Une prière pour les cimes timides – Becky Chambers

Le phénomène de cimes timides est une observation botanique selon laquelle certaines espèces d’arbre laissent entre elles un espace d’une dizaine de centimètres pour ne pas empiéter les uns sur les autres. Apparemment ce phénomène est inexpliqué encore aujourd’hui mais porteur d’une certaine signification, surtout si on s’adonne à la métaphore…

De quoi ça parle ?
Dex et Omphale quittent les terres sauvages afin que le robot puisse rencontrer l’humanité et leur poser sa fameuse question : de quoi avez-vous besoin ? Le problème, c’est qu’il se rend compte que les réponses à cette question sont infinies et que, parfois, il n’y en a même aucune…

Une balade philosophique qui continue…
Dans cette suite d’Un psaume pour les recyclés sauvages, Becky Chambers nous propose de continuer la balade aux côtés de Froeur Dex et d’Omphale qui vont se confronter au reste du monde. Pour rappel, l’action se déroule sur Panga, une planète utopique par rapport à la nôtre où l’Homme vit en harmonie avec la nature suite à une prise de conscience collective qui a eu lieu des siècles auparavant quand les robots ont décidé de se retirer du monde, cessant de servir à l’industrialisation. Aujourd’hui, un de leur représentant se fait connaître et interroge les humains : de quoi avez-vous besoin ? Cette novella se concentre sur la difficulté de répondre à cette question.

De quoi avez-vous besoin ?
Entre les pragmatiques qui ont besoin d’un service immédiat ou de réparer quelque chose, ceux qui ont en tête une réponse qui profitera au plus grand nombre ou plus simplement ceux qui n’en savent rien, le pauvre Omphale n’est pas prêt de voir sa lanterne s’éclairer sur le sujet. Et nous non plus, alors on se prend au jeu et on réfléchit : que lui répondrait-on, à ce robot ?

La novella ne manque pas d’intérêt sur les questions qu’elle soulève ainsi que sur le système économique / social qu’elle présente : les habitants de Panga ont abandonné l’argent au profit d’un troc de solidarité à base de galets ou plus simplement de services rendus. On rencontre différents courants philosophiques dont certains rejettent toute forme de technologie, on prend le temps d’observer la nature et de trouver des merveilles là où on s’y attend le moins… C’est passionnant à sa manière mais ça reste particulier, contemplatif, d’une bienveillance à toute épreuve. Si vous cherchez de la science-fiction qui fait piou-piou ou qui laisse le monde s’effondrer, vous êtes au mauvais endroit.

Une prière pour les cimes timides est plein d’espoir, oui. C’est carrément utopique. Je suis une personne de nature pessimiste et je ne crois pas l’humain capable de se comporter de cette façon mais j’aime l’oublier de temps en temps, faire le plein de bienveillance, me laisser aller à la naïveté de croire que tout cela pourrait devenir un futur possible. Il n’y a pas de mal à rêver un peu… et c’est ce que Becky Chambers apporte à son lectorat : du rêve, de la douceur, une lueur au bout du tunnel. On ne peut que la remercier pour cela.

La conclusion de l’ombre :
Une prière pour les cimes timides s’inscrit dans la lignée directe d’Un psaume pour les recyclés sauvages que ce soit sur le plan de l’intrigue (ou de la promenade philosophique qui continue) ou celle du ton résolument porteur d’espoir, de douceur et de bienveillance. C’est un petit bonbon qui font sur la langue et qui fait du bien pour peu que vous acceptiez de vous prêter au jeu.

Je remercie Emma et les éditions l’Atalante pour ce service presse numérique. 

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Informations éditoriales :
Histoires de moine et de robot #2 une prière pour les cimes timides de Becky Chambers. Traduction par Marie Surgers. Illustration de couverture par Feifei Ruan. Éditeur : l’Atalante. Prix : 13,50 euros.

La machine à indifférence et autres nouvelles (anthologie)


Avant de lire la préface de Denis Taillandier, je n’avais pas vraiment conscience de l’absence de science-fiction japonaise au format roman / nouvelles (ou littérature, pour réutiliser son terme) puisque je suis une grosse lectrice de manga. Spontanément, j’associe beaucoup le Japon à la science-fiction car ce pays a produit des œuvres majeures et l’un de mes mangas favoris (Psycho-Pass) en fait d’ailleurs partie. Première surprise pour moi, donc.

La seconde fut d’apprendre le terme « real fiction », genre littéraire auquel appartient la production de science-fiction japonaise. Il s’agit d’écrire sur le réel qui est appréhendé comme différentes réalités possibles (sans doute en fonction du point de vue duquel on se place ?). On est, selon les explications données, dans le registre de la restitution. Voyons ensemble de quelle façon cela se manifeste.

(J’en profite pour remercier de tout cœur Célinedanaë qui m’a offert ce recueil ♥)

La machine à indifférence – Project Itoh
Traduction par Tony Sanchez
Cette première nouvelle donne son titre au recueil. Elle prend place dans un contexte de guerre civile sur le continent africain. On y suit un enfant soldat qui se retrouve brutalement éjecté de l’armée car le conflit qui opposait deux peuplades prend fin. La décision vient du gouvernement, des politiciens, mais lui ne la comprend pas. Comment peut-il, du jour au lendemain, arrêter de haïr les Hoas pour ce qu’ils ont fait à sa famille ? Comment pourrait-il vivre avec eux ?

Des scientifiques européens ont peut-être la réponse avec une reprogrammation neuronale possible grâce à cette fameuse machine à indifférence. S’ils parviennent à modifier son schéma mental pour qu’il ne soit plus capable de distinguer les Hoas des autres, alors cela arrêtera forcément la haine, n’est-ce pas ?

Cette nouvelle possède un ton assez cru et brasse énormément de thématiques. La première est celle de l’origine de la haine et de la manière dont on peut vivre avec elle. Comment la dépasser ? Le peut-on seulement ? Elle montre aussi la façon dont les pays européens ou américains interviennent pour régler des conflits qui ne les regardent pas après avoir contribué à armer l’une ou l’autre faction, pour ensuite se retirer en laissant les gens sur place dans la détresse. Ce texte est d’une rare violence autant physique que psychologique mais aussi, hélas, d’une grande actualité.

Sa réussite vient pour moi du personnage principal. La narration à la première personne permet de se plonger dans sa psyché, de voir se construire les schémas comportementaux problématiques, de comprendre à quel point il est irrémédiablement détruit. Un coup de maître !

Les anges de Johannesburg de Yusuke Miyauchi
Traduction par Denis Taillandier
La nouvelle prend place en Afrique du Sud. On y rencontre Steve, un jeune garçon Noir, qui vit avec Shelly, une jeune fille Blanche, dans un étrange immeuble qui résiste aux bombardements et dont, tous les jours, pendant quarante-cinq minutes, tombent des gynoïdes.

Le texte se concentre d’abord beaucoup sur Steve, son quotidien, ce à quoi il doit consentir pour survivre. L’élément science-fictif au sujet de la gynoïde qui semble appeler à l’aide intervient assez tard dans la nouvelle et est prétexte à un changement de point de vue dans la narration. Pour une raison mystérieuse, cette gynoïde en particulier est dotée d’une forme de conscience ce qui ne l’empêche pas de devoir se jeter du toit tous les soirs, dans une sorte de crash-test morbide.

Ça aurait pu être un texte percutant mais je trouve qu’il manquait de clarté, déjà dans son déroulement. Il y a plusieurs scènes que je n’ai tout simplement pas comprises comme la raison pour laquelle le programmeur informatique trahit Steve et ses amis pour les envoyer se faire tuer ni comment Steve devient ce qu’il est une trentaine d’années plus tard, ni même le sens de la scène finale. J’espérais que les dernières lignes éclaireraient tout ça mais Les anges de Johannesburg restera un texte trop nébuleux pour moi, à côté duquel je suis malheureusement passée.

Bullet – Toh EnJoe
Traduction par Denis Taillandier
Ce texte est écrit sous la forme d’un témoignage, celui de Richard qui parle de Rita. Rita, c’est une adolescente (si j’ai bien compris les indices) qui a tendance à tirer sur tout ce qui bouge dans le périmètre de sa maison. James, le meilleur ami de Richard, est amoureux de Rita et a une étrange théorie à son sujet : elle aurait une balle dans la tête, une balle qui viendrait du futur… Et cela expliquerait sa bizarrerie.

Pour la première fois depuis le début du recueil, je retrouve quelque chose de japonisant dans ce texte par son aspect absurde et surréaliste. Les personnages réagissent plutôt bien face aux évènements incompréhensibles et on comprend en arrivant à la fin que des parties entières des États-Unis semblent se perdre dans l’espace-temps, au point de disparaître. Même ces trois amis se retrouvent séparés et ils l’appréhendent avec une résignation, une résilience même, impressionnante.

J’ai conscience que pour toute personne n’ayant pas lu la vingtaine de pages qui compose cette nouvelle, mes propos paraissent au mieux nébuleux, au pire franchement incompréhensible. J’avoue que moi-même, je ne sais pas trop ce que j’ai lu en réalité ni ce que ça raconte vraiment, ni même le message que l’auteur a voulu aborder. Bullet restera donc un mystère ! Mais un chouette mystère dans lequel j’ai pris plaisir à me plonger.

Battle Loyale – Taiyo Fujii
Traduction par Denis Taillandier
Cette nouvelle se passe en Chine, dans une société qui créé des jeux-vidéos. Le personnage principal (dont le prénom m’échappe à l’heure où j’écris ces lignes) est un ancien soldat qui a participé à une guerre contre une certaine peuplade. Dans sa jeunesse, il possédait un téléphone où était préinstallé une application de jeu qui invitait les gens à cibler et tuer des terroristes. Il ne se doutait pas que ce jeu était en fait bien réel…

J’ai lu cette nouvelle en diagonale parce qu’elle a vite fait de profondément m’ennuyer. Au départ j’étais intriguée par cette histoire de jeu mais j’ai rapidement compris où ça nous menait, sans compter que le ton d’ensemble sonnait assez faux genre mauvais film d’espionnage de série Z. Je suis restée complètement hermétique à ce texte donc je l’ai sûrement mal compris, raison pour laquelle je préfère ne pas m’attarder dessus.

