La maison aux fenêtres de papier – Thomas Day

9
La maison aux fenêtres de papier est un one-shot difficile à classer écrit par l’auteur français Thomas Day. Publié chez Folio SF, vous trouverez ce roman partout en librairie au prix de 8.50 euros. J’ai découvert ce texte grâce à l’amie Trollesse que je remercie !

De quoi ça parle ?
Sadako est une femme panthère. À la fois captive et amante de Nagasaki-Oni, elle se retrouve prise au milieu de la guerre que cet homme livre depuis des années à son frère, Hiroshima-Oni. Ils se battent pour un idéal à imposer à l’humanité, un idéal propre à chacun. et qui nécessitera de nombreux sacrifices sanglants.

Mon résumé ne rend pas justice à ce roman troublant et complexe à décrire sans divulgâcher des passages de l’intrigue. Sachez-le. Ce bouquin, c’est une bombe, mais il ne conviendra pas à tout le monde.

À la croisée des genres, une réalité réinventée.
Avant toute chose, ce roman est une uchronie. Dés le début, Thomas Day indique qu’il s’est inspiré de certains éléments réels (comme les bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki ou ce qui touche à l’histoire du Japon au 20e siècle) mais que son univers ne l’est pas du tout. De fait, on y côtoie des démons, on y lit des légendes et on s’y bat avec des artefacts tirés d’un folklore asiatique. Je dis asiatique car l’auteur ne se cantonne pas qu’au Japon et j’ai trouvé très intéressant ce dépaysement dans d’autres pays moins exploités comme le Cambodge ou la Thaïlande pour ne citer que ceux dont je me rappelle l’orthographe de tête. Malgré ça, il s’inspire fortement du monde nippon puisqu’il met en scène une organisation de yakuzas, dirigée par Wei, fidèle à Nagasaki-Oni et à Sadeko.

Une anti-héroïne troublante.
La maison aux fenêtres de papier est un titre poétique qui trouve rapidement sa signification puisqu’il représente l’esprit de Sadako, cette jeune femme à la vie assez tragique et aux névroses bien présentes. On ressent d’abord de l’empathie pour elle puisqu’on assiste aux abus qu’elle subit très jeune, qu’on apprend les horreurs infligées par Nagasaki-Oni, les épreuves qu’elle a du traverser. Impossible de rester de marbre. Pourtant, ce sentiment s’efface peu à peu face à ses choix égoïstes qui coûtent chers à ceux qui l’entourent. Elle commet des actes qu’on parvient à excuser, un peu, ce qui met à l’épreuve notre pragmatisme face à nos valeurs. J’adore suivre ce genre de personnage principal, je trouve l’expérience dépaysante et originale. Thomas Day s’en sort plus qu’honorablement avec elle, chapeau !

Une Asie légendaire…
Pourtant, l’histoire en elle-même ne commence ni ne se termine avec Sadeko. En effet, le roman débute sur une légende, celle de l’Oni-No-Shi puis se termine sur une autre version de cette histoire, qui n’a pas grand chose en commun avec la première si ce n’est de raconter l’origine de la même arme. Ce procédé est typiquement asiatique et la manière qu’a Thomas Day de narrer ces deux histoires l’est tout autant. On aime ou on n’aime pas mais personnellement, j’ai immédiatement accroché à ce parti-pris.

… mais aussi cinématographique.
On ressent dans ce texte toute l’influence japonaise de l’auteur, rien qu’à travers le traitement de la femme ou plus simplement la mise en scène du corps, du sexe, cru et sans détour qui m’a un peu rappelé l’Empire des sens. C’est un élément que j’avais déjà relevé dans la Voie du sabre (un autre roman de l’auteur à recommander !) et que j’aimais beaucoup. Plus que cela, la quatrième de couverture clame un lien avec le cinéma de Tarantino et je ne peux qu’approuver. Je ne suis pas spécialiste en la matière mais c’est vrai qu’on retrouve dans la maison aux fenêtres de papier cet aspect extrêmement violent et brut des affrontements, au point de frôler le grand-guignolesque.

