L’Homme qui peignit le dragon Griaule – Lucius Shepard

11
L’Homme qui peignit le dragon Griaule
est la première nouvelle du recueil le Dragon Griaule écrit par l’auteur américain Lucius Shepard. Publié par le Bélial dans une très belle édition illustrée par Nicolas Fructus, vous trouverez ce texte au prix de 25 euros. Sachez qu’il existe également au format poche chez J’ai Lu au prix de 9.90 euros et que la nouvelle dont il est question ici est disponible à l’unité en numérique.

J’ai déjà lu deux novellas de l’auteur (Les attracteurs de Rose Street & Abimagique) chez le même éditeur dans la collection Une Heure Lumière, deux réussites quoi que déconcertantes. Le résumé de Griaule avait tout pour me séduire, pourtant une petite voix me soufflait que ça allait coincer… Du coup, j’ai opté pour la version poche et j’ai été bien inspirée.

J’insiste tout de suite, nous sommes face à un combo mauvaise période de lecture + style d’écriture qui ne m’a pas emballée, raison pour laquelle je parle quand même du premier texte lu (j’ai arrêté à la moitié du second). Et j’avoue, un peu pour valider une lecture Maki 🙂

De quoi ça parle ?
Le dragon Griaule est une entité maléfique gigantesque (deux kilomètres si ma mémoire est bonne) figée par un sortilège mais toujours vivant, qui étend petit à petit sa mauvaise influence sur les villages alentours. Dans cette nouvelle, un homme se propose de peindre Griaule et de l’empoisonner du même coup par ce biais, réalisant à la fois une œuvre d’art et un assassinat très lent.

Mon sentiment
Ce texte sert clairement d’introduction à l’univers. D’abord sur un plan visuel puisque le peintre va arpenter Griaule un bon moment pour prendre conscience de ses dimensions, découvrir la faune et la flore qui vit autour de lui, imaginer les infrastructures à mettre en place pour mener son projet à bien. Les descriptions foisonnent ici et vous le savez, ce n’est pas ce que je préfère. J’ai eu un peu de mal à rentrer dedans toutefois face à l’enthousiasme général de la blogo, j’ai persévéré.

Ensuite, le temps passe au sein de la diégèse. Le grand ouvrage dure très -très- longtemps et le chantier connaît son lot de drames. Petit à petit, une atmosphère sombre s’installe, un début de folie, de désespoir humain que les protagonistes justifient par l’influence de Griaule mais… est-ce vraiment le cas ? Selon moi Lucius Shepard joue subtilement avec l’idée que tout acte néfaste est justifié par la présence du dragon alors que ça pourrait aussi bien venir d’une pulsion bassement humaine. Ce concept se ressent au long de cette petite soixantaine de pages (au format poche) et est bien dosé par l’auteur.

Pourtant… Voilà, une fois arrivée à la fin, j’ai eu l’impression d’avoir fait le tour. C’était sympa mais pas ce que j’attendais, en plus d’avoir ressenti quelques longueurs hyper pénibles. Je n’ai pas spécialement eu envie de continuer ma découverte du recueil toutefois je suis l’une des seules (avec Xapur si je ne me trompe) à ne pas avoir été plus enchantée que ça par ma découverte. Je vous recommande donc de croiser mon sentiment avec celui des blogpotes renseignés ci-dessous et de décider par vous-même si Griaule étendra sa néfaste influence sur vous !

D’autres avis : Au pays des cave trollsBaroonaLe dragon galactiqueRSF BlogLorkhanLe chien critiqueNevertwhere Xapur – vous ?

Maki

Les attracteurs de Rose Street – Lucius Shepard

9
Les attracteurs de Rose Street
est une novella fantastique écrite par l’auteur américain Lucius Shepard. Publiée dans la collection Une Heure Lumière aux éditions du Bélial, vous trouverez ce texte partout en librairie au prix de 9.90 euros.