La fille en lambeaux – Hirotaka Tobi
Traduction par Tony Sanchez
La fille en lambeaux est un étrange programme informatique auquel on accède presque par accident sur le net. Il permet de parler à un avatar et même d’interagir avec elle. La créatrice de ce programme s’appelle Kei, c’est une femme physiquement hideuse mais terriblement intelligente. Elle rejoint un groupe de chercheurs qui essaie de mettre au point le voyage numérique, le concept consistant à créer un avatar d’une personne à partir de tout ce qui fait sa personnalité, de lui permettre de vivre une expérience comme dans un jeu puis de télécharger ses souvenirs dans l’humain.

Grosso modo, voilà de quoi parle ce texte. À l’instar de la nouvelle précédente, je suis complètement passée à côté ou ne l’ai tout simplement pas compris. Dés le départ, j’ai été mal à l’aise de la façon dont le personnage narrateur prénommée Anna décrit Kei ainsi que dans cette ambiguïté qui s’instaure dés les premières lignes dans leur relation. Si le retournement de situation est plutôt intéressant, le déroulement m’a ennuyée et j’ai eu du mal à aller jusqu’au bout. Dommage !

Quelques remarques après ma lecture :
La première remarque que je tiens à formuler est que je ne m’attendais pas du tout au contenu de ce que j’ai trouvé dans ce recueil. Pour moi, science-fiction spécifiquement japonaise implique des histoires qui se déroulent a minima au Japon. Hors, la majorité des personnages qu’on croise ou qu’on suit viennent d’autres pays et souvent même pas des pays d’Asie. Le Japon est présent en arrière plan, via un personnage secondaire, une société ou une invention, hormis dans la dernière nouvelle où c’est un peu plus clair. Je ne dis pas que les auteurices japonais·es ne peuvent pas écrire des histoires qui se passent ailleurs, comprenons-nous ! Simplement, je m’attendais à autre chose.

La seconde est que le recueil devient de plus en plus cryptique, frustrant et insatisfaisant à mesure qu’on avance dans sa lecture. Si la première nouvelle est selon moi d’une grande qualité, les suivantes vont en dégringolant, du moins à mon goût, ce qui est assez dommage.

La troisième est dernière est que ce recueil ne contient que des auteurs masculins. J’ai du mal à croire qu’il n’existe aucune femme autrice au Japon qui écrive de la science-fiction et je trouve dommage qu’elles ne soient pas représentées au sein de cet ouvrage. Je ne veux pas tout réduire à une question de genre et je sais que le Japon souffre de graves problèmes en matière de sexisme, toutefois cette masculinité est plutôt dommage.

La conclusion de l’ombre :
Si le recueil commençait très bien, il a perdu en intérêt au fil de ma découverte. Je ne regrette pourtant pas de m’y être penchée car j’ai pu m’essayer à la lecture de science-fiction nippone et apprendre le principe de real fiction.

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S4F3 : Lecture n°3
Informations éditoriales :
La machine à indifférence et autres nouvelles. Auteurs et traducteurs précisés sous chaque nouvelle. Éditeur : Atelier akatombo. Prix : 19 euros.

À l’ombre du Japon #36 { Je me réconcilie avec Urasawa grâce à Pluto ! }

Bonjour tout le monde !

Voici un titre un peu racoleur et surtout, un peu interpelant si on n’a pas la référence… Non, je ne vais pas parler ici de Disney et son célèbre chien mais bien du manga Pluto dessiné et scénarisé par Naoki Urasawa, aidé au scénario par Nagasaki Takashi. Naoki Urasawa est un mangaka qu’on ne présente plus tant il possède une bibliographie impressionnante qui a marqué l’histoire du manga. Il est très aimé et encensé, notamment par l’ami Apprenti Otaku qui désespérait de lire que je ne parvenais pas à accrocher à ses œuvres. En effet, pour rappel, j’avais commencé Billy Bat et si j’avais d’abord été très impressionnée par le concept, j’ai décroché au bout d’une dizaine de tomes à cause d’un gros souci de rythme, trop lent pour moi. Et pourtant, j’enchainais les tomes puisqu’on me les prêtait et qu’en plus, la série est terminée depuis plusieurs années…

Je m’étais donc détournée de l’œuvre du mangaka, pas plus attirée que ça par ses autres titres, jusqu’à lire un article très enthousiaste de l’Apprenti Otaku (encore lui !) au sujet de Pluto. Comme c’est lui qui m’a fait sauter le pas de l’achat, il me semble juste de vous inviter à lire son billet. Ainsi, par sa faute, j’ai acheté les 8 tomes parus chez Kana et je les ai lu sur le mois de mai. On peut donc dire qu’il s’agit d’une réussite ! 

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De quoi ça parle ?

Pluto est une œuvre de commande réalisée pour l’anniversaire d’Astro qui, dans le manga éponyme, a été créé en 2003. Pluto se présente comme une réécriture mais n’ayant pas lu Astro, je ne peux pas l’affirmer. Par contre, il est tout à fait possible de lire Pluto sans rien connaître à Astro. Mon libraire le recommande même car dans le cas contraire, il paraît qu’on devine rapidement les tenants et aboutissants de l’intrigue. 
Pluto se déroule dans un futur proche du nôtre quoi que dans un monde à la géographie redessinée, où les robots ont une apparence humaine et des droits civils. Quelqu’un commence à assassiner les robots les plus perfectionnés de la Terre ainsi que des personnes pro-robots, ce qui mène à une enquête dirigée par Gesicht, un inspecteur robot d’Europol. Par le biais de cette enquête et de l’intrigue, le lecteur va rencontrer les robots les plus perfectionnés de ce monde qui sont des cibles, va voyager au sein de plusieurs pays et va découvrir que toute l’affaire est peut-être lié à la 39e Guerre d’Asie à laquelle les sept robots en question ont plus ou moins participé d’une façon ou d’une autre…

Un thriller de science-fiction efficace aux thèmes multiples.
Pluto est, comme je l’ai dit, un thriller de science-fiction. Thriller parce que Gesicht doit contrecarrer les plans du mystérieux criminel qui élimine les robots et leurs alliés les uns après les autres. Le suspens est rondement mené grâce à un découpage efficace et très cinématographique. Science-fiction parce qu’on évolue dans un univers où les robots sont tellement perfectionnés qu’ils ressemblent aux humains sur un plan physique… et même mental, à quelques détails près. Ce qui permet d’aborder des grands thèmes propres à ce genre littéraire comme le développement de l’intelligence artificielle et la notion de conscience. En effet, les robots existent, possèdent une IA, copient les humains jusqu’à feindre de boire et de manger. À force de copier, ils imitent également les émotions au point d’arriver à les ressentir spontanément quand la situation s’y prête. Cela pose énormément de questions sur ce qui compose la vie comme la conscience. Certaines références y sont d’ailleurs très littéraires, on y retrouve les lois d’Asimov bien qu’elles ne soient pas citées comme telles. Il est par exemple impossible pour un robot de faire du mal à un humain… Quoi que ? Toujours est-il que, les robots appartenant totalement à notre société, ils doivent parfois affronter du racisme de la part d’autres humains et même si des lois les protègent, certains groupes extrémistes existent et veulent les réduire au statut d’esclave. C’était d’ailleurs une partie des motivations de la fameuse 39e Guerre d’Asie…

Le traitement des émotions est véritablement au cœur du récit. Malheureusement, je ne peux pas en parler dans le détail au risque de vous gâcher des éléments d’intrigue mais je peux par contre vous dire que j’ai trouvé l’approche intelligente, réussie et subtile. Je vous ai sélectionné deux extraits plutôt parlant, l’un du premier tome et l’un du troisième. Aucun ne divulgâche l’intrigue, rassurez-vous ! Comme on m’a fait remarquer que les éditeurs mangas aimaient bien qu’on mette des extraits visuels, je teste une première fois pour voir si ça vous intéresse. Évidemment, les droits de ces images appartiennent à Kana et sont utilisés ici dans le but d’agrémenter mes explications au sujet de l’œuvre. 

Le premier est une scène où Gesicht rend visite à l’épouse d’un policier robot décédé en service afin de lui apporter sa puce mémoire. Tout, dans l’attitude de Gesicht (lui-même robot !) à celle de son épouse rappelle finalement un échange qui pourrait très bien se dérouler dans une série policière contemporaine. Dans sa posture, on sent la peine ressentie par l’épouse et dans celle de Gesicht, le respect qu’il voue à une vie, même robotique.

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Le second est une discussion entre Astro et sa petite sœur qui est capable de ressentir les émotions des humains et qui les comprend très bien. La manière dont ils en parlent montre que les robots ne sont pas insensibles, loin de là ! Ils abordent juste les émotions d’une autre façon.

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Je l’ai signalé plus haut, l’intrigue de Pluto se déroule dans plusieurs endroits du monde. C’est la seconde œuvre d’Urasawa que je lis qui a un encrage très européen et, par extension, un trait réaliste qui représente bien les morphologies occidentales. Si je le précise, c’est parce que cela peut dépayser les lecteurices qui cherchent du manga typé japonais dans le trait et l’univers. Il n’y a rien de tout cela ici, hormis pour ce qui est lié directement à Astro vu que le petit robot vit au Japon et a été créé par un japonais.
Je dis une œuvre très européenne mais je devrais également parler d’une œuvre très américaine. Les causes de la 39e Guerre d’Asie rappelleront de manière très troublante notre histoire récente tout comme un certain ours en peluche semble être une métaphore d’un certain président. Les clins d’œil et les références sont nombreux et raviront les amateurices d’Histoire ! J’ai été impressionnée par cet aspect et ça m’a poussé à m’interroger.

Réflexion personnelle : l’interculturalité Europe – Japon.
Je n’ai pas pour ambition d’écrire un essai sur le sujet mais le hasard veut qu’un de mes étudiants prépare actuellement un TFE sur l’interculturalité entre l’Europe et le Japon, ce qui l’a poussé à s’intéresser à pas mal d’œuvres et moi à réfléchir également sur le sujet pour l’aider. Comme Pluto s’y prête, j’en profite pour partager ça avec vous.

