L’autre facette de l’ombre : dans le comité de lecture pour l’AT nouvelles de l’ouest

Vous le savez, dans ma vie littéraire, j’ai de nombreuses casquettes : autrice, blogueuse, soutien éditorial, CM twitter, gestion des relations presses… Et depuis cette année, je prends plaisir à vous partager certaines expériences pour vous faire découvrir l’envers du décor. Cette fois-ci, on se retrouve pour un retour de mon expérience au sein du comité de lecture pour un appel à textes en vue de la publication de l’anthologie annuelle chez Livr’S !

Chaque année, Livr’S a pour habitude de proposer un appel à textes pour un recueil de nouvelles autour d’un thème qui varie très fortement mais a pour la particularité, en général, d’avoir un jeu de mots dans son titre autour du mot « nouvelle ». Pour 2022, il s’agissait d’écrire un texte court de western horrifique… Autant vous dire qu’à l’annonce du thème, j’ai fait grise mine parce que le western est un genre qui me laisse globalement froide autant à l’écrit qu’au visuel. J’ai donc passé mon tour et puisque je n’écrivais pas, Émilie Ansciaux (la cheffe suprême chez Livr’S, suivez un peu !) m’a proposé d’intégrer le comité de lecture pour donner mon avis sur les textes reçus et l’aider à opérer une sélection drastique.

L’appel a duré de nombreux mois et au total nous avons reçu 100 nouvelles très exactement (99 + celle du parrain) dont 69 écrites par des hommes et 30 écrites par des femmes, selon ce qui nous a été renseigné. Dans le tas, seulement trois nouvelles appartenaient au genre de la science-fiction, une seule à la fantasy. Tout le reste était du fantastique, à majorité historique ou alors contemporain. Sur ces cent nouvelles, j’ai donné une note au-dessus de la moitié à seulement 25. Il faut dire que j’étais là pour me montrer particulièrement dure et sans concession. N’empêche, ce n’est pas tant que ça quand on y pense et ça dit quelque chose. Quant à savoir si c’est sur moi et sur la production littéraire, je vous laisse juger ! 

J’ai réfléchi pendant longtemps à une façon ordonnée de présenter mon retour d’expérience mais je n’en ai pas trouvé alors ce sera un peu brouillon. Par avance navrée.

Dans l’ensemble je dois commencer par dire que ce fut sportif. L’AT se terminait le 1er décembre à minuit et Émilie voulait dans l’idéal envoyer les réponses avant la fin de l’année 2022, ce qui impliquait de lire beaucoup en peu de temps -ce qui explique pourquoi il n’y a pas eu de chroniques depuis novembre sur le blog. Comme ce n’est pas mon activité principale, ça a représenté un sacré défi et je suis assez fière d’avoir terminé ces lectures en « seulement » dix-sept jours. Je ne m’étais pas mise d’objectifs quotidiens, je lisais quand je le sentais et surtout quand j’étais dans de bonnes dispositions pour ça car il n’était pas question de risquer de mal juger une nouvelle juste parce que je la lisais au mauvais moment… N’empêche, c’était intense et je ne suis pas mécontente que ça soit terminé parce que je ne peux plus voir un shérif en peinture. 

D’ailleurs, une autre partie de ce défi a, pour moi, consisté à faire la part des choses entre ce qui ne rentrait pas dans mes goûts personnels (mais correspondait très bien à l’AT) et ce qui n’était tout simplement pas bon pour diverses raisons. Je n’ai pas du tout apprécié la lecture de ce qui est pourtant une des meilleures nouvelles sélectionnées parce que je la trouvais beaucoup trop trash et crue, sauf qu’elle était aussi intelligente dans son propos et vraiment originale. L’exercice était plutôt difficile mais aussi formateur.

De plus, j’ai été agréablement surprise par certains textes qui ont finalement su me faire apprécier la thématique. Quelle originalité, chez certain·es auteur·ices ! C’était passionnant de se laisser surprendre par les idées des autres, surtout pour une thématique qui ne m’inspirait rien à la base. Il y a donc du bon comme du moins bon dans mon expérience…

Plusieurs remarques me sont venues à mesure que j’avançais dans ma lecture, je vous les partage en vrac car je les notais exprès pour vous :
– Il y a des gens qui envoient des nouvelles sans regarder le thème de l’appel à texte. Soit il n’y avait aucune trace de western, soit aucune trace d’horreur, soit carrément aucune trace des DEUX. C’est arrivé sur deux ou trois textes, notamment, pour l’absence des deux avec hors sujet total. Je me demande donc s’il n’y a pas des auteur·ices qui ont des textes dans leurs dossiers et qui les envoient d’une manière random au cas où ça passerait sur un malentendu. C’est très agaçant car j’y vois un manque de respect envers les personnes qui investissent de leur temps pour lire. 
– 90% des textes (sans exagérer) contenaient le prénom John ou Jack, c’était presque devenu un running gag.
– Beaucoup d’auteur·ices ignorent que les chevaux ont des jambes et pas des pattes.
– Beaucoup d’auteur·ices confondent l’horreur et la violence. La majorité des nouvelles étaient ultraviolentes sur un plan graphique mais très peu réussissaient à poser une ambiance effrayante ou angoissante. Je n’ai pas eu peur une seule fois, par contre j’ai été mise mal à l’aise à une ou deux reprises, ce qui n’est pas énorme finalement sur cent…
– Beaucoup d’auteur·ices ne soignent pas suffisamment leur texte, soit par la mise en page (non justifié, tirets en puce au lieu de quadratins, verbes de dialogue qui se promènent n’importe où, etc.) soit par leur orthographe. Tout texte est d’office retravaillé et corrigé en maison d’édition mais il y a une marge entre laisser quelques fautes d’inattention (ou fautes tout court parce qu’à force quand on a le nez dans son texte on ne les voit plus) et carrément oublier des bouts de phrase…
– Peu d’auteur·ices maîtrisent les codes de la nouvelle et, par extension, l’art du rythme narratif. Beaucoup de textes rejetés par moi l’ont été parce que je les trouvais lents, bourrés de digression ou pire, de clichés éculés. On peut en jouer mais pour la majorité des textes concernés, il s’agissait de maladresses et d’un manque de recul par rapport au texte en lui-même. D’ailleurs, une bonne vingtaine d’auteur·ices ont envoyé leur nouvelle à la dernière minute, le dernier jour, donc je me dis qu’il y a aussi peut-être un souci d’organisation du temps de travail. 

