That’s a long way to hell est un one-shot écrit par l’autrice française Marianne Stern. Publié chez Livr’s Éditions dans la collection Névroses, vous trouverez ce roman au prix de 18 euros.
De quoi ça parle ?
Néoberlin, 2064, sous le régime communiste. Quelques années auparavant, un échange de bombes avec les États-Unis a effacé le reste du monde (selon la propagande en vigueur) de la carte. Hans vit dans les faubourgs et a un rêve : monter un groupe de metal qui jouera sur la Place Rouge à Moscou. Il va tout donner, tout sacrifier, pour l’accomplir. Enfin, si les fantômes le laissent faire…
Une uchronie fantastique ou une dystopie post apocalyptique ?
Jouons un peu sur les genres, sans chercher toutefois à égaler le Grand Serpent dans ce domaine. L’univers de fond créé par Marianne Stern n’est pas le point central du roman. Il est rapidement brossé dans le premier chapitre, quand Hans réfléchit à sa situation et qu’il montre à son meilleur ami un vinyle « de l’ancien monde » retrouvé aux puces. On apprend ainsi que l’action se déroule à Néoberlin, qui se situe dans ce que nous pouvons identifier comme l’Allemagne. Le Parti dirige le pays, nous sommes donc bien en plein régime communiste en partant du principe que la Russie a gagné la Guerre Froide, qui n’a pas vraiment eu le temps de durer. On peut donc parler d’uchronie puisque la modification historique se situe avant notre époque (en 1964 avec cette fameuse bombe). Mais si j’évoque la dystopie post apocalyptique, c’est pour deux raisons. La première, c’est pour sa définition stricto sensu. Une dystopie évoque une utopie sombre qui dépeint une société où les gens ne peuvent pas atteindre le bonheur. C’est un peu le cas dans ces faubourgs insalubres où vit Hans, qu’on tente de faire entrer dans le moule des gentils petits russes qui travaillent d’arrache-pied pour le bien de la société. Hans ne veut pas se tuer à l’usine comme Max. Il a un rêve, un rêve difficile à atteindre au point qu’il va lentement glisser vers le cauchemar. Enfin, je parle de post-apocalyptique parce qu’il semble que la société en tant que telle ne survive que sur une infime partie du Bloc de l’Est. On ignore tout de ce qui se passe ailleurs. À l’horizon, on ne voit que le no man’s land, réputé hanté. Tout qui s’y aventure n’en revient jamais et on repêche souvent son cadavre quelques jours plus tard. L’aspect surnaturel se situe ici et on s’interroge longtemps : sont-ce des superstitions? Hans perd-il la tête ? Délires tenant au psychiatrique ou à la trop grosse prise de drogue ? Le mystère plane et son classement dans la collection Névroses est extrêmement judicieux. Il permet de conserver le suspens jusqu’au bout.
Voilà pour le fond du roman. Personnellement en tant que lectrice, je n’ai à aucun moment ressenti le besoin d’en apprendre davantage. Marianne Stern donne les informations basiques de manière rapide, ce qui frustrera peut-être les accrocs aux univers approfondis mais ce n’est pas du tout le but de ce roman davantage axé sur la psychologie, la musique et les personnalités / relations toxiques.
De Hans à Richard, l’anti-héros par excellence.
That’s a long way to hell est écrit à la première personne au présent, ce qui nous offre une plongée dans la psyché de son personnage principal : Hans Schmidt qui deviendra Richard Sarakin en choisissant son nom de scène. Jeune adulte qui croit à fond dans ses rêves, il déteste la perspective de travailler en usine toute sa vie et rejette toute forme de contrainte. Le roman commence quand sa mère le met dehors après avoir découvert sa dope dans sa chambre. Sans se démonter, Hans va vivre chez Max, son meilleur ami, tel le bon parasite qu’il est parce qu’évidemment, il n’a pas une tune. Hans est un connard, n’y allons pas par quatre chemins. Il a un ego monstrueux, est vaniteux, exigeant envers les autres autant qu’envers lui-même. Il se donne à fond pour son projet au point de pourrir l’existence de ceux qui gravitent autour de lui. Pour ne rien arranger, le lectorat le vomira volontiers pour son comportement envers les femmes. Sa mère, déjà, Ana, dont il cherche l’amour à tout prix et qu’il n’hésite pas à insulter par frustration en se montrant carrément affreux. Sa copine aussi, Tania, avec qui il adopte un comportement de véritable enfoiré jusqu’à se mettre à lui taper dessus quand elle le contrarie. Ses accès de violence, il les justifie par la prise d’alcool et de drogue mais surtout par les actes de Tania qu’il qualifie très souvent d’emmerdeuse. Pour ne rien arranger, notre personnage principal souffre de plusieurs addictions qui lui rongent le corps autant que l’esprit.
Un connard, donc, il n’y a même pas à tortiller. Un type immonde et infect. Pourtant, Marianne Stern réussit l’exploit de provoquer chez son lecteur quelques étincelles de compassion à certains moments. Un sentiment qui dérange, parce qu’on n’a pas envie d’apprécier Hans / Richard malgré son génie, son talent musical. Et pourtant… Un anti-héros aussi maîtrisé que méprisable. Il fallait l’oser ! À mon sens, il est nécessaire de savoir où on met les pieds avec ce roman avant de l’entamer pour ne pas bloquer sur les éléments évoqués plus haut et que je vais encore m’employer à développer dans un paragraphe dédié.
Sexe, drogue et rock’n’roll.