J’ai l’impression qu’à l’instar de l’Égypte antique et de l’Angleterre victorienne (on en reparlera dans le détail ultérieurement), l’Europe moderne exerce une fascination sur plusieurs mangakas japonais au point d’en faire leur marque de fabrique, ce qui se remarque tout particulièrement chez Urasawa. Si vous avez d’autres exemples, d’ailleurs, n’hésitez pas à me les renseigner ! C’est interpellant car on a souvent l’impression que l’inspiration ne va que dans un sens : ici, en Europe (je parle surtout pour la France et la Belgique, je ne connais pas tous les milieux littéraires européens) je remarque une fascination de plus en plus présente pour le Japon qu’on retrouve beaucoup représenté dans les romans (il suffit de voir la collection Neko du Chat Noir, par exemple) mais aussi dans la bande-dessinée avec l’apparition du « manga français » (dessins typés nippons et format) ou, plus subtil, un trait « manga » dans un format BD européen classique. Preuve en est avec Pluto que cet intérêt va dans les deux sens et qu’on est vraiment dans un échange interculturel. Ça m’intéresserait de savoir à quel point les japonais/es sont fascinés (ou non) par notre culture ! Si vous avez des ouvrages qui en parlent, n’hésitez pas à me les renseigner aussi. 

Évidemment, je n’ai pas de chiffres précis à présenter et je n’ai pas lus tous les mangas qui existent (loin s’en faut !) donc ce paragraphe n’a aucune valeur scientifique. C’est simplement une réflexion personnelle qui vise à échanger sur le sujet si vous en ressentez l’envie. 

La conclusion de l’ombre :
Pluto est un thriller de science-fiction réalisé par Naoki Urasawa et Nagasaki Takashi, inspiré par l’histoire d’Astro Boy d’Ozamu Tezuka. Gesicht, un inspecteur robot, cherche à résoudre une série de crimes qui semble viser les robots les plus perfectionnés du monde et les personnes qui sont favorables à cette science robotique. L’enquête est presque un prétexte pour aborder des questions fondamentales qu’on retrouve régulièrement en science-fiction : l’intelligence artificielle, son développement, la frontière du vivant / conscience et l’importance des émotions. Le découpage précis, quasiment cinématographique, permet une gestion du suspens admirable. Cette œuvre riche de multiples références et clins d’œil à notre propre Histoire récente mérite vraiment le détour !

Eriophora – Peter Watts

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Eriophora
est un roman de science-fiction écrit par l’auteur canadien Peter Watts. Publié par Le Bélial, vous trouverez ce roman partout en librairie au prix de 18,9 euros.

De quoi ça parle ?
Trente mille personnes voyagent depuis des millions d’années à bord du vaisseau (organique ?) Eriophora. Leur job ? Assister l’IA de bord dans la création de divers portails à travers l’espace. Mais la mission ne semble pas avoir de date de fin…

Si vous me suivez sur Twitter, vous avez peut-être lu mon court tweet plein d’autodérision qui se désespérait un peu de n’avoir pas tout compris à ce roman. Pourquoi donc le chroniquer, demanderez-vous à juste titre ? Déjà parce que j’ai quand même compris ce que je pense être l’aspect humain d’Eriophora mais aussi parce qu’il me semble important de parler de textes de ce genre à des lecteurs qui, comme moi, sont novices en (hard?) science-fiction et essaient de s’y mettre. Si je me suis lancée sur celui-ci plutôt que sur un autre c’est parce que certains blogpotes ont qualifié ce roman de « light hard sf », sous entendu : davantage accessible. Après quelques discussions, je comprends qu’ils voulaient dire « plus accessible par rapport au reste de la bibliographie de l’auteur » et non au sein du genre en lui-même. Bref, je pense qu’on ne partage pas tous la même échelle d’accessibilité et ça me parait important de le rappeler, de nuancer aussi ce qui a pu être écrit chez des personnes bien plus calées que moi dans le domaine. Je compte donc sur votre indulgence à la lecture de ce billet qui n’a certainement pas pour ambition de déprécier le texte de Peter Watts ni la maison d’édition, au contraire. Je souhaite simplement partager ma petite aventure de novice avec ce roman.

J’en profite d’ailleurs pour vous conseiller la lecture du guide d’Apophis pour débuter en hard-sf si, comme moi, vous avez envie de vous pencher sur ce genre sans savoir par quel bout le prendre !

Je dois également préciser qu’une partie de mon incompréhension vient (peut-être ?) du fait que ce texte s’inscrit dans la continuité de trois nouvelles publiées dans un recueil du Bélial (Au-delà du gouffre). Il s’agit, si j’ai bien saisi, du même univers. Ces nouvelles apportent (peut-être ?) un éclairage autre ou des notions importantes pour comprendre l’aspect plus scientifique du texte. Toutefois, ce n’est précisé nulle part. 

Light hard sf pas si light que ça…
Si j’ai bien saisi le côté humain du roman et de l’intrigue sur lequel je vais revenir plus bas, je dois avouer m’être complètement perdue dans l’aspect technologique et dans les réalisations scientifiques expliquées au sein d’Eriophora. Comme je ne comprenais pas ces éléments, j’avais du mal à me plonger dans le texte puisque je passais trop de temps à m’interroger sur le pourquoi du comment. Ce n’est qu’en laissant totalement tomber cet aspect que j’ai pu me concentrer sur Sunday et ce à quoi elle était confrontée. Je vais évoquer ces aspects hard-sf dans les paragraphes suivants pour vous dresser un bref panorama de l’ensemble.

Le vaisseau Eriophora a quitté la Terre il y a plusieurs millions d’années avec trente mille personnes à son bord et une mission : créer des portails pour, si j’ai bien compris, permettre à l’humanité d’ensuite voyager au travers. D’emblée, la narratrice (prénommée Sunday) explique que les humains voyagent gelés, comme morts, et sont ramenés à la vie par Chimp (l’IA) au bout de x temps quand celle-ci pense avoir besoin d’un œil humain pour régler un problème. Il y a six cent tribus différentes au sein de l’Eriophora, qui ne se côtoient pas ou presque puisque seuls quelques uns sont ramenés à la vie au même moment, en fonction de leurs compétences. À ce stade, je dois préciser que le temps passe à une vitesse folle pendant toute la durée du livre. Ça se compte en millions d’années parfois entre deux chapitres et ça donne un peu le tournis.

La narratrice évoque aussi des voyages spatio-temporels, en parlant de machine à remonter le temps, etc. dans son introduction et elle m’avait déjà perdue à ce stade là parce que je ne saisissais pas les liens avec leur mission ni les explications qui viennent après. Voyager dans l’espace, d’accord. Rester en stase pendant longtemps (et donc théoriquement avoir une plus longue durée de vie même si la durée de conscience ne change pas) d’accord. Mais que vient faire cette histoire de temps là-dedans ? Comment est-ce qu’on remonte le temps en voyageant dans l’espace ? Je pense qu’elle donnait dans la métaphore mais je n’ai toujours aucune certitude… Et même les chroniques éclairées de certains amateurs spécialistes n’ont pas aidé là-dessus. 

Je me dis que ce flou participe peut-être à l’effet du roman car les humains du vaisseau n’ont pas tous l’air de savoir si / quand la mission doit prendre fin ni ce que ça peut impliquer. Du coup, l’auteur cherche peut-être à cantonner son lecteur au même sentiment qu’une partie de l’équipage ? Mystère. Ce n’est pas ce qui ressort des chroniques que j’ai pu lire en tout cas. 

L’humain et l’IA, une histoire d’esclavage moderne.
Voilà la partie perceptible pour moi novice. Le vaisseau est géré par une IA appelée Chimp avec parfois un déterminant devant (le Chimp) qui est qualifiée d’IA « stupide » et les explications du pourquoi mettre une IA inférieure dans une mission comme celles là m’ont aussi parues un peu en dehors de ma portée. Mais ce n’est pas très grave car ça n’empêche pas de comprendre les soucis principaux. D’une part, le Chimp refuse tout retour sur Terre sans recevoir un signal dans ce sens de leur part. Mais et si l’humanité était éteinte et avait laissé place à autre chose? Un scénario possible mais que l’IA n’envisage pas (encore ?) pour une raison qui m’échappe aussi. De plus, la mission ne devait en théorie pas durer autant ni se passer « aussi bien » ce qui implique pas mal de choses au niveau de la gestion de l’élément humain que je ne vais pas développer pour laisser quand même une part de mystère dans ce déjà trop long billet. Les soucis posés par les actions de Chimp sur l’équipage ne sautent pas tout de suite aux yeux mais une fois que les explications arrivent, tout s’éclaire et une forme de résistance / révolte s’organise pour justement libérer les humains du vaisseau de la dépendance à l’IA et des choix qu’elle est amenée à faire pour eux.

J’ai eu du mal à adhérer à la logique sous-jacente de cette résistance humaine vu leur situation. Déjà parce que, si j’ai bien compris, ces personnes sont des engagés volontaires qui savaient (normalement ?) dans quoi ils mettaient les pieds ou en tout cas, qui ont été formés pour. C’est vrai que par moment, Sunday évoque une enfance, une formation qui aurait commencé autour de leur septième année d’existence, donc c’est un peu flou. Difficile de dire s’il s’agit d’endoctrinement ou pas et ce paradigme a quand même son importance pour saisir les enjeux du texte et les décisions des personnages, je trouve. C’est donc dommage qu’il ne soit jamais explicitement dit de quoi il en retourne. Outre cela, je pense avoir compris qu’ils espéraient tous une date de retour et que le fait qu’elle ne semble pas se dessiner à l’horizon pose un souci majeur. Ça, ma foi, oui, je crois que je serais dans le même état d’esprit à leur place. De là à prendre une décision pareille avec les conséquences que cela implique, j’ai du mal à saisir la logique. Et Sunday aussi, au début. D’ailleurs, quand elle pose la question, on lui rétorque qu’ils auront tout le temps de décider après coup quoi faire de leur liberté mais en attendant, ils sont quand même coincés quelque part dans l’espace, totalement dépendants de cette IA qui répond à des protocoles obscurs et qui semble parfois proche d’une forme de conscience ou d’humanité, ce qu’on ressent via certains souvenirs de Sunday. Chimp est-il si stupide que ça ? Qu’ils souhaitent rentrer sur Terre, je le comprends et qu’ils agissent dans ce but aussi. Mais pas en prenant ce genre de décision, ça ressemble davantage à une forme de suicide, de tentative désespérée pour reprendre un bref contrôle sur leur vie. 

