L’estrange malaventure de Mirella – Flore Vesco

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L’estrange malaventure de Mirella
est un tome unique fantastique inspiré du conte du joueur de flûte de Hamelin et écrit par l’autrice française Flore Vesco. Destiné à un public 11 – 13 ans (mais on va en reparler) vous trouverez ce roman édité à l’école des loisirs au prix de 15.5 euros.

Vous avez probablement tous entendu au moins à une reprise l’histoire du joueur de flûte de Hamelin. Et bien, oubliez ce que vous pensez connaître à ce propos ! La véritable histoire est bien plus sombre et le lecteur peut la découvrir grâce à la malaventure de la pauvre Mirella, jeune fille de 15 ans, porteuse d’eau dans la ville de Hamelin.

J’ai découvert ce roman grâce à Sometimes a book. Sans elle, je ne pense pas que mon regard se serait posé sur ce texte malgré le soin apporté par l’éditeur au livre objet comme à la couverture et je tiens à la remercier chaleureusement car sans son intervention, je serais passée à côté du premier coup de cœur de l’année !

L’estrange malaventure de Mirella est un roman remarquable sur bien des points. Je vais d’abord évoquer le style d’écriture de Flore Vesco. Elle a choisi de mélanger l’ancien français avec le nouveau en utilisant des mots tels que « iceux » ou « maugré » (je précise, il ne s’agit qu’un échantillon très très partiel car elle se sert de pas mal de vocabulaire ancien) ce qui donne un ton vraiment unique et immersif au roman. Vous craignez que cela constitue un obstacle à votre lecture? Ne vous inquiétez pas ! La plupart des mots sont assez proches du français pour qu’on établisse un lien avec leur sens. Si ce n’est pas le cas, tout est compréhensible avec le contexte. Et si vous avez encore des doutes, l’autrice a prévu un lexique en fin de roman que vous pouvez consulter à loisir.

Dans mon introduction, je précise que l’école des loisirs destine ce texte à des enfants entre 11 et 13 ans, des préadolescents donc. J’ai discuté avec une chroniqueuse qui le trouvait vraiment sombre et mature pour un tel public puisqu’on y évoque entre autre les déboires de Mirella, dont les hommes tentent d’abuser à plusieurs reprises ou qu’on y décrit les ravages de la maladie. Déjà, l’autrice ne présente pas ses éléments sous un angle malsain comme on peut le retrouver régulièrement dans d’autres genres littéraires et ensuite, je trouve extrêmement important d’aborder ces thématiques avec les plus jeunes. Dans notre société, les filles comme les garçons sont confrontés de plus en plus tôt à la sexualité. Les notions de consentement ne sont pas toujours assez claires dans leurs esprits (merci aussi la télé pour ça et Internet, et euh… bon d’accord je passe pour une vieille réactionnaire mais à un moment, faut ouvrir les yeux) et proposer des romans qui caricaturent suffisamment ces comportements déviants pour que les plus jeunes comprennent qu’il s’agit d’attitudes à ne pas adopter, je trouve l’idée excellente et très importante socialement.

D’ailleurs, les mots clés de référence sur le site de l’école des loisirs sont clairs : dans l’estrange malaventure de Mirella, on parle du statut de la femme mais aussi de la condition sociale. Le Moyen-Âge est une très bonne période pour exploiter cela puisqu’il existait des classes sociales qu’on peut aisément caricaturer dans un roman jeunesse. En effet, Mirella est une orpheline qui a grandi chez les sœurs et se retrouve exploitée comme porteuse d’eau dans cette ville où le bourgmestre se félicite d’avoir fait installer l’eau courante (entendez par là que la ville est divisée en quartier, chacun attribué à un porteur d’eau qui court quand on sonne la cloche pour l’appeler. D’où l’eau courante quoi, au sens propre.) Elle doit y travailler dix années pour rembourser les « bienfaits » que la ville lui a accordé (en ne la laissant pas mourir de faim hein, rien de plus). Mirella grandit donc en jeune fille servile qui a conscience de sa place dans la société, est impressionnée par les plus puissants et tient même mentalement une liste de l’ordre social tel qu’elle le conçoit. Liste où elle se situe quasiment tout en bas, juste au-dessus des enfants et des lépreux. Elle accepte d’ailleurs tout ce qu’on lui demande, hormis quand ça touche à sa vertu. Mirella n’est pas une rebelle dans l’âme, c’est un personnage profondément bon, humain, dédié totalement aux autres en s’oubliant parfois elle-même. C’est au point que, quand le prêtre la surprend à chanter puis danser et la traite de sorcière, elle s’agenouille et se laisse humilier parce qu’elle n’a pas le choix. Elle ne ressent pas de réelle révolte, juste la terreur du bûcher. J’ai trouvé ce parti-pris de l’autrice très cohérent avec l’époque. Ça aide à s’immerger dans l’ambiance moyenâgeuse, maîtrisée avec brio par Flore Vesco. Je ne suis pas spécialiste, j’ignore si tout est historiquement exact mais en totu cas, elle dépeint la société du Moyen-Âge telle que visualisée dans l’imaginaire collectif et ça fonctionne très bien.

