Conclure une saga n’a rien de facile, surtout une saga de qualité car les attentes du lectorat seront forcément élevées. Avec les deux premiers tomes de la Maison des Jeux, Claire North avait placé la barre très haut et si j’ai, dans l’ensemble, apprécié cette lecture, il m’a manqué un petit quelque chose pour utiliser le qualificatif de coup de cœur, comme ce fut le cas pour le premier tome.
De quoi ça parle ?
Voilà deux volumes que le mystérieux Argent apparait au bon moment pour sortir nos protagonistes de la mouise et récolter, du même coup, un service à lui rendre dans un futur plus ou moins proche. Depuis des siècles, Argent est un joueur et il accumule les faveurs comme les pions en vue de ce jour, qui est enfin arrivé : en 2018, il défie la Maîtresse des Jeux dans une partie d’échec grandeur nature. Leur plateau ? Le monde. Leurs limites ? Et bien… aucune.
Nous ne sommes que des pions.
C’est le sentiment qui a dominé toute ma lecture. La narration du point de vue d’Argent (qui a en fait toujours été le narrateur, si j’ai bien compris) nous montre avec quel détachement il considère des vies humaines, des institutions, des sociétés toutes entières et souligne la facilité avec laquelle les puissants sacrifient ce qu’ils ne voient pas réellement. Obsédé par son objectif de vaincre la Maîtresse des Jeux, il ne reculera devant rien pour y parvenir, tout comme elle, donnant l’impression d’assister à un duel entre deux adolescents obstinés, chacun refusant de considérer le point de vue de l’autre. Ça en devient absurde, incompréhensible, de constater avec quelle facilité des institutions, des vies, peuvent s’écrouler en un claquement de doigts. Le texte se transforme alors une parfaite illustration de l’effet papillon sauf qu’au lieu de jolis insectes aux ailes colorées, on a deux joueurs qui se prennent pour des dieux en oubliant tout sens commun.
Ainsi s’enchainent les coups dans une traque à travers le monde. Cela devient vite peu lassant car il y a trop d’évènements qui paraissent trop énormes et sur lesquels on s’arrête trop peu. Même si ce n’est pas le propos, j’en ai retiré une sensation de tournis et de malaise désagréable. Au cas où nous aurions oublié notre insignifiance dans l’univers, Claire North s’emploie à nous la rappeler…
Hélas, quand la fin arrive, elle tire en longueur dans un échange qui n’a fait que renforcer mon sentiment initial d’observer la dispute immature de deux ados frustrés qui se pensent animés de beaux sentiments alors qu’il n’en est rien, il n’y a que de l’ego mal placé. Les siècles et l’obsession du jeu ont apparemment fait régresser les protagonistes et au lieu de sagesse, il ne leur reste que mensonges, faux semblants et obsessions diverses. D’ailleurs, je parle de fin mais il s’agit d’une fin ouverte. Je n’ai rien contre sauf qu’ici, à mon sens, refuser de donner le dénouement dénote un manque d’engagement clair dans le propos de l’autrice et ça me déçoit. J’aurais préféré qu’elle assume jusqu’au bout l’aspect désabusé de la chose.
La conclusion de l’ombre :
L’enthousiasme semble unanime et ardent sur la blogosphère. Peut-être suis-je passée à côté d’une clé de compréhension (ça m’apprendra à lire en étant malade !), peut-être l’époque moderne me lasse-t-elle profondément ou peut-être le seul jeu fait pour moi était-il celui de Thene. Je ne regrette toutefois pas ma lecture car la plume de Claire North reste rythmée et délicieuse au point qu’il est difficile de reposer l’ouvrage une fois entamé. Pour ne rien gâcher, il se dégage du Maître un désenchantement, une mélancolie et une forme de cruauté qui me plaisent. La Maison des Jeux reste une très bonne saga, j’attendais simplement une autre conclusion.
D’autres avis : Outrelivres – La Lutine – Yuyine – L’épaule d’Orion – vous ?
Les autres romans de l’autrice sur le blog : Le Serpent – Le Voleur –