Une fois nos lectures terminées, nous avons programmé une réunion qui a en tout duré 3h45 (et débordé sur le temps de midi, argh mon pauvre estomac) afin de parvenir à nous mettre d’accord sur les textes à retenir. Comme une tendance se dégageait au fil de nos lectures et qu’Émilie commençait à envisager une double anthologie, j’ai proposé une division thématique : une contenant les textes très gores et une contenant les textes plus axés sur l’horreur psychologique. L’idée a été acceptée si bien qu’il y aura donc deux tomes à cette anthologie ! Cela permettra, en plus, de mettre davantage de textes et d’auteurices de talent en avant. 

Au bout du compte, je suis très contente d’avoir vécu cette expérience. Même si j’ai du lire beaucoup de textes décevants, agaçants ou énervants, j’ai aussi découvert des pépites et pas toujours chez des auteur·ices confirmé·es ! Comme quoi… De plus, ça a vraiment été un travail d’équipe car mon avis avait autant de valeur que celui de la cheffe, ce qui est agréable et valorisant.

Aujourd’hui, je n’ai qu’une hâte : que cette double anthologie sorte et rencontre son public que j’espère nombreux. Je me sens aussi excitée et fière que si j’avais écrit un nouveau roman, c’est fou quand même. Même si tout n’a pas été rose, je suis heureuse et fière d’avoir participé à cette aventure et j’espère que vous en suivrez la sortie. Merci d’avoir pris le temps de lire ce petit retour d’expérience ♥ 

Nouvelles du front (anthologie)

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Chaque année (du moins quand il n’y a aucune pandémie mondiale) Livr’S lance un appel à un texte pour un recueil de nouvelles dont la thématique change à chaque fois. Celui qui nous occupe aurait du paraître il y a un an mais la situation épidémiologique étant ce qu’elle était et les salons s’annulant en chaine, la maison d’édition a préféré attendre 2022 pour sortir son anthologie sur le thème de… la guerre.

Bon.
On ne peut pas tout prévoir, hein.

Cette anthologie sortira officiellement le 1er juin mais est actuellement en précommande jusqu’au 30 avril sur le site Internet de Livr’S. Elle contient en tout neuf nouvelles pour dix auteur·ices, l’un des textes étant écrit à quatre mains. Elle est marrainée par l’autrice française Silène Edgar.

Comme d’habitude, je me propose de revenir sur chaque texte à l’exception du dernier, puisqu’il s’agit du mien.

Dans le noir – Silène Edgar :
C’est la marraine qui ouvre le bal avec une nouvelle rédigée sous forme d’une scène théâtrale. On y voit un soldat qui pose le pied sur une mine et sait qu’une fois qu’il va le retirer, il mourra dans une explosion. C’est l’occasion pour lui de quelques échanges avec des personnes issues de son passé ou de son futur hypothétique.

Mon explication ne rend pas justice à la force narrative de ce texte. En quelques pages, Silène Edgar dévoile tout son talent dans un texte frappant et efficace qui donne envie de découvrir son œuvre. C’est mon premier contact avec sa plume et ça ne sera pas le dernier ! Évidemment, il faut aimer le style et la narration du théâtre mais, vous le savez, c’est largement mon cas si bien que cette nouvelle est peut-être ma préférée d’entre toutes.

Dans la montagne – Aurélie Genêt :
Cette nouvelle se déroule au 17e siècle, durant une guerre en Alsace. Elle est racontée du point de vue d’une prostituée qui suit l’armée pour essayer de survivre avec quelques passes. Celle-ci se lie avec un homme qui promet de l’épouser une fois la guerre terminée. L’autrice choisit de mettre en scène une femme qui, petit à petit, découvre la face sombre non seulement de son bien-aimé mais aussi du conflit.

Aurélie Genêt s’inspire de faits historiques réels et y rajoute une touche de surnaturel qui permet en prime d’insister sur l’importance de témoigner par écrit, de laisser une trace pour dénoncer les réalités de la guerre. Cette thématique reviendra plus d’une fois dans le recueil.

Dans la montagne est une nouvelle qui touche forcément de par son personnage désenchanté mais aussi les thèmes qu’elle aborde. Pour moi, il s’agit d’une réussite.

Sarajevo, New-York, Kisangani – Gauthier Guillemin :
L’histoire commence en Yougoslavie, pendant le conflit d’indépendance. La mercenaire indienne Ajapali est engagée par le gouvernement français pour sauver Lou Duruy, journaliste de guerre, prisonnier sur place. La narration suit Lou tout du long et l’intrigue s’étale sur plusieurs années car cette expérience va le marquer et lui donner envie de changer les choses.

J’avais lu le premier jet de cette nouvelle et on peut dire que l’auteur l’a bien retravaillé même si je l’ai trouvée un peu longuette avec beaucoup de blabla philosophique au sujet de la guerre. De plus, la fin est assez abrupte, il m’a manqué un petit quelque chose. Toutefois, l’ensemble se tient et le message sur les conflits est intéressant. Sans compter que l’auteur aborde des évènements récents de la fin du 20e siècle et début du 21e, période étrangement peu connue dans le détail par la plupart des gens…

La muraille des morts – Katia Goriatchkine :
Brian Addison est journaliste au Seattle Herald et se rend dans le Nevada pour interviewer le lieutenant Dole Fernsby, qui commandait au Vietnam une unité spéciale et qui a été récemment mis à la retraite forcée. C’est l’occasion d’entendre le témoignage glaçant d’un homme qui passe de héros à criminel de guerre… L’autrice rajoute une pointe de surnaturel sans pour autant dévoiler si elle est réelle ou non, respectant ainsi scrupuleusement le code premier du genre fantastique.

L’idée est intéressante mais comme souvent dans ce type de narration, la discussion parait artificielle car personne ne raconte avec autant de détails ni en romançant autant, pas même le plus doué des narrateurs et vu le profil de Fernsby, ce n’est pas son cas. Toutefois, ressentir l’horreur de Brian à mesure qu’il prend conscience des exactions non seulement du gouvernement américain mais aussi de cet homme qu’on présentait comme un héros est palpable. Les émotions transmises par l’autrice sont présentes et la fin offre une réflexion intéressante sur la façon dont est construite l’information journalistique.

