À l’ombre du Japon #39 { J’ai terminé de lire Chobits ! }

Ohayo mina !

Au début du mois de juillet, Pika achevait de ressortir les huit tomes du manga Chobits, titre phare du collectif Clamp et du catalogue de l’éditeur, digne manière de fêter les vingt ans de la série. Vingt ans déjà ! Comment ce titre a-t-il vieilli ? Que peut-on en dire aujourd’hui ? Ce billet a pour ambition de proposer une réponse à ces questions.

FLASHBACK !
Avant d’aller plus loin, je pense pertinent d’évoquer mon propre rapport à ce manga. Lorsque j’avais une dizaine d’années -je ne me souviens plus combien exactement- l’animé Chobits était diffusé sur MCM entre One Piece et GTO. J’avais commencé à regarder, envoûtée par les belles robes de Chii, avant de ressentir un malaise au bout de quelques épisodes. Un malaise que je ne m’expliquais pas. Peut-être était-ce lié aux sous-entendus sexuels qui traversent le manga ? À ces questionnements plus profonds sur des questions d’intelligence artificielle et d’émotions qu’on trouve tout au long de la série et pour lesquels je n’avais pas encore les clés de compréhension ? Toujours est-il que je changeais de chaîne à chaque fois que le manga commençait et que je n’en gardais donc pas un super souvenir, l’étiquetant à destination de personnes un peu perverses.

Pourquoi je vous raconte ça ? Tout simplement parce qu’en lisant le manga dans sa version papier et avec mon regard, mon recul et ma maturité (enfin euh…) d’aujourd’hui, j’en ai une opinion totalement différente.

De quoi ça parle, Chobits ?
En quelques mots, l’histoire raconte comment Hideki Motosuwa trouve un jour un pc humanoïde dans une poubelle près de chez lui. Hideki, c’est typiquement le gars campagnard sur les bords, pas très au courant des avancées technologiques ni très porté dessus, qui débarque à la capitale pour suivre des études et semble tomber tout droit dans un autre monde Le choisir comme narrateur permet d’expliquer les bases de l’univers. Hideki, donc, trouve ce pc humanoïde qui ressemble à une jeune fille (toute nue enroulée dans des bandelettes) et décide de la ramener chez lui pour voir s’il peut en faire quelque chose. La réparer, hein, ne pensez pas mal ! (hum)

Par chance, le PC s’allume mais semble vierge de tout programme hormis un logiciel d’apprentissage, ainsi que de toute capacité langagière. Elle doit donc TOUT réapprendre de zéro. L’histoire aurait pu s’arrêter là mais de mystérieuses photos font leur apparition, désignant Chii comme une / la légendaire chobits, ce qui va éveiller les mauvaises intentions de certain.es.

L’intrigue en elle-même n’a rien d’original et le dénouement final est dans l’ensemble attendu. Pourtant, Chobits reste très intéressant pour ses thématiques.

Chobits et les questions technologico-psychologiques :
Plus notre technologie évolue, plus il devient nécessaire de s’interroger sur des points moraux : quel est notre rapport aux ordinateurs ? Aux intelligences artificielles ? Qu’est-ce que le développement de ces technologies nous apporte ? Et si, un jour, notre ordinateur commençait à développer des sentiments ? Ces émotions seraient-elles moins valides parce qu’issues d’un programme ? Est-ce que deux ordinateurs peuvent tomber amoureux au sens où nous l’entendons ? Tout cela appartient au registre de la science-fiction mais aussi de l’humain. Aucune réponse n’est franchement donnée dans Chobits, le titre invite plutôt à une prise de conscience et à une réflexion. Pourtant, selon moi, sa plus grande richesse se situe ailleurs, dans la manière dont est abordée l’image de la femme.

