Les Seigneurs de Bohen – Estelle Faye

Couv_plat_pariZ_DEF
Les Seigneurs de Bohen
est un one-shot écrit par l’auteure française Estelle Faye et publié aux éditions Critic au prix de 25 euros. Pavé de quasi 600 pages (591 si on se veut précis), il se classe dans le genre dark fantasy.

J’ai beaucoup à dire sur cette lecture et je pense que ma chronique paraîtra décousue puisque je vais la commencer en répondant à certains commentaires que j’ai pu lire. Par avance, je m’en excuse.

Je ne savais pas quoi penser de ce livre. Au départ, il me tentait énormément mais j’ai lu des critiques assez mauvaises qui m’ont fait hésiter à dépenser 25 euros pour l’acquérir. Sans compter que ça allait à l’encontre de mes bonnes résolutions en la matière. Laure-Anne l’a acheté à Livre Paris l’année dernière et me l’a prêtée après sa lecture, totalement séduite. Il est resté dans ma PAL un petit moment et j’ai profité du Printemps de l’Imaginaire Francophone pour l’en sortir. Comme souvent quand ça m’arrive d’hésiter sur un roman, de repousser sa découverte, j’ai eu une excellente surprise et je tombe des nues en relisant aujourd’hui les critiques négatives sur Babelio.

Estelle Faye propose un roman qui sort des sentiers battus et je pense que le premier problème (enfin la première qualité à mes yeux) se situe ici pour ses détracteurs. Quand je parle de sentiers battus, je songe à la forme narrative (peu crédible vu le nombre de détails racontés par Ioulia, certes, toutefois ça reste le jeu) mais aussi à la manière dont elle s’investit dans ses personnages, dans les relations qu’ils entretiennent entre eux. Beaucoup de lecteurs ont l’air de penser que la fantasy signifie forcément des combats épiques, du sang et des tripes, surtout pas trop de relations personnelles. Soit, chacun son point de vue, mais je trouve justement l’équilibre trouvé par l’auteure plutôt intéressant.

Si le début paraît lent, le temps de poser l’intrigue et les personnages, le lecteur s’attache rapidement aux protagonistes du récit qui sont des gens de rien pour la plupart. Bâtard, mercenaire, morguenne, sorcier, innocent injustement condamné… Des figures qui prennent vie sous nos yeux et nous emportent dans un récit haletant. L’auteure nous envoûte et nous nous attachons à chacun d’eux, qui s’éloignent des clichés du chevalier en armure ou du grand vilain sorcier. Le manichéisme est banni de ce récit et Estelle Faye nous torture avec un suspens maîtrisé. Si on s’attend à certains évènements, au final, ils n’arrivent jamais comme on le croit ni quand on l’anticipe. Ce n’est pas comparable à du Glen Cook ou du Joe Abercrombie (aaaaah, les maladresses éditoriales), certes, mais il n’empêche que les Seigneurs de Bohen se classe parmi la fine fleur de la fantasy française.

Et pourquoi? Simplement parce qu’Estelle Faye OSE. Elle ose ne pas se contenter d’une simple histoire de révolution d’un peuple contre un Empire décadent, schéma standard et Ô combien usé. Elle nous emmène dans le quotidien de différents personnages, n’hésite pas à se jouer de ce que certains considèrent comme de la déviance. J’ai lu un commentaire dans ce sens et je pose la question: pourquoi, en fantasy comme en dark fantasy, on ne pourrait pas retrouver un couple gay et vivre leur romance (enfin, romance, nuançons un peu parce que ça paraît cul-cul dit comme ça) qui n’entache pas du tout la bonne marche de l’intrigue? Et c’est une anti romance qui vous le dit… Pourquoi relever leur homosexualité comme un reproche alors que si ç’avait été juste un homme et une femme, personne n’aurait rien dit? La position d’Estelle Faye sur la sexualité de ses personnages et la manière dont elle la traite est justement, à mes yeux, l’une des forces de ce roman. L’un de ses points forts et positifs.

Certes, l’auteure prend son temps pour tracer une fresque complexe dont la trame se dénoue finalement. Certains reprochent la facilité scénaristique et oui, peut-être que certains détails interpellent… Si on essaie d’analyser ce récit avec des valeurs du 21e siècle, des codes purement occidentaux (parce que non, dans un univers moyenâgeux, les gens ne pensent pas comme nous. Incroyable pas vrai?) et une bonne dose de culturocentrisme. Ma politique anti-spoiler m’empêche, hélas, de développer davantage ce sujet mais quand on se donne la peine de rester dans la diégèse des Seigneurs de Bohen pour analyser le contenu du livre, je n’y trouve rien d’absurde. Hormis, évidemment, l’absurdité humaine en elle-même. Et ça aussi, j’ai adoré.

Si j’ai, au départ, eu du mal à me lancer dans ce roman, force est de constater que j’ai dévoré les deux tiers en l’espace d’un week-end, totalement embarquée dans l’intrigue, passionnée par Sorenz et Sainte-Étoile (♥), par Wens et Janosh, par Maëve aussi (surtout vers la fin). J’ai parfois ressenti de la frustration quand l’auteure changeait de point de vue, de manière très éphémère, pour nous montrer ce qui se passait à un endroit ou à un autre de l’Empire, quand elle multipliait parfois les personnages qui me parlaient moins, mais après coup, je me rends compte que ç’avait systématiquement une utilité. Et là où certains voient des facilités scénaristiques, je constate simplement un souci de réalisme. Un plan ourdit depuis dix ans peut s’écrouler en un claquement de doigt, au détour d’une mauvaise rencontre. On peut changer ses décisions de vie sous la simple impulsion de la passion. C’est ce qui rend ce récit si intense, finalement. Si humain.

L’intrigue, les personnages, j’en oublie presque l’écriture. Le style de l’auteur est marquant. Il sonne juste, chaque phrase paraît travaillée. Les descriptions sont bien dosées, sans réelle longueur. Estelle Faye possède ce que j’appelle la magie des mots, cette capacité à captiver au-delà du raisonnable et à dépeindre son univers captivant, riche, sombre et macabre.

Le tout, finalement, avec un message de liberté, d’espoir, l’importance de rester fidèle à soi-même, qui transparait malgré le côté sombre du récit. Doublé par une tendance un brin fataliste, aussi, mais diablement intelligente et cultivée. L’historienne en moi a apprécié les références à l’imprimerie, l’ode au pouvoir des livres, ainsi que l’exploitation de la mythologie slave à travers un bestiaire complet et des mythes passionnants.

Je pourrai parler des heures des Seigneurs de Bohen, je crois que cela se ressent et que ma chronique commence à être un peu longue. Ce roman fut un véritable coup de cœur, un coup de poing même, qui réussit à me guérir de ma panne de lecture et de la lassitude littéraire que je traine depuis un mois. Je tiens à remercier Estelle Faye pour cet incroyable voyage, merci pour les larmes versées au début de l’épilogue (♥), merci, vraiment ! J’attends avec impatience de la rencontrer aux Imaginales et de la découvrir sur un nouveau titre car je compte bien continuer à explorer sa bibliographie.
Oh et si ce n’était pas clair… LISEZ LES SEIGNEURS DE BOHEN ! ♥