Histoire de peaufiner tout ça, Thomas Day propose des références à la fin de son roman. Au sujet des yakuzas mais aussi sur le cinéma, ce qui permet de pousser plus loin notre curiosité si tant est qu’on ait apprécié le voyage. Et ça a été mon cas ! J’ai lu ce roman d’une traite. Il se dévore vite, difficile de le reposer quand on l’a ouvert. Toutefois, j’ai conscience qu’il ne peut pas convenir à tous les lecteurs à cause justement de son esthétique particulièrement sombre, de ses choix narratifs et de son ambiance asiatique assumée. C’est un texte de niche dans lequel on se bat tantôt avec une épée magique, tantôt avec des flingues, où on prend de mauvaises décisions et où on se tape dessus allègrement. Ce n’est pas un roman moralement acceptable mais bon sang qu’est-ce que c’est génial à lire !

La conclusion de l’ombre: 
Pour résumer, la maison aux fenêtres de papier est une uchronie surnaturelle s’inspirant de la mythologie asiatique et de ses codes autant littéraires qu’esthétiques. Thomas Day signe ici un one-shot qui ne ressemble à rien de ce que j’ai pu lire auparavant même s’il peut se revendiquer d’une parenté avec Tarantino sur sa construction visuelle. Des yakuzas qui se tirent dessus, des femmes qui s’affrontent au sabre (magique ou non), des démons et un peu de contes nippons, c’est tout cela qu’on trouve dans ce roman et davantage encore. J’ai adoré ma lecture mais j’ai conscience que ça reste un texte réservé à une niche de lecteurs tant son parti-pris est particulier.

Hanafuda – L. A. Braun

9782930839981
Hanafuda
est un récit de vie contemporain et fictif proposée par l’autrice belge L-A Braun. Publié chez Livr’s Éditions, il sera disponible dès le 15 septembre au prix de 18 euros. Je peux déjà vous dire que c’est un gros coup de cœur pour moi !
Ce livre entre dans le cadre du challenge S4F3 organisé par Albédo.
Ce livre entre également dans le Pumpkin Autumn Challenge catégorie « pomme au four, tasse de thé et bougie » pour son thème « histoire de famille ».

Je vais commencer par évoquer l’objet-livre en lui-même, que je trouve remarquable. La couverture est superbe et apporte un côté très japonais, très épuré. Le fond blanc cassé est tellement réussi qu’on a l’impression de toucher un parchemin un peu ancien. L’intérieur du livre n’est pas en reste: chaque début de chapitre comporte une citation française et sa traduction japonaise, à la verticale, et se termine par une petite illustration. Le travail réalisé par Livr’S sur ce roman est vraiment remarquable.

Hanafuda raconte l’histoire d’Hoshino, un enfant originaire du Japon qui devient orphelin à l’âge de 6 ans suite au meurtre de ses parents par des yakuzas. Adopté par les Papadakis, sa rencontre avec Mr Fukuma changera complètement sa vie. Jusqu’ici gamin de merde violent et adepte de la bagarre avec des notes plus que médiocres à l’école, il va retrouver le droit chemin… Celui du gokudo, la voie extrême.

Ce roman est un récit de vie dans l’univers des yakuzas à New York. C’est l’un des points qui le rend fictif puisque les yakuzas ne s’y sont jamais vraiment exportés: trop loin, pas suffisamment rentable, contrairement à d’autres mafias. D’ailleurs, ce point est évoqué dans le texte de manière sous-entendue lors du conflit avec un certain Monsieur X. L’intérêt du roman, c’est surtout d’exposer la culture nippone en conflit culturel avec la nôtre. Une réussite, selon moi ! Leur culture est bien détaillée et on ressent le décalage entre l’ancien monde et le nouveau. L’autrice s’est très bien renseignée sur le sujet en se basant sur des spécialistes du milieu comme Jake Adelstein qu’elle cite d’ailleurs dans les remerciements (pour rappel: Tokyo Vice et Le dernier des yakuzas que j’en profite pour vous recommander à nouveau). Vous apprendrez tout un tas d’informations intéressantes sur le sujet des yakuzas, que vous ne soupçonniez probablement pas.

Hoshino raconte son histoire depuis son enfance dans un récit à la première personne. Le jeu des temps instauré par l’autrice est plutôt bien maîtrisé et permet de passer d’un évènement à l’autre sans se sentir perdu dans la ligne temporelle du récit. Ce qui n’est pas un mal puisqu’il n’y a aucune date claire avant chaque évènement notée en haut de page ou dans un chapitre. Et ça ne m’a pas gênée du tout dans ma lecture tant c’est bien maîtrisé.