Le sang des Ianfu – A. D. Martel :
Na-Ri est prisonnière au sein d’une maison de réconfort, en 1943. Coréenne d’origine, elle sert de jouet sexuel aux soldats japonais comme de nombreuses autres jeunes filles, ce afin d’éviter que des civiles soient violées, pour des questions d’apparence. La nouvelle est écrite à la première personne et est vraiment terrible à lire. Elle retourne l’estomac. Les TW au début de l’ouvrage ne seront pas de trop pour supporter le contenu… D’autant qu’il n’a rien d’imaginaire là-dedans !

En effet, même si l’histoire est romancée et qu’un élément surnaturel vient se mêler à l’histoire, l’autrice choisit d’exploiter un fait historique tombé dans l’oubli, à l’instar d’un certain Ken Liu dans l’Homme qui mit fin à l’histoire. Le parallèle est d’autant plus pertinent que cela concerne la même période, la même guerre et le même pays : le Japon. De quoi remettre pas mal de choses en perspective ! Une note de l’autrice, à la fin, donne tous les renseignements utiles pour en savoir plus et rajoute un effet glaçant à l’ensemble.

C’est sans doute la nouvelle la plus marquante à mes yeux et la plus renversante.

Le dernier effort – Keryan et Pascal-Marc Biguet :
Il s’agit d’une nouvelle de science-fiction (au sens large du terme) dans laquelle on suit le parcours d’un chef d’unité en train de reconquérir une ville sur une planète rebelle à l’Empire appelée Prima. C’est sans doute celle dans laquelle je me suis la moins investie émotionnellement parce que si elle n’est pas mal écrite, elle ne recèle rien d’original sur le fond comme sur la forme et son personnage n’est rien de plus qu’un archétype avec les réflexions d’un archétype… C’est le genre d’histoire et de scènes déjà vues des centaines de fois… Du moins jusqu’à la toute dernière phrase qui lui offre une perspective totalement différente ! C’était plutôt bien joué, dommage que ça ait été si long pour en arriver là.

Les champs de Bellone – Barbara Cordier :
Cette nouvelle m’a parue un peu brouillonne et confuse quoi que pleine de bonnes idées. On y suit deux personnages en narration croisée durant la première guerre mondiale. D’un côté, Aurélienne qui travaille dans un couvent et soigne des blessés du front. Elle recueille Polly, une mystérieuse jeune fille qui semble douée pour la chirurgie… De l’autre, il y a André, un jeune homme envoyé sur le front malgré son amour des études littéraires. Leurs destins vont se croiser dans l’hôpital des sœurs Ajoutez à cela une dose de divinités antiques et vous aurez un texte plein de potentiel hélas sous exploité.

Pourquoi ? Simplement parce qu’on s’y retrouve mal dans les changements de perspective et l’évolution des personnages, surtout en ce qui concerne Aurélienne. La fin manque de clarté, ce qui est peut-être un choix pour laisser le·a lecteur·ice se faire sa propre idée mais cela n’a malheureusement pas fonctionné sur moi. Dommage, ça partait bien !

Chungmu-Gong – Lancelot Sablon :
Cette nouvelle raconte un épisode d’une guerre entre la Corée et le Japon dans le courant du 16e siècle. Il s’agit d’un fait historique auquel l’auteur a rajouté un élément surnaturel. Une note d’intention est présente à la fin où Lancelot Sablon explique ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans son récit.

Le texte raconte comment le général Yi Sun-Sin est parvenu à défaire l’envahisseur japonais presque à lui tout seul et le met en scène comme un héros plein d’abnégation, prêt à se sacrifier pour son pays malgré les horreurs subies à cause du dirigeant en place. L’élément surnaturel tient en Yongwang, un démon des eaux qui lui prêtera main forte et avec qui il nouera une amitié.

J’ai beaucoup aimé ce texte aux saveurs asiatiques. On y retrouve les valeurs d’honneur et de respect qui ont un très grand rôle puisque c’est ce qui permettra à Yi Sun-Sin de s’illustrer mais aussi d’épargner la bonne vie au bon moment. L’auteur maîtrise sa narration et parvient en quelques pages à brosser un paysage d’une grande richesse avec des enjeux pour lesquels on se sent directement concernés. Une réussite !

Choisir la forêt – M. d’Ombremont : 
Dernier texte de l’anthologie sur lequel je vais m’abstenir de donner un avis puisqu’il s’agit du mien. Si vous avez envie d’en apprendre plus à son sujet, je vous invite à lire mon billet qui explique sa genèse. Quant au contenu, c’est l’histoire d’un elfe qu’on suit avant et pendant une bataille décisive pour son peuple…

La conclusion de l’ombre :
Aborder le thème de la guerre en ces temps troublés n’est pas évident et ne séduira pas tout le monde. Pourtant, les textes sélectionnés par Livr’S possèdent de véritables qualités et ont l’avantage d’offrir une grande diversité de temps, de lieux et de concepts. Différents degrés de fantastique se disputent la primauté, on y trouve même un texte de science-fiction et un autre de fantasy, avec des points de vue originaux et des idées auxquelles on ne s’attendrait pas forcément. J’adore voir comment les auteur·ices traitent différemment un même thème et j’ai été servie ici ! Aucun texte ne ressemble à un autre. Du coup, il est évident que certains seront préférés à d’autres, en fonction des goûts. On pourrait me juger de parti-pris mais d’année en année, je trouve que les anthologies Livr’S gagnent en qualité et en professionnalisme. Je suis vraiment ravie de m’y retrouver en compagnie d’auteur·ices aussi talentueux·euses.

D’autres avis : pas encore mais bientôt j’espère !

Informations éditoriales :
Nouvelles du front (anthologie) par A.D. Martel, Aurélie Genêt, Barbara Cordier, Gauthier Guillemin, Katia Goriatchkine, Keryan Biguet, Lancelot Sablon, M. d’Ombremont, Pascal-Marc Biguet, Silène Edgar. Illustration de couverture : Geoffrey Claustriaux. Éditeur : Livr’S. Prix : 18 euros.

9 (anthologie)

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9
est la dernière anthologie en date des éditions du Chat Noir, sortie pour fêter leur 9e année d’existence. Vous pourrez la trouver uniquement au format papier sur le site de l’éditeur, au prix de 14.90 euros.

