Jolies Mary – Gwendolyn Kiste

En avril 2022 soit il y a presque un an paraissait aux éditions du Chat Noir Jolies Mary, une novella écrite par Gwendolyn Kiste qui est également l’autrice d’autres textes dont deux ont été traduits dans cette maison d’édition : Filles de Rouille et Plumes et Ciguë. On la retrouve aussi au sein de l’anthologie 9 où elle signait ma nouvelle préférée.

Ce n’est donc pas la première fois que je lis cette autrice et je commence à relever un certain schéma dont nous reparlerons plus loin. Mais qu’en est-il de Jolies Mary ?

Et bien c’est une histoire de fantômes et plus précisément, de Maries (au pluriel !). Elles sont cinq, cinq Mary issues du folklore américain, mortes et conscientes, obligées de se nourrir de la terreur des humains pour survivre.

La narratrice de cette histoire est Resurrection Mary, surnommée Rhee, une jeune femme qui aurait été percutée par une voiture alors qu’elle revenait d’un bal, dans les années 20. Notre narratrice n’a aucun souvenir de tout cela, on la rencontre alors qu’elle se nourrit de gens sur « sa » portion de route et, petit à petit, on découvre sa vie, le bien vivant David dont elle est amoureuse depuis des années, le manoir où elle est enfermée avec ses quatre sœurs de cœur, le passage du temps aléatoire… Ainsi que la situation problématique dans laquelle se trouvent les fantômes puisque trois d’entre elles semblent être oubliées des humains et avoir de plus en plus de mal à être vues et donc à se nourrir. Pour ne rien arranger, une voix masculine menaçante semble vouloir s’emparer des Mary…

Comme c’était déjà le cas dans ses deux autres romans, Gwendolyn Kiste met en scène un groupe de femmes malmené par un ou plusieurs hommes (ou une société patriarcale) et qui devront s’unir pour parvenir à s’en sortir, à lutter. Quand on a déjà lu l’autrice, le schéma narratif ne recèle aucune surprise mais n’en reste pas moins efficace. Les pages se tournent toutes seules et je la préfère décidément au format court.

L’autre intérêt de cette novella étant de faire découvrir des légendes méconnues du grand public. Je n’avais jamais entendu parler de Mistress Mary et de son jardin vénéneux, de Mary Mack condamnée à fabriquer son propre cercueil pour l’éternité ou encore Mari Lwyd qui est une légende galloise autour d’un crâne de jument… La fin de l’ouvrage contient d’ailleurs les chansons / comptines dont sont inspirées les Mary et j’ai trouvé l’idée intéressante.

La conclusion de l’ombre :
Si vous aimez les histoires de fantôme et les légendes urbaines, alors il est probable que vous passerez un chouette moment avec Jolies Mary. Cette novella embarque son lecteur au sein d’une sororité de fantômes qui vont se battre pour survivre et briser un cycle où la mort n’est pas une fin en soi. J’ai été touchée par les tourments de Rhee et apprécié découvrir ce texte recommandable.

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Informations éditoriales :
Jolies Mary par Gwendolyn Kiste. Traduction par Cécile Guillot. Illustration de couverture par Mina M. Éditeur : le Chat Noir dans la collection f. nigripes. Prix au format papier : 12 euros.

Thornhill – Pam Smy

Après pas moins de six abandons, le miracle a finalement eu lieu avec Thornhill de Pam Smy, un roman gothique et graphique dévoré en une soirée pour lequel je déborde d’enthousiasme.

De quoi ça parle ?
Thornhill se divise en deux parties qui s’alternent si bien qu’on voyage entre les époques. La première se déroule en 1987 et est écrite sous forme de journal intime, celui de Mary qui est orpheline et habite à Thornhill (qui est donc un orphelinat pour jeunes filles). Mary est atteinte de mutisme sélectif et est plutôt solitaire : elle préfère lire et fabriquer des poupées plutôt que de passer du temps avec les autres filles. Il faut dire que celles-ci ne sont pas tendres avec elle, l’une d’elle en particulier, qui va lui mener la vie dure, la harceler, la pousser aux dernières extrémités. Chaque entrée est assez courte, parfois un paragraphe, parfois une page, si bien que le tout est très dynamique.

La seconde se déroule en 2017 et est entièrement illustrée, sans dialogue. On y suit une fille qui s’appelle Ella, comme on peut le lire sur ses cartons de déménagement. On comprend qu’elle a perdu sa mère et vit avec son père, elle vient d’emménager juste à côté de Thornhill qui est à l’abandon et aperçoit par sa fenêtre l’ombre d’une fille, ce qui semble l’intriguer. Elle va donc se rendre à Thornhill, malgré les interdictions, et découvrir de mystérieuses poupées qu’elle va apprendre à restaurer.

Un très bel objet.
Les éditions Rouergue n’ont pas lésiné sur l’objet livre en tant que tel. Pavé de 544 pages, couverture hardback, le tout entièrement noir, même les pages, on ne peut que regretter deux choses : l’absence d’un signet en tissu qui aurait apporté un petit cacher supplémentaire et le fait que les pages du journal de Mary ne soient pas justifiées. J’imagine que c’est pour donner l’effet écriture mais ça m’a un peu crispé. Le prix, quant à lui, reste parfaitement raisonnable et abordable surtout vu l’objet : 20,40 euros seulement alors que la moitié des pages sont des illustrations, certes en noir et blanc mais ce n’est pas négligeable.

Une maîtrise narrative époustouflante.
N’ayons pas peur des mots ! Que ce soit la première ou la seconde partie, Pam Smy se révèle très douée pour distiller des émotions et prendre au piège son lecteur. Les passages du journal intime sont douloureux, glaçants. Ce n’est pas un procédé narratif que j’affectionne en général mais il fonctionne très bien ici, il est cohérent avec la personnalité de Mary et a l’avantage de ne pas se perdre en digression. Ça va droit au but. Mais ce qui m’a le plus impressionnée, ce sont les dessins qui illustrent 2017. Cette époque est narrée sans le moindre mot (si on excepte les extraits de journaux ou les mots écrits par le papa d’Ella qui travaille beaucoup), pourtant on n’en a pas besoin pour ressentir les émotions d’Ella ou comprendre les raisons qui la poussent à se rendre à Thornhill. Je trouve qu’il faut énormément de talent et de travail pour parvenir à instiller autant de vie dans du dessin et j’ai été impressionnée par le rendu final.

La conclusion de l’ombre :
Thornhill est un roman gothique à la frontière des supports, à la fois roman et graphique, écrit et illustré par la même personne. C’est une histoire assez sombre et cruelle avec une pointe de fantastique, qui parle avant tout de solitude, de différence et d’amitié. Impossible de rester de marbre face aux tourments de Mary et d’Ella. Pam Smy nous offre une belle leçon et rappelle, s’il y avait besoin, que non, le gothique n’est pas mort.

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Informations éditoriales :
Thornhill, écrit et illustré par Pam Smy. Traduction par Julia Kerninon. Illustration de couverture : Pam Smy. Éditeur : Rouergue. Prix au format papier : 20,40 euros.

