Anergique – Célia Flaux

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Anergique
est un one-shot steampunk écrit par l’autrice française Célia Flaux. Publié par ActuSF sous le label Naos, vous trouverez ce roman partout en librairie au prix de 17.90 euros.
Je remercie les éditions ActuSF pour ce service presse numérique.

De quoi ça parle ?
Lady Liliana Mayfair est une lyne qui appartient à la garde royale. Elle et son compagnon sont envoyés en Inde sur les traces d’une violeuse d’énergie qui sévit depuis des années. Une seule victime a, à ce jour, survécu : Aminat, agressé alors qu’il n’avait que dix ans et anergique depuis. De Londres à Surat, voici une enquête dans une Angleterre steampunk victorienne…

Du steampunk ?
C’est quand même le premier élément que je souhaitais relever car Anergique est qualifié de roman steampunk par son éditeur, toutefois je n’y ai pas retrouvé les codes du genre en le lisant. Ou, du moins, pas de manière suffisamment marquée pour que ça me saute aux yeux. Je me fie pour cela au guide d’Apophis qui, pour résumer, définit le genre de cette façon : Grossièrement, on pourrait définir le Steampunk comme une Uchronie (un monde où l’histoire s’est déroulée différemment par rapport à la nôtre) dans laquelle des technologies que nous qualifierions d’ « avancées » (typiquement : informatique, robotique, mechas et exosquelettes de combat, voire exploration spatiale) sont apparues à un stade bien plus précoce que dans notre monde, typiquement lors de la période Victorienne (d’où le « Steam » : ère de la vapeur).
Bien sûr, l’intrigue prend place dans une Angleterre victorienne mais à l’exception du dirigeable qui semble être plus développé (et encore, on a peu d’informations), il n’y a pas trace des éléments précités. Au contraire, c’est plutôt la magie qui est mise en avant. Attention donc si vous lisez ce livre en recherchant un roman à l’esthétique steampunk, vous serez probablement déçu. Personnellement, ça ne m’a pas vraiment dérangée car j’avais oublié ce point lors de ma lecture (je m’en suis souvenue en lisant le résumé de l’éditeur pour écrire ce billet) mais je pense important de le préciser.

Une violeuse ?
Autre point que je dois souligner, l’utilisation du terme violeuse qui a fait tiquer sur une autre chronique que j’ai pu lire. Il ne s’agit pas du tout d’une erreur de ma part ou de celle de l’éditeur. La lyne qui a agressé Aminat est bien qualifiée de violeuse et j’ai l’impression que ce terme heurte, choque aussi, peut-être par sa mise au féminin ? Pourtant, il est correctement employé par l’autrice car, dans la description de l’agression, on retrouve des bien des éléments reliés au viol. Ces points sont également présents dans la manière dont se sent la victime, dont elle essaie de surmonter son traumatisme. Ce mot est donc pertinent et son utilisation renforce les exactions de la criminelle.

Une métaphore sociale
Outre l’aspect enquête qui reste plutôt classique, la force du roman se situe, pour moi, dans la métaphore sociale que tisse l’autrice autour des concepts de lyne et de dena. Une lyne est un individu, de sexe masculin comme féminin, qui aspire l’énergie d’un dena (qui est donc un donneur, de sexe masculin comme féminin) pour se nourrir et être capable de prouesses magiques comme la création d’un bouclier ou le jet d’énergie. Cela ne sera pas sans rappeler à certain/e le mythe du vampire.

Je n’ai pas ressenti de discrimination genrée au sein de la société décrite dans le roman, ce qui est rafraichissant. Par contre, Célia Flaux dessine clairement, selon moi en tout cas, une métaphore sur le prolétariat face aux patrons puisque ceux qui produisent (ici les denas) sont exploités par les lynes qui dépendent pourtant d’eux pour survivre. De plus, les denas doivent se plier à tout un tas de règles. Il est par exemple interdit et tabou de donner son énergie à une plante en tant que dena. La problématique se pose avec Aminat, qui souffre d’un énorme traumatisme depuis son viol et n’arrive plus à nourrir qui que ce soit et donc à se débarrasser de ce surplus d’énergie. Quand sa mère le surprend à donner son énergie à un arbre, elle va jusqu’à qualifier son acte de blasphème envers les dieux.