Je saisis bien ici la mise en avant du paradoxe humain dans toute sa splendeur mais franchement, difficile de s’attacher à leur combat puisqu’ils vont droit dans le mur (ce qui rentre en plein dans ce fameux paradoxe) selon moi et ce que j’ai compris encore une fois. Sans compter que je n’ai pas saisi le dénouement final qui ne répond pas aux questions centrales comme par exemple, que devient l’équipage après cet évènement ? Est-ce une fin ouverte ou y aura-t-il une suite ? J’opte plutôt pour la première solution car si une suite avait été annoncée, le Bélial aurait mentionné une tomaison, ce qui n’est pas le cas. Si j’aime les fins ouvertes, j’apprécie quand même d’avoir la réponse à certains des enjeux mis en place dans le roman, surtout les enjeux centraux, ce qui n’est pas le cas actuellement. Trop de points d’interrogation donc…

Un texte dans le texte.
Les lecteurs attentifs remarqueront que l’ouvrage contient des lettres rouges qui apparaissent dans le texte pour former un message. J’ai pris soin de les noter et je me demande si je n’en ai pas loupé quelques unes au passage ou si les fautes sont là exprès. Mystère… En tout cas, je pensais que ce message aiderait à m’éclairer sur la signification finale du texte mais… Non. Ou alors, encore une fois, je suis passée tellement à côté que je me suis carrément trompée de portail, allez savoir ! Pour autant, je tenais à saluer le travail éditorial sur ce point car même si ça n’a pas aidé à ma compréhension du roman, je trouve l’initiative vraiment ludique. Sans parler de la magnifique couverture signée Manchu ou des chapitres illustrés. C’est un bel objet-livre. 

La conclusion de l’ombre : 
Si Eriophora est un roman de hard-sf centré sur l’humain, une partie de ses éléments me demeurent obscurs au point de laisser de trop grosses interrogations pour que je puisse vraiment dire que j’ai apprécié ma lecture. Si j’ai trouvé le propos intéressant sur un plan humain, je ressors très frustrée de cette lecture qui n’est pas, comme j’ai pu le lire ailleurs, à la portée de novices en hard-sf. Peut-être est-elle plus accessible que d’autres livres de l’auteur, je n’en doute pas, hélas pas suffisamment pour moi. Qui sait, j’y reviendrai une fois mon bagage en science-fiction meilleur et l’apprécierai probablement davantage à ce moment là ! D’ici là, je recommande plutôt ce roman aux lecteurs qui connaissent déjà Watts ou qui savent à quoi s’attendre sur un plan plus scientifique. 

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Humanité divisée – John Scalzi

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Humanité divisée est le cinquième opus de la saga Le vieil homme et la guerre écrite par l’auteur américain John Scalzi. Publié par l’Atalante, vous trouverez ce texte partout en librairie au prix de 25.90 euros en grand format.
Je remercie Emma et les éditions l’Atalante pour ce service presse.

Souvenez-vous, je vous ai déjà parlé de cette saga : Le Vieil Homme et la Guerre (1) – Les Brigades fantômes (2) – La dernière colonie (3) – Zoé (4).

De quoi ça parle ?
Grâce à John Perry, la Terre sait désormais que l’Union Coloniale se sert d’elle depuis deux siècles en la maintenant dans un état technologiquement arriéré, ce qui ne leur plait pas du tout. Scandalisés, les gouvernements terriens envisagent de se rapprocher du Conclave, l’ennemi de l’Union, privant ainsi définitivement ces derniers de leurs précieuses ressources humaines…

Une suite par épisodes.
Contrairement aux quatre opus précédents, Humanité divisée se compose de treize épisodes ainsi que de deux nouvelles indépendantes, présentes à la fin. Dans les remerciements de l’auteur, on peut lire qu’il s’est cassé la tête pour que ces épisodes puissent être lus de manière indépendante en formant quand même un roman cohérent. Hélas, selon moi, ce n’est pas vraiment possible puisqu’il s’agit d’aventures reliées entre elles par des personnages identiques ainsi qu’une intrigue sous-jacente claire et dans la ligne directe de ce qui a eu lieu précédemment : qui donc essaie d’attiser les tensions entre les deux camps en faisant soigneusement porter le chapeau à l’autre ? Je préfère donc considérer ce texte comme un roman au découpage particulier que comme un recueil de nouvelles.

Particulier signifie ici intéressant et inédit pour moi. J’ai vraiment apprécié cet aspect épisodique qui ponctue la lecture par beaucoup d’action et élimine les éventuelles longueurs qu’on peut trouver au sein d’un roman et que j’ai pu ressentir, par exemple, dans les Brigades fantômes. Scalzi a du ruser pour maintenir l’intérêt de chaque partie et il a, selon moi, très bien réussi son coup tout en maîtrisant les codes de la nouvelle puisque chaque aventure se termine au sein de son épisode mais les conséquences qu’elle induit sont reprises par la suite.

Je précise par contre qu’il est possible (toujours selon moi) de lire Humanité divisée sans avoir découvert les quatre opus précédents. D’une part parce que le personnage principal n’est plus le même et d’autre part parce que le texte contient suffisamment d’éléments de contexte pour qu’un lecteur novice ne soit pas perdu. Toutefois, vu l’intérêt des romans de Scalzi, je vous recommande quand même de lire les autres.

Une galerie de personnages intéressants.
Il n’est plus à prouver que Scalzi a un don pour construire des personnages auxquels on s’attache même si, quand on prend du recul, on se rend compte qu’ils ne sont pas fondamentalement originaux. Étrange paradoxe, je sais ! Pourtant, ça fonctionne sans problème -en tout cas sur moi. Dans ce roman, plusieurs figures se détachent contrairement aux opus précédents qui se focalisaient sur un seul protagoniste, avec une narration à la première personne (sauf pour les Brigades Fantômes). Ni Zoé ni John Perry ne sont au programme mais bien Harry Wilson, qui est présent dans quasiment tous les épisodes et endosse plus ou moins le rôle de « héros » d’Humanité divisée. Soldat des forces de l’union coloniale, le lecteur l’aura déjà rencontré dans le premier tome du vieil homme et la guerre puisqu’il a quitté la Terre en même temps que John Perry et est l’un des trois rescapés de leur équipe des Vieux Cons. Il a rejoint la section scientifique / technique des FDC et n’est plus à proprement parler en service actif sur le front. Cela ne l’empêche pas d’avoir conservé toutes ses particularités de soldat génétiquement amélioré et de savoir s’en servir.

Harry Wilson a beau être un personnage attachant, on ressent tout de même une patte très américaine autour de lui et du reste des protagonistes. Il incarne un archétype du soldat dévoué mais qui n’en a pas perdu son cerveau pour autant. Il est capable de se montrer critique envers l’institution qui l’emploie et fait de son mieux pour assurer ce qu’on attend de lui. Je me suis immédiatement intéressée à ses aventures et à ce qu’il avait à proposer, presque autant que pour John Perry. Toutefois, cet aspect peut gêner (ou au contraire, attirer) certains lecteurs donc je me dois de le préciser.

Un world-building qui continue de s’étoffer.
Même si on reste sur un fond classique (l’opposition entre deux puissances d’envergure pour le contrôle de territoires spatiaux ou plus simplement, leur suprématie dans l’ensemble) je trouve que la façon dont Scalzi développe son univers est cohérente, intéressante et surtout, accessible à celleux qui n’ont pas l’habitude de ce type de littérature. Certains ont qualifié ce tome d’inutile et inintéressant, ce n’est pas mon cas. Les évènements d’Humanité divisée prennent place directement après la fin du tome 3 (ou 4 si vous considérez Zoé comme un 4 plutôt qu’un 3.5) quand John Perry apprend à la Terre que l’Union Coloniale la maintient dans l’ignorance d’énormément d’éléments concernant l’espace afin de s’en servir comme vivier pour peupler ses colonies et renforcer son armée. Humanité divisée nous montre les conséquences concrètes de cette action sur divers plans (et surtout le diplomatique) mais introduit aussi un troisième camps dont on se doute de l’existence depuis quelques temps, sans avoir toutefois de réelles preuves de son implication. Autre qu’en partant du principe que chaque camps dit la vérité sur son innocence, bien entendu… C’est là aussi tout le génie de Scalzi qui continue de jouer avec son lecteur tout en lui donnant l’impression de porter une jolie auréole au-dessus de sa tête. J’adore !

Humanité divisée explore aussi un nouveau volet : celui de la diplomatie. Le coup porté par Perry à l’Union Coloniale oblige cette dernière à revoir sa politique d’image de marque, si j’ose dire, et le texte se concentre d’ailleurs sur une équipe diplomatique que Wilson rejoint un peu malgré lui pour ses compétences de technicien. C’est l’occasion de rencontrer plusieurs nouveaux peuples extraterrestres, de se familiariser avec d’autres coutumes, de vivre une aventure improbable avec un chien (cet épisode m’a tellement fait rire !) et bien d’autres encore, je vous laisse les surprises. On pourrait craindre l’absence de batailles spatiales ou de tragique mais rassurez-vous, ce n’est pas le cas du tout, particulièrement dans l’épisode final.

Deux nouvelles bonus.
Petit mot sur les deux nouvelles qu’on trouve à la fin : la diplomatie en trois rounds et Hafte Sorvalh déguste un churro et s’entretient  avec la jeunesse d’aujourd’hui. La première remet en scène Harry Wilson quelques mois avant les évènements d’Humanité divisée où on lui demande de se battre contre le représentant d’un peuple avec qui l’Union Coloniale est en pourparlers et qui sont très intéressés par l’aspect militaire de l’UC. C’est un texte sympathique à lire, une aventure divertissante mais sans plus. Le véritable intérêt de ces suppléments réside selon moi dans la seconde nouvelle où on retrouve une ambassadrice du Conclave (qu’on a eu l’occasion de croiser au fil des épisodes) Hafte Sorvalh. C’est une Lalan, un peuple qui ressemble un peu à de gros reptiles de trois mètres en mode humanoïde. Lors de ses voyages sur Terre, elle s’est découverte une passion pour les churros et c’est en allant en manger qu’elle rencontre un groupe d’enfants en sortie scolaire, ce qui donne lieu à un échange assez touchant entre les enfants et elle. J’ai surtout apprécié les propos de tolérance et d’ouverture qui transparaissaient dans le texte même si, à nouveau, ce n’est rien de fondamentalement original. Mais ça ne m’a pas empêchée d’être touchée.