La Maison des Jeux #3 le Maître – Claire North

Conclure une saga n’a rien de facile, surtout une saga de qualité car les attentes du lectorat seront forcément élevées. Avec les deux premiers tomes de la Maison des Jeux, Claire North avait placé la barre très haut et si j’ai, dans l’ensemble, apprécié cette lecture, il m’a manqué un petit quelque chose pour utiliser le qualificatif de coup de cœur, comme ce fut le cas pour le premier tome.

De quoi ça parle ?
Voilà deux volumes que le mystérieux Argent apparait au bon moment pour sortir nos protagonistes de la mouise et récolter, du même coup, un service à lui rendre dans un futur plus ou moins proche. Depuis des siècles, Argent est un joueur et il accumule les faveurs comme les pions en vue de ce jour, qui est enfin arrivé : en 2018, il défie la Maîtresse des Jeux dans une partie d’échec grandeur nature. Leur plateau ? Le monde. Leurs limites ? Et bien… aucune.

Nous ne sommes que des pions.
C’est le sentiment qui a dominé toute ma lecture. La narration du point de vue d’Argent (qui a en fait toujours été le narrateur, si j’ai bien compris) nous montre avec quel détachement il considère des vies humaines, des institutions, des sociétés toutes entières et souligne la facilité avec laquelle les puissants sacrifient ce qu’ils ne voient pas réellement. Obsédé par son objectif de vaincre la Maîtresse des Jeux, il ne reculera devant rien pour y parvenir, tout comme elle, donnant l’impression d’assister à un duel entre deux adolescents obstinés, chacun refusant de considérer le point de vue de l’autre. Ça en devient absurde, incompréhensible, de constater avec quelle facilité des institutions, des vies, peuvent s’écrouler en un claquement de doigts. Le texte se transforme alors une parfaite illustration de l’effet papillon sauf qu’au lieu de jolis insectes aux ailes colorées, on a deux joueurs qui se prennent pour des dieux en oubliant tout sens commun.

Ainsi s’enchainent les coups dans une traque à travers le monde. Cela devient vite peu lassant car il y a trop d’évènements qui paraissent trop énormes et sur lesquels on s’arrête trop peu. Même si ce n’est pas le propos, j’en ai retiré une sensation de tournis et de malaise désagréable. Au cas où nous aurions oublié notre insignifiance dans l’univers, Claire North s’emploie à nous la rappeler…

Hélas, quand la fin arrive, elle tire en longueur dans un échange qui n’a fait que renforcer mon sentiment initial d’observer la dispute immature de deux ados frustrés qui se pensent animés de beaux sentiments alors qu’il n’en est rien, il n’y a que de l’ego mal placé. Les siècles et l’obsession du jeu ont apparemment fait régresser les protagonistes et au lieu de sagesse, il ne leur reste que mensonges, faux semblants et obsessions diverses. D’ailleurs, je parle de fin mais il s’agit d’une fin ouverte. Je n’ai rien contre sauf qu’ici, à mon sens, refuser de donner le dénouement dénote un manque d’engagement clair dans le propos de l’autrice et ça me déçoit. J’aurais préféré qu’elle assume jusqu’au bout l’aspect désabusé de la chose.

La conclusion de l’ombre :
L’enthousiasme semble unanime et ardent sur la blogosphère. Peut-être suis-je passée à côté d’une clé de compréhension (ça m’apprendra à lire en étant malade !), peut-être l’époque moderne me lasse-t-elle profondément ou peut-être le seul jeu fait pour moi était-il celui de Thene. Je ne regrette toutefois pas ma lecture car la plume de Claire North reste rythmée et délicieuse au point qu’il est difficile de reposer l’ouvrage une fois entamé. Pour ne rien gâcher, il se dégage du Maître un désenchantement, une mélancolie et une forme de cruauté qui me plaisent. La Maison des Jeux reste une très bonne saga, j’attendais simplement une autre conclusion.

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Les autres romans de l’autrice sur le blog : Le SerpentLe Voleur

Informations éditoriales :
Le Maître de Claire North (La Maison des Jeux 3/3), traduction par Michel Pagel. Éditeur : le Bélial. Illustration de couverture : Aurélien Police. Prix au format papier : 10,90 euros.

Magic Charly #3 Justice soit faite ! – Audrey Alwett

J’ai lu le premier tome de Magic Charly en octobre 2019 et ç’avait été une véritable révélation pour moi en plus de tomber pile au moment où j’en avais le plus besoin. C’est une saga que je recommande volontiers à tout le monde tant elle est riche et délicieuse. Ce troisième (et dernier) tome ne douchera pas mon enthousiasme global même si un élément m’a un peu moins plu. Voyons cela ensemble !

Avant d’aller plus loin, je vous invite à lire ma chronique du premier tome pour savoir de quoi parle cet univers et éventuellement celle du second si vous êtes curieux·ses. Le présent billet ne contiendra pas d’éléments divulgâchant le contenu des romans mais plutôt une réflexion globale ainsi qu’un point sur « à qui conseiller cette saga ».

Un sous-texte riche.
La cité magique de Thadam a beau être imaginaire, elle est le théâtre de bien des maux de notre siècle. Audrey Alwett continue de briller en construisant un univers original dont les problématiques ne sont pas sans rappeler les nôtres. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, l’Académie de magie est attachée à la magie runique qui se pratique d’une façon telle qu’elle use les ressources magiques, qui n’ont pas le temps de se renouveler. Les abus sont nombreux, ce qui provoquera finalement les pannes de magie au cœur de ce tome-ci. La métaphore est plurielle. Tout d’abord, je n’ai pu m’empêcher d’y voir une référence à la manière dont les privilégiés gaspillent les ressources énergétiques en demandant aux personnes précarisées de porter tous les efforts sur leurs épaules, prétendant qu’il faut agir ainsi pour « le bien commun ». L’écho avec notre propre actualité est plus que jamais flagrant…

Ensuite, il semble évident que l’Académie de magie est une métaphore pour l’Académie française (rien que sur son fonctionnement) qui elle aussi empêche tout progrès / changement en cadenassant la langue. On peut penser ce qu’on veut mais nous vivons au sein d’une société basée sur le langage. Nommer une chose, un concept, c’est lui permettre d’exister puisqu’on peut ainsi le désigner et donc s’y référer. La langue possède donc un pouvoir immense et toute personne amoureuse des livres ne peut que partager ce point de vue. Ainsi, refuser à un mot, un terme, un concept, le droit d’exister dans un genre ou simplement le faire disparaître, c’est modifier le fonctionnement de la société dans son ensemble.

