque moderne avec des pouvoirs mutants qui lui permettent d’accomplir les exploits les plus fous, jusqu’à défier la mort. La ville de Germania est également dépeinte comme une ville futuriste qui m’a un peu évoqué Metropolis de Fritz Lang. Ce n’est pas spécialement surprenant puisque dans ce volume, c’est le cinéma qui dame le pion à la littérature et le lecteur va avoir le plaisir de croiser énormément d’acteurs et d’actrices de l’époque qui ont dans l’histoire un rôle purement figuratif mais ont le mérite d’être là pour renforcer l’effet réel. Léo lui-même va se faire passer pour un acteur et un festival de cinéma organisé à Germania deviendra le théâtre du dénouement de l’intrigue de ce tome.

Mais voilà, si ce roman est divertissant et déborde de références culturelles qu’on s’amuse à traquer, je l’ai trouvé par moment un peu longuet. Il faut vraiment attendre le dernier tiers (si pas quart) pour que les évènements s’accélèrent et qu’il devienne difficile de lâcher sa lecture. On ne peut pas nier la qualité de ce texte, rien que par la manière magistrale qu’a Johan Heliot de jouer avec l’Histoire, mais sur le plan du pur divertissement, certains auront peut-être un goût de trop peu.

Pour résumer, La lune n’est pas pour nous est une suite à la hauteur de La lune seule le sait. L’histoire se déroule cinquante ans après et voir fleurir une Germania victorieuse de la Guerre Totale avec, à sa tête, un Hitler plus glaçant que jamais. Johan Heliot n’a rien perdu de sa maestria quand il s’agit de jouer avec l’Histoire et la culture, parfois au détriment du rythme de l’intrigue. Je m’en vais de ce pas découvrir le troisième -et dernier- tome de cette superbe intégrale prestige dont je vous recommande la lecture !