La conclusion de l’ombre : 
Humanité divisée est un roman construit en treize épisodes + deux nouvelles bonus et qui s’inscrit dans la lignée directe des évènements de la saga Le vieil homme et la guerre. Scalzi alterne cette fois entre plusieurs protagonistes et le format épisodique permet de maintenir tout du long l’intérêt du lecteur grâce à un enchainement d’action bien maitrisé. Scalzi reste fidèle à lui-même et met son talent au service du lecteur qui, probablement habitué et fan à ce stade, sera ravi de retrouver tout ce qui constitue un bon roman de cet auteur devenu incontournable : des personnages attachants, de l’action, un background solide, de l’humour bien dosé. Vous ne serez pas renversé : Scalzi continue d’écrire du Scalzi. Mais, personnellement, c’est bien ce qui me pousse à continuer à le lire.

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Maki

Rêveur Zéro – Elisa Beiram

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Rêveur Zéro
est le premier roman de l’autrice française Elisa Beiram. Publié par l’Atalante, vous trouverez ce texte partout en librairie au prix de 23.90 euros.
Je remercie Emma et les éditions l’Atalante pour ce service presse numérique.

De quoi ça parle ?
Dans un futur proche, les rêves se matérialisent soudain dans la vie de tous les jours, entrainant une flopée de problèmes divers et variés. Certains sont inoffensifs. La plupart, non…

Un roman chorale ambitieux.
Pour un premier texte, Elisa Beiram voit les choses en grand et propose un roman chorale divisé en dix-huit jours et dix-huit nuits. Les nuits sont écrites à la première personne et donnent la parole à des rêveurs dont on ne connait pas toujours l’identité. Leurs rêves vont en général avoir une incidence sur la réalité dans le jour qui suit et je dois avouer que ces passages sont très déconcertants. Logique puisqu’il s’agit de songes mais j’ai eu du mal à m’intéresser à ces parties durant ma lecture tant elles partaient dans tous les sens. J’ai mis quelques chapitres à comprendre pour quelle raison elles existaient et j’ai parfois du me faire violence pour ne pas les sauter. Je précise que c’est un ressenti tout personnel.

Quant aux parties consacrées aux jours, les narrateurs sont assez nombreux et je me propose de vous les présenter succinctement :

On a tout d’abord Zahid, un trentenaire qui participait à une expérience sur le rêve lucide dans un laboratoire de Genève. Au début du roman, il retourne chez sa sœur Victoire plus tôt que la date prévue. On comprend qu’il a quitté le labo mais on ignore pendant longtemps les circonstances de ce départ et ce que ça implique. D’autant que le dit laboratoire disparait littéralement sans laisser de traces, du jour au lendemain… Zahid est donc activement recherché par les autorités pour apporter son témoignage, ce qui va le pousser à fuir à travers l’Europe.

On a ensuite Alma, une spécialiste en neurosciences qui travaillait sur l’expérience à laquelle participait Zahid. Si elle n’a pas disparu avec le reste de ses collègues, c’est parce que son appartement a pris feu et qu’elle se trouvait sur place pour constater les dégâts. Coïncidence ? Peut-être… Forcément, tout le monde cherche à l’interroger pour comprendre de quoi il en retourne. De son côté, quand Alma va constater la disparition du laboratoire, elle va se mettre à la recherche de Zahid pour essayer de comprendre ce qui se passe.

Jannis est le troisième personnage important du roman et aussi le frère d’Alma. Il travaille chez Delta Blue, une boîte de gestions de données qui va tenter de comprendre le phénomène d’apparition des rêves et de mettre au point un schéma de propagation pour enrayer tout ça. Jannis a l’intuition que la situation est plus complexe qu’il n’y paraît et ses recherches vont le mener assez loin dans les méandres du net…

Victoire, de son côté, est donc la sœur de Zahid dont j’ai déjà parlé. Elle est infirmière dans un hôpital parisien et sa présence permet de traiter l’aspect humain de l’épidémie de rêves. En effet, la plupart des gens qui arrivent aux urgences en se pensant blessés ne le sont pas, en réalité. Mais leur cerveau est persuadé du contraire (en même temps imaginez, vous vous faites écraser par un piano en pleine rue… même si le piano n’existe pas, votre cerveau pense que si et ça créé un choc si pas une mort instantanée). Certains nécessitent juste un accompagnement psychologique mais d’autres sont dans le coma. En plus d’être infirmière, Victoire est mère et doit mener tout de front. J’ai particulièrement apprécié les moments qui lui étaient consacrés parce qu’ils font échos, je trouve, à notre actualité. Je vais y revenir.

Enfin, dernier personnage d’importance: Philipp, un policier haut gradé qui enquête sur les origines de cette épidémie et va être en contact avec tous les personnages précédents à un moment ou à un autre. Ce protagoniste est grosso modo l’archétype du policier un peu bourru, qui en a vu, qui est un brin passé de mode mais ne lâche jamais rien. Il n’est pas désagréable à suivre et ses parties permettent en général d’avancer dans l’intrigue.

Le lecteur croisera également de manière ponctuelle d’autres protagonistes de moindre importance dont je ne vais pas parler pour ne pas divulgâcher des éléments de l’intrigue.

L’épidémie… un thème d’actualité.
Tout au long de ma lecture, je n’ai pas pu m’empêcher de distinguer des parallèles avec la situation sanitaire actuelle. Bien entendu, ce que nous vivons est moins meurtrier que l’épidémie de rêves au sein de la diégèse du roman et n’a pas pris (encore ?) de telles proportions. Toutefois le texte d’Elisa Beiram soulève certaines thématiques et problématiques qu’on a eu l’occasion de retrouver récemment dans notre actualité. Déjà, la pression qui repose sur le personnel soignant exténué qui a à peine le temps de prendre un peu de repos avant d’y retourner. Ensuite, la façon dont certaines personnes profitent du chaos pour leur propre compte. Enfin, les abus que cela génère immanquablement à tous les degrés de pouvoir. C’est un roman vraiment très actuel et je pense que ça a participé aux difficultés que j’ai eu à le lire. Ce n’était pas la bonne période pour moi pour découvrir un texte comme celui-là. Je l’ai trouvé anxiogène malgré la maîtrise manifeste de l’autrice et l’intelligence du propos développé. Sachez d’ailleurs que je ne vous présente ici qu’une infime partie de ce que contient le roman.

Finalement, la grande question qui pourrait résumer Rêveur Zéro c’est : comment l’humanité réagit-elle face à une épidémie d’ampleur mondiale ? Je pense que le roman était prévu au catalogue de l’Atalante bien avant la crise toutefois le hasard fait bien les choses pour le coup. Il prend vraiment une dimension supplémentaire liée à notre actualité, ça l’enrichit d’une certaine manière, en tout cas selon moi.

Cette question, Elisa Beiram propose d’y répondre à sa façon à travers la voix de plusieurs protagonistes tous très différents les uns des autres, aux préoccupations et aux existences plurielles, avec une pointe de métaphysique qui se lie sans problèmes à l’aspect scientifique révélé par la conclusion et divulgâché par le classement littéraire du roman parce qu’on aurait très bien pu penser à du fantastique pendant les trois quart de l’intrigue,. À mes yeux, ce n’est pas incompatible avec un futur proche qui possède une technologie un peu plus développée. L’autrice se montre à la hauteur de l’ambition qu’elle a souhaité pour son premier roman. Elle place la barre très haut et si je n’ai pas été séduite en tant que lectrice par Rêveur Zéro, je sais reconnaître les qualités d’un texte outre mes propres goûts -ce qui me pousse à vous en parler sur le blog.

La conclusion de l’ombre :
Rêveur Zéro est un roman de science-fiction qui se déroule dans un futur proche, un peu partout en Europe. Il s’agit du premier texte de l’autrice et celle-ci place la barre assez haut en proposant un roman chorale ambitieux sous-tendu par une question cruciale : comment l’humanité réagirait-elle face à une épidémie mondiale ? Texte hélas tristement d’actualité bien que l’épidémie dont il s’agit ici soit celle de rêves qui se manifestent dans la réalité. Une découverte intéressante qui pousse à réfléchir.

D’autres avis : Pas encore mais cela ne saurait tarder ! N’hésitez pas à renseigner votre chronique dans les commentaires 🙂

Quitter les Monts d’Automne – Émilie Querbalec

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Quitter les Monts d’Automne
est un one-shot de science-fiction écrit par l’autrice française Émilie Querbalec. Publié par Albin Michel Imaginaire, vous trouverez ce roman partout en librairie à partir du 2 septembre 2020 pour la rentrée littéraire.
Je remercie chaleureusement Gilles Dumay et Albin Michel Imaginaire pour l’envoi de ce service presse numérique.

De quoi ça parle ?
Kaori nous raconte son histoire qui commence en 13111 sur la planète Tasai. Kaori est la dernière descendante d’une ligne de conteuses. Malheureusement, elle n’a pas été frappée par le Ravissement et ne possède donc pas le don du Dit. Devenue danseuse, elle hérite à la mort de sa grand-mère d’un rouleau calligraphié. Tabou ultime dans cette société où l’écriture est passible de mort ! Kaori va alors entamer une quête de ses origines qui l’emmènera loin, très loin, dans le temps et l’espace.

Un univers riche où prime la transmission orale.
C’est ce premier point qui a d’abord attiré mon attention en lisant la quatrième de couverture puisqu’on y dépeint une société d’inspiration japonaise (je vais y revenir plus bas) où tout se transmet à l’oral, l’écrit étant frappé d’interdit. En tant que lectrice et qu’autrice, c’est un concept qui me parle et m’intrigue forcément puisque j’en suis venue à imaginer ma propre existence sans trace écrite. Prenez quelques minutes pour vous plier à l’exercice, c’est plutôt effrayant.

Sur Tasai, il existe des lignées de conteurs et conteuses, des personnes gratifiées d’un Don (qu’on appelle le Dit) suite à un Ravissement. Ces gens sont capables de raconter des histoires issues du Flux. Le Flux, c’est… compliqué. Une sorte de force supérieure, presque divinisée sur Tasai, qui est partout et régit d’une certaine manière les existences de tous à travers sa police spéciale de moines, pour ne citer qu’eux. Notez que je schématise très grossièrement ici pour éviter de divulgâcher.

