La Monture – Carol Emshwiller

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Je pense que c’est l’Épaule d’Orion qui, le premier, a attiré mon attention sur ce texte atypique. J’avais envie d’être dérangée, bousculée, et c’est un peu ce qui est arrivé même si… Pas autant que je l’imaginais après ma lecture des premiers avis à son sujet.

De quoi ça parle ?
Les Hoots sont des extra-terrestres arrivés sur Terre il y a un certain temps, qu’on peut probablement compter en siècles. Leur physionomie (des mains puissantes mais des jambes très faibles) fait qu’ils ont besoin de montures et qu’ils ont trouvé celles-ci… chez les humains. Ces humains sont devenus comme les chevaux pour nous. Les Hoots les élèvent en développant différentes races en fonction des besoins (plus fortes, plus rapides, etc.), les aiment, se montrent durs avec eux pour les éduquer mais les récompensent en conséquence…

Une inversion des rapports :
L’humain prend donc le rôle d’un animal domestique et, étrangement, cet aspect ne m’a pas tellement dérangé car j’ai apprécié la manière dont l’autrice ouvre ainsi la réflexion sur notre propre rapport aux animaux, nos comportements vis-à-vis d’eux, la façon dont on valorise la pureté de la race, dont on tapote et dont on les embrasse… Dont on les éduque aussi. C’était osé mais j’ai trouvé l’ensemble bien réussi.

D’autant plus que la majorité de l’histoire est narrée par Charley, un humain qui est la monture de Petit Maître. L’un comme l’autre sont des enfants, Charley a entre onze et treize ans au fil du récit et Petit Maître est un jeune Hoot quoi que voué à être un dirigeant. Carol Emshwiller opte donc pour une narration à la première personne, du point de vue d’un enfant, qui a été élevé comme une monture et qui trouve ça normal et sain de vouloir servir les Hoots si bien que quand il est libéré par des rebelles, il n’arrive pas vraiment à s’en réjouir. À quoi va-t-il dédier sa vie, désormais ?

Et c’est là précisément tout l’intérêt de ce texte qui n’a rien de manichéen. Il ne s’agit pas de peindre les Hoots comme de cruels envahisseurs et les humains comme de pauvres victimes qui essaient de s’en sortir. La manière dont Charley réfléchit et vit les évènements montre comment ce qui nous tient à cœur est déterminé par notre culture, notre éducation et nos habitudes. Que ce qui nous parait révoltant à nous, lectorat du 21e siècle qui a une certaine définition de la dignité et de la liberté, parait tout à fait normal pour Charley qui a été élevé ainsi. C’est d’autant plus perturbant que les Hoots ne sont effectivement pas méchants en soi. Ils ne sont en réalité pas différents des cavaliers et cavalières avec leurs chevaux.

Et c’est une ancienne cavalière qui vous le dit…

Voilà pourquoi ce roman peut déranger. Parce qu’il dépeint une situation qui parait inimaginable de prime abord mais, vue par le prisme de Charley, par sa relation avec Petit-Maître, par ses interactions avec d’autres humains, devient une réponse envisageable à tout un tas de problématiques actuelles comme le fait de se sentir perdu dans la société, de ne pas y trouver sa place, etc. Le bonheur simple de Charley est presque enviable.
Et c’est révoltant.
Et c’est brillant.
Parce que l’autrice nous pousse à réfléchir en notre âme et conscience, sans nous donner sa propre vision des choses ni même celle, finalement, de ses personnages. La fin du roman est à la hauteur de son contenu. Elle pourrait frustrer et même provoquer une exclamation rageuse : Tout ça pour ça ?! 

Pourtant, elle ne pouvait s’envisager autrement vu le ton d’ensemble qui fait presque plus conte philosophique que roman au sens moderne du terme.

La conclusion de l’ombre :
La Monture
n’est pas un roman de science-fiction comme on peut d’habitude l’imaginer en lisant ce terme assorti à son résumé. Ce n’est pas un roman qui met stricto sensu en scène la lutte de l’humanité contre une invasion extra-terrestre. Son originalité se situe justement dans le pied de nez que fait l’autrice à nos habitudes en la matière. Et rien que pour ça, c’est brillant. Si vous n’avez pas peur d’être chamboulé·e dans vos convictions et dans vos certitudes, alors tentez l’aventure.

D’autres avis : l’Épaule d’OrionLe nocher des livresUn papillon dans la luneLes blablas de TachanFourbis et TêtologieLes chroniques du Chroniqueur – vous ?

Informations éditoriales :
La monture écrit par Carol Emshwiller. Éditeur : Argyll. Traduction par Patrick Dechesne. Illustration de couverture par Xavier Collette. Prix au format papier : 18,86 euros. Prix au format numérique : 9, 47 euros.
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14 réflexions sur “La Monture – Carol Emshwiller

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  4. Belle chronique pour donner envie de lire si ce n’est déjà fait ce récit singulier fait pour nous bousculer sur bien des plans. J’ai beaucoup aimé le concept pour ma part et cette couverture !

  5. Oh tu m’intrigues beaucoup ! Je suis plutôt férue des récits atypiques dans l’imaginaire, et rien que pour ça je pourrais y aller les yeux fermés. Et si en plus on y aborde avec talent les relations humains/animaux… Merci pour cette découverte que j’ajoute illico à ma wish-list !

  6. Vu comme tu en parles, ça a vraiment l’air d’être super intéressant, que ce soi pour le parallèle avec les animaux d’élevage, que je voyais venir rien qu’au synopsis, ou la question du bonheur simple du personnage par rapport à la situation d’être libre mais sans savoir à quoi aspirer, je trouve cette thématique aussi très intéressante.

    Tu ne seras donc pas étonnée si je te dis que ça va aller sur ma liste de commandes pour la médiathèque !

    • En voilà une bonne nouvelle 😊 j’en suis ravie, c’est un texte qui peut provoquer beaucoup de questionnements intéressants donc il a parfaitement sa place en médiathèque. Je suis contente d’avoir l’occasion d’en parler enfin !

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