L’Académie de magie agit de la même façon. En effet, deux façons de pratiquer la magie existent : la runique, en vigueur et prônée par l’Académie, et l’intuitive, qui a été bannie sous de faux prétextes il y a longtemps car la magie intuitive ne se contrôle pas facilement, ce qui devient problématique pour une institution dont le but est justement d’avoir la main mise dessus… Pour notre langue française, avant qu’elle ne soit fixée dans le dictionnaire, il faut savoir que chacun écrivait un peu comme il le souhaitait et que tout le monde parvenait pourtant à se comprendre car une base commune, informelle, restait présente. Il existait de nombreuses dialectes qui participaient à la richesse de la culture locale. Des règles ont ensuite été fixées pour permettre le rayonnement de notre langue à l’étranger (c’était en tout cas la version officielle mais au passage, il y a eu pas mal de coupes et je vous recommande la lecture de cet article pour en apprendre un peu plus) et, par extension, celui du royaume de France. Encore aujourd’hui, l’Académie rue dans les brancards quand il s’agit de réhabiliter des termes anciens qu’elle a elle-même proscrits comme le mot autrice, pour ne citer que celui-là. Rien que sur cet aspect, le texte est chargé de sens. Pour rattacher cet élément à ce que je disais plus haut : quand le mot autrice a été effacé du dictionnaire à l’époque, cela sous-entendait que les femmes ne pouvaient pas écrire, n’en avaient pas la légitimité, puisqu’on leur retirait la possibilité d’être ainsi désignée…

Mais ce n’est pas tout ! Audrey Alwett aborde aussi des questions fondamentales comme le consentement (avec ce qui arrive à Sapotille suite à son agression de grimoire par le Juge Dendelion dans le tome précédent), la discrimination au sens large (de genre mais aussi des femmes) le tout avec subtilité sans pour autant manquer de clarté, ce qui ne fait que renforcer le message et rendre cette trilogie encore plus importante à faire lire au plus grand nombreux, jeunesse ou non. Pour ne rien gâcher, l’univers continue de se développer, de s’étoffer et de nous enchanter pour notre plus grande plaisir. Les patates patates sont géniales et que dire des trolls ? J’ai adoré non seulement la richesse de l’univers proposé par l’autrice mais également sa plume immersive pleine de personnalité.

Mais il y a un « mais »…
Mon seul regret, c’est la relation entre Charly et Sapotille. Je suis une lectrice qui n’aime pas les histoires d’amour et je ne m’attends pas à tomber dessus dans un roman estampillé jeunesse (quoi qu’en vérifiant, Gallimard le met dans la collection « ados » donc j’ai du louper un truc quelque part…). Heureusement, j’ai été prévenue en lisant le tweet de Sometimes a book donc ça m’a évité de tomber dessus sans préparation… Même si leur relation a un côté mignon et est très saine, ce qui est positif comme image à renvoyer, j’ai été lassée par leur mièvrerie et leur envie de toujours être l’un avec l’autre. Mais c’est sans doute parce que je suis globalement blasée par tout cela et peu intéressée par ces questions. Même si cet élément est assez présent, leur relation n’éclipse toutefois pas l’intrigue pour la cause ni l’intelligence du sous-texte. Autre petit point : il m’a manqué, une fois de plus, un résumé des tomes précédents ainsi qu’éventuellement un petit dramatis personae, sachant que ma lecture du tome 2 remonte à mars 2021… C’est dommage que les maisons d’édition n’y pensent pas systématiquement.

La conclusion de l’ombre :
Outre ces éléments somme toute négligeables, je ressors enchantée par ma lecture de ce dernier tome, par la conclusion proposée et par la richesse de cet univers non seulement sur le plan de ses personnages mais aussi de son intrigue et de ses messages. J’aurais aimé grandir avec Magic Charly et je suis jalouse de cette génération qui pourra s’offrir ce plaisir ! Je suis surtout rassurée de lire des romans jeunesses (que j’aurais plutôt qualifié de « tout public ») d’une telle qualité et je me réjouis de voir ce qu’Audrey Alwett nous prépare pour l’avenir. Alors si vous ne devez retenir qu’une chose de ce billet c’est : lisez Magic Charly !

Lisez Magic Charly, si…
-Vous aimez les univers magiques avec un soin particulier pour le détail.
-Vous aimez la pâtisserie, surtout la pâtisserie magique.
-Vous aimez quand vos divertissements vous permettent en plus de réfléchir.
-Vous aimez l’humour bien dosé d’inspiration Pratchett (qui a tout de même sa propre personnalité).
-Vous avez envie de lire la meilleure trilogie « jeunesse » que j’ai pu lire de toute ma vie.

(oui je garde le meilleur argument pour la fin 😉 )

D’autres avis : Sometimes a book – vous ?
D’autres romans d’Audrey Alwett sur le blog : les poisons de Katharz

Informations éditoriales :
Magic Charly tome 3 Justice soit faite ! par Audrey Alwett. Éditeur : Gallimard Jeunesse. Illustrations de couverture (et intérieures) : Stan Manoukian. Prix : 17,5 euros au format papier.

Sorcière des ombres – Pascaline Nolot

Sorcière des ombres est le nouveau roman fantastique / ado de l’autrice française Pascaline Nolot. Publié chez Gulf Stream dans sa collection Échos, le titre est prévu pour le 9 février… 2023 ! Il était en énorme avant première à Montreuil et j’en ai profité pour me le procurer puisque j’apprécie en général les textes de l’autrice ainsi que l’autrice elle-même. L’avant première est telle que le livre n’est actuellement pas sur le site de l’éditeur, c’est vous dire… Quant à la couverture, on la trouve uniquement en mauvaise qualité à droite à gauche, je vous demande donc de m’excuser pour cela. Je reste un peu perplexe sur l’intérêt marketing d’une telle manœuvre mais ce n’est pas le sujet.

De quoi ça parle ?
Cassiopée est une adolescente de quatorze ans qui souffre de sa timidité. Pour la « soigner », ses parents décident de l’inscrire de force en stage de théâtre durant l’été, loin de chez elle, ce qui l’obligera à vivre chez son cousin. Une fois sur place, à Agonie, Cassiopée rejoint la troupe du théâtre du Serpent Vert et découvre l’existence d’une pièce maudite, la Sorcière du Rével, que ses compagnons de troupe ont très envie de monter…

Une héroïne timide.
J’ai beau réfléchir, je ne me rappelle pas avoir déjà lu un roman où le thème de la timidité est traité avec autant de justesse ou même traité tout court. Le plus souvent, on dit aux gens timides de « faire des efforts » ou on balance tout un tas de conseils type pensée positive du genre « quand on veut on peut ». Même quand on a conscience des difficultés rencontrées par les personnes timides, on a parfois du mal à comprendre réellement ce que recouvre la timidité, on adresse des remarques qui se veulent encourageantes mais n’aident en fait pas du tout. La lecture de ce roman m’a fait prendre conscience d’énormément de choses par rapport à ma propre attitude dans ces cas-là et ce qu’elle peut faire ressentir à autrui. Je dirais donc que la mission première du livre est accomplie et qu’il me semble très important de le faire lire au plus grand nombre de gens (surtout d’adolescents) possible.