Si vous vous intéressez un peu au Japon, vous savez que les relations hommes / femmes ne sont pas comparables à ce qu’on connait en occident. La pression sociale est énorme, pourtant, paradoxalement, c’est très difficile pour de nombreux japonais d’approcher une femme. Je n’ai pas de chiffres à avancer, il s’agit seulement d’une réalité sociale bien connue. Ainsi, l’existence de pc humanoïdes comme dans Chobits montre ce que serait une société où il est possible de s’acheter un.e compagnon.ne  de vie, à programmer comme on le souhaite. Comment une femme humaine pourrait-elle rivaliser avec cela ? On peut aussi retourner la question dans l’autre sens et demander comment un homme humain pourrait être à la hauteur d’un pc programmé pour coller à 100% aux envies de sa partenaire. Dans le manga, c’est mis en scène à travers une amie de Hideki qui était amoureuse d’un homme, homme qui avait épousé précédemment son pc. Un pc qui lui ressemblait physiquement. Quand elle l’a appris, sa confiance en elle et en leur amour naissant a été profondément ébranlée, ce qu’on peut comprendre.

À ce stade, je souhaite vous partager une réflexion toute personnelle liée à la fin du manga. Attention, le paragraphe suivant contiendra des révélations ! Je vous invite à cesser votre lecture ici pour éviter que je vous divulgâche des choses si vous comptez lire le manga.

Une ode à l’amour platonique ?
On réduit, comme souvent, le support humanoïde des pc à une fonction sexuelle. C’est bassement humain mais compréhensible puisque beaucoup de gens y auraient pensé. Pourtant, ce que je trouve beau dans Chobits, c’est que la fin (bien qu’attendue et sans surprise) propose un twist intéressant sur ce point quand Hideki apprend qu’il lui sera impossible d’avoir des relations sexuelles avec Chii puisque son bouton de redémarrage se trouve dans son intimité. Ainsi, s’il y a pénétration, elle va se reboot et tout perdre : nom, souvenirs, identité dans son ensemble, et ne sera donc plus Chii. Hideki clame que cela lui importe peu et la dernière case du manga le montre marié avec Chii, tous les deux visiblement très heureux.

Certain.es pourraient y voir une pudibonderie toute nippone pour le sexe mais je ne suis pas d’accord. Avec ce choix scénaristique, le collectif libère plutôt la femme de son rôle d’objet de plaisir auquel on la réduit trop souvent tout en rappelant que l’acte sexuel n’est pas forcément ce qui importe dans un couple, qu’on peut aimer sans l’aspect physique, entretenir une belle relation, ressentir du bonheur, sans écarter les cuisses. C’est un très beau message d’une modernité sidérante pour un manga datant de plus de vingt ans ! Évidemment, chacun.e interprète cela comme iel le sent mais c’est ainsi que moi, je l’ai compris. Je précise également que chacun.e a le droit d’attendre ce qu’iel veut du couple, avec ou non une proximité physique, pour peu que son/sa partenaire soit d’accord avec ça. Je ne porte pas non plus de jugements sur les personnes pour qui l’acte sexuel a de l’importance. Je me réjouis simplement de lire une œuvre où ce n’est pas le cas.

Mais… ?
Parce qu’il y a quand même un mais. Chii est un ordinateur, doté d’une intelligence artificielle. Aucun problème pour moi qu’elle puisse ressentir des émotions, même si celles ci viennent d’un programme. Je ne les trouve pas moins valides que les émotions humaines. Par contre, Chii devant tout réapprendre de zéro, ayant été « reboot » jusqu’à oublier les bases du langage et des codes sociaux, elle me fait davantage penser à un enfant (si pas un bébé) qu’à une femme envers qui on peut éprouver un désir physique ou même de l’amour. Sa candeur charme probablement beaucoup de gens (hommes ou femmes) mais quand même…

Sur cette base, (attention, je divulgâche !) quand Hideki lui dit « je t’aime » et déclare qu’elle est la personne la plus importante dans son cœur, j’aurais presque préféré ne pas voir de bagues à leur doigt dans la dernière case puisqu’on sort alors du cadre d’un amour fraternel ou même paternel, ce qui peut interroger sur l’aspect sain de toute ça. Il reste une certaine ambiguïté au sujet de laquelle je ne sais pas trop quoi penser. Toutefois, l’acte sexuel ayant été retiré de l’équation et le manga touchant à un type de relation auquel on peut plus difficilement appliquer les codes moraux de notre société, je me contente de le souligner sans pour autant porter un jugement de valeurs. Mais je pense que ça peut déranger certain.es alors je trouve important d’en parler.

