Les royaumes immobiles #1 la princesse sans visage – Ariel Holzl

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Ariel Holzl est un auteur que je suis depuis sa première publication chez Mnémos bien que j’ai mis du temps à me lancer, repoussée par l’accueil critique hallucinant du premier tome des Sœurs Carmines. Cherchez ma logique… Je l’ai donc connu avec sa première saga qui a su m’enchanter et hormis pour l’exception Bpocalypse, ses romans suivants avaient tous un goût de trop peu. Des idées prometteuses pas suffisamment développées, sans doute pour des contraintes de temps, de place, ce qui rejoint un peu le débat maintes fois abordés des conditions de travail des auteur·ices profesionnel·les qui doivent faire certains choix pour vivre.

Avec ce premier tome d’une nouvelle saga (normalement en deux tomes) intitulée les Royaumes Immobiles, Ariel Holzl signe un retour en grâce sur les chapeaux de roue dans un univers qui lui convient parfaitement, tout en nuances de noir.

De quoi ça parle ? 
Pour empêcher le chaos de se répandre dans les royaumes immobiles, il faut quatre monarques : un·e par saison. Depuis trop longtemps maintenant, le roi de l’automne est mort et il devient urgent de le remplacer. Les trois reines feys restantes organisent donc le Sacre. Chaque royaume peut proposer deux candidates et une septième s’invite à la fête presque malgré elle…

Ivy est la dernière descendante -batarde- du Roi Gris, le dernier à avoir porté la Couronne de l’Automne. Elle vivait recluse jusqu’à ce qu’un certain Robin Goodfellow ne vienne la tirer de sa retraite pour la propulser au cœur d’une compétition mortelle. Pour ne rien arranger, Ivy est également porteuse d’une malédiction. Elle est une Belle à Mourir, tout qui contemple son visage sombre dans la folie qui conduit au meurtre ou au suicide. Elle doit donc se cacher sous un masque pour l’éviter, ce qui lui complique beaucoup la vie.

Une réussite sur tous les plans.
Commençons d’abord par l’évidence, à savoir la couverture. Je m’y attarde généralement peu mais j’ai rarement vu une illustration représenter aussi bien une protagoniste. Le souci du détail est impressionnant et le relief sur le masque ainsi que sur le titre rend plus que bien. Très beau boulot éditorial ! Autant sur le visuel que sur l’intérieur qui reste simple mais soigné, avec du papier issu de ressources responsables. Ça commence bien !

J’ai toujours eu une faiblesse pour les feys et tout ce qui tourne autour. Pas pour rien que ma première trilogie se déroulait en Faëry… Ariel Holzl se réapproprie ce folklore en créant un univers comme il sait si bien le faire, s’attachant aux détails et aux références. Croiser Puck dés les premières pages était déjà délicieux mais découvrir les trois autres reines (dont une certaine Titania…), leurs royaumes, les coutumes et la société cruelle des feys à travers les yeux presque trop innocents d’Ivy a été un enchantement (presque du Bel Art !).

Niveau société et coutume, on reste sur du « classique » avec des royaumes dont les souveraines sont pourtant… élues, certes par leurs consœurs mais tout de même ! Ces royaumes sont alimentés par le Glimmer, une énergie magique qui viendrait de l’Ailleurs, le monde des Rêveurs (donc des humains.) Au contraire d’eux, les feys n’ont pas d’âmes et sont nés, selon certains, de ce fameux Glimmer. Sa maîtrise et sa manipulation donne naissance au Bas Art (la magie qui agit sur le concret, le physique) et le Bel Art (la magie de l’esprit, utilisée uniquement par les sidhes). S’en suit évidemment son lot de discrimination puisque les sidhes dominent toutes les autres races que l’on rattache habituellement au « petit peuple ». On apprend au fur et à mesure que tout le monde ne se satisfait pas de son sort… Et on rappelle que l’Histoire est écrite par les vainqueurs.