That’s a long way to hell est clairement et avant toute autre chose, un roman musical qui exploite la culture metal underground avec tout ce qu’elle a d’excitant mais aussi de moche. Hans est un passionné, il vomit sur la musique imposée par les ruskis et se débrouille pour dénicher de vieux vinyles de groupes emblématiques pour apprendre et s’en inspirer. Les passages sur scènes dégagent une puissance qui fera vibrer les passionnés. On sent que l’autrice adore ce sujet et elle nous transmet brillamment sa passion.
Mais il n’y a pas que la musique, dans ce roman. Il y a tout le package qui va avec la formation d’un groupe. J’ai déjà parlé des addictions d’Hans mais il n’est pas le seul à boire, à fumer ou à considérer les filles comme des objets. Ces états seconds participent à l’ambiance générale du texte que l’autrice retranscrit très bien. On s’immerge volontiers dans le quotidien des Guns of Berlin et on les suit avec une fascination morbide en attendant l’instant où tout va exploser. Parce que oui, Hans a trouvé son équivalent en matière d’ego au moment où il a recruté Alex, le guitariste ! Il se pose là aussi dans le genre connard. Seuls Max et Tomas sont un peu plus posés. Le premier par amitié même si la coupe se remplit petit à petit. Le second par un tempérament plus doux. L’alchimie fonctionne bien dans le désaccordement de ces personnalités.
La représentation féminine.
Je ne peux pas ignorer cette thématique, surtout en cette période où fleurissent de nombreux articles très intéressants sur le sujet (j’en profite pour vous inviter à lire le billet de Planète Diversité !). J’ai tendance à penser que Marianne Stern représente mieux les personnages masculins que féminins dans le sens où elle maîtrise mieux leur psychologie (notez que je n’ai pas encore lu son dernier roman, Tu es belle Apolline, où l’héroïne est une femme. Mon opinion à ce sujet est donc amenée à évoluer). Ici, deux femmes sortent du lot. Ana, surnommée la Reine Mère par Hans, qui déteste son enfant depuis sa naissance, sans doute parce qu’il lui rappelle cet homme dont elle était folle et qui l’a abandonnée enceinte. J’évite de nuancer pour ne rien divulgâcher mais c’est l’impression qu’elle dégage pendant une grande partie du texte et même après certaines révélations, on ne eut s’empêcher de relever un certain paradoxe autour de cette notion d’amour maternel. Ana n’a jamais aimé que cet homme et se laisse mourir à petit feu depuis son départ. Elle apparaît assez souvent dans différents échanges avec son fils et j’ai trouvé leur relation vraiment passionnante en plus d’être terriblement toxique.
Quant à Tania, c’est à la base une jeune femme qui travaille dans un club à hôtesse et qui souffre visiblement d’anorexie. Elle y a rencontré Hans et est amoureuse de lui au point de finalement aller vivre à ses côtés dans l’appartement de Max. Toute femme qui lira That’s a long way to hell se demandera probablement pourquoi Tania s’obstine dans cette relation toxique magistralement mise en scène. C’est énervant, dérangeant, on a envie de rentrer dans le texte pour la gifler et j’en arrivais à avoir du mal à ressentir de l’empathie pour elle, alors que c’est la victime. Clairement, la représentation de la femme en prend un coup.
Mais…
Parce que oui, y’a un mais. Déjà, souvenez-vous, le roman se passe dans un univers uchronique sous régime politique communiste. Arrêtez moi si je me trompe mais je n’ai pas spécialement le sentiment que la femme est super bien considérée dans le Bloc de l’Est, peu importe que cent ans se soient écoulés. On peut se montrer tatillon en disant que l’autrice aurait pu justement changer mais mais ce n’est pas le propos de son roman. Ensuite, il est nécessaire d’avouer et d’accepter que des personnes comme Tania existent dans la réalité. C’est une victime défoncée par la vie, dépendante affective, anorexique, souffrant probablement d’autres troubles mentaux, bref c’est un personnage crédible qu’on pourrait -malheureusement- croiser dans nos vies. Enfin, tout est raconté et vécu du point de vue de Hans ce qui empêche les nuances puisque lui-même en manque, sauf quand il s’agit de musique. Je pense que c’est important de l’avoir à l’esprit en commençant ce roman. Enfin, ce n’est pas le sujet central de That’s a long way to hell qui se veut un roman musical, métalleux, qui suinte l’alcool et la drogue. On adhère ou pas, ça n’enlève rien à la qualité du texte. Personnellement, en tant que femme, je ne ressens pas systématiquement le besoin dans mes lectures de croiser des personnages féminins forts ou qui sortent du lot. J’avais déjà eu une réflexion semblable dans ma chronique sur Wyld. Le roman tient les promesses faites par la quatrième de couverture, c’est ce que je voulais lire, ça me suffit. Mais je sais que ça va déranger certain(e)s lecteur(ices) donc je me dois de préciser tout ça et de mettre en garde.
La conclusion de l’ombre :
That’s a long way to hell est un one-shot plutôt réussi qui pose une ambiance metal, drogue et décadence à l’ancienne mode. Porté par un anti-héros qu’on adore détester, le texte se place à la frontière des genres : surnaturel ou pas ? Vous le découvrirez en achevant sa lecture. Orienté autour de la psychologie des personnages et les relations toxiques, ce texte provocateur fera grincer des dents mais on le lit justement pour cette raison. J’ai beaucoup aimé et je ne peux que le recommander chaudement.