Ces concepts sont abordables dans l’ensemble et exploités d’une manière assez intelligente pour faire passer le message voulu. L’univers créé par l’autrice n’est pas des plus fouillés ni des plus complexes mais il a le mérite de se tenir et d’induire de vraies thématiques. Je n’ai pas eu besoin de plus pour l’apprécier et m’y plonger.

Une narration à trois voix.
Ce roman est écrit à la première personne, au présent, et les points de vue alternent entre Liliana (la garde royale), Clément (son compagnon) et Aminat (la victime qui est aussi un ami d’enfance de Clément). Les transitions sont annoncées à chaque début de partie et on en a plusieurs au sein d’un même chapitre. Parfois, le changement se fait au bout d’une ou deux pages seulement (sur ma liseuse) ce qui permet un vrai dynamisme au sein de l’action et de l’intrigue. Les pages passent sans qu’on s’en rende compte, l’ensemble est plutôt efficace et bien mené. Les personnages sont suffisamment caractérisés pour qu’on ne les confonde pas même si les transitions restent rapides et parfois abruptes, ce qui peut gêner les lecteurs qui n’aiment pas trop qu’on les bouscule.

Liliana est une Lady issue d’une famille noble et en rébellion contre son père qui n’approuve pas sa relation avec Clément, qui n’est qu’un fils d’une famille bourgeoise. Elle a donc quitté le domicile familial et vit par elle-même depuis qu’elle a rejoint la Garde Royale, se mettant ainsi au service de la reine. J’ai vraiment aimé le fait de trouver un couple déjà formé au début du roman et entretenant une relation saine dés le départ puisque les intrigues / considérations amoureuses ont tendance à ne pas m’intéresser du tout. Le point de vue de Clément sert aussi à nuancer celui de Liliana mais également à apporter des informations sur Aminat et leur relation d’enfance. Aminat va ensuite prendre une plus grande part au sein de l’intrigue puisqu’il est le seul capable d’identifier cette violeuse, étant sa seule victime à avoir survécu. Cela a tissé un lien entre eux dont l’homme, devenu précepteur dans une noble famille, ne parvient pas à se débarrasser. Le traumatisme est toujours présent malgré les années. J’ai trouvé cet aspect vraiment intéressant et (surlignez la suite pour la lire mais attention, elle contient un élément d’intrigue) j’ai regretté qu’il disparaisse aussi vite tout comme je n’ai pas su me projeter dans l’évolution de la relation entre Liliana et Aminat, qui ne m’a pas semblée très crédible. L’aspect deuil et souffrance n’a pas su me toucher car trop vite oublié.  Après, c’est une affaire de goût, vous savez comment je suis avec les histoires de cœur…

Une postface enrichissante
J’ignore qui a rédigé la post-face (probablement Jean Laurent Del Socorro qui a dirigé l’ouvrage ?) toutefois celle-ci fait le point sur l’univers créé par Célia Flaux et sur la façon dont elle met en scène la magie, avec les lynes et les denas. C’est vraiment intéressant à lire même si ça peut paraître redondant à un lecteur attentif. Dans le cadre d’une collection comme Naos, qui se destine aux adolescents, je trouve que cette postface a une certaine utilité pour être exploitée, pourquoi pas, dans un cadre scolaire par exemple.

La conclusion de l’ombre :
Anergique est un roman qui se dit steampunk mais qui me parait plutôt de fantasy victorienne car l’esthétique du genre (définie plus haut dans ce billet) n’est pas pas présente. Cela ne l’empêche pas de proposer une enquête intéressante dans une Angleterre victorienne alternative qui a l’originalité de se dérouler en partie en Inde. Je retiendrais surtout la métaphore sociale tissée par l’autrice à travers ses concepts de lyne et de dena ainsi qu’une aventure menée sans temps morts dans une narration alternée plutôt efficace. J’ai passé un bon moment avec ce roman tout à fait recommandable !