Avec une maîtrise que je ne lui avais plus vu depuis les Sœurs Carmines, l’auteur distille petit à petit les éléments de son univers en trompant son lectorat et le manipulant à loisir pour l’envoyer sur de fausses pistes, ménageant efficacement son suspens jusqu’à la toute dernière phrase. Les chapitres courts, dynamiques et haletants laissent la part belle à des descriptions efficaces sans pour autant occulter l’héroïne. La narration à la troisième personne au présent inscrit dans le récit un effet d’immédiateté accrocheur qui empêche de reposer l’ouvrage une fois celui-ci ouvert. Car même si Ivy paraît bien fade en comparaison de ceux qui l’entourent (un peu comme une Merryvère, deviendra-t-elle une Tristabelle ?) la prétendante au trône évolue de manière cohérente et intéressante. Aucun élément n’est laissé sur le bas côté, que ce soit son enfance livrée à elle-même ou cette terrible malédiction qui lui refuse toute intimité tant le risque est grand, des secrets familiaux qui se révèlent petit à petit ou des actes qu’elle est amenée à commettre malgré le dégoût qu’ils lui inspirent, Ivy s’impose toute en nuances et rappelle que l’enfer est pavé de bonnes intentions…

De plus, suivre Ivy permet de découvrir l’univers de manière naturelle au sein de la fiction puisqu’elle a vécu recluse pendant la majeure partie de sa vie. Elle connait certains éléments de son monde grâce à sa bibliothèque mais il en manque une large partie, à laquelle elle se confronte à mesure que les épreuves avancent. L’idée est classique et fonctionne.

Si Ivy est la protagoniste principale, la galerie de personnages imaginée par Ariel Holzl est tout simplement saisissante et haute en couleur. Sa réinterprétation de Puck mérite le qualificatif de savoureux et tous les protagonistes croisés par Ivy disposent d’une véritable personnalité, d’une consistance solide et souvent terrible. Mention spéciale à la princesse Séline… Un exemple parmi d’autres du talent de l’auteur pour créer des protagonistes frissonnants. En cela, il exploite merveilleusement l’absence d’humanité de ses personnages, proposant des monstres au visage parfois -mais rarement- sympathique. Notez que par moment, il faudra s’accrocher pour goûter à la cruauté des feys qui chavirera probablement les cœurs sensibles.

Le mien va très bien, rassurez-vous. J’en redemande !

La conclusion de l’ombre :
Ariel Holzl place la barre (très) haut avec le premier tome de cette nouvelle duologie publiée chez Slalom. Il invite son lectorat à le suivre au royaume des Feys où il se réapproprie cette mythologie à sa sauce saupoudrée d’une bien délicieuse cruauté. On retrouve l’auteur au sommet de son art après plusieurs sorties plus faibles en terme d’exploitation d’univers et cela me réjouit. Ma seule frustration vient du fait que l’attente d’un an me paraîtra une éternité ! Mais ça ne rendra le tome 2 que meilleur, j’en suis persuadée.

Mes autres chroniques des œuvres de l’auteur : Les Sœurs Carmines (123), Fingus Mallister (12) Bpocalypse, Les Lames Vives, Temps morts.

D’autres avis : pas encore mais cela ne devrait plus tarder.

Informations éditoriales :
Les royaumes immobiles, tome 1 : la princesse sans visage par Ariel Holzl. Éditeur : Slalom. Illustration de couverture : Germain Barthélémy. Prix : 16.95 euros.

Temps mort – Ariel Holzl

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Temps mort
est un roman one-shot d’urban fantasy destiné à un public 13+ écrit par l’auteur français Ariel Holzl. Publié par Slalom, vous trouverez ce texte partout en librairie au prix de 15.95 euros.

De quoi ça parle ?
Léo, dix-sept ans, arrive à Paris après la mort de ses parents pour être pris en charge par son oncle Théobald. L’homme vit claquemuré dans un étrange manoir et semble lié à un univers alternatif, le Périmonde, sorte de négatif de la ville de Paris. Léo s’y retrouve embarqué pour essayer de sauver la seule famille qu’il lui reste.

De l’urban fantasy classique à la sauce Ariel Holzl.
Soyons clairs : Ariel Holzl ne réinvente pas ici le genre de l’urban fantasy. Vous me direz, on ne le lui demande pas et vous avez totalement raison ! Ce que je veux dire par là, c’est qu’on retrouvera des éléments classiques de ce genre littéraire comme un monde alternatif (le Périmonde), des créatures issues du bestiaire des ombres (spectres, vampires, liches, goules), un adolescent précipité dans ce monde où il aura la chance d’avoir quelqu’un pour le guider (c’est pratique ces gens altruistes (ou pas) !), des puissants qui semblent porter une attention injustifiée à cet adolescent susmentionné, bref vous voyez le tableau. Toutefois, Temps Mort possède cette « patte holzlienne » qui lui permet de se distinguer.