Au sommaire :
La justice des ogres de Jérôme Akkouche
La 9e symphonie de Mathilde Verboz
Les larmes du Kyubiko d’Émilie Malherbe
La maison des Gabory de Clémence Godefroy
Le pendu de Sophie Abonnenc
Nine de Jean Vigne
Kaibyo de Céline Chevet
Neuf jours pour l’enfer d’Aiden R. Martin
Les 9 fantômes de Mayfair de Gwendolyn Kist

L’anthologie est dirigée par Mathieu Guibé.

Le principe de l’anthologie est de ressembler neuf texte autour de la thématique du chiffre neuf. On a donc des histoires très diverses avec un peu d’imaginaire à chaque fois, des imaginaires venus du monde entier, des mythologies japonaises et nordiques, de la musique, de l’historique, de la magie orientale… L’avantage, c’est la diversité. Aucun texte ne ressemble à un autre et j’ai trouvé intéressant de voir comment les auteur.ices ont décidé d’exploiter ce thème.

Toutefois, je dois dire qu’à mon goût, deux nouvelles se détachent clairement du lot, à savoir les deux dernières même si celle de Céline Chevet amorce déjà cette fin en apothéose.

La première est donc Neuf jours pour l’enfer où Aiden R. Martin raconte l’histoire de Jane Grey, la reine des neuf jours qui a précédé bien malgré elle le règne de Marie Tudor en Angleterre à la fin du 16e siècle. Le lecteur suit son parcours, le complot dans lequel elle se retrouve embarquée par sa famille et les conséquences de tout cela sur sa vie. La nouvelle se déroule sur plusieurs années et est écrite à la première personne, avec Jane en guise de narratrice avec des alternances entre le passé et le présent, ce qui donne des scènes courtes mais percutantes. Au moment des faits, Jane n’a que dix-sept ans et vu trop de choses dans sa courte vie… Le grand atout de ce texte réside dans la plume de l’auteur, immersive et détonante. Il s’agit en plus de sa toute première publication ! Un beau succès, je vais surveiller sa carrière de près.

La seconde est, sans trop de surprise je crois, les 9 fantômes de Mayfair de Gwendolyn Kiste à qui on doit également le roman Filles de rouille paru aux éditions du Chat Noir l’année dernière, dont j’ai déjà eu le plaisir de parler. Il s’agit d’une visite guidée d’un lieu mystérieux où se trouvent neuf fantômes, qu’un.e narrateur.ice nous décrit à l’imagine d’un.e guide de foire ou de lieu culturel fantastico-gothique. C’est très original et bien mené, l’autrice n’a besoin que de quelques pages pour développer son idée, simple mais efficace. Le meilleur, cette fois-ci, se trouvait effectivement à la fin ! J’ai dévoré ce texte et je me réjouis de lire d’autres romans de cette autrice.

La conclusion de l’ombre : 
L’anthologie 9 des éditions du Chat Noir marque l’anniversaire de la maison d’édition et se compose de neuf nouvelles, chacune tournant autour du chiffre 9. C’était la seule consigne de l’éditeur et ça a donné des textes très diversifiés, proposés par des auteur.ices débutant.es ou non. Pour un prix plus que modique (moins de 15 euros !), on retrouve un ouvrage intéressant qui vaut le coup d’œil.

D’autres avis : pas encore, du moins à ma connaissance.

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#S4F3 : 16e lecture

Nos futurs (anthologie) – imaginer les possibles du changement climatique

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L’anthologie Nos futurs est née d’une collaboration entre des scientifiques et des écrivains. À travers dix thèmes qui constituent des objectifs de développement durable, l’anthologie Nos Futurs permet de réfléchir à l’avenir.
Éditée par ActuSF dans sa collection 3 souhaits, vous la trouverez partout en librairie au prix de 19.90 euros.
Merci à Jérôme Vincent pour ce service presse.

L’origine du projet
Comme le dévoile la préface, ce projet a vu le jour durant les Utopiales 2018 et vise à rassembler des scientifiques et des auteurices pour qu’iels écrivent / réfléchissent ensemble aux enjeux climatiques. Chaque nouvelle est précédée d’un texte scientifique (tous très abordables) qui sert à expliciter les enjeux concernés. Ce sont les lecteurs (plus de 800 votants) qui ont choisi les dix thèmes qui seraient traités ici. Dix scientifiques et dix auteurices ont donc été associés et laissés libre sur leur manière de collaborer. Ainsi est née cette anthologie. Je me propose d’évoquer chaque fois l’article ainsi que la nouvelle de fiction qui y est associée, en essayant d’être la plus claire possible.

Lutte contre la faim
Scientifiques : Claire Chenu & Sylvain Pellerin
L’article scientifique évoque la sécurité alimentaire (dont nous sommes très loin), l’importance des sols dans ce processus et la façon dont on pourrait restaurer leur qualité.

Auteur : Raphaël Granier de Cassagnac
Nouvelle : La faim justifie les moyens
La nouvelle est construite comme un témoignage : celui d’Ambélé, qui raconte à sa petite fille Yoko de quelle manière il a appris les bases de l’agriculture qui ont permis à une toute communauté humaine (réduite) de survivre après une épidémie qui a ravagé la population mondiale. Selon une note en bas de page, l’univers est celui développé dans le roman Thinking Eternity chez Mnémos. L’action témoignée se déroule en Afrique et explique de quelle manière les populations locales sont parvenues à développer l’agriculture dans le désert. J’ai apprécié cette nouvelle bien que je me demandais où l’auteur souhaitait en venir… Jusqu’à arriver à la fin que j’ai trouvé très touchante et forte dans son propos.

Bonne santé et bien-être
Scientifique : François Moutou
L’article -très édifiant dans le contexte actuel- évoque de quelle manière le changement climatique risque de faire revenir / de créer de nouvelles bactéries et par extension, épidémies. En pleine crise COVID, ça tombe à point…

Auteur : Claude Ecken
Nouvelle : Toxiques dans les prés
Martha est agricultrice dans un futur proche où les maladies des plantes / céréales sont de plus en plus nombreuses, quand ce n’est pas le climat qui met en péril les cultures. Débarque alors dans sa vie une étrange femme, Aila Sanosulli, qui va la payer pour l’aider à mener à bien quelques recherches…
Je dois avouer que j’ai eu du mal avec cette nouvelle, bien trop scientifique pour moi. Je comprends son intérêt toutefois sur le plan strict de la fiction, je ne suis pas le public cible.