La conclusion de l’ombre :
Pour toutes ces raisons, je ne regrette pas de m’être plongée dans la version papier de ce manga qui m’avait laissé, plus jeune, une si mauvaise impression car même si le tome huit est (trop) court et semble un peu rapide comparé au reste de la série, il n’empêche que les questions posées par le collectif CLAMP ainsi que la fin sont très intéressant.es à lire. Chobits est donc un manga en huit tomes à découvrir et sur lequel réfléchir longuement !

24 réflexions sur “À l’ombre du Japon #39 { J’ai terminé de lire Chobits ! }

  1. Pingback: { À l’ombre du Japon #40 ; je (re)découvre Card Captor Sakura ! } | OmbreBones

  2. On en avait déjà un peu parlé mais je me permets quand même de réagir.

    Sur le message concernant l’amour platonique, ton interprétation me semble pertinente et même, je dirai qu’elle me plaît bien comme je ne savais pas du tout quoi faire de cette donnée qui me semblait un peu étrange.

    Pour ce qui est de l’aspect enfant voire bébé de Chii, je pense que ça vient justement du fait de plaquer un référent humain sur ce qui est finalement un « objet ». Je me dis (peut-être ai-je tort, je ne sais pas) que la question n’a même pas du se poser chez les autrices sur ce point.

    En tout cas c’est un plaisir de lire u autre avis qui enrichit la perception de cette fin je trouve !

    • Merci pour ton retour ! Je suis contente d’avoir contribué à te donner une autre perspective ^^
      Et en effet comme elle n’est pas humaine, j’ai un peu péché par anthropocentrisme sans doute. Toutefois, est ce que les lecteurices y songent ? Est ce qu’elle n’est pas trop humanisée justement dans ce cas ? Ce sont des questions intéressantes !

      • Je t’avoue que moi en tout cas je n’y ai pas pensé. Je me suis dit qu’elle était un équivalent d’une femme adulte assez jeune, même si des fois les tenues font un peu fantasme chelou je trouve 😅

      • Yep et c’est un souci quand même d’emblée la considérer comme une adulte parce que même si physiquement elle fait jeune femme, il n’en est rien en réalité. Encore moins avec ses tenues. Enfin après encore une fois c’est mon avis mais y’avait trop d’ambiguïté pour que je m’abstienne d’en parler dans la chronique.

      • Après, je trouve que c’est souvent un souci avec l’esthétique de certains mangas de donner un âge aux personnages féminins.
        Il m’est déjà arrivé de croire que le perso masculin vit avec sa sœur, ben en fait non, c’est sa mère…
        Du coup souvent je ne me pose même pas la question de l’âge par rapport au physique, mais plus en terme d’écriture.
        Comme le personnage est sexualisé d’emblée, je l’ai naturellement vue comme une adulte.

      • Oui elle est sexualisée d’emblée mais justement le souci est là car à côté de ça elle a toujours un comportement enfantin, naïf, qui n’a rien de commun avec une adulte >< ça se voit clairement dans l'ecriture du personnage. En tant que Chii tout du moins, c'est juste une petite fille. Ça me sidère un peu que ça ne soit pas davantage relevé.
        D'ailleurs y'a un souci semblable dans Sakura, j'ai écrit un article dessus mais en deux mots la fille est à l'école primaire sauf qu'elle ne se comporte pas vraiment comme une enfant, elle, mais comme une ado (amoureuse d'un adulte..) et ça brouille encore les perceptions vu que là elle est dessinée en enfant. Je me demande si clamp fait ça dans tous ses titres et s'il y a une raison ou si les autrices ne se rendent juste pas compte que ça pose problème 😅
        Mais encore une fois, c'est mon interprétation. Ça vaut ce que ça vaut.

