L’homme qui mit fin à l’histoire – Ken Liu

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L’homme qui mit fin à l’histoire
est une novella écrite par l’auteur sino-américain Ken Liu. Édité par le Bélial dans sa collection Une Heure Lumière, vous trouverez ce texte au prix de 8.9 euros.
Cette lecture se fait dans le cadre conjoint du Projet Maki et du Défi Cortex !

Akemi Kirino a découvert et exploité des particules subatomiques (Bohm Kirino) qui ont la particularité d’aller par paire. Quand une s’éloigne de la Terre, l’autre y reste et la distance qui existe entre les deux permet à celle qui s’éloigne de garder des images du passé qui peuvent être lues grâce à un appareil technologique qu’elle aide à mettre au point. Dans un futur proche, c’est l’occasion pour elle et son époux de révéler des horreurs méconnues de l’Histoire dont les ravagés causés par l’Unité 731 entre 1936 et 1945 dans la province chinoise de Mandchoukouo.

Vous craignez que le postulat de base soit trop compliqué à comprendre ? Aucune inquiétude. En deux pages, Ken Liu vous exposer le concept de manière claire, que vous ayez ou non un esprit scientifique. ne vous laissez pas rebuter par ça parce que …Attention, ceci est une alerte au coup de cœur !
Je ne m’attendais pas à dévorer ce texte avec autant de passion. Impossible de refermer cet ouvrage d’une centaine de pages avant d’arriver à sa conclusion. Si j’avais été sceptique face au génie proclamé par tous de Ken Liu après ma lecture de sa nouvelle le Regard, force est de constater que je comprends désormais bien mieux l’enthousiasme autour de cet auteur.

L’homme qui mit fin à l’histoire se veut déjà remarquable par sa construction. Ken Liu écrit son texte sous la forme d’un documentaire. Il compile des témoignages de différents protagonistes liés à cette sombre affaire, des témoins, des chercheurs, des spécialistes, d’anciens soldats mais aussi des gens du commun qui donnent leur avis. Chaque « chapitre » compte du coup au maximum quelques pages seulement et ça rend le cheminement très dynamique.

On pourrait croire que ce mode narratif sacrifie l’empathie que l’on va éprouver pour les personnages mais ce serait une erreur, surtout en ce qui concerne les principaux concernés : Akemi Kirino et Evan Wei, son mari, historien de profession. L’une des d’origine japonaise, l’autre chinoise et ils vivent tous les deux aux États-Unis où ils se sont rencontrés. Ils représentent donc en quelque sorte les deux parties du conflit puisque la fameuse Unité 731 a été créée par le Japon aux alentours de 1932 et a utilisé des prisonniers chinois pour mener des expériences dans le but de développer des armes bactériologiques mais aussi de faire avancer la médecine. Quand j’ai commencé ma lecture, je pensais qu’il s’agissait d’une fiction puis j’ai commencé à douter. Une petite voix me soufflait : et si… Une recherche sur Internet plus tard m’a appris que j’étais complètement ignorante d’un pan entier de l’Histoire et ça m’a secouée. Qu’on se comprenne, je n’ai pas la prétention d’être au courant de tout ce qui se passe ou s’est passé dans le monde mais quand on étudie la seconde guerre mondiale en Europe, personne n’aborde jamais ce qui a eu lieu en Asie à la même époque. Ou, en tout cas, pas dans les écoles ou les universités que j’ai pu fréquenter. Comment est-ce seulement possible ? Franchement, ça me révolte.

Évidemment, la manière dont se présente le récit est romancée. Evan Wei ne peut envoyer qu’un témoin à un moment précis de l’Histoire avant que celle-ci ne s’efface. En tant que lecteur, on découvre notamment le témoignage de Lillian, qui a cherché à savoir ce qui est arrivé à sa tante, enlevée pour devenir un sujet d’expérience. Lillian raconte dans le détail ce qu’elle a vu, avec toute l’horreur que ça nous inspire. Il est plus que probable que l’auteur se soit basé sur des faits réels et des témoignages mais n’étant pas du tout spécialiste de cette période, je ne peux rien confirmer ni infirmer.

La manière dont ces voyages se déroulent pose énormément de questions d’ordre éthique et philosophique. En effet, envoyer des représentants des familles des victimes signifie que les chercheurs vont peut-être les aider dans leur processus de deuil mais que l’Histoire sera totalement effacée, impossible à observer pour un historien de profession. Ça pose d’autant plus problème puisque les Japonais ont brûlé tout ce qui concerne cette Unité 731. Les preuves sont très maigres, quand on en a… S’affrontent ici l’humanité, l’empathie, et la froide logique institutionello-académique. Ken Liu ne se positionne pour autant pas en donneur de leçon. Il laisse la parole à des personnages qui représentent des points de vue et des convictions différentes, ce qui permet au lecteur de réfléchir et de se forger sa propre opinion. J’ai vraiment adoré ce parti-pris de l’auteur.

Cette opinion, le lecteur ne manquera pas de la développer non seulement sur la manière dont il est bon de gérer une telle technologie mais aussi sur le paysage politique contemporain. Ken Liu nous parle de la Chine telle qu’on ne nous la présente jamais dans le monde occidental, braqué sur le fait qu’elle existe sous un régime totalitaire. Je ne veux pas dire que je soutiens cette façon de gouverner mais dans l’homme qui mit fin à l’histoire, la façon dont le Japon et les autres pays du monde réagissent au drame de l’Unité 731 est assez révélateur d’un problème de partialité sévère.

Honnêtement, je pourrais parler des heures de cette novella tant elle m’a prise aux tripes. C’est un bijou, un chef-d’œuvre que j’ai envie de relire encore et encore. Je n’ai plus été aussi emballée pour un texte depuis longtemps et c’est un soulagement de l’avoir découvert. Merci au Bélial pour avoir édité et traduit ce texte ♥

Pour résumer, l’homme qui mit fin à l’histoire est un énorme coup de cœur. Cette novella écrite par Ken Liu est remarquable tant sur sa forme (un documentaire !) que sur le fond qui s’interroge sur le devoir de mémoire et instruit le lecteur occidental sur des évènements dont il n’avait probablement jamais entendu parler. C’est un texte à découvrir absolument et qui ne vous laissera pas indifférent. LISEZ-LE D’URGENCE !

28 réflexions sur “L’homme qui mit fin à l’histoire – Ken Liu

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  10. Honte sur moi mais je ne connaissais pas du tout cet auteur!! :-/ Ni l’événement historique dont il est question dans cette novella!! Mais je compte bien y remédier pour l’un comme pour l’autre après avoir lu ta chronique! 🙂

  11. Cette novella m’avait beaucoup secoué aussi et reste pour moi l’une des meilleurs de la collection UHL. Je te rejoins aussi sur l’enseignement de l’Unité 731, je ne l’ai jamais étudié à l’école et à la fac non plus.

    • Je suis bien d’accord, pour le moment dans tous ceux que j’ai pu lire c’est même LA meilleure. Et je trouve ça sidérant qu’on oblitère toute une partie de l’histoire n’empêche… Ça fait peur et ça fait réfléchir.

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    • J’évite les spoils dans les chroniques mais je te comprends, c’est un texte qui vaut vraiment le coup de le découvrir sans rien en savoir. C’était mon cas et ça a participé à la claque monumentale que je me suis prise ☺️ je te souhaite une belle lecture !

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