Sans doute parce que l’autrice est elle-même une personne timide, la voix de Cassiopée sonne juste et m’a plus d’une fois poussée à m’interroger sur les situations vécues par la jeune adolescente. J’ai régulièrement été révoltée que ce soit par la façon dont les parents se positionnent sur le sujet, le discours qu’ils lui tiennent, la façon dont son professeur la rabaisse en se croyant intelligent ou même l’attitude de Lucile, l’ancienne meilleure amie de l’héroïne qui la rejette parce que sa timidité devient trop difficile à gérer pour elle. Je les ai tous trouvés très injustes envers la pauvre Cassiopée et vraiment peu compréhensifs, pourtant… Pourtant ces personnes ne pensent pas à mal. Elles essaient d’aider Cassiopée, elles ont peur pour elle, pour son avenir, parce que sa timidité dite maladive lui cause un véritable handicap social. L’enfer est pavé de bonnes intentions, me direz-vous… Et toute la mise en place du roman ne fait que le prouver.

La pression sociale autour de l’importance de bien s’exprimer est superbement mise en scène dans tous ses aspects et surtout, dans toute sa complexité. Le sujet est bien traité du début à la fin. J’avais un peu peur de la conclusion toutefois il ne s’agit pas de « guérir » cette timidité mais de l’accepter et d’apprendre à vivre avec comme d’autres traits de personnalité, une démarche que je trouve vraiment bonne. Il y a aussi une réflexion sur l’image de soi, sur l’image que la société nous fait développer de nous-même et sur la façon dont les gens peuvent se comporter comme des cons envers toute personne un peu en dehors de la norme.

C’est un roman que je trouve important rien que pour le traitement de ce thème mais ses qualités ne s’arrêtent pas ici. 

Cassiopée est une héroïne intéressante à suivre. J’ai parfois été lassée par ses introspections que je trouvais trop longues (à mon goût) et qui nuisaient (à mon goût, encore) au rythme du récit mais ça ne m’a pas empêché de ressentir beaucoup d’empathie pour elle, d’avoir envie de me mettre à sa place, à celle des autres aussi pour comprendre, réfléchir… C’était très intéressant comme expérience. De plus, la relation qu’elle développe d’abord avec la petite Zoé (qui m’a rappelé par certains aspects la fille de l’autrice, du moins ce qu’elle partage à son sujet sur Facebook, notamment ses réflexions amusantes et sa drôle de maturité) puis avec son cousin Clarence, un adolescent excentrique qui aime porter des redingotes et s’exprimer d’une façon soutenue, un peu comme s’il était le personnage d’une pièce. Je me suis beaucoup retrouvée en lui parce que j’ai eu une passe de ce genre aussi et ça m’a rappelé de chouettes souvenirs. Les dynamiques fonctionnent très bien et la cohérence du personnage est de mise jusqu’à la fin. Cassiopée est une adolescente qui a une personnalité très riche mais dissimulée derrière sa timidité. Elle-même a une piètre image de sa personne alors que ses actes spontanés nous montrent sa vraie valeur. Sans surprise, Pascaline Nolot parvient à se montrer subtile et percutante à la fois. 

Du théâtre et de la musique…
Ce n’est pas un secret : j’adore le théâtre, c’est un art qui me passionne et même si je ne monte plus sur scène pour diverses raisons, je l’ai fait pendant longtemps. Du coup, je suis ravie quand des auteur·ices que j’aime évoquent ce thème dans leurs livres. L’idée du stage m’a rappelé de bons souvenirs, les exercices proposés par le professeur sont amusants et donnent envie de les pratiquer en même temps que les protagonistes. Tout tourne autour d’une pièce dont on a droit à quelques extraits seulement alors que j’espérais la découvrir en entier dans des interchapitres. Cette pièce est maudite car lorsqu’elle a été jouée il y a trente ans, quelqu’un est mort et le traumatisme est resté chez les habitants d’Agonie. Ainsi, quand la troupe annonce qu’ils vont la rejouer, certains esprits s’emballent en prétendant que la sorcière du Rével va revenir et de fait, des évènements mystérieux, effrayants et même parfois violents se déroulent à mesure qu’avance cet été 2019. 

Des évènements dont l’explication se révèlera pour le moins… originale, tirant le roman dans une forme de fantasy pour brouiller la frontière des genres. J’ai été assez surprise par cette tournure, sans réussir à définir si j’ai apprécié ou non le twist car il semble sorti de nulle part et pourtant, une fois à la fin, j’ai été surprise de constater que tout s’emboîte parfaitement. Il reste pas mal de questions sans réponse concernant le Rével, ce qui donnera peut-être lieu à un autre roman dans cet univers, qui sait ? 

En plus du théâtre, la musique tient une part importante dans La sorcière des ombres car Cassiopée est fan d’un groupe de musique appelé GIRL (pour Ghost In Real Life) si bien que plusieurs extraits de paroles parcourent tout le texte, des paroles percutantes qui illustrent bien l’importance que peut avoir la musique dans la vie d’une personne. C’est également un élément qui m’a fait me sentir proche de Cassiopée. 

La conclusion de l’ombre
Sorcière des ombres est un thriller fantastique à destination d’un public adolescent plutôt efficace dans l’ensemble. Le roman met en scène une héroïne très timide et traite du sujet avec beaucoup de justesse, ce qui ne surprendra personne ayant déjà croisé la route de Pascaline Nolot. Cassiopée devra dépasser ses difficultés pour participer au stage de théâtre mais surtout, découvrir ce qui se cache derrière la malédiction de la pièce La Sorcière du Rével. Si le texte souffre à mon goût de quelques longueurs dues aux introspections de Cassiopée qui prend souvent le lecteur par la main pour tout expliciter (ce qui est cohérent vu le public cible) je l’ai trouvé important pour les thématiques abordées, intéressant dans ses idées et bien mené dans l’ensemble. Un roman fort recommandable !

D’autres avis : sûrement en février 2023…

Les autres romans de Pascaline Nolot sur le blog : Les orphelins du sommeilles larmes de l’araignéeRouge.

Informations éditoriales :
La sorcière des ombres par Pascaline Nolot. Éditeur : Gulfstream dans sa collection Échos. Couverture par Jessica Heran. Prix au format papier : 18,90 euros. 

Une rivière furieuse – Erica Waters

De quoi ça parle ?
Quelque part dans une petite ville américaine, Rochelle disparait. Sa sœur, Natasha, décide de mener l’enquête car elle juge que la police ne s’occupe pas bien de l’affaire. En désespoir de cause, Natasha va voir Della, une sorcière, espérant recevoir son aide. Mais Della a ses propres problèmes à gérer : sa mère, devenue un monstre aquatique, est probablement derrière cette série de disparition dont Rochelle n’est qu’une des victimes…

Natasha et sa sœur Rochelle sont des enfants adoptées par une famille blanche et riche. Natasha souffre d’accès colériques et est en pleine tourmente vu ce qui arrive à son aînée. Elle est persuadée que Jake Carr, le petit ami de Rochelle et accessoirement star locale du country est responsable de sa disparition. En creusant, elle va découvrir de nombreux secrets sur sa sœur qui vont mettre à mal ses certitudes. La suivre dans sa tourmente et dans l’évolution de l’intrigue est passionnant car elle fait de mauvais choix ou du moins des choix discutables pour parvenir à découvrir la vérité. On entrevoit déjà que le roman porte bien son titre car au-delà du sens strict qui devient évident dans le dernier tiers du roman, l’aspect fureur avec tout ce que ça implique est très bien incarné en Natasha.

