Nouvelles du front (anthologie)

9782379100956
Chaque année (du moins quand il n’y a aucune pandémie mondiale) Livr’S lance un appel à un texte pour un recueil de nouvelles dont la thématique change à chaque fois. Celui qui nous occupe aurait du paraître il y a un an mais la situation épidémiologique étant ce qu’elle était et les salons s’annulant en chaine, la maison d’édition a préféré attendre 2022 pour sortir son anthologie sur le thème de… la guerre.

Bon.
On ne peut pas tout prévoir, hein.

Cette anthologie sortira officiellement le 1er juin mais est actuellement en précommande jusqu’au 30 avril sur le site Internet de Livr’S. Elle contient en tout neuf nouvelles pour dix auteur·ices, l’un des textes étant écrit à quatre mains. Elle est marrainée par l’autrice française Silène Edgar.

Comme d’habitude, je me propose de revenir sur chaque texte à l’exception du dernier, puisqu’il s’agit du mien.

Dans le noir – Silène Edgar :
C’est la marraine qui ouvre le bal avec une nouvelle rédigée sous forme d’une scène théâtrale. On y voit un soldat qui pose le pied sur une mine et sait qu’une fois qu’il va le retirer, il mourra dans une explosion. C’est l’occasion pour lui de quelques échanges avec des personnes issues de son passé ou de son futur hypothétique.

Mon explication ne rend pas justice à la force narrative de ce texte. En quelques pages, Silène Edgar dévoile tout son talent dans un texte frappant et efficace qui donne envie de découvrir son œuvre. C’est mon premier contact avec sa plume et ça ne sera pas le dernier ! Évidemment, il faut aimer le style et la narration du théâtre mais, vous le savez, c’est largement mon cas si bien que cette nouvelle est peut-être ma préférée d’entre toutes.

Dans la montagne – Aurélie Genêt :
Cette nouvelle se déroule au 17e siècle, durant une guerre en Alsace. Elle est racontée du point de vue d’une prostituée qui suit l’armée pour essayer de survivre avec quelques passes. Celle-ci se lie avec un homme qui promet de l’épouser une fois la guerre terminée. L’autrice choisit de mettre en scène une femme qui, petit à petit, découvre la face sombre non seulement de son bien-aimé mais aussi du conflit.

Aurélie Genêt s’inspire de faits historiques réels et y rajoute une touche de surnaturel qui permet en prime d’insister sur l’importance de témoigner par écrit, de laisser une trace pour dénoncer les réalités de la guerre. Cette thématique reviendra plus d’une fois dans le recueil.

Dans la montagne est une nouvelle qui touche forcément de par son personnage désenchanté mais aussi les thèmes qu’elle aborde. Pour moi, il s’agit d’une réussite.

Sarajevo, New-York, Kisangani – Gauthier Guillemin :
L’histoire commence en Yougoslavie, pendant le conflit d’indépendance. La mercenaire indienne Ajapali est engagée par le gouvernement français pour sauver Lou Duruy, journaliste de guerre, prisonnier sur place. La narration suit Lou tout du long et l’intrigue s’étale sur plusieurs années car cette expérience va le marquer et lui donner envie de changer les choses.

J’avais lu le premier jet de cette nouvelle et on peut dire que l’auteur l’a bien retravaillé même si je l’ai trouvée un peu longuette avec beaucoup de blabla philosophique au sujet de la guerre. De plus, la fin est assez abrupte, il m’a manqué un petit quelque chose. Toutefois, l’ensemble se tient et le message sur les conflits est intéressant. Sans compter que l’auteur aborde des évènements récents de la fin du 20e siècle et début du 21e, période étrangement peu connue dans le détail par la plupart des gens…

La muraille des morts – Katia Goriatchkine :
Brian Addison est journaliste au Seattle Herald et se rend dans le Nevada pour interviewer le lieutenant Dole Fernsby, qui commandait au Vietnam une unité spéciale et qui a été récemment mis à la retraite forcée. C’est l’occasion d’entendre le témoignage glaçant d’un homme qui passe de héros à criminel de guerre… L’autrice rajoute une pointe de surnaturel sans pour autant dévoiler si elle est réelle ou non, respectant ainsi scrupuleusement le code premier du genre fantastique.

L’idée est intéressante mais comme souvent dans ce type de narration, la discussion parait artificielle car personne ne raconte avec autant de détails ni en romançant autant, pas même le plus doué des narrateurs et vu le profil de Fernsby, ce n’est pas son cas. Toutefois, ressentir l’horreur de Brian à mesure qu’il prend conscience des exactions non seulement du gouvernement américain mais aussi de cet homme qu’on présentait comme un héros est palpable. Les émotions transmises par l’autrice sont présentes et la fin offre une réflexion intéressante sur la façon dont est construite l’information journalistique.

Le sang des Ianfu – A. D. Martel :
Na-Ri est prisonnière au sein d’une maison de réconfort, en 1943. Coréenne d’origine, elle sert de jouet sexuel aux soldats japonais comme de nombreuses autres jeunes filles, ce afin d’éviter que des civiles soient violées, pour des questions d’apparence. La nouvelle est écrite à la première personne et est vraiment terrible à lire. Elle retourne l’estomac. Les TW au début de l’ouvrage ne seront pas de trop pour supporter le contenu… D’autant qu’il n’a rien d’imaginaire là-dedans !

