Eriophora – Peter Watts

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Eriophora
est un roman de science-fiction écrit par l’auteur canadien Peter Watts. Publié par Le Bélial, vous trouverez ce roman partout en librairie au prix de 18,9 euros.

De quoi ça parle ?
Trente mille personnes voyagent depuis des millions d’années à bord du vaisseau (organique ?) Eriophora. Leur job ? Assister l’IA de bord dans la création de divers portails à travers l’espace. Mais la mission ne semble pas avoir de date de fin…

Si vous me suivez sur Twitter, vous avez peut-être lu mon court tweet plein d’autodérision qui se désespérait un peu de n’avoir pas tout compris à ce roman. Pourquoi donc le chroniquer, demanderez-vous à juste titre ? Déjà parce que j’ai quand même compris ce que je pense être l’aspect humain d’Eriophora mais aussi parce qu’il me semble important de parler de textes de ce genre à des lecteurs qui, comme moi, sont novices en (hard?) science-fiction et essaient de s’y mettre. Si je me suis lancée sur celui-ci plutôt que sur un autre c’est parce que certains blogpotes ont qualifié ce roman de « light hard sf », sous entendu : davantage accessible. Après quelques discussions, je comprends qu’ils voulaient dire « plus accessible par rapport au reste de la bibliographie de l’auteur » et non au sein du genre en lui-même. Bref, je pense qu’on ne partage pas tous la même échelle d’accessibilité et ça me parait important de le rappeler, de nuancer aussi ce qui a pu être écrit chez des personnes bien plus calées que moi dans le domaine. Je compte donc sur votre indulgence à la lecture de ce billet qui n’a certainement pas pour ambition de déprécier le texte de Peter Watts ni la maison d’édition, au contraire. Je souhaite simplement partager ma petite aventure de novice avec ce roman.

J’en profite d’ailleurs pour vous conseiller la lecture du guide d’Apophis pour débuter en hard-sf si, comme moi, vous avez envie de vous pencher sur ce genre sans savoir par quel bout le prendre !

Je dois également préciser qu’une partie de mon incompréhension vient (peut-être ?) du fait que ce texte s’inscrit dans la continuité de trois nouvelles publiées dans un recueil du Bélial (Au-delà du gouffre). Il s’agit, si j’ai bien saisi, du même univers. Ces nouvelles apportent (peut-être ?) un éclairage autre ou des notions importantes pour comprendre l’aspect plus scientifique du texte. Toutefois, ce n’est précisé nulle part. 

Light hard sf pas si light que ça…
Si j’ai bien saisi le côté humain du roman et de l’intrigue sur lequel je vais revenir plus bas, je dois avouer m’être complètement perdue dans l’aspect technologique et dans les réalisations scientifiques expliquées au sein d’Eriophora. Comme je ne comprenais pas ces éléments, j’avais du mal à me plonger dans le texte puisque je passais trop de temps à m’interroger sur le pourquoi du comment. Ce n’est qu’en laissant totalement tomber cet aspect que j’ai pu me concentrer sur Sunday et ce à quoi elle était confrontée. Je vais évoquer ces aspects hard-sf dans les paragraphes suivants pour vous dresser un bref panorama de l’ensemble.

Le vaisseau Eriophora a quitté la Terre il y a plusieurs millions d’années avec trente mille personnes à son bord et une mission : créer des portails pour, si j’ai bien compris, permettre à l’humanité d’ensuite voyager au travers. D’emblée, la narratrice (prénommée Sunday) explique que les humains voyagent gelés, comme morts, et sont ramenés à la vie par Chimp (l’IA) au bout de x temps quand celle-ci pense avoir besoin d’un œil humain pour régler un problème. Il y a six cent tribus différentes au sein de l’Eriophora, qui ne se côtoient pas ou presque puisque seuls quelques uns sont ramenés à la vie au même moment, en fonction de leurs compétences. À ce stade, je dois préciser que le temps passe à une vitesse folle pendant toute la durée du livre. Ça se compte en millions d’années parfois entre deux chapitres et ça donne un peu le tournis.

La narratrice évoque aussi des voyages spatio-temporels, en parlant de machine à remonter le temps, etc. dans son introduction et elle m’avait déjà perdue à ce stade là parce que je ne saisissais pas les liens avec leur mission ni les explications qui viennent après. Voyager dans l’espace, d’accord. Rester en stase pendant longtemps (et donc théoriquement avoir une plus longue durée de vie même si la durée de conscience ne change pas) d’accord. Mais que vient faire cette histoire de temps là-dedans ? Comment est-ce qu’on remonte le temps en voyageant dans l’espace ? Je pense qu’elle donnait dans la métaphore mais je n’ai toujours aucune certitude… Et même les chroniques éclairées de certains amateurs spécialistes n’ont pas aidé là-dessus. 