Appartenir à l’une de ces prestigieuses lignées de conteurs ne garanti en aucun cas qu’on sera touché par le Dit : à son grand désespoir, Kaori, l’héroïne, n’a pas connu le Ravissement et doit se rabattre sur l’art de la danse qu’elle apprend à maîtriser à force de patience et de travail. Cela lui vaudra la possibilité de rejoindre une troupe prestigieuse à la mort de sa grand-mère, qu’elle servait jusque là lors de ses représentations.

Au moment du décès susmentionné, Kaori va découvrir dans les affaires de sa grand-mère un drôle de cylindre contenant… des écrits. Elle sera tentée de les détruire mais le cylindre lui parle avec la voix familière de la défunte, lui assurant que si l’objet ne s’est pas détruit à son contact, alors il lui est bien destiné. Forte de ce mystère, la jeune fille va entreprendre un voyage jusqu’à Pavané -la capitale du coin- pour retrouver un ami de sa grand-mère qui, elle l’espère, sera capable de l’éclairer. Évidemment, tout ne va pas se passer aussi simplement…

Une inspiration japonaise dans un univers science-fictif.
L’univers développé par Émilie Querbalec fleure bon le Japon, que ce soit sur son contenu ou son esthétique. Les Monts d’Automne ne sont pas sans rappeler le pays du Soleil Levant en mettant en scène des traditions et tabous qu’on peut retrouver (pour partie au moins avec certitude) dans l’Histoire nippone préindustrielle. Ça a d’ailleurs constitué ma première surprise puisque je m’attendais à lire un texte de science-fiction (avec tout ce que ça implique comme attentes pour une novice dans le genre comme moi) pour me retrouver, au départ, dans un monde très nippo-traditionnel. L’aspect technologique, vaisseaux spatiaux etc. arrive petit à petit, à mesure que Kaori quitte justement les Monts d’Automne pour la capitale avant de s’éloigner définitivement de sa planète d’origine. L’autrice prend son temps pour installer l’ambiance et apporte cette science-fiction par petites touches. Ainsi, Émilie Querbalec accompagne son lecteur dans la transition avec, je dois dire, un certain brio. Cela fait de son roman une très bonne porte d’entrée pour les novices qui aimeraient s’initier à ce genre mais craignent de se perdre. Quitter les Monts d’Automne peut donc être qualifié de texte initiatique, dans tous les sens du terme.

À mesure que l’histoire se déploie, l’aspect japonisant recule sur l’esthétique purement visuelle pour apparaître davantage dans les échanges philosophiques mais également sur les passages érotisés par l’autrice qui ont lieu à certains endroits du texte. Notez que ces moments ont une utilisé et je n’ai, personnellement, jamais eu le sentiment de tomber dans le voyeurisme vulgaire.

Kaori, une héroïne assez passive.
Émilie Querbalec opte pour une narration à la première personne avec une vraie maîtrise de son style d’écriture. Ce que je lis souvent comme reproche pour ce type de choix narratif, c’est la familiarité régulièrement induite dans le style littéraire de l’auteur qui s’appauvrit, comme s’il n’était pas possible de narrer des évènements depuis l’esprit d’un personnage sans tomber dans cette facilité. Qu’on se comprenne : certaines histoires le justifient par leur personnage principal, mais pas toutes. Dans Quitter les Monts d’Automne, la question ne se pose pas puisqu’on comprend, une fois à la fin, que Kaori écrit son histoire après coup, après avoir eu accès à une forme d’éducation et de développement personnel. Cela justifie l’attention portée à l’ambiance, aux décors, l’embellissement de certaines scènes aussi puisque l’autrice dépeint finalement une mémoire avec ses travers. J’ai trouvé cette façon d’opérer vraiment brillante et agréable à suivre en tant que lectrice et ce même quand Kaori en elle-même manque un peu d’intérêt face aux personnages intrigants avec lesquels elle interagit durant son périple.

L’héroïne reste globalement plutôt en retrait pour un roman qui se veut initiatique. Elle agit à quelques reprises mais subi beaucoup les évènements. Cela implique des passages qui souffrent de quelques longueurs, notamment sur la dernière partie et ce à l’exception de la conclusion qui se révèle aussi intéressante qu’enthousiasmante.

La conclusion de l’ombre :
Quitter les Monts d’Automne est un récit initiatique qui fleure bon le Japon, autant sur son esthétique visuelle que sur sa philosophie et ses passages érotiques. Dans une narration à la première personne, le lecteur est invité à suivre Kaori dans un monde où l’écrit est un tabou passible de mort. Ce texte est une belle réussite que je recommande chaudement, même et surtout (mais pas que) aux novices du genre science-fiction puisqu’il se veut également initiatique à ce niveau.

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Terra Ignota #2 Sept Redditions – Ada Palmer

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Sept Redditions
est le second volume de Terra Ignota, une saga de science-fiction dite utopique écrite par l’autrice américaine Ada Palmer. Publié par le Bélial, vous trouverez ce roman partout en librairie au prix de 24.9 euros ainsi que sur le site de l’éditeur via lequel je vous encourage à commander.

Avant-propos
Souvenez-vous, je vous ai déjà parlé du premier tome ( Trop semblable à l’éclair ) que je décrivais comme une expérience littéraire extraordinaire, un véritable chef-d’œuvre au-delà du simple qualificatif de « coup de coeur ». En le lisant, je me suis rappelée comment était née ma passion pour la littérature à l’origine et cela a mené à un certain nombre de réflexions personnelles qui n’ont pas toujours abouti à ce que j’en espérais mais qui ont eu le mérite d’exister.

Ada Palmer brille, elle brille pour ses références, pour ce qu’elle a créé, pour les réflexions qu’elle propose et la grandeur ambitieuse de ses textes. J’ai entamé Sept Redditions avec une double crainte : la première, celle que ce second tome se révèle décevant par rapport au premier avec un effet de surprise gâché quant au contenu, à l’ambition, au narrateur, à l’ensemble. La seconde, que je ne ressente plus l’envie de lire quoi que ce soit après avoir tourné la dernière page, secouée par la certitude que rien n’arrivera à la cheville de l’histoire narrée par Mycroft Canner.

Cette dernière crainte s’est révélée en partie fondée. Je me réjouis de voir qu’en 2020, on publie toujours des romans porteurs d’une telle ambition littéraire et je remercie mille fois le Bélial d’avoir entrepris la traduction de ce cycle. Je précise que cette remarque n’engage que moi et ne sous-entend pas que tous les autres textes que j’ai pu lire ou que vous avez pu lire sont inférieurs. Il ne s’agit pas d’établir une échelle de grandeur qualitative mais bien d’insister sur mon enthousiasme vis à vis du roman. Terra Ignota ne ressemble à rien d’autre de ce que j’ai pu lire, il se démarque donc aisément. Toutefois, quelqu’un avec une culture littéraire plus vaste ou simplement différente de la mienne ne partagera probablement pas mon opinion. N’oubliez donc pas qu’il s’agit bien de cela : mon opinion, mon sentiment, développée sur mon blog avec toute la partialité que cela implique.

Pour en revenir au livre en lui-même, j’ai retrouvé au sein de ce roman des qualités semblables à ce que j’ai pu relever dans ma première chronique : un souci de la représentation (un véritable exemple à suivre selon moi et une référence à mettre en avant dans les débats qui secouent la twittosphère littéraire ces dernières semaines), une mise en scène astucieuse des philosophies du 18e siècle (sans toutefois s’y restreindre) ainsi qu’un narrateur savoureux qui interagit avec son lecteur en le manipulant, démontrant une maîtrise encore inégalée selon moi de la narration à la première personne.

Je dois même dire que ces qualités sont présentes à l’identique tant Sept Redditions s’inscrit dans la continuité directe de Trop semblable à l’éclair. Ç’aurait pu être (selon moi, à nouveau) publié comme un seul roman sans les exigences éditoriales modernes (même ainsi, ce sont deux beaux pavés). Je vous recommande d’ailleurs de lire ces titres l’un après l’autre directement pour ne rien y perdre, un exercice auquel je compte me livrer dans un futur plus ou moins proche.

À ce stade, vous vous demandez probablement ce que je vais pouvoir dire que je n’ai pas déjà détaillé ou encensé dans mon précédent billet. Vous vous étonnez aussi peut-être que je n’ai pas encore subdivisé cette chronique en plusieurs points, menant une analyse plus ou moins pertinente, comme j’en ai l’habitude. Ce n’est pas ce que je souhaite écrire vis à vis de ce texte. L’émotion suscitée par cet ouvrage a été énorme pour moi, j’aimerais réussir à vous la transmettre non seulement par la lecture de cet avant propos mais également par une brève réflexion sur le sujet central (un parmi d’autres, je vous assure !) de Sept Redditions : la conception de l’utopie.

Aussi sachez que tout ce qui est écrit à partir de maintenant risque de vous divulgâcher l’intrigue. Je vous recommande donc de ne pas poursuivre votre lecture si vous comptez vous plonger dans l’univers de Terra Ignota.

De la définition de l’utopie…et du reste.
Au sens premier du terme, on parle d’utopie pour qualifier un idéal de type positif impossible à atteindre. C’est ce qui est mis en scène dans Terra Ignota : une société fictive qui se veut positive car chaque humain a le droit de choisir la Ruche (son groupe quoi) qui correspond le mieux à ses croyances, à ses ambitions. Tout le monde a un toit au-dessus de sa tête, travaille vingt heures par semaine en consacrant le reste de son temps à des loisirs de son choix. La faim, le froid, tout cela n’existe plus pour la plus grande majorité de la population. La dernière guerre de religion a aboli les distinctions genrées, il n’existe donc plus, en théorie, d’hommes et de femmes au sens social du terme (c’est toujours le cas sur un plan biologique) si bien que l’autrice emploie des pronoms neutres (on et ons) dans le texte. Un choix qui peut déstabiliser mais que je trouve très intéressant. Ces petits jeux de forme, Ada Palmer s’y livre à merveille et non contente de s’y essayer, elle offre aussi une réflexion très intéressante sur l’existence du genre au sens social, ses avantages et ses inconvénients.

