Jolies Mary – Gwendolyn Kiste

En avril 2022 soit il y a presque un an paraissait aux éditions du Chat Noir Jolies Mary, une novella écrite par Gwendolyn Kiste qui est également l’autrice d’autres textes dont deux ont été traduits dans cette maison d’édition : Filles de Rouille et Plumes et Ciguë. On la retrouve aussi au sein de l’anthologie 9 où elle signait ma nouvelle préférée.

Ce n’est donc pas la première fois que je lis cette autrice et je commence à relever un certain schéma dont nous reparlerons plus loin. Mais qu’en est-il de Jolies Mary ?

Et bien c’est une histoire de fantômes et plus précisément, de Maries (au pluriel !). Elles sont cinq, cinq Mary issues du folklore américain, mortes et conscientes, obligées de se nourrir de la terreur des humains pour survivre.

La narratrice de cette histoire est Resurrection Mary, surnommée Rhee, une jeune femme qui aurait été percutée par une voiture alors qu’elle revenait d’un bal, dans les années 20. Notre narratrice n’a aucun souvenir de tout cela, on la rencontre alors qu’elle se nourrit de gens sur « sa » portion de route et, petit à petit, on découvre sa vie, le bien vivant David dont elle est amoureuse depuis des années, le manoir où elle est enfermée avec ses quatre sœurs de cœur, le passage du temps aléatoire… Ainsi que la situation problématique dans laquelle se trouvent les fantômes puisque trois d’entre elles semblent être oubliées des humains et avoir de plus en plus de mal à être vues et donc à se nourrir. Pour ne rien arranger, une voix masculine menaçante semble vouloir s’emparer des Mary…

Comme c’était déjà le cas dans ses deux autres romans, Gwendolyn Kiste met en scène un groupe de femmes malmené par un ou plusieurs hommes (ou une société patriarcale) et qui devront s’unir pour parvenir à s’en sortir, à lutter. Quand on a déjà lu l’autrice, le schéma narratif ne recèle aucune surprise mais n’en reste pas moins efficace. Les pages se tournent toutes seules et je la préfère décidément au format court.

L’autre intérêt de cette novella étant de faire découvrir des légendes méconnues du grand public. Je n’avais jamais entendu parler de Mistress Mary et de son jardin vénéneux, de Mary Mack condamnée à fabriquer son propre cercueil pour l’éternité ou encore Mari Lwyd qui est une légende galloise autour d’un crâne de jument… La fin de l’ouvrage contient d’ailleurs les chansons / comptines dont sont inspirées les Mary et j’ai trouvé l’idée intéressante.

La conclusion de l’ombre :
Si vous aimez les histoires de fantôme et les légendes urbaines, alors il est probable que vous passerez un chouette moment avec Jolies Mary. Cette novella embarque son lecteur au sein d’une sororité de fantômes qui vont se battre pour survivre et briser un cycle où la mort n’est pas une fin en soi. J’ai été touchée par les tourments de Rhee et apprécié découvrir ce texte recommandable.

D’autres avis : LullastoriesZoé prend la plume – vous ?

Informations éditoriales :
Jolies Mary par Gwendolyn Kiste. Traduction par Cécile Guillot. Illustration de couverture par Mina M. Éditeur : le Chat Noir dans la collection f. nigripes. Prix au format papier : 12 euros.

Lullaby – Cécile Guillot

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Lullaby
est une novella fantastique écrite par l’autrice française Cécile Guillot. Publiée aux éditions du Chat Noir dans la nouvelle collection F. nigripes, vous trouverez ce texte sur leur site Internet ou en salon sur leur stand au prix de 12 euros. La couverture est signée Mina M.

Ça y est, les éditions du Chat Noir ouvrent une collection dédiée au format court, judicieusement intitulée F. nigripes pour felis nigripis qui est un félin nocturne, le plus petit qui existe d’ailleurs. Je fais celle qui savait mais je l’ai appris en lisant le descriptif de la collection… L’idée est de proposer le même format que Chatons Hantés (9×13) mais avec un style plus proche de Griffe Sombre, leur collection gothico-horrifique. Deux textes ouvrent le bal en octobre 2021: Quand vient le dégel de Jay Robert Ducharme et Lullaby de Cécile Guillot, dont il est ici question.