Je me dis que ce flou participe peut-être à l’effet du roman car les humains du vaisseau n’ont pas tous l’air de savoir si / quand la mission doit prendre fin ni ce que ça peut impliquer. Du coup, l’auteur cherche peut-être à cantonner son lecteur au même sentiment qu’une partie de l’équipage ? Mystère. Ce n’est pas ce qui ressort des chroniques que j’ai pu lire en tout cas. 

L’humain et l’IA, une histoire d’esclavage moderne.
Voilà la partie perceptible pour moi novice. Le vaisseau est géré par une IA appelée Chimp avec parfois un déterminant devant (le Chimp) qui est qualifiée d’IA « stupide » et les explications du pourquoi mettre une IA inférieure dans une mission comme celles là m’ont aussi parues un peu en dehors de ma portée. Mais ce n’est pas très grave car ça n’empêche pas de comprendre les soucis principaux. D’une part, le Chimp refuse tout retour sur Terre sans recevoir un signal dans ce sens de leur part. Mais et si l’humanité était éteinte et avait laissé place à autre chose? Un scénario possible mais que l’IA n’envisage pas (encore ?) pour une raison qui m’échappe aussi. De plus, la mission ne devait en théorie pas durer autant ni se passer « aussi bien » ce qui implique pas mal de choses au niveau de la gestion de l’élément humain que je ne vais pas développer pour laisser quand même une part de mystère dans ce déjà trop long billet. Les soucis posés par les actions de Chimp sur l’équipage ne sautent pas tout de suite aux yeux mais une fois que les explications arrivent, tout s’éclaire et une forme de résistance / révolte s’organise pour justement libérer les humains du vaisseau de la dépendance à l’IA et des choix qu’elle est amenée à faire pour eux.

J’ai eu du mal à adhérer à la logique sous-jacente de cette résistance humaine vu leur situation. Déjà parce que, si j’ai bien compris, ces personnes sont des engagés volontaires qui savaient (normalement ?) dans quoi ils mettaient les pieds ou en tout cas, qui ont été formés pour. C’est vrai que par moment, Sunday évoque une enfance, une formation qui aurait commencé autour de leur septième année d’existence, donc c’est un peu flou. Difficile de dire s’il s’agit d’endoctrinement ou pas et ce paradigme a quand même son importance pour saisir les enjeux du texte et les décisions des personnages, je trouve. C’est donc dommage qu’il ne soit jamais explicitement dit de quoi il en retourne. Outre cela, je pense avoir compris qu’ils espéraient tous une date de retour et que le fait qu’elle ne semble pas se dessiner à l’horizon pose un souci majeur. Ça, ma foi, oui, je crois que je serais dans le même état d’esprit à leur place. De là à prendre une décision pareille avec les conséquences que cela implique, j’ai du mal à saisir la logique. Et Sunday aussi, au début. D’ailleurs, quand elle pose la question, on lui rétorque qu’ils auront tout le temps de décider après coup quoi faire de leur liberté mais en attendant, ils sont quand même coincés quelque part dans l’espace, totalement dépendants de cette IA qui répond à des protocoles obscurs et qui semble parfois proche d’une forme de conscience ou d’humanité, ce qu’on ressent via certains souvenirs de Sunday. Chimp est-il si stupide que ça ? Qu’ils souhaitent rentrer sur Terre, je le comprends et qu’ils agissent dans ce but aussi. Mais pas en prenant ce genre de décision, ça ressemble davantage à une forme de suicide, de tentative désespérée pour reprendre un bref contrôle sur leur vie. 

Je saisis bien ici la mise en avant du paradoxe humain dans toute sa splendeur mais franchement, difficile de s’attacher à leur combat puisqu’ils vont droit dans le mur (ce qui rentre en plein dans ce fameux paradoxe) selon moi et ce que j’ai compris encore une fois. Sans compter que je n’ai pas saisi le dénouement final qui ne répond pas aux questions centrales comme par exemple, que devient l’équipage après cet évènement ? Est-ce une fin ouverte ou y aura-t-il une suite ? J’opte plutôt pour la première solution car si une suite avait été annoncée, le Bélial aurait mentionné une tomaison, ce qui n’est pas le cas. Si j’aime les fins ouvertes, j’apprécie quand même d’avoir la réponse à certains des enjeux mis en place dans le roman, surtout les enjeux centraux, ce qui n’est pas le cas actuellement. Trop de points d’interrogation donc…