L’utopie, une société d’avenir… ou pas.
Sur le papier, tout fonctionne à merveille au sein de l’Alliance sauf que ce tome approfondit ce qu’on commençait à soupçonner dans le premier, à savoir que le système a des ratés et repose finalement sur la violence qu’il était parvenu à bannir puisque l’existence d’un groupuscule dénommé « O.S. » implique des meurtres ciblés afin d’éviter à la société humaine de subir des crises majeures qui risqueraient d’abolir le système considéré comme parfait en place. Et parfait, il le parait en effet au premier abord, surtout à nos yeux d’êtres humains du vingt-et-unième siècle.

Le meurtre, rappelons-le, n’existe plus dans cette société depuis longtemps au point que les actes de Mycroft Canner causèrent un choc terrible à tous. Arrive donc la question de savoir ce qui est acceptable ou non au nom du plus grand bien et ce qu’est, au fond, ce plus grand bien, cette utopie. Quelles sont ses limites ? Comment la maintenir ? Doit-on la maintenir ? Quelles conséquences un tel système a-t-il sur l’humanité, sur son ambition, sur sa capacité à évoluer ? Deux milles et quelques vies contre celle de milliards d’individus, cela vaut-il le coup ? Doit-on s’en tenir aux probabilités ou à sa moralité ? La galerie de personnages imaginée par Ada Palmer permet de mettre en scène une multitude de points de vue, ce qui entraine non seulement des discussions passionnantes entre les protagonistes mais également une action au rendez-vous grâce aux élans dramatiques qui ne sont pas sans rappeler différents courants littéraires qui m’évoquent davantage le dix-neuvième que le dix-huitième siècle littéraire français, pour ma part.

Du génie ! Mais…
C’est délicieux, cela fonctionne à merveille, du moins si on apprécie ce type de littérature et cette construction si particulière où l’autrice laisse la parole à Mycroft Canner, qu’on découvre ici sous un jour nouveau. Comme je l’ai déjà mentionné dans mon autre billet, je pense que ce roman n’est pas accessible à n’importe qui. Il faut aimer philosopher, se laisser séduire par l’aspect théâtral qui intervient par moment jusque dans la forme même du texte, ne pas craindre les multiplications de personnages, prendre le temps de se poser pour comprendre toutes les implications de ce qui se déroule, de ce qui se dit, de ce qui peut arriver. Il s’agit clairement d’un roman -d’une saga- à relire, plus d’une fois, même plus de deux ou trois, pour s’en imprégner véritablement. Pour moi, les romans d’Ada Palmer sont exigeants mais ils valent largement l’investissement mental et moral tant ils apportent une vraie richesse non seulement à la littérature mais également sur un plan humain.

Que lire à présent jusque 2021, date de la parution du troisième volume en français… Grande question.

La conclusion de l’ombre :
Sept Redditions est une suite à la hauteur de Trop semblable à l’éclair. Ada Palmer est brillante, son roman est aussi intelligent qu’addictif, doté d’un apport philosophique conséquent et passionnant. Ada Palmer ne juge pas, elle invite ses lecteurs à participer à une Grande Conversation sur la manière de mettre en place une utopie humaine efficace et les conséquences que peut avoir un système politique de ce genre… entre autres thèmes ! Une réussite sur tous les points que je recommande avec un enthousiasme que mes mots peinent à retranscrire.

D’autres avis : L’épaule d’Orion, Tigger Lilly, Le Syndrome de Quickson, Blog à part, BlackWolf, Gromovar, Just A Word, Outrelivresles Chroniques du ChroniqueurCélindanaeJae Lou – vous ?

Nouvelles Ères (anthologie 2/2)

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Nouvelles Ères
est l’anthologie annuelle de 2020 des éditions Livr’S qui a pour thème, comme son titre le sous-entendu, le futur et son renouveau. L’anthologie appartient donc clairement au genre de la science-fiction et plus précisément du post-apocalyptique pour certains textes.

Douze auteurs sont au programme et Nouvelles Ères est parrainé par Victor Fleury, un auteur qu’on ne présente plus et qui est particulièrement apprécié sur le blog (L’Homme Électriquela prêtresse esclave).

Comme j’ai beaucoup aimé ma lecture, j’ai décidé de couper ma chronique en deux parties afin de pouvoir vous évoquer chaque texte correctement sans vous obliger à lire un retour trop long. Aussi, ce retour concernera les six derniers textes du recueil. N’hésitez pas à consulter mon billet sur la première partie.

Enfin, notez que vous pouvez trouver ce titre au prix de 19 euros au format papier et de 2.99 au format numérique, il est commandable en librairie mais si vous voulez soutenir la maison d’édition, faites le par leur site. Cette anthologie fait partie des titres qui souffrent de la crise COVID. Sa sortie était initialement prévue pour les Imaginales.

Mort à crédit – Aimé Leclercq (24/07/2020)
Gilbert Hathaway est un ancien journaliste devenu enseignant au sein d’une société qui a démocratisé l’usage d’assistants personnels de type I.A. La sienne, Carla, tient soudain des propos racistes envers l’un de ses amis et prend des initiatives, ce qui inquiète beaucoup Gilbert. Pas de chance pour lui, il va mettre les pieds dans une histoire qui le dépasse et en payer le prix.

Je n’ai pas trop accroché au style hyper familier avec lequel l’auteur raconte son histoire bien que ce soit cohérent avec le mode de narration. En fait, je devrais plutôt dire que je n’ai pas du tout accroché au personnage de Gil, très brut de décoffrage et un peu vieux con à l’américaine. Ce qui est totalement une affaire de goût puisque la nouvelle fonctionne bien et possède cette dose d’excès un peu absurde qui fait que le twist final arrache presque un sourire. De plus, les thèmes abordés sont plutôt solides et j’ai beaucoup aimé l’idée d’une I.A. raciste avec tout ce que ça implique d’un point de vue politique. Chapeau.

Le revers du silence – Fabrice Schurmans (25/07/2020)
New Paris, dans le futur. La ville est divisée en deux, une partie d’une propreté sublime où le crime n’existe plus et une autre où les habitants s’engluent dans la pollution, le vice, bref tout ce qu’on peut imaginer de pire. Hania et Farès sont inspecteurs à New Paris et le crime ne leur est pas vraiment très familier. Du coup quand leur enquête les emmène de l’autre côté de la frontière, ils vont avoir un gros choc…

Si cette nouvelle m’ennuyait d’abord un peu, je me suis rapidement prise au jeu de l’aspect policier bien géré ainsi que du contraste entre New et Old Paris. À travers une enquête dont la conclusion fait froid dans le dos, Fabrice Schurmans donne à réfléchir sur la nature humaine avec un cynisme mordant très appréciable, renforcé par l’espèce d’innocence naïve des deux inspecteurs qui tombent de haut face à la réalité. Par bien des aspects, ce texte m’a rappelé La divine proportion de Céline Saint Charle également publié chez Livr’S et dont je vous recommande vivement la lecture.

Peste-Pilon – Gillian Brousse (26/07/2020)
Dans un monde alternatif en guerre, Hammond est une espèce d’aventurier anthropologue qui rend visite à la famille de sa sœur. Là, il rencontre Jul, une sorte d’homme à l’aspect physique peu engageant qui rappelle le singe et une capacité à parler proche du néant (il ne connait qu’une centaine de mots). Jul a pourtant été témoin de l’utilisation d’une nouvelle arme, ses informations pourraient se révéler précieuses…

C’est probablement la nouvelle que j’ai le moins apprécié dans ce recueil. Pas qu’elle soit mauvaise, simplement je n’ai pas du tout accroché au style de l’auteur que je trouvais trop pompeux. Ici, tout comme dans Mort à crédit, Gillian Brousse se contente de coller à son narrateur à la première personne sauf que je n’ai pas réussi à accrocher ou même à ressentir la moindre empathie pour lui. Du coup, ma lecture m’a semblé plate bien que les idées soient présentes.

L’apocalypse n’aura pas lieu (une seconde fois) – Corentin Macé (26/07/2020)
L’apocalypse a eu lieu et David est enfermé depuis six ans dans un bunker à regarder des films pour passer le temps. Sauf que six ans, c’est long et David en a un peu sa claque. Il décide de sortir dans une tentative désespérée de se suicider. Là, il se rend compte que le virus ayant décimé la population mondiale n’a plus l’air de sévir. Il va alors rencontrer Christophe, un homme sympathique qui l’invite à rejoindre leur communauté…

Ce texte est celui que j’ai le plus aimé au sein de cette seconde partie parce que Corentin Macé joue avec les codes narratifs du post-apocalyptique en les tordant pour prendre le contrepied. Une fois la première surprise passée, David s’attend à un monde à la Mad Max sauf qu’il tombe sur une communauté très pacifique où tout se règle par le dialogue. Ça l’ennuie vite, il décide donc… de foutre la merde, purement et simplement. Si on ressent d’abord beaucoup d’empathie pour David, celle-ci s’efface à mesure de ses actes qu’on découvre avec des yeux ronds. C’est délicieusement provocateur, cru et bien pensé. Une magnifique réussite ! J’ai hâte de lire d’autres textes de cet auteur prometteur.

La machine à capter le chant des sirènes – Sylwen Norden (26/07/2020)
Un homme (dont le prénom m’échappe totalement au point que je doute qu’il ait été cité) arrive sur une île très au nord de l’Irlande sur laquelle il décide de s’installer au sein d’une petite communauté étrange. Il prend la responsabilité des « machines du vieux Dermot », machines aux propriétés surprenantes.

Je dois avouer être totalement passée à côté de cette nouvelle. Pour ma défense, je l’ai lue très tard dans la soirée et j’aurais probablement du la garder pour le lendemain matin. Ce texte est différent de tous les autres, Sylwen Norden opte pour une style littéraire très poétique avec des évènements à la limite de l’onirisme. Je suis assez hermétique à cela pour le moment mais je salue volontiers la façon d’écrire de l’auteur. Je reviendrais à ce texte quand le moment s’y prêtera mieux pour moi.

Les Hydropares – Wilfried Renaut (27/07/2020)
Sable est une subaq, une humaine modifiée pour la vie marine. Mercenaire, elle accepte d’aider un ethnologue à découvrir davantage d’informations sur les Hydropares, un peuple océanique de la planète Neptune. Sauf que Sable va être utilisée malgré elle et les conséquences pour le peuple concerné risquent d’être terribles.