Della, de son côté, doit s’occuper seule de sa mère car son père est présenté comme faible, alcoolique et démissionnaire face à l’état de sa femme. Elle appartient à une famille de sorciers qui vit pauvrement de petites potions préparées à la demande de personnes qui souhaitent de venger d’un conjoint infidèle et est contrainte d’enfermer sa mère dans une prison désaffectée pour que celle-ci n’agresse personne quand, la nuit, elle se transforme en sirène monstrueuse. Le poids sur ses épaules est énorme tout comme la culpabilité et la solitude. On ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine empathie à son encontre malgré son caractère plutôt rude.

Une narration efficace.
Le roman est écrit à la première personne et composé de deux narrations qui s’alternent : celle de Natasha et celle de Della. Cela permet au lecteur d’être au plus près des émotions de ces deux adolescentes en crise qui doivent gérer des problèmes d’adultes. Pour moi, la grande force du roman se situe justement dans ce choix narratif commun au genre young adult et dans les personnages dépeints. Les deux filles ont leur personnalité propre et le style d’Erica Waters le retranscrit bien, s’adaptant à l’une comme à l’autre sans jamais les confondre. C’est le plus gros point fort du roman à mes yeux d’autant que l’intrigue en elle-même reste assez classique (ce qui ne signifie pas qu’elle soit inintéressante pour autant).

Du féminisme et de la romance.
L’originalité se trouve aussi dans le ton résolument féministe du roman et dans cette romance entre les deux héroïnes qui change dans le genre young adult ou même de manière générale. J’ai assez peu l’occasion de lire un roman de l’imaginaire où l’héroïne est lesbienne assumée, encore moins où ce thème ne devient pas du coup le centre de l’intrigue. Cela ne signifie pas qu’il n’en existe pas, juste qu’ils ne doivent pas être très bien mis en avant sans quoi je n’aurais pas autant de difficultés à trouver un autre titre du même genre dans ma mémoire… Je suis une fervente partisane de l’inclusion par la banalisation, un peu comme dans les romans de John Scalzi ou d’Ellen Kushner car même si la lutte importe, c’est en normalisant ces relations qu’on cessera, je pense, de les stigmatiser inutilement. Qu’on partage ou non mon avis, c’était à mes yeux la grande force d’Une rivière furieuse même si, à mon goût, cette romance sort un peu de nulle part et que j’ai eu du mal à y croire. Mais bon, j’ai régulièrement ce sentiment dans les romances donc c’est plutôt que cet aspect d’une intrigue m’intéresse / me convainc assez peu de manière générale.

Ce roman ne me laissera pas un souvenir impérissable toutefois j’ai eu envie d’en parler pour son parti-pris très girl power et pour la dernière page qui m’a marquée par son discours assez désabusé sur les hommes et la nature humaine de manière générale. Certain·es le lui reprocheront peut-être mais comme je suis assez proche de cet état d’esprit, j’ai surtout été heureuse de lire un texte qui assume jusqu’au bout et tranche dans le vif.

La conclusion de l’ombre :
Une rivière furieuse est un one-shot fantastico-horrifique mettant en scène deux adolescentes qui se débattent avec des problèmes d’adultes en plus de soucis magiques. C’est un bon divertissement qui plaira au lectorat young adult en quête d’inclusivité (ce qui est mon cas pour au moins la deuxième partie de l’intitulé) et d’un one-shot à suspens efficace. Si l’intrigue ne révolutionne pas le genre, je retiendrais ce roman surtout pour son propos militant féministe et son ton désabusé sur la question de l’égalité qui a le mérite d’être, à mon sens, assumé et bien trop réel encore de nos jours.

D’autres avis : Lullastories – vous ?

Informations éditoriales :
Une rivière furieuse par Erica Waters. Traduction : Cécile Guillot. Éditeur : le Chat Noir. Illustration de couverture : Mina M. Prix au format papier : 19.90 euros.

La Maison des Jeux #2 le Voleur – Claire North

En avril de cette même année, je vous parlais du premier tome de la Maison des Jeux intitulé « le Serpent » et se déroulant à Venise en 1610. Ç’avait été un coup de cœur doté d’une écriture musicale, d’un contexte original et d’une ville si bien décrite qu’elle en prenait vie sous mes yeux. Est-ce que la suite s’inscrit dans la même lignée ? Voyons cela…

De quoi ça parle ?
Remy Burke est joueur de la Haute-Loge depuis un certain nombre d’années et n’aurait pas dû se laisser avoir aussi bêtement par Abhik Lee qui parvint à le saouler avant de lui faire accepter une partie de cache-cache. L’enjeu ? Rien de moins que ses souvenirs… Or, si Remy est un bon joueur, Abhik est connu pour être redoutable. Quand la partie se lance, Remy sent vite un déséquilibre dans les excellentes cartes reçues par son adversaire et commence à se demander si quelqu’un de plus haut placé, de plus influent, ne chercherait pas à se débarrasser de lui.

Autre époque, autre ambiance.
Cette suite, qui se passe en 1938 à Bangkok, a perdu la musicalité qui m’avait tant séduite dans le Serpent sans pour autant être inintéressante ni même décevante. Autre époque, autre ambiance, tout simplement. Et autre personnage aussi car si Remy n’a pas le charisme d’une Thene et que j’ai crains de suivre un protagoniste fade, je me suis vite prise d’empathie pour lui. La finesse de sa psychologie rappelle que Claire North est une autrice à suivre car elle ne laisse rien au hasard.

Rien et pas même son décor. Les paysages sont saisissants de réalisme, je n’ai eu aucun mal à me sentir transportée dans cette contrée où je n’ai pourtant jamais posé un pied. Elle ne partait pas gagnante car je peine à m’intéresser à tout ce qui se passe après le 19e siècle, encore plus lorsque l’intrigue semble centrée sur rien de moins qu’une course poursuite… Ce qui a tendance à me lasser.

Mais la magie a opéré.

Sur un plan personnel, il semble évident pour tout qui me connaissant un minimum que j’ai plus d’affinités avec Venise qu’avec la Thaïlande et donc que je continue de préférer le Serpent au Voleur. Pourtant, l’intrigue du Voleur gagne en ampleur. L’autrice réalise l’exploit de proposer une histoire indépendante tout en ramenant d’anciens personnages par un clin d’œil et en renforçant les enjeux autour de cette mystérieuse Maison des Jeux. Ainsi, des liens se créent et on sent se dessiner un dénouement plus qui ne manquera probablement pas d’envergure, tout en ayant l’histoire de Remy terminée sur ces 150 pages.

La conclusion de l’ombre :
Contrairement à ce que je craignais en lisant la quatrième de couverture par rapport à mes goûts personnels, le Voleur a été une très bonne lecture où l’autrice confirme son talent non seulement à poser un décor plus vrai que nature, à imaginer un personnage intéressant à suivre et à tisser une intrigue qui se révèle bien plus complexe que de prime abord. Je n’ai qu’une hâte : lire le troisième et dernier volume de la Maison des Jeux pour découvrir ce qu’elle nous réserve…

Je remercie le Bélial pour ce service presse.