Heureusement, Mirella va évoluer petit à petit, gagner en assurance en découvrant les dons qu’elle possède mais aussi en étant confrontée à certains personnages comme les pesteux, Gastun ou Peest. Ici, on touche en plein à la condition de la femme. Comme mon explication contient un spoil, je la dissimule et je vous laisse passer votre souris dessus pour la découvrir si vous le souhaitez. Dans le dernier tiers du roman, Mirella rencontre Peest qui est décrit comme un homme vraiment très beau par lequel elle se sent attirée. Celui-ci lui réclame un baiser en échange de sa survie mais Mirella, bien que tentée, ne se laisse pas faire. Déjà là, j’avais envie de sortir les pancartes de la victoire. Quand, plus tard, il lui demande de vivre avec lui pour régner sur Hamelin ensemble, elle refuse également car elle comprend que ça implique de sacrifier sa liberté, son libre arbitre. Elle choisit donc de partir seule sur les routes avec les enfants survivants de la ville et les pesteux qui sont venus à son aide pour la remercier de sa gentillesse passée. Toutefois, elle ne le rejette pas totalement. Elle l’embrasse de sa propre initiative et propose qu’ils se retrouvent un jour pour un rendez-vous. Je trouve ce message parfait car il ne pousse pas les jeunes filles dans l’extrême qu’on voit parfois émerger ces derniers temps. L’autrice montre qu’en tant que femme, on a le droit d’aimer, le droit d’avoir envie d’être avec une autre personne, que ça ne nous rend pas plus faible pour la cause tant que le choix vient de nous et qu’on ne se soumet pas aux exigences d’autrui. Et ça, pour moi, c’est un message très important à faire passer aux enfants, peu importe leur sexe. Si vous pensiez que Flore Vesco s’arrêtait là, vous vous trompez. Grâce à la figure des pesteux, elle parvient également à faire passer un message de tolérance, d’entraide et de charité envers les plus démunis, en montrant que finalement, Mirella qui agit de manière désintéressée, est finalement récompensée pour ses bonnes actions passées car elle inspire aux autres l’envie de lui venir en aide.

Ces thèmes forts, l’autrice a choisi de les traiter dans une intrigue passionnante qui réécrit le conte original du joueur de flûte de Hamelin en trouvant le bon équilibre. C’est en réfléchissant après coup qu’on remarque son engagement. Pendant la lecture, on se concentre sur Mirella, ses malaventures, ses choix puis quand on tourne la dernière page et qu’on se pose quelques minutes pour digérer cette jolie claque littéraire, on se rend compte qu’il s’agit de bien plus qu’un texte divertissant. J’ai adoré ce roman de la première à la dernière ligne. Il m’a séduite comme je ne l’avais plus été depuis un moment (le dernier coup de cœur aussi fort remonte à Magic Charly, pour vous situer) et je me félicite d’avoir craqué quand je l’ai vu en librairie. La seule chose que je regrette c’est qu’il ne soit pas dans les 20 sélectionnés pour le PLIB 2020 parce que j’aurai voté pour lui sans une hésitation. Il se place dans mon top 5 sans difficulté et ça me déçoit qu’il n’ait pas eu sa chance.

Pour résumer, l’estrange malaventure de Mirella est un gros coup de cœur pour moi. Dans cette réécriture du conte du joueur de flûte de Hamelin, l’autrice écrit en utilisant les tournures et une partie du vocabulaire de l’ancien français tout en restant accessible à tous. S’il s’agit d’un roman étiqueté jeunesse, il peut se lire à tous les âges car il n’est pas infantilisant, loin de là. On se passionne rapidement pour l’héroïne, Mirella, et pour les thèmes abordés intelligemment par Flore Vesco comme le statut de la femme ou les conditions sociales. Je recommande cette lecture avec beaucoup d’enthousiasme ♥

19 réflexions sur “L’estrange malaventure de Mirella – Flore Vesco

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  4. L’eau courante me fait déjà beaucoup rire 😀 le texte avec du vieux français , ça me tente bien aussi !(par contre, sur mon GSM, je ne vois pas de partie « censurée » contre le spoil, donc j’ai sauté un paragraphe de la chronique xD)

      • Oui, d’habitude je vois la partie censurée en blanc sur blanc, mais là tout semble normal, j’ai juste une ligne entre les différents paragraphes 😮 enfin, j’ai pas lu juste la fin du paragraphe après que tu parles de spoil pour ne pas prendre de risques parce que c’est vrai que je le lirai plus que probablement ! Merci pour ta chronique qui donne très envie de le lire 🙂

  5. J’aime beaucoup les revisites de contes et ce livre m’intrigue beaucoup ! Bien que je ne sois pas trop fan des écrits façon vieux français, je pense me laisser tenter ^^. Merci pour la découverte :D.

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