Égalité entre les sexes
Scientifique : Marie-Jeanne Husset, Anne Barre et Véronique Moreira
L’article évoque l’importance des femmes dans le processus de sauvegarde du climat. Trop souvent, dans beaucoup de pays, les femmes ne sont pas décisionnaire (soit pas du tout, soit pas de manière égale) alors qu’elles sont souvent les premières actrices du changement. J’ai trouvé cet article fascinant et éclairant !

Autrice : Sylvie Lainé
Nouvelle : Au pied du manguier
L’action de cette nouvelle se déroule en Afrique, dans un futur où la population se divise entre procréants et non-procréants. La question de genre est au coeur de cette nouvelle puisque les lecteurs suivent des adolescents qui n’ont pas encore décidé de leur futur même si la plupart savent déjà qu’ils ne veulent pas d’enfants puisqu’il est nécessaire de diminuer la population mondiale. Pourtant, une parmi eux ressent ce fameux instinct maternel accompagné d’une forme de culpabilité. J’ai adoré l’intelligence du propos mais je déplore la fin de la nouvelle qui, selon moi, est plutôt l’endroit où l’histoire aurait du commencer.

Accès à l’eau salubre et à l’assainissement
Scientifique : Pascal Maugis
L’article parle de l’eau, de son cycle et de son importance dans notre vie de tous les jours ainsi que des idées reçues sur le sujet. J’en ai appris beaucoup et ça m’a permis de remettre en perspective ce que je pensais savoir sur la manière de mieux consommer mon eau !

Autrice : Estelle Faye
Nouvelle : Conte de la pluie qui n’est pas venue
Léna est missionnée par le gouvernement russe pour assassiner un riche propriétaire qui a détourné le cour d’une rivière afin d’alimenter son petit paradis. On se rend compte que la réalité est un peu différente… J’ai apprécié le ton globalement désenchanté de la nouvelle bien qu’ici aussi, elle se termine où elle devrait -je trouve- commencer.

Énergies fiables, durables et modernes à un coût abordable
Scientifique : Matthieu Auzanneau
L’article aborde avec beaucoup de pédagogie notre addiction aux énergies fossiles et la nécessité de trouver une alternative efficace à mettre en place puisque cette énergie est vouée à disparaître dans un futur très très proche en entrainant une révolution sociotechnique profonde. La réflexion induite par l’article me plait beaucoup ainsi que le ton de l’auteur.

Auteur : Laurent Genefort
Nouvelle : Home
Carmela est une coparente qui travaille pour la Mairie de sa ville au service qui gère Home, une interface permettant de conseiller et éduquer la population sur de bonnes habitudes écologiques à prendre, avec la mise en place d’un système de récompense. Il est toutefois possible d’ignorer les recommandations de Home. Évidemment, tout le monde n’est pas adepte de ce système et le fils de Carmela va se faire embrigader dans un groupe terroriste anti écologique… J’ai beaucoup aimé cette nouvelle ainsi que sa conclusion qui porte une douce note d’espérance.

Réduction des inégalités
Scientifique : Audrey Berry
L’article explique ici le concept de la carte carbone dont je n’avais pas entendu parler jusqu’ici (ou vaguement mais sans m’y attarder). Il s’agirait de compter les dépenses carbones des citoyens en les limitant à un certain quota tous les mois dans le but avoué de les baisser. Audrey Berry revient sur les avantages et les inconvénients de cette mesure ainsi que les inégalités qu’elle pourrait engendrer.

Autrice : Chloé Chevalier
Nouvelle : Trois poneys morts
Katia doit se rendre en Suède, sur une petite île perdue, afin d’exécuter les dernières volontés de son épouse décédée. Évidemment, ce voyage va lui coûter très cher et la carte carbone dont on ne peut pas échanger les points est sur le point de passer. Cela se fera pendant son voyage ce qui va contraindre Katia à imaginer des solutions alternatives pour rentrer en France. C’est l’une des nouvelles qui m’a le plus enthousiasmée par ce qu’elle dégage et son propos si concret. Je trouve que Chloé Chevalier maîtrise très bien le format court ! Elle traite sa thématique tout en invitant le lecteur à sa propre réflexion, sans oublier de proposer une protagoniste intéressante.

Villes et communautés durables
Scientifique : Vincent Viguié
L’article évoque l’impact des villes sur le climat ainsi que le concept de maladaptation à savoir une réaction (qu’on pense positive) au changement climatique qui risque d’aggraver le problème au lieu de l’améliorer. J’ai trouvé l’article un peu longuet mais intéressant.

Autrice : Catherine Dufour
Nouvelle : la chute de la défense
Rano habite dans un Paris plus ou moins dévasté où il fait très chaud. Il entend ses parents se disputer à propos d’un raid qui devrait avoir lieu sur le quartier de la Défense, endroit où vit sa grand-mère. Il décide donc d’aller la tirer de là, avec l’aide de deux amis. Cette nouvelle dépeint un futur où les personnes aisées n’ont visiblement pas appris de leurs erreurs et font tout, même le pire, pour conserver leur train de vie. J’ai beaucoup aimé le déroulement de l’action, maîtrisé, ainsi que la conclusion. Une nouvelle réussite pour cette autrice qui n’a plus rien à prouver.

Consommation et production responsables
Scientifique : Philippe Bihouix
Cet article développe la thématique de la production responsable et durable en mettant en balance l’aspect bénéfique (utopique) et l’aspect négatif (dystopique). À sa lecture, on prend conscience que le changement ne sera pas simple à mettre en place et qu’il implique une réorganisation profonde de la société, de nos habitudes.

Autrice : Jeanne A. Debats
Nouvelle : Le monde d’Aubin
Aubin vit au sein d’une communauté spécifique bien longtemps après une sorte d’effondrement. À cette époque, les gens ont eu le choix entrer continuer de vivre à la surface ou s’enfoncer sous terre, ce qu’on fait les pixelles. Ces derniers existent sous forme organique mais vivent dans des cylindres / cuves, préférant plutôt une conscience dite virtuelle. L’univers de la nouvelle est très vaste, complet, pourtant l’autrice parvient à le mettre en place en peu de pages. Aubin, qui est un garçon, va avoir le droit de choisir entre quitter sa communauté pour rejoindre celle des pixelles ou rester pour engendrer une descendance. Un choix qui n’est pas offert aux femmes, trop précieuses et paradoxalement, traitées comme un bout de viande. Cette nouvelle est percutante, violente dans son propos mais d’une grande intelligence. Quand on arrive à la toute fin, on ne peut pas s’empêcher de s’arrêter un instant pour réfléchir sur ce qu’on vient de lire. Une réussite, ma préférée du recueil sans aucun doute !