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21 réflexions sur “Anergique – Célia Flaux

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  3. j’avais pas fait attention que ça avait été « catalogué » en steampunk, mais pareil que toi, c’est pas hyper flagrant, à part l’époque victorienne, je vois pas trop….
    et sinon, je suis bien d’accord avec le reste de ton avis ! ^^

    • Sauf que l’époque victorienne ne suffit pas du tout en fait à classer en steampunk même si c’est une erreur courante. Après c’est pas dramatique en soi mais pour quelqu’un qui lirait ce roman en cherchant du steampunk par contre.. 😅

  4. Du coup, je rebondis aussi sur le commentaire de Zoé car je lui ai dit la même chose que sur sa chronique du roman Symbiose mais je pense que ce n’est pas du steampunk mais du Gaslamp fantasy. Je te donne la définition d’Apophis aussi « Fantasy à cadre victorien ou d’inspiration victorienne, mais sans les éléments de science rétrofuturiste (ou disons beaucoup moins présents) ou l’aspect uchronique du steampunk, et avec éventuellement des éléments surnaturels en plus. Exemple typique : cycle Téméraire de Naomi Novik. »

    • Franchement l’aspect jeunesse ne se ressent pas du tout, c’est même pas vraiment du YA vu que tous les personnages sont adultes 😅 j’en viens à me demander pourquoi il est en Naos en fait 🤔

  5. Pingback: Camille Salomon - Symbiose - Zoé prend la plume

  6. Il est dans ma PAL et si je suis contente d’être prévenue, le fait que l’univers n’entre pas vraiment dans les codes du steampunk me me gêne pas outre mesure…
    L’aspect métaphore sociale ne semble pas manquer de pertinence.

    • Il n’y entre même pas du tout en fait. Ça ne m’a pas dérangé non plus dans ma lecture mais je pense que ça peut devenir un souci pour certains lecteurs qui en attendraient du coup autre chose !
      À mon avis tu vas beaucoup aimer, surtout l’aspect social 🙂

  7. c’est marrant cette manie de coller « steampunk » à tout roman dès lors qu’il y a un truc volant dans une époque victorienne. Je viens de finir un roman dit steampunk aussi, or c’était surtout plus magique comme Anergique.
    Très bien du coup ton rappel théorique sur ce sujet pour recadrer les choses.

    J’avais noté ce roman dans ma liste en début d’année, à guetter à sa sortie. C’est le premier avis complet que j’en lis. Ça m’a l’air pas mal, sans être décoiffant non plus.

    • En fait on sort ce qualificatif dés qu’un roman se déroule dans une époque victorienne et a des éléments surnaturels. Bragelonne est devenu spécialiste de ça alors que le steampunk c’est un genre à part entière qui a certaines exigeances. Si je l’ai précisé c’est parce que si quelqu’un l’achète en pensant lire du steampunk (et en voulant en lire) il va être déçu et passer à côté de l’histoire qui est sympa. Le roman a des choses à offrir, il mérite d’être apprécié à sa juste valeur sans qu’une erreur de classement éclipse le reste. D’où ma précision même si je passe sûrement pour une chieuse pointilleuse 😛

      C’est un chouette divertissement qui a des choses à apporter. Ça vaut le coup de le lire, il se met bien entre deux pavés ou pour souffler. Si ce que tu as lu dans ma chronique te plait alors tu peux y aller sans soucis 🙂

      • Mais oui, on dirait un argument commercial surtout. Tu as donc très bien fait, c’est important de clarifier les choses pour éviter une potentielle déception chez les futurs lecteurs. C’est clair que ça peut desservir le roman si les attentes sont trop fortes sur ce côté steampunk. Oui je pense que ça me plaira, je le laisse sur ma wish list, mais pfiou, quand est-ce que je vais lire tout çaaaaa ? 😀

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