Londres, 19e siècle. Samuel Prothero est un jeune aliéniste qui fait ses premiers pas dans la Société des Inventeurs. Il rencontre par ce biais Jeffrey Richmond, inventeur lui aussi qui souffre d’une très mauvaise réputation et subit la loi du silence chaque fois qu’il se rend au club. Un soir, Jeffrey aborde Samuel en rue pour lui proposer un travail d’un jour ou deux dans sa maison de Rose Street. Pour ce service, Jeffrey est prêt à payer le double du tarif habituel de l’aliéniste qui le suit, poussé par la curiosité. C’est alors que Samuel découvre l’existence des fantômes et plus particulièrement celui de Christine, la sœur de Jeffrey…

Les attracteurs de Rose Street est un texte narré à la première personne dans un style très 19e en Angleterre: une forme de journal, de compte-rendu faussement romancé d’un témoin privilégié d’évènements surprenants. Ce n’est pas sans rappeler les habitudes d’auteurs comme Conan Doyle et je trouve que le sujet, ainsi que l’époque, s’y prêtent très bien. Le narrateur est donc Samuel Prothero, auquel on s’attache rapidement grâce à son traitement terriblement humain. On le suit donc avec plaisir dans ses découvertes des mystères de Rose Street.

Il apparaît que Christine, la sœur de Jeffrey, a été assassinée et que celui-ci cherche à débusquer le coupable. Jeffrey exerce la profession d’inventeur : il a mis au point des machines supposées attirer les particules néfastes qui planent sur Londres afin de purifier l’air. D’une manière assez étrange, ses machines attirent plutôt des fantômes, des esprits, des reliquats d’âmes, on ne sait pas très bien. Comme il s’est installé dans l’ancienne maison de sa sœur, celle-ci revient à de nombreuses reprises, condamnée à rejouer des scènes du passé allant de son meurtre à d’autres activités bien plus suggestives. Parce que Christine tenait visiblement une maison de passe et ça ne plait pas trop à Jeffrey…

J’avais déjà fait connaissance avec l’auteur en lisant sa novella Abimagique et j’ai trouvé certaines similitudes entre les deux textes, surtout dans l’ambiance et l’atmosphère qui s’en dégage. À nouveau, Lucius Shepard ne cherche pas à donner une explication aux phénomènes surnaturels qu’il met en scène car Samuel, chargé de les étudier, a l’esprit ailleurs à cause de la belle Jane. Jane est une ancienne employée de Christine qui se montre étrangement fidèle à Jeffrey. Elle prend de plus en plus de place dans les pensées et le cœur de notre héros si bien qu’il se détourne de sa mission et met trop longtemps à comprendre des éléments évidents pour le lecteur. Si je n’ai pas été surprise par la plupart des rebondissements de l’intrigue, je n’en ai pas moins apprécié ma lecture.

Et c’est en grande partie grâce aux personnages évoqués plus haut mais également à l’atmosphère sombre, étouffante, qui se dégage de cette novella. Lucius Shepard use de descriptions précises, courtes et efficaces qui immergent le lecteur sans lui laisser la possibilité de refermer ce texte avant de l’avoir terminé. La première qui m’a marquée est sans conteste celle du quartier où se trouve la maison de Richmond. On approche du génie. Lucius Shepard nous transmet les expériences et les sentiments de Samuel avec brio. Il use de ce même talent pour nous peindre une galerie de protagonistes qui, s’ils entrent dans des archétypes, n’en restent pas moins intéressants dans l’expression de leurs passions qui frise parfois la folie. À cet égard, Jeffrey Richmond est pour moi une délicieuse réussite.

Comme je l’ai dit, l’intrigue ne m’a pas véritablement surprise dans son déroulement. Par contre, j’ai apprécié les choix finaux de l’auteur tant pour Samuel que pour Jeffrey.