Le thème principal du récit est la quête de soi, de son identité culturelle mais aussi sexuelle. Hoshino est homosexuel, ce qui est tabou autant chez ses parents adoptifs que chez les yakuzas. Si cette thématique est présente, elle n’envahit pas pour autant le récit et ne tombe pas dans les clichés de romance qu’on retrouve trop souvent dans ce type de récit. Ici, pas de scènes crues détaillées ni de relation vraiment suivie entre deux personnages, hormis peut-être Akira, d’une certaine façon. L’autrice traite le sujet avec beaucoup de subtilité et d’intelligence, ce que j’ai su apprécier.

Le style de Laure-Anne a beaucoup évolué depuis sa trilogie Paradoxes. Ses mots immergent le lecteur dans la psyché franche d’Hoshino. Ce personnage évolue entre deux mondes, ce qui permet au lecteur de découvrir celui des yakuzas et d’y poser un regard d’occidental. Ce côté un peu vieillot hyper traditionaliste de ce milieu et les réflexions liées feront échos à celles du lecteur novice. Hoshino est un personnage attachant malgré ses nombreux défauts, ce qui le rend terriblement, tragiquement, humain. Il porte une réflexion critique, pessimiste et un peu blasée sur la société mais aussi sur ses actes. Il est entouré par plusieurs figures secondaires qui ont pourtant toutes une personnalité marquée et une existence réelle, remarquable. Monsieur Fukuda est la figure du passé, Akira ne pourra que vous charmer, les Papadakis sont terriblement humains… Bref, même si le récit se centre sur la vie d’Hoshino, il n’oublie pas ceux qui gravitent autour de lui.

Pour résumer, Hanafuda est une réussite sur tous les points. L’objet livre est très beau et soigné, la mise en page des débuts de chapitre est vraiment originale. L’histoire en elle même offre une réflexion critique sur l’humain et le monde des yakuzas réalisée par une passionnée qui maîtrise son sujet ainsi que son écriture. Ces 194 pages immergeront le lecteur dans l’âme d’Hoshino et il n’en ressortira pas indemne. Un coup de cœur que je vous recommande chaudement ! ♥

Le dernier des yakuzas – Jake Adelstein

1507130823447-9791095582236
Le dernier des yakuzas est le second livre de Jake Adelstein, journaliste américain qui a vécu la majeure partie de sa vie à Tokyo. Vous pouvez retrouver cet ouvrage chez Marchialy au prix de 21 euros. Il s’agit d’un mélange entre la biographie et le compte-rendu journalistique.

Plus tôt cette année, j’ai découvert Jake Adelstein grâce à Laure-Anne avec le livre Tokyo Vice, que j’avais adoré. J’ai tout autant aimé cet ouvrage-ci, que j’ai dévoré en quelques jours !

Le dernier des yakuzas, c’est principalement l’histoire de Saigo. À la fin de Tokyo Vice, Saigo accepte de devenir le garde du corps de Jake, qui a besoin de protection contre le Yamaguchi-Gumi suite à la publication d’un article compromettant sur Tadamasa Goto. En échange, Jake s’engage à écrire sa biographie tout en posant ses conditions: il ne compte pas embellir la vérité ou proposer un ouvrage pro yakuza, il écrira le bon comme le mauvais, une perspective qui convient à Saigo. Il commence donc à lui raconter sa vie, l’âge d’or des yakuzas, dans une grande fresque historique qui débute dans les années soixante pour aboutir à nos jours, en 2017 précisément.

Si cet ouvrage souffre de quelques soucis de traduction (via des tournures malheureuses et parfois un peu rudes qui sont, ceci dit, peut-être dues au style de l’auteur d’origine) il est d’une richesse incroyable et ravira tous ceux qui s’intéressent à la réalité du Japon moderne mais aussi à son histoire de manière plus générale. À travers 363 pages et des dizaines de chapitres courts, Jake Adelstein revient sur l’histoire des plus grands groupes criminels, les liens qu’ils entretiennent entre eux mais aussi avec la police, les politiciens et les affaires économiques. Grâce à la vie de Saigo, l’auteur nous dévoile énormément d’éléments sur les coutumes des yakuzas, des « vrais » ou qui se réclament comme tels, et j’ai trouvé cela passionnant. L’ouvrage est parsemé de diverses anecdotes qui prêteront parfois à sourire, surtout pour nous, occidentaux. Je pense notamment à la scène de la banque ou celle de l’école de police, qui tenaient du mythique.