D’autres avis : L’épaule d’OrionOutrelivresGromovarAu pays des cave trolls – vous ?

S4F3 : 19e lecture.
Informations éditoriales :
La Maisons des Jeux, tome 2 : le Voleur par Claire North. Traduction par Michel Pagel. Éditeur : le Bélial. Illustration de couverture : Aurélien Police. Prix : 10,9 euros.

L’Homme Illustré – Ray Bradbury

Vous le savez peut-être (ou pas) mais je suis une grande fan de la série Esprits Criminels depuis le début de mon adolescence. Elle m’a toujours fascinée et j’ai vu les premières saisons au moins une dizaine de fois. Récemment, j’ai décidé de tout regarder depuis le début puisque les quinze premières saisons sont disponibles sur Disney+ et c’est à cette occasion que j’ai re-re-re-re(…) vu l’épisode intitulé l’homme illustré, 20e de la 5e saison. Dans ce dernier, un tueur en série se suicide et son corps est complètement illustré par le visage des femmes qu’il a tué. Reid pense alors au recueil de Bradbury et en parle comme de « la bible des tatoueurs ». J’ai longtemps été intriguée par ce livre mais à l’époque, je me souviens qu’il n’était plus disponible. Ici, en le revoyant, je me suis renseignée et coup de bol, Folio SF venait de le ressortir. J’ai donc enfin pu lire ce recueil. Voyons ce que j’en ai pensé !

De quoi ça parle ?
Il s’agit d’un recueil de dix-huit nouvelles reliées autour d’un concept : dans le premier chapitre, un homme rencontre l’Homme illustré qui lui explique qu’une vieille femme a illustré (et non tatoué) son corps avec des histoires venues du passé mais aussi du futur. Il y a deux endroits particuliers sur son corps dont un qui montre l’avenir et l’autre le présent, ce qui fait que tout le monde rejette cet Homme illustré, mal à l’aise devant ce qui se représente sur l’espace blanc de son dos.

Une bonne surprise.
En commençant ce recueil, je m’attendais à quelque chose de plus fantastique, plus ancré dans la vie réelle et surtout dans les années 1950, époque à laquelle ce titre a été publié pour la première fois (1954 en anglais, pour être exacte). Pourtant, la majorité des histoires appartiennent au registre de la science-fiction et mettent en scène soit la vie sur Mars, soit des voyages spatiaux, soit un développement technologique particulier soit encore une invasion souvent martienne. J’ai apprécié découvrir chacun de ces textes mais certains m’ont davantage marqué. Une fois n’est pas coutume, je vais plutôt m’attarder sur ceux-ci.

Dans « Comme on se retrouve » un homme blanc arrive sur la planète Mars qui a été colonisée vingt années plus tôt par la population Noire en fuite de la Terre. Certains sont enthousiastes face à cette arrivée mais beaucoup se rappellent très bien de la ségrégation et ont envie de se venger sur cet Homme Blanc pour tout le mal fait par ses semblables à leur peuple. J’ai trouvé ce texte particulièrement humain que ce soit dans les réactions des habitants de Mars (toutes nuancées, certaines extrêmes) ou dans ce qu’annonce l’Homme Blanc. C’est d’autant plus vrai quand on regarde l’époque où il a été écrit, à savoir 1951… Dans la préface, Bradbury explique d’ailleurs qu’aucun éditeur américain n’en a voulu et qu’il a du le vendre en France… Révélateur.

Autre texte marquant : « La pluie ». Un groupe d’homme se retrouve coincé sur Vénus, une planète où il pleut sans arrêt, pas même une seule seconde. L’humanité a donc construit une série d’abris solaires afin que les personnes qui s’y trouvent pour travailler puissent se ressourcer à l’intérieur en attendant de rentrer chez eux. Ces hommes marchent donc jusqu’à l’un d’eux mais en arrivant, hélas, ils constatent que l’abri a été détruit… En général je suis peu sensible à ce type de récit orienté sur la survie et le désespoir qui va crescendo mais je trouve que Bradbury maîtrise très bien l’ambiance oppressante de cette pluie qui ne cesse jamais de tomber, qui décolore les vêtements, la peau, qui grignote petit à petit la raison des membres de l’équipe au point qu’ils se laissent mourir les uns après les autres. Le texte a su m’interpeller et me passionner.

J’ai aussi envie de dire quelques mots sur « La dernière nuit du monde » une très courte nouvelle de quelques pages où on suit un mari et sa femme qui, en rêve, tout comme le reste de l’humanité, apprend que le monde va tout simplement cesser d’exister. La question se pose alors : que faire pour cette dernière nuit ? Et la réponse est assez surprenante. J’ai été très touchée par la simplicité bienveillante qui se dégageait de ces quelques lignes.

Enfin, je terminerais en évoquant « Les bannis ». Cette nouvelle raconte l’histoire d’auteurs de l’imaginaire (tous des hommes mais bon vu l’époque, je vais fermer les yeux) dont les fantômes ou les souvenirs (on ne sait pas très bien ce qu’ils sont) se sont réfugiés sur Mars alors que, sur Terre, on détruit systématiquement leurs livres. Tant qu’un ouvrage subsistera, ils vivront mais si on brûle leur dernier livre, alors… Et c’est la panique, sur Mars, parce que justement une fusée est en approche et ces auteurs ne veulent pas être retrouvés par les humains. Ils vont demander l’aide de certains personnages créés par eux dont trois sorcières qui maudiront les membres de l’équipage. Cela semble un peu brouillon expliqué de cette manière mais je n’ai pas du tout envie de révéler la chute par inadvertance même si elle m’a brisée le cœur. J’y ai décelé tout un sous-texte sur la richesse de l’imagination ainsi que son importance au sein de notre société car on voit de quelle manière se comporte les humains qui en sont dépourvus. C’est une nouvelle assez sombre, désenchantée vu la fin, sorte de mise en garde face à la dangerosité de la censure qui se comprend très bien vu l’époque à laquelle a vécu l’auteur : il a connu la deuxième guerre mondiale, la Guerre Froide, le maccarthysme… Elle mériterait une analyse approfondie à elle seule et il est certain que je la relirai pour en saisir toutes les nuances ainsi que les références. On sent, à travers cette lecture, que Bradbury est un lecteur de l’imaginaire et qu’il l’aime profondément.

Ceci n’est qu’un échantillon de la richesse inhérente au recueil. On peut lui reprocher un aspect un peu désuet face à la production actuelle en science-fiction mais je le trouve justement plutôt charmant et accessible d’autant que la plupart des textes sont antérieurs aux années 1950 et donc au premier homme dans l’espace ou même aux premières images de Mars, ce qui se sent dans la manière dont l’auteur se l’approprie et représente les technologies futuristes ou même le paysage martien. Le mélange avec le fantastique pour justifier des éléments qu’aujourd’hui on exigerait de lire sous un prisme hard-sf me parle tout particulièrement et devrait justement plaire aux lecteur·ices qui débutent en science-fiction.