Pour résumer, les attracteurs de Rose Street est une novella fantastique très agréable à lire. Elle prend pour cadre le Londres du 19e siècle, étouffant et sombre, pour proposer une histoire de fantômes à l’atmosphère maîtrisée et aux personnages fascinants. Si l’intrigue reste, à mon goût, assez classique, Lucius Shepard offre tout de même une fin très satisfaisante. Je vous recommande volontiers ce texte qui s’ajoute au palmarès des réussites dans la collection Une Heure Lumière !

Abimagique – Lucius Shepard

6
Abimagique
est une novella fantastique écrite par l’auteur américain Lucius Shepard. Publié dans la collection Une Heure Lumière au Bélial, vous trouverez ce texte au prix de 8.90 euros partout en librairie.

Écrit à la deuxième personne du singulier, Abimagique narre l’histoire d’un protagoniste masculin dont on ne connait jamais le prénom (il se fait appeler Carl une fois mais on sait qu’il ne s’agit pas de son identité réelle) qui rencontre une fille mystérieuse dans un café. Abi, pour le diminutif d’Abimagique, devient finalement sa petite amie et l’initie au sexe tantrique ainsi qu’à d’autres domaines un peu malgré lui. Ce texte, même s’il porte le prénom de l’héroïne, parle surtout, à mon sens, de cet anti-héros victime des évènements, à qui on n’explique rien et qui ne comprend pas grand chose.

La postface donne un éclairage assez intéressant sur le texte. On y apprend que Lucius Shepard a réellement rencontré un jour une fille qui ressemble à Abi dans un café et que ça l’a poussé à écrire le début de cette histoire sur son ordi pour la reprendre plus tard. Mais le plus intéressant pour moi, c’est son affirmation selon laquelle les êtres humains ne sont pas doués pour comprendre ce qui se passe autour d’eux. Trop souvent dans les romans, je trouve les protagonistes un poil trop clairvoyant, trop intelligent. Ici, notre homme est paumé du début à la fin, autant que le lecteur. Au départ, il vit sa relation sans trop se poser de questions jusqu’à ce qu’un homme dénommé Reiner vienne le mettre en garde. Il ne le croit pas mais la graine du doute se plante en lui, il commence à cauchemarder, ce qui va lui donner envie d’en apprendre plus sur les mystères enveloppant Abi. Ce protagoniste suit une évolution très cohérente, très humaine, je n’ai eu aucun mal à me reconnaître en lui.

Sachez que les mystères resteront présents jusqu’à la fin. Si vous aimez les textes où l’auteur vous prend par la main en vous donnant convenablement toutes les clés pour comprendre ce que vous venez de lire, alors passez votre chemin. Lucius Shepard balade son lecteur en le laissant aussi paumé que son héros et au fond, ça constitue autant le charme de ce roman que celui du genre fantastique au sens premier du terme. J’ai adoré cette véritable expérience littéraire.

L’originalité du livre se situe aussi dans sa narration et dans la rythmique du texte. J’ignore ce que ça donne en anglais mais la traduction française me parait de qualité (pour info, elle vient de Jean-Daniel Brèque). Je ne me rappelle pas avoir un jour lu un roman à la deuxième personne du singulier, c’est une façon d’écrire que je connais uniquement par certains joueurs de JDR sur forum du coup j’ai été ravie qu’un auteur connu s’y essaie et j’espère que ce style va se démocratiser. Il y a des textes qui rendraient très bien avec cette façon de narrer.

Pour résumer, Abimagique est un roman qui porte bien son titre car il emporte le lecteur dans une aventure fantastique au sens classique du terme. Avec sa narration à la deuxième personne et son héroïne mystérieuse, Lucius Shepard retourne nos habitudes en donnant la part belle à un personnage féminin et en acceptant que son héros se retrouve paumé, sans réponses à ses questions ni aux nôtres. Toute une expérience, une fois de plus, au sein de cette brillante collection. Une belle découverte que je recommande à ceux qui souhaitent se dépayser !