      • Ben je la trouve intéressante ton interprétation, et surtout si tu perçois ça, je pense que d’autres personnes le perçoivent aussi. Du coup ça me semble en effet normal de le relever et le questionner.

        De mon côté je ne peux rien en dire car encore une fois, je ne m’en suis simplement pas rendu compte, aussi incroyable que ça puisse paraître.

        Par contre pour Sakura j’ai toujours trouvé ça chelou l’histoire d’amour avec le mec plus âgé. Je ne sais pas où ça mène par contre vu que je ne suis pas allé au bout.

      • Bah disons qu’on ne peut pas parler d’une histoire vu que les sentiments ne sont pas réciproques et que le gars lui fait remarquer qu’elle l’aime plutôt comme un frère qu’autre chose, comme un membre de sa famille, ce qui lui permet de voir qu’elle aime vraiment Shaolan (qui a son âge). N’empêche que pendant, disons, huit tomes sur neuf, ça est là. Mais le pire dans Sakura, ça reste l’histoire avec le prof ^^’ enfin, on en reparlera dans mon article, j’ai rédigé une section de douze kilomètres sur les relations dans ce manga xD

      • Ce sera avec grand plaisir 😉
        Je crois que je n’ai lu que la moitié, et concernant l’anime c’était il y a tellement longtemps que je ne sais pas où je m’étais arrêté. Donc je découvrirai tes réflexions avec d’autant plus de plaisir !

  3. J’ai un très bon souvenir de ce manga que j’ai lu il y a maintenant bien longtemps. Mais je me souviens surtout que c’est l’histoire entre Jima et Dita qui m’avait le plus interrogée et qu’ils étaient le couple qui m’intéressait le plus du manga.

    • C’est vrai que ça ouvre une porte très intéressante avec des perspectives vertigineuses ! Dommage qu’il n’y a jamais eu de spin off, je ne sais pas trop si ça existe d’ailleurs des œuvres de fiction qui parle d’une relation amoureuse entre deux programmes 🤔

  4. J’avais beaucoup aimé le manga malgré le fait que je l’avais lu assez jeune, mais j’étais aussi une grande fan de Clamp. Le côté sexuel m’avait un peu dérangée mais pas au point de me faire poser toutes ces questions. Cependant, à lire ta chronique, j’ai très envie de relire cette série avec le regard que j’ai aujourd’hui sur la société japonaise ! Merci pour ton avis !!

  5. Merci beaucoup pour ton avis!
    Visuellement, j’adore ce que fait CLAMP de qui j’ai lu Sakura.
    Et même si j’ai bien aimé, au niveau du récit je trouve qu’il y a des petites choses un peu malsaines (je pense ici à certaines relations).
    Je pense donc que ce manga n’est pas pour moi 🙂

    • Oui clairement d’ailleurs j’ai achevé Sakura hier et quand j’ai écrit mon article je me suis rendue compte que je parlais beaucoup de l’aspect malsain de certaines relations dedans. Je me demande si ce n’est finalement pas propre à ce collectif 😅 ça pose question en tout cas.

  6. A chaque chronique que je lis sur cette réédition, je me dis que j’ai bien fait de lire cette série autrefois pour tous les enjeux technologiques et sentimentaux (j’aime ton interprétation sur l’amour platonique).
    Mais j’ai aussi bien fait de revendre car le titre me mettait très mal à l’aise avec la relation Chi (qui ressemble à une enfant) et le héros qui lui est un adulte…

  7. Je n’ai pas lu le manga, mais comme les spoilers ne me dérangent pas, j’ai lu ton avis et je trouve ton interprétation intéressante. Je ne crois pas avoir déjà lu une histoire d’amour où il est même suggéré un amour sans sexe. A cet égard, le manga semble offrir un modèle intéressant notamment pour les personnes ne se retrouvant pas dans la définition du couple propagée par la société…

    • Merci beaucoup ! Je n’ai pas souvenir non plus d’en avoir lu un de ce type du coup ça a été un vrai plaisir vu que je fais partie des personnes qui ne se retrouvent pas dans la définition du couple partagée par le plus grand nombre…

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