Ce que j’entends par là c’est que j’ai retrouvé dans ce roman ce que j’aime chez l’auteur : cette ambiance grand-guignolesque à l’esthétique résolument 19e siècle, cet excentrisme assumé qui me donne presque l’impression de lire un manga, que ce soit par la façon dont les personnages se présentent ou la manière dont ils s’affrontent. Ce n’est certes pas sa production la plus inspirée en terme de création d’univers mais le roman reste plaisant.

Quelques éléments de contexte :
Il existe un Paris alternatif appelé Périmonde, qui est une version en négatif de la capitale française. Une cinquantaine d’individus immortels y (sur)vivent, des individus appelés les ichorides parce qu’ils dévorent l’ichore (l’âme, l’essence) des personnes qui meurent dans le Paris d’En-Haut. Ces ichorides sont répartis en quatre maisons : Léthé pour les liches qui façonnent les os, Cocyte pour les goules qui façonnent la chair, Achéron pour les vampires qui corrompent le sang et enfin Styx pour les spectres liés à l’âme. Chaque maison est dirigée par un dynaste, généralement l’ichoride le plus ancien et / ou le plus puissant. Mourir dans le Périmonde n’est pas très grave car à chaque fin de cycle, le Glas sonne et le Périmonde est en quelque sorte réinitialisé, ce qui permet aux personnes décédées de revenir comme avant, si toutefois personne n’a volé leur précieux ichor. Il existe bien entendu des lois pour empêcher cela mais c’est bien l’une des seules règles de cet univers où la quasi absence de trépas définitif rend les habitants plutôt extrêmes dans leurs interactions sociales (c’est la façon polie de dire que ce sont de grands tarés meurtriers.)

Sur le papier, l’univers est prometteur mais voilà : au contraire des Sœurs Carmines où Ariel Holzl a pu développer de petits détails amusants et évocateurs ainsi que des personnages iconiques sur trois tomes, il signe ici un one-shot où les idées sont présentes, tout comme le potentiel, mais où il n’y a décidément pas assez de pages pour m’empêcher de rester sur ma faim. Car si Léo (sur lequel je vais revenir) est très réussi, tout/es celles et ceux qui gravitent autour sont à peine esquissé/es au point de devenir des éléments de décor alors que, damned, rien que les Dynastes ont un potentiel de malade ! Et je ne dis pas ça parce que j’ai -évidemment- (quoi, t’es surpris/e, really ?) craqué sur le personnage de Monsieur.

Bref, c’est justement parce que les idées me plaisent que je ressors frustrée de ma lecture : j’en voudrais davantage.

Léo, protagoniste principal et narrateur.
Il existe des centaines, peut-être des milliers de roman qui sont racontés par leur protagoniste principal a posteriori, sous forme d’un journal très (trop ?) détaillé où, finalement, ce personnage devient romancier même s’il s’en défend à grands cris. Ariel Holzl fait le même choix ici avec un récit à la première personne, du point de vue de Léo. Là où l’auteur se montre original, c’est qu’il justifie l’existence de ce texte, de ce journal, d’une manière qui me semble assez solide par rapport aux standards habituels.

En effet, Léo souffre de la maladie de Huntington. En quelques mots, il s’agit d’une maladie neurodégénérative qui affecte les fonctions motrices, cognitives et émotionnelles. Ce n’est pas la première fois que je la croise dans la fiction (comment oublier Numéro 13 ?) et l’auteur la représente assez bien ici, avec les conséquences que cela a sur la vie de Léo. C’est d’ailleurs pour cela que l’adolescent écrit de manière détaillée son premier contact avec le Périmonde. Il s’adresse à son lui du futur, sans savoir si un traitement sera entre temps trouvé, s’il va oublier ce qui lui est arrivé ou non. Il écrit « au cas où » il oublierait et devrait se rappeler de tout ce qui concerne ce Paris alternatif, pour différentes raisons que vous découvrirez au fil du roman.

La conclusion de l’ombre :
Temps mort est un récit très holzlien avec tout ce que ce qualificatif comporte de compliments. Une urban fantasy certes classique mais à l’esthétique grand-guignolesque assumée qui la transforme en chouette moment de lecture en compagnie de Léo. Pourtant, je reste sur ma faim car ce texte fourmille d’excellentes idées qui ne sont pas suffisamment exploitées. Je me demande si l’auteur y reviendra un jour ou non. Quoi qu’il en soit, je continuerai à suivre ses publications.

D’autres avis : YuyineZoé prend la plume – vous ?

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#S4F3s7 : 11e lecture