Le cycle brisé est le dernier tome de la trilogie des Aînés et quel tome ! Il se déroule plus de trois cents ans après le premier livre sur Dënorh et permet de faire le lien entre les deux volumes précédents, offrant une conclusion magistrale à la série.
Une conclusion pourtant douloureuse, comme nous allons le voir.
Attention, cet article contient des éléments de divulgâchage de l’intrigue et des tomes précédents.
De quoi ça parle ?
Pour rappel, dans le premier tome, on découvrait de quelle manière Asroth revenait à la Tour et comment Dënorh mettait fin aux Guerres des Cieux. Dans le second, qui se passait chronologiquement avant, on rencontrait la terrible Talyä et on prenait connaissance de sa véritable histoire ainsi que de son plan secret : celui de mettre un terme aux Cycles, notamment à ceux d’Asroth, pensant ainsi sauver le monde. Pour cela, elle avait entreprit d’affaiblir les représentants de sa lignée pour qu’à terme, plus personne n’entende l’Appel.
Le cycle brisé est le résultat de ce plan car malgré les efforts de Leÿsha, impossible de trouver un nouveau Maître à Asroth ce qui plonge petit à petit la dragonne de Vie dans une profonde dépression teintée d’éclats colériques. Son Maître en souffre évidemment, perdant petit à petit la raison, et c’est d’abord sa narration à lui que nous suivons.
Un dernier tome plus sombre.
Cela peut paraître surprenant quand on sait que les deux précédents se déroulaient dans une période de guerre assez violente et pourtant j’ai trouvé le Cycle brisé plus lourd sur un plan psychologique et plus désenchanté dans l’ensemble. Quand Asroth parvient enfin à trouver un nouveau Maître, il s’agit d’une enfant esclave des Pointes prénommée Myä dont il se tient assez éloigné, pour une raison qui restera obscure longtemps. La vie de cette enfant n’est déjà pas rose et elle ne va pas s’améliorer en devenant Maître d’Asroth puisque le Général des Pointes va l’enfermer dans une chambre sous prétexte de la protéger, lui interdisant de sortir pour qu’elle ne se fasse pas repérer par Leÿsha, lui montant la tête comme quoi il en va de sa survie. Ce n’est que le jour où elle a ses premières règles et que le Général essaie de la violer -sans doute pour la mettre enceinte et perpétuer la lignée d’Asroth- qu’elle se décide à s’enfuir. Commence alors une longue traque dans un monde sur le déclin…
Parce que oui, la disparition de Mort couplée à la paix fait que les humains vivent bien plus longtemps. La démographie explose alors que les terres ne sont plus capables de fournir suffisamment de nourriture. Une maladie mystérieuse fait même son apparition, commençant à décimer la population, et c’est presque heureux vu l’état des Sept Royaumes. Parallèlement à ces problèmes, Leÿsha perd petit à petit la raison et fait régner la terreur. Quand elle comprend qu’Asroth a éclot sans qu’elle ne s’en aperçoive, elle se met à le traquer pour le retrouver et elle se persuade que son nouveau Maître l’a forcément monté contre elle, incapable d’accepter que Mort souhaite se tenir à l’écart.
Et c’est finalement l’éternel problème qui soutient cette trilogie : Asroth et Leÿsha sont apparus du Néant, à l’origine. La Mort et la Vie. Très vite, Asroth a compris qu’il serait celui qui causerait forcément la fin de Leÿsha et, l’aimant trop pour l’accepter, a préféré s’en tenir éloigné, raison pour laquelle Leÿsha commença à se créer d’autres compagnons pour palier à ce vide dans son cœur. Quand on y pense, cette saga des Aînés a l’amour pour thème principal, l’amour et ses souffrances. Pas au sens romantique du terme mais au sens familial. Asroth aime trop Leÿsha pour accepter de souffrir en la perdant, donc il s’empêche d’être heureux pendant toute son existence et ses nombreux Cycles en restant avec elle. Leÿsha aime trop Asroth pour accepter ou même essayer de comprendre sa décision de se tenir loin et intrigue donc tout au long de ses Cycles pour essayer de le ramener à elle.
Et au fond, ni l’un ni l’autre n’adopte la bonne attitude.
D’un autre côté, c’est une situation où il n’y a pas de vraie « bonne réponse » ou de vraie « bonne attitude » mais ça nous invite à réfléchir sur le fait que nous disparaitrons tous un jour ou l’autre alors ne vaut-il pas mieux profiter au maximum des moments à partager ? Aimer, c’est accepter de souffrir et souffrir, c’est l’essence de la vie, une vie sans souffrance n’a pas de saveur. Si Asroth l’avait accepté, les choses n’auraient jamais été aussi loin. Tout comme si Leÿsha avait eu des notions de base de respect du consentement, d’ailleurs…
Et c’est ce que j’aime dans cette trilogie. Tout n’est pas blanc ou noir. Ces dragons qui sont perçus comme des divinités par les hommes n’ont rien de parfait, ce sont même leurs faiblesses qui ont engendré l’existence de l’humanité et elle n’en est que le miroir. Du coup, quand Asroth affirme que les Hommes sont la cause de leurs problèmes, ça prête à sourire (jaune). Les Hommes sont des victimes collatérales et la pauvre Mÿa n’en sera qu’une de plus.
Un final douloureux.
La manière dont Selenya Howell choisit de terminer sa trilogie est assez désenchantée et pourtant, elle laisse une lueur d’espoir dans cet éternel recommencement que sont les notions de Mort et de Vie qui s’attirent pour mieux se repousser. Il y a un côté très vain à tout ceci, bien sûr, sous-entendant que l’Histoire n’est qu’un éternel recommencement (d’ailleurs il suffit de voir les sous-titres des tomes qui contiennent le mot « cycle »…) mais au fond, on s’en réjouit car on espère sans doute un peu naïvement que la prochaine fois se passera mieux pour eux. La fin est en quelque sorte ouverte, libre d’interprétation, d’une manière qui reste très satisfaisante car l’autrice a répondu à toutes les questions, a bien exploité son univers comme ses personnages et quand on prend du recul, on constate une construction narrative soignée et bien ficelée sur l’ensemble de la trilogie.
La conclusion de l’ombre :
La trilogie des Aînés a été pour moi un enchantement à découvrir et ce sur chacun des trois tomes. Pourtant, ils sont tous assez différents que ce soit par leur époque, leur protagoniste principal ou tout simplement leur ton / l’ambiance globale. Rien n’est à jeter dans les Aînés mais je retiendrais surtout le soin apporté au développement psychologique des différents protagonistes et la façon dont l’autrice est parvenue à rester toujours nuancée, sans jamais tomber dans le manichéisme. Ainsi, Serenya Howell se place largement à la hauteur des meilleures autrices de fantasy francophone en proposant une trilogie qui souffle un vent de nouveauté sur ce genre qui en a grandement besoin, rappelant qu’il n’y a pas besoin de chercher bien loin les séries de qualité.
D’autres avis : pas chez les blogpotes.
Informations éditoriales :
Les aînés, tome 3 le cycle brisé par Serenya Howell. Éditeur : Plume Blanche. Illustration de couverture : Coliandre. Prix au format papier : 18 euros.