Un texte dans le texte.
Les lecteurs attentifs remarqueront que l’ouvrage contient des lettres rouges qui apparaissent dans le texte pour former un message. J’ai pris soin de les noter et je me demande si je n’en ai pas loupé quelques unes au passage ou si les fautes sont là exprès. Mystère… En tout cas, je pensais que ce message aiderait à m’éclairer sur la signification finale du texte mais… Non. Ou alors, encore une fois, je suis passée tellement à côté que je me suis carrément trompée de portail, allez savoir ! Pour autant, je tenais à saluer le travail éditorial sur ce point car même si ça n’a pas aidé à ma compréhension du roman, je trouve l’initiative vraiment ludique. Sans parler de la magnifique couverture signée Manchu ou des chapitres illustrés. C’est un bel objet-livre. 

La conclusion de l’ombre : 
Si Eriophora est un roman de hard-sf centré sur l’humain, une partie de ses éléments me demeurent obscurs au point de laisser de trop grosses interrogations pour que je puisse vraiment dire que j’ai apprécié ma lecture. Si j’ai trouvé le propos intéressant sur un plan humain, je ressors très frustrée de cette lecture qui n’est pas, comme j’ai pu le lire ailleurs, à la portée de novices en hard-sf. Peut-être est-elle plus accessible que d’autres livres de l’auteur, je n’en doute pas, hélas pas suffisamment pour moi. Qui sait, j’y reviendrai une fois mon bagage en science-fiction meilleur et l’apprécierai probablement davantage à ce moment là ! D’ici là, je recommande plutôt ce roman aux lecteurs qui connaissent déjà Watts ou qui savent à quoi s’attendre sur un plan plus scientifique. 

D’autres avis : Le culte d’ApophisL’épaule d’OrionGromovarLes lectures du MakiAlbédoLes blablas de Tachan – vous ?

 

19 réflexions sur “Eriophora – Peter Watts

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    • En fait comme les humains sont gelés / endormis l’IA ne les ramène que quand elle en a besoin donc leur temps s’écoule par tranche de quelques jours entre deux longues périodes de sommeil !
      Et oui je pense qu’il le faut pour un texte comme ça.

  3. Tu as très bien fait d’écrire cet article. Après tout, même si on ne possède pas de bagage scientifique, cela ne nous empêche pas de nous exprimer sur le sujet. Je me doutais que de mon côté, ce serait un poil trop compliqué et ta chronique me le confirme. Je vais donc passer.

    • Merci 🙂 J’ai décidé de l’écrire justement pour donner une opinion un peu plus contrastée de tout ce que j’ai pu lire jusqu’ici. La qualité du roman n’est pas remise en cause mais je ne peux pas dire que ce soit accessible si on n’a pas un minimum de connaissances.

  4. Merci pour cette critique. J’ai failli craquer aussi en voyant passer les affirmations d’accessibilité de l’œuvre mais je pense que, comme toi, je serai passé un peu à côté en ne comprenant finalement pas grand chose. J’ai beau dévorer de la SF, la hard science reste un domaine dans lequel je ne me retrouve pas et qui provoque régulièrement des abandons de lecture. Je sais désormais que Watts attendra

    • Je suis contente que ma chronique ait servi à t’éviter une déconvenue, c’est bien pour ça que je l’ai écrite d’ailleurs 🙂 Il en faut pour tous les profils de lecteur mais toi comme moi on doit éviter Watts je pense..

  5. De mémoire il n’y a rien de voyage dans le temps dans l’intro, c’est juste la narratrice qui présente les différentes façon de voir passer le temps quand on est dans sa situation.
    Du coup vu qu’elle dort longtemps on a l’impression qu’elle voyage dans le temps, mais en fait non, c’est juste la différence entre temps réel et temps vécu par le personnage.
    Elle compare les deux et ça lui donne l’impression d’être remonté dans le temps, mais c’est juste une impression, pas un fait réel !

  6. Pingback: The freeze-frame revolution – Peter Watts | Le culte d'Apophis

  7. et ben excellent billet malgré ton incompréhension d’une partie du livre. c’est pas un livre pour moi ça par contre 🤔 mais la façon dont tu analyses tout ça, avec tes interrogations sur les zones d’ombre que tu n’as pas saisies est très intéressante.
    bien vu le petit guide d’apophis j’y penserai avant de me lancer éventuellement dans le genre. merci à tous les 2!

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