En effet, même si l’histoire est romancée et qu’un élément surnaturel vient se mêler à l’histoire, l’autrice choisit d’exploiter un fait historique tombé dans l’oubli, à l’instar d’un certain Ken Liu dans l’Homme qui mit fin à l’histoire. Le parallèle est d’autant plus pertinent que cela concerne la même période, la même guerre et le même pays : le Japon. De quoi remettre pas mal de choses en perspective ! Une note de l’autrice, à la fin, donne tous les renseignements utiles pour en savoir plus et rajoute un effet glaçant à l’ensemble.

C’est sans doute la nouvelle la plus marquante à mes yeux et la plus renversante.

Le dernier effort – Keryan et Pascal-Marc Biguet :
Il s’agit d’une nouvelle de science-fiction (au sens large du terme) dans laquelle on suit le parcours d’un chef d’unité en train de reconquérir une ville sur une planète rebelle à l’Empire appelée Prima. C’est sans doute celle dans laquelle je me suis la moins investie émotionnellement parce que si elle n’est pas mal écrite, elle ne recèle rien d’original sur le fond comme sur la forme et son personnage n’est rien de plus qu’un archétype avec les réflexions d’un archétype… C’est le genre d’histoire et de scènes déjà vues des centaines de fois… Du moins jusqu’à la toute dernière phrase qui lui offre une perspective totalement différente ! C’était plutôt bien joué, dommage que ça ait été si long pour en arriver là.

Les champs de Bellone – Barbara Cordier :
Cette nouvelle m’a parue un peu brouillonne et confuse quoi que pleine de bonnes idées. On y suit deux personnages en narration croisée durant la première guerre mondiale. D’un côté, Aurélienne qui travaille dans un couvent et soigne des blessés du front. Elle recueille Polly, une mystérieuse jeune fille qui semble douée pour la chirurgie… De l’autre, il y a André, un jeune homme envoyé sur le front malgré son amour des études littéraires. Leurs destins vont se croiser dans l’hôpital des sœurs Ajoutez à cela une dose de divinités antiques et vous aurez un texte plein de potentiel hélas sous exploité.

Pourquoi ? Simplement parce qu’on s’y retrouve mal dans les changements de perspective et l’évolution des personnages, surtout en ce qui concerne Aurélienne. La fin manque de clarté, ce qui est peut-être un choix pour laisser le·a lecteur·ice se faire sa propre idée mais cela n’a malheureusement pas fonctionné sur moi. Dommage, ça partait bien !

Chungmu-Gong – Lancelot Sablon :
Cette nouvelle raconte un épisode d’une guerre entre la Corée et le Japon dans le courant du 16e siècle. Il s’agit d’un fait historique auquel l’auteur a rajouté un élément surnaturel. Une note d’intention est présente à la fin où Lancelot Sablon explique ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans son récit.

Le texte raconte comment le général Yi Sun-Sin est parvenu à défaire l’envahisseur japonais presque à lui tout seul et le met en scène comme un héros plein d’abnégation, prêt à se sacrifier pour son pays malgré les horreurs subies à cause du dirigeant en place. L’élément surnaturel tient en Yongwang, un démon des eaux qui lui prêtera main forte et avec qui il nouera une amitié.

J’ai beaucoup aimé ce texte aux saveurs asiatiques. On y retrouve les valeurs d’honneur et de respect qui ont un très grand rôle puisque c’est ce qui permettra à Yi Sun-Sin de s’illustrer mais aussi d’épargner la bonne vie au bon moment. L’auteur maîtrise sa narration et parvient en quelques pages à brosser un paysage d’une grande richesse avec des enjeux pour lesquels on se sent directement concernés. Une réussite !

Choisir la forêt – M. d’Ombremont : 
Dernier texte de l’anthologie sur lequel je vais m’abstenir de donner un avis puisqu’il s’agit du mien. Si vous avez envie d’en apprendre plus à son sujet, je vous invite à lire mon billet qui explique sa genèse. Quant au contenu, c’est l’histoire d’un elfe qu’on suit avant et pendant une bataille décisive pour son peuple…

La conclusion de l’ombre :
Aborder le thème de la guerre en ces temps troublés n’est pas évident et ne séduira pas tout le monde. Pourtant, les textes sélectionnés par Livr’S possèdent de véritables qualités et ont l’avantage d’offrir une grande diversité de temps, de lieux et de concepts. Différents degrés de fantastique se disputent la primauté, on y trouve même un texte de science-fiction et un autre de fantasy, avec des points de vue originaux et des idées auxquelles on ne s’attendrait pas forcément. J’adore voir comment les auteur·ices traitent différemment un même thème et j’ai été servie ici ! Aucun texte ne ressemble à un autre. Du coup, il est évident que certains seront préférés à d’autres, en fonction des goûts. On pourrait me juger de parti-pris mais d’année en année, je trouve que les anthologies Livr’S gagnent en qualité et en professionnalisme. Je suis vraiment ravie de m’y retrouver en compagnie d’auteur·ices aussi talentueux·euses.

D’autres avis : pas encore mais bientôt j’espère !

Informations éditoriales :
Nouvelles du front (anthologie) par A.D. Martel, Aurélie Genêt, Barbara Cordier, Gauthier Guillemin, Katia Goriatchkine, Keryan Biguet, Lancelot Sablon, M. d’Ombremont, Pascal-Marc Biguet, Silène Edgar. Illustration de couverture : Geoffrey Claustriaux. Éditeur : Livr’S. Prix : 18 euros.

6 réflexions sur “Nouvelles du front (anthologie)

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