La conclusion de l’ombre :
Ce premier contact avec Ray Bradbury est un succès pour moi qui me permet de découvrir cet auteur de référence. Je vais continuer à me pencher sur sa bibliographie avec grand intérêt et surtout son monument, le fameux Fahrenheit 451. Dans l’Homme illustré, le lecteur découvre dix-huit nouvelles où le fantastique se mêle à la science-fiction. Ces histoires sont dessinées sur la peau d’un homme désespéré dont on apprend l’histoire dans la dernière nouvelle et qui a fait confiance à la mauvaise « illustratrice » pour de mauvaises raisons… Ce mélange des genres fonctionne merveilleusement bien, ce qui donne au recueil une touche très particulière où l’investissement émotionnel se fait naturellement. Bradbury est un auteur très talentueux au format court, je vous recommande donc chaudement cette lecture.

D’autres avis : Je n’en ai pas vu chez les blogpotes mais manifestez-vous si je vous ai loupé.

S4F3 : 12e lecture.
Informations éditoriales :
L’homme illustré écrit par l’auteur américain Ray Bradbury. Éditeur : Folio SF. Traduction : C. Andronikof et Brigitte Mariot. Illustration de couverture : Frederik Peeters. Prix : 6, 90 euros.

La saga « Blackwater » de Michael McDowell

À moins de vivre dans une grotte depuis le mois d’avril, il est très probable que vous ayez entendu parler de Blackwater ou a minima, admiré les magnifiques couvertures de Pedro Oyarbide dans votre librairie. Moi-même je n’étais pas passée à côté mais je ne m’étais pas lancée dans la lecture, peu inspirée par le résumé du premier tome. Pourtant, à la toute fin du mois de juillet, au détour d’un rayon littérature, en les voyant pour la énième fois, je me suis dit : pourquoi pas.

Pourquoi pas, en effet, laisser sa chance à cette saga que tant de gens semblent apprécier ? Surtout à un prix aussi modique : 8,40 euros le tome pour un format poche de toute beauté qui plus est. Par prudence, j’ai acheté uniquement le tome 1 et ça a failli se terminer en drame car les tomes 4 et 6 connaissent actuellement une rupture de stock chez le diffuseur. Par chance pour moi, j’ai pu me procurer les six volumes en comptant sur le stock de plusieurs librairies et donc enchaîner pendant presque dix jours la lecture de cette saga familiale si passionnante. C’est simple, je n’ai rien lu d’autre pendant ce laps de temps et je n’avais de toute façon rien envie de lire d’autre.

Cette chronique portera donc sur les six volumes et parlera de la saga dans sa globalité, avec ses qualités et ses défauts car même si j’ai été très enthousiaste par ma lecture, je ne peux pas nier par exemple que le tome 6 est plus faible que le reste (hormis pour la fin que j’ai personnellement bien aimé même si elle semble diviser).

De quoi ça parle ?
L’histoire commence en 1919 alors que les flots submergent la petite ville de Perdido, au nord de l’Alabama. Le lendemain de la crue, Oscar Caskey, fils aîné de la famille Caskey qui sont de grands propriétaires terriens, secourt Elinor Dammert qui a tout perdu dans le drame. L’arrivée de cette inconnue ne plait pas du tout à la terrible Mary-Love Caskey, matriarche de la famille, déterminée à ce que personne ne remette en cause sa position.

Une saga familiale sur plusieurs décennies…
Blackwater est avant toute chose une histoire de famille, celle des Caskey, que l’on voit évoluer en parallèle du monde que nous connaissons et ce jusqu’à l’année 1969 où le tome 6 se termine. C’est donc cinquante ans que nous parcourons avec les Caskey et plusieurs générations que nous regardons naître autant que mourir. La narration et les évènements se concentrent principalement sur eux, sur leurs choix de vie, leurs amours, leurs rancœurs, brossant un portrait solide et parfois sordide de cette Amérique rurale. Pour se lancer dans la lecture, mieux vaut apprécier ce type d’histoire et ne pas s’attendre à quelque chose d’épique ou de grande envergure. J’ai conscience que cela ne plaira pas à tout le monde et surtout, que ce type de récit n’est pas exactement dans les habitudes de la plupart des gens qui lisent de la SFFF au 21e siècle, déjà pour le fond mais aussi par la forme. La manière dont on écrit un roman feuilleton n’est pas la même qu’un roman tout court, les scènes sont plus directes, comme des instantanés. On pense avant tout à l’efficacité, si bien que certain·es risquent de trouver certains points trop abrupts ou sortis de nulle part.

Si cela peut aider, sachez que la plupart des personnages dépeints sont des femmes qui possèdent du pouvoir. En fait, j’ai vu le qualificatif de « saga matriarcale » pour Blackwater avec lequel je ne peux qu’être d’accord. Les hommes ne sont pas absents du tableau mais plus on avance dans le temps et plus Michael McDowell donne vie à des personnages féminins qui s’émancipent et se construisent par elles-mêmes, pour elles-mêmes, avec une modernité plutôt surprenante pour l’époque. Certes, ces personnages n’inspirent pas toujours beaucoup de sympathie quand les sentiments à leur égard ne se modifient pas brutalement d’une scène à l’autre. Le fait est qu’elles inspirent quelque chose, elles ne laissent pas indifférentes, à aucun moment et si au début on pourrait être tenté de n’y voir que des stéréotypes, ce serait une erreur car oui, elles possèdent toutes un rôle bien défini, elles campent toutes un personnage-type pourrait-on dire, mais ça ne les empêche pas d’être vivantes, crédibles et de susciter de fortes émotions. L’un n’exclut pas l’autre. Pour ma part, je n’appréciais pas Elinor au début et il a fallu attendre plusieurs tomes pour que cela change. Sister m’inspirait de la pitié puis m’a carrément mise hors de moi. J’avais envie de gifler Queenie très fort puis j’en suis venue petit à petit à l’apprécier, comme le reste de la famille. Celle que je retiendrais le plus, pourtant, c’est Miriam qui est, à mon sens, le personnage le plus riche et le plus nuancé de la saga.

… avec une touche de surnaturel.
On comprend vite au fil des pages qu’il n’y a pas que ces relations qui importent. Les six tomes sont parsemés d’éléments surnaturels amenés d’abord par l’entremise du personnage d’Elinor, une jeune femme littéralement sortie de nulle part et qui dégage tout de suite une aura mystérieuse. À mesure que les tomes avancent, le surnaturel prend une place de plus en plus importante en tombant parfois dans des scènes carrément horrifiques, décrites très crûment sans pour autant devenir inutilement voyeuristes. J’ai apprécié ces petites touches de cruauté qui ressortent aussi bien au milieu des tracas familiaux et financiers.