Lutte contre les changements climatiques
Scientifique : Isabelle Czernichowski
L’article explique ici le principe du stockage de CO2 en sous-sol, dont je n’avais pas non plus entendu parler, ce afin d’alléger la pollution dans l’atmosphère. Isabelle Czernichowski aborde les arguments en faveur et défaveur d’une telle méthode avec pédagogie si bien qu’une novice comme moi a vraiment compris l’enjeu que cela pouvait représenter.

Auteur : Jean Marc Ligny
Nouvelle : 2030 / 2300
La nouvelle se divise en deux parties. La première est un blog rédigé en 2030 par le responsable d’un chantier de puits stockage CO2 qui raconte son métier, son quotidien, jusqu’au moment où le puits a été scellé. La seconde partie se déroule en 2300 où une vieille dame explique comment elle en est venue à s’installer sur ce site, sans rien en savoir, et subir forcément les effets néfastes d’une fuite de CO2. Si j’ai trouvé l’idée originale, il m’a manqué quelque chose pour vraiment accrocher. De plus, la première partie m’a semblé assez redondante avec l’article scientifique qui la précédait.

Vie terrestre
Scientifique : Jane Lecomte et François Sarrazin
L’article évoque la manière dont on pourrait revoir la relation entre le vivant et le non vivant, les trajectoires d’évolution des espèces… Je dois avouer être passée un peu à côté de ce thème-ci ainsi que de la nouvelle qui y est lié.

Auteur : Pierre Bordage
Nouvelle : Sanctuaires
La nouvelle raconte l’histoire de deux jeunes qui défient l’autorité parentale pour retrouver un sanctuaire végétal dans un monde assez dévasté. J’ai eu du mal à rentrer dedans, le style de l’auteur ne me convient décidément pas en tant que lectrice je pense.

La conclusion de l’ombre :
Nos futurs est une anthologie très inspirée proposée par les éditions ActuSF qui invite à la réflexion sur le futur de notre planète et les solutions qu’on pourrait mettre en place pour y arriver. L’ouvrage marie les articles scientifiques (très accessibles) à des nouvelles de fiction plus ou moins réussies en fonction des auteurices. Même si je n’ai pas accroché à tout, je recommande cet ouvrage pour sa démarche et ce qu’il apporte aux réflexions déjà en cours. Je l’ai trouvé édifiant et pédagogique : si vous êtes enseignant, n’hésitez pas à lui consacrer un peu de temps !

Maki

Montres Enchantées (anthologie, première partie)

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Montres Enchantées
est une anthologie de nouvelles issues du genre steampunk et ayant pour thème le temps. Publié aux Éditions du Chat Noir, vous pourrez la trouver uniquement au format papier au prix de 19.9 euros.
Lecture dans le cadre du Projet Maki !

De quoi ça parle ?
L’anthologie a pour thématique le temps qui passe et ses effets sur les gens. Clairement inscrite dans l’esthétique du steampunk, elle propose de découvrir 17 nouvelles d’auteurs et autrices francophones.
Par facilité et afin de ne pas proposer un article trop long, j’ai divisé la lecture de cette anthologie en deux parties. Dans cet article, je vais vous parler des huit premières nouvelles à côté desquelles je vais noter la date de ma lecture (pour valider le challenge 😉 ).

22/3 : Et depuis, je compte les heures – Geoffrey Legrand
Dans un Londres du 19e siècle, Laëtitia Burrows rentre de trois mois d’étude à l’étranger quand elle se fait agresser en sortant de la gare. Sauvée par Henry Mullane, le contrôleur du train, elle se rapproche de lui jusqu’à découvrir son secret : suite à une blessure de guerre, son cœur est mécanique et il doit le remonter à l’aide d’une montre au risque qu’il ne s’arrête. Et Henry compte bien se venger du responsable de son état, qui est aussi celui de la mort de ses camarades.
Geoffrey Legrand traite une thématique assez classique (la vengeance) d’une manière efficace. Ses protagonistes fonctionnent bien ensemble, on n’a aucun mal à s’y attacher malgré la taille du texte. On sent venir les rouages narratifs mais on se laisse volontiers porter par le style d’écriture efficace.

22/3 : Comment meurent les fantômes – Sophie Dabat ♥
Dans un monde futuriste qui a régressé dans une ambiance steampunk victorienne, Doris utilise la montre de sa grand-mère pour voyager dans le passé et fuir un quotidien solitaire. Elle revit des évènements heureux de sa vie d’avant, au risque de s’y perdre définitivement…
Sophie Dabat traite ici avec brio de la fuite du réel, de l’addiction et de la tentation : celle de fuir une réalité trop difficile. J’ai ressenti beaucoup d’empathie pour le personnage de Doris et j’ai trouvé cette nouvelle très poétique, surtout grâce à sa fin. Un gros coup de cœur !

23/3 : Le toquant – Clémence Godefroy ♥
Cette nouvelle précède le roman Eros Automaton de la même autrice, que j’avais lu il y a quelques années (avant d’avoir le blog) et dont je conserve un très bon souvenir. Dans le Toquant, nous suivons Lucien qui passe son diplôme de soignant à l’institut d’automatie. Il y présente Léonie, son projet et une automate pour lequel il ressent des inclinaisons coupables. Comme dans son roman, Clémence Godefroy évoque la question d’âme et de conscience chez les automates et le tabou qui entoure leur relation avec les humains. Ça a été un vrai plaisir de replonger dans cet univers, ça m’a donné envie de relire le roman. J’attends avec impatience tout autre projet qui se déroulera dans le même monde ! On me souffle d’ailleurs dans l’oreillette que c’est en cours 😀 Joie !

