Nightwork – Vincent Mondiot

« Abdel et moi, on n’était pas des mauvaises personnes. Je voulais que vous le sachiez. Parce que l’histoire que je vais raconter, la vraie histoire de mon frère et moi, elle, elle va vous faire penser le contraire. »

Voilà quelques années déjà que je suis le travail de Vincent Mondiot chez ses différents éditeurs et à travers plusieurs genres littéraires. Je l’ai lu en SF, en fantasy et en blanche et définitivement, c’est dans cette dernière que l’auteur brille le plus pour moi. Il possède un talent fou pour écrire les tranches de vie adolescente, un talent déjà démontré dans l’excellent Les derniers des branleurs qui avait été un gros coup de coeur. Si Nightwork n’a rien de comparable en terme d’ambiance ou d’enjeux, il a résonné d’une manière particulièrement puissante en moi et m’a plus d’une fois suscité de très fortes émotions.

Il faut dire que Patrick, le narrateur, ne laisse pas indifférent. J’ai rapidement ressenti beaucoup d’empathie à son égard. Il écrit son histoire alors qu’il a une vingtaine d’années et raconte ce qui lui est arrivé l’hiver de ses quatorze ans. Il commence par dresser un tableau de sa vie : son quotidien avec sa mère au chômage qui souffre de dépression et est violente avec lui, la manière dont ses camarades du collège le malmènent, comment il se réfugie dans les jeux-vidéos avec sa meilleure amie Mégane, elle aussi une souffre-douleur à l’école mais également sa relation privilégiée avec son frère, Abdel. Son demi-frère en réalité même si aucun des deux ne connait leur père. Abdel a passé six mois en prison et le moment où il ressort est qualifié par Patrick « d’élément déclencheur » car c’est ce qui précipitera les évènements suivants, ceux qui font dire à Patrick qu’ils ne sont pas des gens biens.

« En écrivant tout ça, ces centaines de pages manuscrites que peut-être personne ne lira jamais, j’ai réalisé que n’importe lequel des « personnages secondaires » de mon histoire pourrait raconter sa version des faits, dans laquelle je serais moi-même un personnage secondaire. (…) Tous ces gens ont vécu des choses, eux aussi, des choses dont je n’ai même pas idée et tout ce que je peux faire ici, c’est l’accepter. Je ne pourrai jamais comprendre que ce que moi j’ai vécu et toute ma vie, je devrais me contenter de moi-même. Je ne suis le héros d’aucune histoire. Je suis simplement le pauvre type qui raconte celle-ci. »

Cette plongée dans la psyché de cet adolescent est aussi une occasion pour l’auteur de jouer avec les codes de base du récit littéraire en les incluant dans sa diégèse. Plus d’une fois, Patrick, qui aime le cours de français, se rappelle d’un cours sur la construction d’un récit et essaie de s’y tenir d’une manière presque scolaire pour organiser ses pensées décousues. La narration possède un ton assez familier qui ne plaira pas à tout le monde mais qui sonne très juste et participe à créer l’empathie qu’on ne peut manquer de ressentir pour ce pauvre gamin à qui la vie n’octroie aucun cadeau. L’ensemble du texte est cohérent, propre sur un plan formel mais surtout, violent sur un plan émotionnel. J’ai quelques fois eu les larmes aux yeux, j’ai tourné les pages sans avoir une seule seconde envie de reposer le livre parce que même si je devinais certains éléments à venir, j’espérais me tromper. Le roman contient quelques surprises scénaristiques mais me restera surtout en mémoire pour les vives émotions qu’il a su susciter en moi, des émotions différentes de Les derniers des branleurs, différentes sans être moins fortes ou intenses.

« Mais déjà à l’époque, je savais qu’on n’avait jamais ce qu’on voulait dans la vie. C’est presque une règle immuable. Il suffit de désirer quelque chose pour que ça nous échappe. »

Nightwork est un roman touchant, qui parle de harcèlement scolaire, de maltraitance sur mineur, de dépression. C’est un roman qui parle de l’importance qu’a l’imaginaire pour réussir à affronter un quotidien difficile et d’à quel point les jeux-vidéos peuvent être salvateurs. C’est un roman sur la famille, celle du sang et celle qu’on se construit, sur l’amitié aussi et sur la part sombre qui existe en chacun de nous. C’est un roman qui dérange parce qu’il est cru, sans concession, qu’il montre un adolescent dans toute sa complexité et dans toute sa franchise tout en dépeignait une société qui a échoué à le protéger. Ce n’était pas un texte facile à lire sur un plan émotionnel parce qu’il est désenchanté, tristement réaliste mais bon sang, comme je suis heureuse de l’avoir acheté et lu d’une traite. Je vous en recommande plus que chaudement la lecture.

D’autres romans de Vincent Mondiot sur le blog : Les derniers des branleursColonie Kitej – AfterwaveLes Mondes-MiroirsL’Ombre des arches

Informations éditoriales :
Nightwork de Vincent Mondiot. Éditeur : Actes Sud Junior. Illustration de couverture : … Prix : 14.50 euros au format papier.

4 réflexions sur “Nightwork – Vincent Mondiot

  1. Pingback: Just wanna be your brother – Mathieu Guibé & Nine Gorman | OmbreBones

  2. Pingback: C’est le premier, je balance tout ! #01, Janvier 2023 – Hauntya's room

  3. Je me note ce titre sans hésiter une seconde. Pas pour le moment par contre, je sens que je dois me sentir capable de l’encaisser. Mais pour l’émotion, la sincérité et les thématiques abordées c’est un grand oui.

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