Si tout cela fonctionne, c’est principalement grâce au style de Michael McDowell, traduit en français par Yoko Lacour et Hélène Charrier. N’ayant pas lu la version anglaise, il m’est difficile de comparer ou de porter un jugement qualitatif sur leur travail, toutefois j’ai été séduite par l’efficacité de la narration et la façon qu’a l’auteur, en quelques lignes, de dépeindre un personnage, une situation, les émotions que cela lui inspire, sans se perdre dans des longueurs inutiles. Je n’ai pas été étonnée d’apprendre que ç’avait été publié comme un feuilleton à l’époque car on le ressent très bien dans le rythme du récit.

Une aventure éditoriale osée.
On ne peut pas évoquer Blackwater sans parler de la façon si particulière dont Monsieur Toussaint Louverture a choisi de publier cette série. Originellement, Michael McDowell a publié un tome par mois entre janvier et juin 1983. Ici, l’éditeur français a décidé de publier un tome toutes les deux semaines entre les mois d’avril et juin 2022. Dans notre paysage éditorial, ça tient presque de la folie vu l’investissement colossal que cela implique, sur un plan financier comme logistique. Pourtant, le succès semble au rendez-vous puisque deux tomes sont actuellement en rupture et qu’absolument tout le monde en parle ou sait de quoi on parle quand on dit « Blackwater« .

Pour ne rien gâcher, l’édition proposée est vraiment soignée que ce soit par les majestueuses couvertures avec des dorures, le format aguicheur ou tout simplement un travail intérieur soigné. Sans compter les mentions éditoriales qui pensent à évoquer absolument toute personne impliquée dans le processus ainsi que d’expliquer les moyens par lesquels les livres ont été fabriqués, détails techniques à l’appui. Petit bonus, le mot « merci » au-dessus du code barre, adressé je suppose au lecteur et même si c’est un détail, j’y ai été sensible.

C’était, je pense, la première fois que je lisais un livre de cette maison d’édition mais ça ne sera certainement pas la dernière.

La conclusion de l’ombre :
Depuis quelques mois, je souffre d’un désintérêt régulier pour mes lectures. J’ai souvent l’impression que rien ne me passionne, ne me parle, ne me plait, à quelques exceptions qui heureusement entretiennent ma curiosité littéraire. Pourtant, pendant dix jours, j’ai été passionnée par Blackwater et ça m’a fait beaucoup de bien. C’est aussi la première fois de ma vie que je peux (et que je VEUX) enchaîner tous les tomes d’une saga à la suite pour en profiter pleinement. Je suis ravie par l’expérience et j’espère que vous serez nombreux·ses à oser vous lancer. Blackwater a beaucoup à offrir, surtout si vous aimez les sagas familiales qui sortent du lot, avec des personnages féminins marquants, un fond historique américain plutôt intéressant et surtout, un style d’écriture diablement efficace digne des plus grands feuilletonistes d’antan. Le tout sur du format poche à petit prix (8,40 euros) et à un nombre très raisonnable de page (entre 250 et 260 par tome).

D’autres avis : Le nocher des livresSometimes a bookDragon galactiqueL’ours inculteLorkhanGromovarFeygirlAu pays des cave trolls – vous ?

S4F3 : -> 11e lecture.
Informations éditoriales :
Blackwater, série en 6 volumes écrite par l’auteur Michael McDowell. Éditeur: Monsieur Toussaint Louverture. Traduction de l’anglais (États-Unis) par Yoko Lacour avec la participation de Hélène Charrier. Illustration de couverture par Pedro Oyarbide. Prix par volume : 8,40 euros.

Des bêtes fabuleuses – Priya Sharma


Traditionnellement maintenant, une fois par an, le Bélial propose un numéro hors-série au sein de la collection Une Heure Lumière, gratuit pour tout achat de deux titres. Cette année, c’est l’autrice britannique Priya Sharma qui est mise à l’honneur avec une nouvelle intitulée « Des bêtes fabuleuses ».

Avant d’entrer dans le vif du sujet, précisons aussi que presque tout aussi traditionnellement, ce hors-série contient un bonus qui prend cette fois la forme d’un guide de lecture. Vous vous êtes toujours demandé·e par où commencer cette fabuleuse collection ? Et bien Camille Vinau alias Vanille du blog La bibliothèque derrière le fauteuil répond à votre question en rassemblant les textes au sein de divers menus thématiques, chaque fois par cinq titres. J’ai beaucoup aimé cette initiative, bravo à elle pour ce travail de réflexion et de classement !

Des bêtes fabuleuses
Lola raconte son histoire à cheval entre le passé et le présent. De prime abord cela paraît brouillon, on se demande qui est cette Eliza, pourquoi elle parle d’elle à la première personne en utilisant ensuite un autre prénom… Il faut accepter de ne pas disposer de toutes les informations immédiatement et se laisser porter par la narration.

La protagoniste principale raconte donc la manière dont elle grandit avec sa mère, Kath, l’arrivée de sa cousine, Tallulah, le mépris qu’elle semble inspirer à sa tante, la désagréable Ami, mais aussi le spectre de cet oncle, Kenny, qui plane comme une menace au-dessus de leur vie. Quel intérêt, me demanderez-vous ? Et où se trouve donc l’élément de l’imaginaire dans ce pitch ? Patience…

À l’instar d’Ormshadow, Priya Sharma part sur un récit familial teinté de surnaturel. Ici, point de dragon mais pas loin puisque Lola semble posséder une affinité toute particulière avec les serpents, au point d’embrasser une carrière d’herpétologiste. Mais les serpents, ça existe, pas comme les dragons, me direz-vous. Et bien… Loin de moi l’envie de gâcher l’effet de surprise alors je vous encourage à découvrir le texte pour comprendre en quoi il relève du registre de l’imaginaire.

Ce récit familial n’a rien de beau, de doux ni même de sain. Une fois de plus, l’autrice met sa plume au service d’une situation tragique et même affreuse qu’elle décrit pourtant avec tact. Je me dois tout de même de signaler des TW pour, notamment, le viol et l’inceste.

Si j’ai lu ce texte d’une traite, j’en suis ressortie avec le même sentiment que pour la précédente novella à savoir que j’adhère aux thèmes, j’adhère à la façon dont l’autrice met en scène son histoire mais je reste inexplicablement extérieure au récit, sans parvenir à me sentir impliquée. Une constatation toute personnelle qui n’enlève rien à la qualité Des bêtes fabuleuses.

Par contre, petit questionnement personnel : quelqu’un peut-il m’éclairer sur le lien entre la couverture et la nouvelle ? Il n’y en a peut-être aucun (pourquoi cette illustration particulière du coup ?) mais s’il existe, je ne le vois pas du coup je me demande si je ne passe pas à côté de quelque chose d’important…

Il n’empêche que ce hors-série complètera merveilleusement votre collection Une Heure Lumière et qu’il est indispensable, ne fut-ce que pour le guide de lecture proposé par Vanille.

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S4F3 : Lecture n°2
Informations éditoriales :
Des bêtes fabuleuses de Priya Sharma. Éditeur : Le Bélial. Traduction : Anne-Sylvie Homassel. Illustration de couverture : Aurélie Police. Prix : gratuit à l’achat de deux titres dans la collection Une Heure Lumière.