De quoi ça parle ?
Cette novella écrite à la première personne se déroule aux États-Unis dans les années 1920. On y rencontre Hazel, une jeune femme qui aime écrire des histoires horrifiques dans son carnet et semble entretenir certains sentiments envers Blanche, sa voisine française. Vu la période, on devine sans peine qu’au moment où ses parents vont découvrir ses diverses « déviances », ils ne vont pas bien réagir du tout. De fait, ils décident de l’interner à l’asile Montrose…

Une histoire d’émancipation… mais pas que.
Une fois de plus, Cécile Guillot signe un texte où les personnages féminins se retrouvent en majorité et subissent les affres du patriarcat de plein fouet, cherchant ainsi à dénoncer des travers qu’on pourrait croire derrière nous mais qui sont hélas toujours d’actualité, même si on peut se réjouir d’une progression manifeste des droits de la femme. C’était déjà le cas dans sa nouvelle Le boudoir aux souvenirs où la protagoniste principale avait été transformée par un vampire sans son accord puis embarquée dans une relation malsaine, mais aussi dans Coeur Vintage où Mina, son héroïne, se retrouve prise dans une relation avec un garçon qui cachait bien son jeu et où des sauts temporels permettaient de suivre une autre histoire, celle d’une femme qui a aussi subi les obligations sociales de son époque (dans les années cinquante). Cette fois, c’est au tour de Hazel d’être rejetée par ses parents (sa mère va jusqu’à la traiter de monstre) parce qu’elle est en dehors de la norme imposée par les hommes. Une fois enfermée à l’asile, elle va y rencontrer Joséphine alias Jo, une femme internée par son mari pour ses convictions profondément féministes et son engagement dans la défense des droits des femmes.

Lullaby aborde donc l’émancipation de la femme et l’autrice choisit de le faire en se plaçant dans une époque où on éduquait justement les femmes à ne pas être indépendantes. Il faut garder cela à l’esprit quand on lit cette novella, notamment une fois la fin venue. Je ne vous expliquerais pas pourquoi d’autant que Cécile Guillot le fait très bien dans une note ajoutée à la fin qui contient également des références bibliographiques d’ouvrages en anglais qui lui ont permis d’écrire son histoire en restant au plus proche des horreurs de la psychiatrie d’antan ainsi que de la manière dont la société traitait (traite toujours parfois…) les femmes victimes d’abus (quels qu’ils soient).

Si Cécile Guillot a tenu à rester proche du réel, cela n’empêche pas sa novella de contenir une dimension onirique qui permet à Lullaby de se classer dans les genres de l’imaginaire. On peut débattre longtemps de ce qui tient de la métaphore, du jeu de l’esprit ou de la simple imagination de Hazel. Les réponses dépendront du / de la lecteur.ice. Toujours est-il que le texte fonctionne dans l’ensemble et qu’il colle parfaitement à ce qu’on attend d’une histoire publiée aux éditions du Chat Noir.

Enfin, l’autrice y évoque aussi en filigrane l’homosexualité féminine avec la douceur qui la caractérise et qu’on aime retrouver dans ses écrits. Elle passe aussi, pour cela, par les poèmes de Renée Vivien qui est une poétesse britannique que je ne connaissais pas mais dont la plume a su me toucher. Ses textes parsèment le récit et l’enrichissent.

La conclusion de l’ombre :
Pour résumer en quelques mots, Lullaby ouvre le bal d’une nouvelle collection prometteuse où le format court se pare d’atours gothico-horrifique, pour notre plus grand plaisir. Cécile Guillot propose un texte sur l’émancipation féminine avec des personnages féminins comme elle sait si bien en écrire et des thèmes hélas encore d’actualité. On est ici sur un texte classique du Chat Noir tant sur la forme que sur le fond et c’est tant mieux puisque c’est en général ce que je recherche quand j’achète un titre dans cette maison d’édition.

D’autres avis : pas encore mais cela ne saurait tarder !