23/3 : Allergène – Hélène Duc
Dans un 19e siècle technologiquement très avancé grâce au voyage dans le temps de Wells (oui, celui-là), Will est allergique au temps sous toutes ses représentations. Dans le genre pas de bol.. Ne lui montrez pas une horloge, ça pourrait le tuer. J’ai accroché avec enthousiasme à ce postulat de départ mais malheureusement, l’autrice en fait trop à mon goût. Son univers est référencé à outrance avec toutes les figures fameuses de l’époque. On croise même Sherlock Holmes… C’est le genre de choses qui a le don de me refroidir. De plus, la nouvelle ne comporte pas de dialogue. Elle est très descriptive, dans l’exposition. Ce n’est pas du tout un choix narratif qui me plait donc je suis malheureusement passée à côté. Dommage !

24/3 : Tourbillon aux Trois Ponts d’or – Fabien Clavel
Les inspecteurs Fredouille et Ragon enquêtent sur un meurtre surprenant en chambre close où la victime a reçu un carreau d’arbalète dans le front. Fabien Clavel exploite intelligemment la thématique du voyage dans le temps et propose deux personnages forts, intelligents, auxquels on s’attache aisément. Il donne même dans la diversité puisque Ragon est un homme obèse ! Ça peut paraître surprenant, mon besoin de le préciser, mais je me suis rendue compte que ça n’arrive pas très souvent dans les livres que je lis. Fabien Clavel fait preuve d’une belle maîtrise sur tous les plans et offre une nouvelle vraiment bien fichue qu’on dévore avec plaisir.

24/3 : The Pink Tea Time Club – Cécile Guillot
Lottie se promène dans Hyde Park avec sa sœur et son chien (Pink Princess, sans déconner.) quand celui-ci se fait avaler par un monstre tentaculaire. Folle de rage, Lottie décide de venger Pink Princess après avoir rencontré Mr Rabbit, un magicien horloger qui veille normalement sur les portails afin qu’aucun monstre n’en sorte. Cette nouvelle est la première aventure du Pink Tea Time Club, une sorte de recueil d’aventures édité par Cécile aux éditions du Chat Noir et qui est désormais en rupture si je ne dis pas de bêtise. C’est un bon texte mais j’ai eu envie de coller trois baffes par seconde à l’héroïne. Lottie est plutôt du genre superficielle, capricieuse… En réalité, elle est un parfait stéréotype féminin de shônen et cette nouvelle aurait très bien pu être adaptée en manga tant tout y est japonisant. Et oui, même si ça se passe à Londres ! J’ai besoin de citer Black Butler ? Le plus amusant, c’est que l’autrice n’a pas du tout ce type d’influence donc l’esthétique que j’y vois est née d’un parfait accident. Comme quoi… J’ai tout de même passé un bon moment à projeter cette petite histoire en format animé.

25/3 : Je reviendrai – Laurent Pendarias
Angela vient d’un monde dystopique où les montres ont une conscience et dominent les humains. Ceux-ci finissent par se révolter, ce qui contraint les montres à inventer une machine à voyager dans le temps pour éliminer Emmanuel Kant, l’auteur d’idées séditieuses. Angela va alors tenter de le sauver pour sauver l’humanité… Et oui, à ce stade, on a tous pensé à la même chose : Terminator ! Sauf que dans cette nouvelle, Laurent Pendarias prend la peine de réfléchir sur les paradoxes temporels et de les exploiter avec une certaine intelligence. De plus, la résolution se fait sur le dialogue au lieu de la baston. Ça change ! Malgré l’inspiration évidente, j’ai bien aimé lire ce texte.

25/3 : Le club des érudits hallucinés – Marie Lucie-Bougon
Souvenez-vous, je vous ai évoqué ce roman l’année dernière. Et bien cette nouvelle, c’est sa genèse ! Eulalia est l’andréïde, celle décrite dans l’Ève du Futur. Mais si, ce fameux roman précurseur de la science-fiction écrit par Villiers de l’Isle-Adam (okey je fais la maligne, je l’ai découvert après la lecture du roman de Marie-Lucie ->). Sa réalité n’a pourtant rien avoir avec la fiction… J’ai adoré redécouvrir ce texte qui pose les bases solides d’un univers steampunk extraordinaire. J’en profite pour vous recommander le très bon roman qui en découle.

La conclusion (partielle) de l’ombre :
Il est vraiment amusant et intéressant de découvrir cette anthologie six ans après sa publication. On peut ainsi compter le nombre de nouvelles qui sont devenues des romans et des romans d’une très bonne qualité, qui plus est, au sein de la collection Black Steam du Chat Noir. Si je n’ai pas accroché à tous les textes pour des questions de goût, ça n’empêche pas ceux-ci d’être remarquables. On sent un travail de sélection rigoureux qui en vient à me convaincre de lire davantage ce type d’ouvrage alors que je suis plutôt frileuse en règle générale. Bravo au Chat Noir ! On se retrouve bientôt pour la seconde partie de cette chronique 🙂

Sans nouvelles – anthologie

9782930839721

Sans nouvelles est une anthologie publiée chez Livr’s Éditions qui sortira pour la Foire du Livre de Bruxelles (qui a lieu du 22 au 25 février, profitez en puisque l’entrée est gratuite !). Sous le parrainage de Graham Masterton, vous retrouverez Geoffrey Claustriaux, Christelle Colpaert-Soufflet, Hélène Duc, Alexys Méan et Marine Stengel qui vous proposeront des textes en lien avec la thématique de la disparition. Notez que l’anthologie sera disponible au prix de 18 euros dans la collection « Nouvelles ».

Je ne suis pas très portée sur les anthologies en règle générale, parce que j’ai du mal à me retrouver dans des textes aussi courts. Pourtant, globalement, j’ai passé un très bon moment avec Sans Nouvelles. Je me propose de vous parler un peu de chaque texte, pour vous mettre l’eau à la bouche !

Au cœur de l’horizonGeoffrey Claustriaux
Dans cette nouvelle, nous rencontrons deux enfants -un cousin et une cousine- qui disparaissent de leur domicile sans laisser de traces pour se réveiller sur un bateau habité uniquement par des personnes âgées. Le pitch de base est plutôt inédit, je n’avais encore jamais rien lu de semblable et ça m’a assez vite emballée. J’ai trouvé ce texte intéressant et inspiré ; il y a une certaine tension tout du long et le dénouement était complètement inattendu. Le talent de Geoffrey Claustriaux n’est plus à prouver et on le retrouve ici à chaque ligne. Ce n’est pas ma nouvelle favorite, mais elle reste remarquable, principalement pour sa conclusion (glauque !) et pour sa finesse dans le traitement du sujet.

