Les Oiseaux du temps – Amal El-Mohtar & Max Gladstone

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Lors de la sortie de ce roman il y a presque un an jour pour jour, j’ai vu fleurir pléthore de chroniques dithyrambique à son sujet, évoquant le récit inventif d’une histoire d’amour lesbienne à travers le temps, une science-fiction novatrice… Et, bien entendu, à la mention d’une histoire d’amour, j’avais déjà tourné les talons bien loin. Lesbien ou pas, je n’accroche que rarement à ce type d’histoire.

Pourtant…

De quoi ça parle ?
Rouge et Bleu combattent chacune dans un camp différent lors d’une guerre d’une ampleur multidimensionnelle qui semble les contraindre à sans arrêt réécrire des morceaux de l’Histoire, afin de la changer d’une dimension à l’autre, d’une possibilité à l’autre. Rouge œuvre pour l’Agence et Bleu, pour le Jardin.

Un récit épistolaire.
Vous pourriez me penser avare de détails mais en réalité, ce conflit n’est qu’une toile de fond permettant une grande variété de décors aux échanges épistolaires des personnages. Le cœur du récit se situe dans ces lettres échangées par Rouge et Bleu qui se connaissent sans se connaître, sont ennemies mais intriguées l’une par l’autre. Ce contact interdit permet la naissance d’une correspondance au sein de laquelle on retrouve des considérations philosophiques et des confessions sur leur nature profonde qui laissent penser qu’aucune d’entre elles n’est vraiment humaine, alors que leurs mots débordent pourtant de cette humanité, de cette faiblesse qui grandit en même temps que leurs sentiments.

L’idée de passer par des lettres et d’en varier les supports est intéressante. Il ne s’agit pas d’utiliser de l’encre et du papier, au contraire ! L’échange s’adapte aux époques et les deux protagonistes rivalisent d’originalité pour trouver la meilleure manière de transmettre leur message sans pour autant être découvertes par leur hiérarchie.

Roméo et Juliette ?
La fameuse pièce de Shakespeare est évoquée à un moment donné du livre et la mention a eu un écho en moi à ce stade de ma lecture puisque cette histoire d’amour entre Bleu et Rouge rappelle évidemment celle des amants maudits de Vérone. Deux clans que tout oppose, deux amoureux qui ne devraient pas l’être, un drame qui se dessine et qui se joue… Jusque dans l’exécution ! Les références ajoutées par les auteur·ices à la fin montrent que je suis d’ailleurs probablement passée à côté de beaucoup de ces clins d’œil et que Les Oiseaux du temps regorge d’une richesse littéraire insoupçonnée qui ravira les passionné·es. Sans surprise, c’est celle du théâtre qui m’a sauté aux yeux…

De la science-fiction ?
Indéniablement, Les Oiseaux du temps se rattache au genre de la science-fiction bien qu’on le remarque surtout dans les détails. Rouge semble être améliorée par des technologies très avancées. Par moment, elle doit intervenir dans des conflits spatiaux. D’autres planètes sont évoquées. J’ai presque parfois eu l’impression que ces fameuses tresses étaient une métaphore à grande échelle et que l’histoire se déroulait dans un programme, que Rouge et Bleu corrigeaient des bugs pour essayer de réécrire l’Histoire comme on l’attendait d’elles, pour que tout fonctionne. Dans quel but ? Mystère. Le concept de victoire est plus d’une fois évoqué sauf qu’on ignore l’idéologie des uns et des autres, on ne peut donc se rapprocher d’aucun camp.

Je l’ai dit, le contexte n’est qu’un prétexte.
Et cela ne m’a pas dérangée en soi. Tout dépendra des goûts de chaque lecteur·ice.

Ce roman que j’aurais du aimer…
En collectant (et lisant avec intérêt) les liens des blogpotes pour cet article, je suis tombée sur cette phrase du Maki qui résume bien ma pensée : « Il y a des livres qu’on aimerait aimer, qui ont tout pour plaire mais qui nous laissent sur le bord du chemin. »
Vous connaissez ma façon de fonctionner. Si je prends le temps d’écrire un billet sur un livre, c’est parce que je lui trouve des qualités. J’ai le recul nécessaire pour constater que les Oiseaux du temps est un roman riche, original dans son exécution, qui met en scène une histoire d’amour importante par les messages transmis. Pourtant, je ne suis pas parvenue à ressentir un investissement émotionnel envers Bleu et Rouge ni à me préoccuper de ce qui pourrait leur arriver.

Je l’ai lu en restant extérieure au texte de la première à la dernière ligne.
Je suis restée sur le bord du chemin.

Et ce n’est pas grave, c’est le jeu. Je n’en suis pas moins contente de l’avoir lu, pour l’expérience. Ni moins contente qu’un livre comme celui-là existe.

La conclusion de l’ombre :
Les Oiseaux du temps est un joli texte dans son exécution et son intention. Son contexte de science-fiction est un prétexte à une romance épistolaire entre deux femmes qui se battent chacune pour un camp différent dans une guerre dont on ne saura rien ou presque. Le propos est ailleurs : il s’agit de se concentrer sur les émotions, sur les différences qui peuvent exister entre deux peuples et rappeler que celles-ci ne sont pas forcément des motifs de séparation. Un message fondamental à rappeler en cette époque passablement… compliquée ?

Je remercie Nathalie et les éditions Mnémos pour ce service presse numérique.

D’autres avis : L’ours inculteLianneLes lectures du MakiAu pays des cave trollsÉcla’tempsLes chroniques du chroniqueurElessarYuyine – vous ?

Informations éditoriales :
Les Oiseaux du temps par Amal El-Mohtar et Max Gladstone. Éditeur : Mnémos, label Mü. Traduction : Julien Bétan. Illustration de couverture : Kévin Deneufchatel. Prix : 19 euros.