J’ignore si le contenu de ce livre n’est pas trop romancé, trop enjolivé. J’ai envie de croire que non, parce que l’auteur est journaliste et j’ai foi en son sérieux professionnel. Peut-être que je me suis laissée manipuler par le personnage, peut-être que tout ça est bien vrai, il restera toujours un doute mais quoi qu’il en soit, le dernier des yakuzas mérite d’être lu par tous ceux qui s’intéressent un peu au Japon, à sa culture, à son histoire et qui seraient éventuellement passionnés par les groupes criminels. Les yakuzas sont à part et on les connaît bien mal… J’ai adoré chaque page de ce livre que je recommande très chaudement, de même que Tokyo Vice

Tokyo Vice – Jake Adelstein

517ZaofFxgL._SX195_

Tokyo Vice, de l’auteur et journaliste américain Jake Adelstein, est un livre à mi chemin entre le roman et le récit de vie. Il est disponible chez Points en format poche au prix de 8.40 euros et c’est un coup de cœur absolu dont je suis vraiment très heureuse de vous parler.

Jake Adelstein est journaliste, Tokyo Vice raconte l’histoire de sa vie. Voici comment on peut résumer ce livre en une seule phrase. Divisé en trois parties, Tokyo Vice est un récit riche et romancé, écrit à la première personne. Nous suivons Jake Adelstein, un juif américain, qui nous raconte son parcours depuis sa sortie de l’université japonaise où il a étudié dès ses 19 ans jusqu’au moment où des yakuzas viennent le menacer pour qu’il garde secrète une information concernant leur chef. Nous l’accompagnons dans son apprentissage de la langue japonaise et de ses subtilités, des coutumes sociales, des exigences de sa vie de journaliste et nous découvrons, souvent avec stupeur, les réalités de ce métier. A travers ses différentes affectations au sein du Yomiuri (le premier journal du pays) nous découvrons le monde criminel japonais mais également le monde judiciaire, avec ses aléas et ses sombres réalités.

Tokyo Vice ne raconte pas simplement un morceau de la vie de Jake Adelstein. C’est un témoignage romancé qui nous plonge dans la réalité du Japon moderne, que nous connaissons très mal ici en occident, au sein d’une société très différente de la nôtre et véritablement fascinante. L’auteur ne se contente pas de nous raconter ses aventures, elles servent de base pour nous permettre de découvrir les subtilités de la mentalité nippone. C’est interpellant, parfois choquant, souvent déprimant.

Plus qu’un simple témoignage, c’est un récit qui prend aux tripes. Jake est très attachant alors même qu’il n’essaie pas de se mettre en valeur (sans pour autant se dénigrer). L’auteur est impartial avec lui-même, analytique sur ses choix et ses actes. Il a écrit son livre dans une vraie posture de journaliste, avec une idée à défendre et des horreurs à dénoncer, sans pour autant tomber dans le cliché du justicier. Son style d’écriture est direct et clair, il sait comment structurer sa pensée pour nous la transmettre clairement. Immersif, instructif, éclairant, voilà ce qu’est Tokyo Vice.

C’est un ouvrage que je recommande aux futurs journalistes, je pense qu’il devrait être inscrit au programme des filières universitaires dans ce domaine parce que je l’ai trouvé vraiment édifiant. Je conseille aussi Tokyo Vice à ceux qui aiment le Japon ou qui pensent l’aimer. Je me suis rendue compte, à la lecture de ce livre, que je connaissais très mal ce pays et sa culture, qu nous parvient biaisée à travers le manga. Je suis vraiment contente que mes lacunes soient réparées ! Tokyo Vice conviendra aussi parfaitement à ceux qui sont intéressés par le crime organisé, autre que les habituels italiens et russes. C’est encore un système différent qui nous est donné de connaître à travers le travail d’investigation de Jake Adelstein et j’ai trouvé cela passionnant. Impossible de lâcher ce livre, j’en étais au point de lire en marchant dans la rue pour aller en cours. J’ai manqué de me faire écraser deux fois ! Mais ça valait la peine.

Pour résumer, Tokyo Vice est un coup de cœur que je vais très certainement relire plus d’une fois dans ma vie. Il dresse un panorama social, politique, économique et culturel du Japon comme on en voit peu. Cet ouvrage mérite d’être découvert, lisez-le absolument ♥ Moi, je vais me pencher sur le reste de la bibliographie, parce que je suis totalement sous le charme de Jake Adelstein, de sa vie, de son parcours et des histoires qu’il a encore à raconter.