De l’autre côtéChristelle Colpaert-Soufflet
Souvenez-vous, début du mois, je vous ai parlé du roman Mémoires Assassines, de cette même auteure. Avec cette nouvelle, Christelle affirme son penchant pour les maisons qui renferment plus d’un secret. Une malédiction familiale pousse l’héroïne à vendre cet héritage immobilier et sa fille aînée en disparaît soudainement sans laisser la moindre trace. Cette mère va donc chercher désespérément des réponses et les trouver là où elle s’y attend le moins. J’ai apprécié cette nouvelle pour son côté fantastique maîtrisé et inspiré et pour sa fin qui fait froid dans le dos. Comme pour Geoffrey, le malsain est au rendez-vous mais il est beaucoup plus prononcé et brut sous la plume de Christelle, ce qui n’est pas désagréable. C’est simplement un autre style !

Enquête en sang troubleHélène Duc
Sûrement la nouvelle que j’ai le moins apprécié mais je pense que mon passif en tant que lectrice et ma tendance à être trop exigeante y est pour quelque chose. Nous suivons un privé qui s’ennuie dans son travail, jusqu’à ce qu’on lui confie une enquête sur la disparition d’une jeune fille. Outre un pitch plutôt standard, ce texte comprend de nombreux clichés désagréables (par exemple « elle était gothique et donc n’avait pas beaucoup d’amies »…. Lol ? Merci. ) et manque, par conséquent, de crédibilité. Si ce détective existait dans la vraie vie, son incompétence l’aurait soit fait tuer, soit condamné au chômage. Je crois que le dénouement et les explications sur la disparition m’ont achevés… Il y a des thèmes qu’on ne peut pas traiter n’importe comment au risque d’enchaîner les clichés indigestes et ça a malheureusement été le cas ici. En fait, c’est trop « américanisé », ce qui n’est pas un mal en soi, ça convient à certaines personnes mais moi, j’attendais autre chose. Après réflexion, je me dis que c’est peut-être une volonté stylistique de l’auteure, qui prendrait le contrepied en grossissant les traits des clichés pour justement nous amuser ou nous pousser à réfléchir sur le genre de la nouvelle policière, mais sur un plan personnel, ça ne m’a pas convaincue. Je précise que ça n’engage que moi et que je ne crache pas sur le travail de l’auteure. Simplement ce texte aurait mérité qu’on réfléchisse un peu plus dessus ou qu’on marque mieux son parti pris esthétique.

NagovorAlexys Méan
Je n’avais encore jamais rien lu de cet auteur et ça a été une merveilleuse surprise. J’ai trouvé son texte original et sa plume parfaitement inspirée. Nous rencontrons le vieux monsieur Yudin, qui a reçu l’autorisation de consulter les archives du gouvernement russe concernant un accident qui a coûté la vie à l’équipe d’alpinistes dont il faisait partie, il y a presque soixante ans. Il ne doit sa survie qu’à une maladie, qui l’a empêchée de continuer au-delà d’un étrange village… Ou peut-être que c’est un peu plus compliqué que ça. Nagovor recèle de nombreux mystères qu’on ne voit pas venir avant qu’ils ne se présentent à nous. En exploitant la mythologie slave, l’auteur nous offre un texte original et dynamique. Alexys Méan a énormément de talents, on ressent très bien les émotions des personnages et on vibre avec eux. Sur un texte aussi court, c’est surprenant ! Les descriptions sont justes et efficaces, le choix de la narration est plutôt osé (pari gagné !) et il maîtrise très bien les codes de la nouvelle. C’est sans doute celle que j’ai préféré.

La boîteMarine Stengel
Difficile de parler de ce texte sans vous en spoiler le contenu, parce qu’il est court et… n’a aucun enjeu. Une femme est enfermée dans une boîte. Quand elle en sort, il y a des centaines de corps à ses pieds. Elle trouve une lettre, qui lui explique pourquoi elle est là… Et c’est plus ou moins tout. On n’a pas le temps de s’attacher à elle, tout arrive trop vite, on a juste l’impression d’assister au final d’un film ou justement, à l’introduction d’une histoire plus vaste. Ce texte n’est pas mauvais en soi, je le trouve juste déconcertant et pas à sa place au milieu des autres. Il ne correspond pas, selon moi, aux critères techniques de la nouvelle. Mais il ferait un bon pitch de roman, peut-être une affaire à creuser?

Sous les drapsGraham Masterton
C’est la première fois que je lis un texte de Graham Masterton, maître incontesté de l’horreur et du suspens, du moins selon sa réputation. J’étais curieuse d’en apprendre plus, surtout que je vais le rencontrer sur le stand de Livr’s à la foire du livre de Bruxelles. Je dois avouer que j’ai été très agréablement surprise par le contenu de Sous les draps. Le héros est un petit garçon qui, une fois la nuit tombée, joue à être un héros. Parfois, c’est un pompier, parfois, un secouriste et là, un spéléologue qui doit retrouver une personne coincée dans une grotte. Il va se laisser embarquer dans un univers onirique dont nous ne sommes pas certain de s’il existe ou non. Je ne vais pas trop en dire, parce que à l’exception du texte d’Alexys, c’est celui que j’ai trouvé le plus inspiré, le plus riche et le plus original. Sans la fin, il aurait été mon préféré et vous comprendrez pourquoi si vous le lisez également. Cette nouvelle m’a donnée envie d’en découvrir plus sur son univers ! Je pense que Sous les draps ravira les adeptes de l’auteur et convaincra ceux qui ne le sont pas encore de le devenir.

Pour résumer, je vous recommande l’anthologie Sans Nouvelles. Certes, il y a un texte que je n’ai vraiment pas aimé et un autre que je n’ai pas entièrement compris, mais il y a quatre nouvelles qui sont à lire absolument, surtout si vous avez envie de découvrir ces auteurs dotés d’un certain talent. Le thème de la disparition est traité d’une manière plurielle et systématiquement angoissante. Parfois avec du fantastique, parfois en rappelant simplement que l’horreur peut-être juste humaine. Une agréable lecture qui plaira aux adeptes du genre comme aux novices. N’hésitez pas à passer sur le stand Livr’s à la foire du livre de Bruxelles, pour en profiter !