Le recueil se termine en beauté avec cette nouvelle qui questionne l’habitude qu’a l’homme à détruire tout ce qu’il touche pour son propre bénéfique, sans jamais apprendre de ses erreurs précédentes. La narration à la première personne est très efficace, le monde créé par Wilfried également. Il ne manque pas de promesses ! Toutefois, à l’instar de SOFIA (c.f. mon autre billet) les Hydropares se termine là où le texte aurait pu commencer car c’est un très bon prologue à un roman de plus grande envergure qui, j’espère, verra le jour.

La conclusion de l’ombre :
À l’exception de deux textes (et demi) la seconde partie du recueil m’a moins enthousiasmée que la première. Pas parce que les nouvelles ont une qualité moindre mais parce que leur style correspond moins à ce que j’apprécie de lire en ce moment. Dans l’ensemble, je ressors très satisfaite par cette découverte. Je vous recommande chaudement de jeter un œil par vous-même à Nouvelles Ères, vous ne serez pas déçu(e)s.

Pour les blogueurs intéressés qui souhaitent mettre en avant une petite structure belge, il est possible de demander ce recueil en service presse numérique sous simple envoi de mail à service-presse[a]livrs-editions.com.

D’autres avis : Sarah’s Diary – vous ?

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Nouvelles Ères (anthologie – 1/2)

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Nouvelles Ères
est l’anthologie annuelle de 2020 des éditions Livr’S qui a pour thème, comme son titre le sous-entendu, le futur et son renouveau. L’anthologie appartient donc clairement au genre de la science-fiction et plus précisément du post-apocalyptique pour certains textes.

Douze auteurs sont au programme et Nouvelles Ères est parrainé par Victor Fleury, un auteur qu’on ne présente plus et qui est particulièrement apprécié sur le blog (L’Homme Électriquela prêtresse esclave).

Comme j’ai beaucoup aimé ma lecture, j’ai décidé de couper ma chronique en deux parties afin de pouvoir vous évoquer chaque texte correctement sans vous obliger à lire un retour trop long. Aussi, ce billet concernera les six premiers textes du recueil.

Enfin, notez que vous pouvez trouver ce titre au prix de 19 euros au format papier et de 2.99 au format numérique, il est commandable en librairie mais si vous voulez soutenir la maison d’édition, faites le par leur site. Cette anthologie fait partie des titres qui souffrent de la crise COVID. Sa sortie était initialement prévue pour les Imaginales.

389 – Catherine Barcelone (20/07/2020)
Le docteur Pattern créé un robot et en est à son 389e essai – qui se révèlera être le bon ! Cet androïde est parfait, bien trop pour paraître humain. Sam Pattern comprend que pour copier les émotions, l’imperfection est nécessaire. Il va alors profondément changer 389 aka Adam…

Ce court texte met en scène un scientifique désireux de créer un androïde parfait, un poncif assez classique de la science-fiction. Pourtant, en optant pour une narration alternée à la première personne entre Adam et Sam, Catherine Barcelone réussit, en peu de pages, à passionner le lecteur car elle trouve un bon équilibre entre technologie et émotion. Ce texte plaçait la barre très haut en terme d’attente pour moi et a vraiment tout pour plaire. Ma lecture commençait donc sur les chapeaux de roue !

SOFIA – Meggy Gosselin (21/07/2020)
Dehors, le monde s’effondre. Enfermé dans un bunker, le professeur Kamura termine le Projet témoin qui a pour but de conserver une trace du passage de l’humanité sur Terre. Il meurt dés les premières pages en confiant ses recherches à Sofia, son I.A. qui a pour mission de le ramener à la vie – si elle y arrive. Des siècles plus tard, le professeur Kamura reprend conscience dans un corps humanoïde modifié en profondeur pour s’adapter aux nouvelles rigueurs de la Terre. Il apprend que quelque chose est arrivé de l’espace, quelque chose qui a recréé l’écosystème…

Cette nouvelle m’a interpelée par sa taille. Il s’y passe énormément de choses et elle souffre de quelques longueurs -à mon goût- sur les passages très descriptifs où Kamura découvre le monde dans lequel il vit désormais. De plus, SOFIA m’a laissé le goût d’un long prologue à un roman puisque la façon dont elle se termine pourrait tout à fait marquer le début d’un texte tout autre. Pourtant, j’ai beaucoup aimé les idées de l’autrice et sa façon de les mettre en scène. Le personnage de Sofia ne manque pas d’intérêt et la profonde humanité (au sens faible du terme) de Kamura rend ses choix ainsi que ses actions passionnantes à suivre. J’espère que l’autrice développera davantage cet univers !

Entre les mains de dieux étranges – Victor Fleury (22/07/2020)
Mopsos et ses compagnons poursuivent des voleurs de trésor, mandatés par Alexandre le Grand pour retrouver des parures royales dérobées. Le hasard des combats fait que seul Mopsos survit, il doit continuer sa mission… Sauf que le corps de son ami s’anime sous ses yeux par la faute d’un démon, pense-t-il. Ce dernier lui explique la nécessité de l’accompagner dans sa poursuite afin de découvrir l’emplacement du trésor convoité par les Grecs. En tant que lecteur extérieur, on comprend alors que Mopsos est une I.A. dans un programme archéologique censé réaliser des simulations d’un niveau poussé afin de découvrir la localisation de trésors perdus sur base de connaissances historiques fragmentaires. Quant au hacker qui a volé le corps de son ami, difficile de savoir dans quel camp il se place…

J’ai trouvé le concept de base absolument brillant ce qui n’a rien de surprenant venant de Victor Fleury. Il y a tout dans cette nouvelle : une solide base historique, un twist inattendu, une intrigue solide en quelques pages à peine, une émotion palpable, bref du grand Victor Fleury. Pour le moment c’est vraiment ma nouvelle favorite du recueil parce qu’elle a su totalement me surprendre.

Je l’ai terminée avec un tel enthousiasme que j’ai eu peur d’enchaîner avec le texte suivant, qui se révèlerait forcément en-dessous. Et bien pas du tout !

La dernière ville sur terre – L. A. Braun (22/07/2020)
Sio vit à New Dublin, une société gérée par la Machine qui donne des conseils aux habitants sur la façon de se nourrir, de s’habiller, de mener sa vie, pour atteindre une forme de bonheur. Sauf que Sio commence à étouffer dans cette vie…

La dernière ville sur terre se déroule dans l’univers étendu de Paradoxes, la première trilogie de l’autrice. Rassurez-vous, aucun besoin de l’avoir lue pour comprendre et apprécier le contenu de cette nouvelle. En quelques pages, L-A Braun parvient à construire toute une société crédible en analysant finement la psychologie humaine. Je n’ai eu aucun mal à me projeter dans le personnage de Sio, dans ses questionnements, dans ses choix. Non seulement la nouvelle brille d’intelligence mais en prime elle ne manque pas d’action ni d’enjeux. Une très belle réussite !

Au temps pour moi – Margot Turbil (22/07/2020)
Un personnage de sexe féminin sans nom (pour le lecteur) arrive à la cinquantaine après avoir plus ou moins tout raté dans sa vie. Un soir, elle rencontre un jeune homme qui lui confie une sorte de télécommande qui lui permettra de revivre son existence depuis le moment qu’elle souhaite et donc d’en modifier ce qui ne lui a pas plu. Cette actrice ratée va pouvoir cette fois prendre les bonnes décisions pour sa carrière et briller, briller… Avant la chute.

J’ai été décontenancée dans un premier temps par cette nouvelle si différente des quatre premières. Ici, pas de futur, pas de technologie avancée, juste une drôle de boîte qui permet de remonter le temps. C’est ainsi qu’une femme mûre se retrouve dans le corps d’une petite fille de onze ans, avec toutes ses connaissances, toute sa culture, et passera donc pour une surdouée. Cette fois, elle parviendra à réaliser ses rêves -en volant des œuvres pas encore écrites au passage pour s’en approprier la maternité- mais l’âge la rattrape, la tentation d’utiliser encore la boîte revient malgré sa promesse de la léguer à quelqu’un d’autre de malheureux. Dans ce texte, tout fonctionne : le ton de la narratrice, le choix de la première personne, le twist final, c’est une de mes nouvelles favorites pour le moment.

Static – Geoffrey Claustriaux (22/07/2020)
Un jour, en 2020, tout se fige comme si le temps avait cessé de tourner. Quelques uns en réchappent, ceux qui se trouvaient dans leur cave, dans un abri antiatomique ou qui visitaient des ruines en sous-sol. Gabriel et Gaëlle sont de ceux là et vont entreprendre un voyage à travers la France pour comprendre ce qui est arrivé et, qui sait, trouver une solution ?

Ce texte est présenté comme le journal de Gabriel, qui rédige le tout à la première personne dans un style très transcriptif. Un élément bénin m’a gênée ici : Gabriel dit dés les premières pages qu’il n’est pas auteur donc qu’il faudra l’excuser pour les tournures malheureuses. D’une, c’est quand même un choix narratif plus que douteux pour un auteur de la trempe de Geoffrey Claustriaux et de deux ça ne fonctionne pas du tout vu le niveau littéraire du texte. Pour le moment c’est le texte qui m’a le moins enthousiasmé même s’il reste intéressant avec son petit côté Doomsday assumé et sa conclusion.

La conclusion de l’ombre :
Les six premières nouvelles du recueil Nouvelles Ères promettent pour la suite si tout est à la hauteur de ces textes. Sous le parrainage de Victor Fleury, des auteurices belges et français(e)s s’en sont donné(e)s à coeur joie pour imaginer le futur et son renouveau en empruntant tantôt à la science-fiction, tantôt au post-apocalyptique, parfois au fantastique puisqu’on n’a pas forcément des explications scientifiques claires / solides à chaque fois. Le niveau d’écriture est au rendez-vous tout comme la maîtrise du format nouvelle, à l’exception d’un texte qui me parait plus tenir du début de roman.
À ce jour et à ce stade de ma lecture je recommande donc de manière enthousiaste le contenu de ce recueil dont je vais m’empresser de dévorer la suite. Pour moi, c’est clairement le meilleur recueil proposé par la maison d’édition jusqu’ici.

Pour les blogueurs intéressés qui souhaitent mettre en avant une petite structure belge, il est possible de demander ce recueil en service presse numérique sous simple envoi de mail à service-presse[a]livrs-editions.com.

D’autres avis : Sarah’s Diary – vous ?

Maki