La Maison des Jeux #3 le Maître – Claire North

Conclure une saga n’a rien de facile, surtout une saga de qualité car les attentes du lectorat seront forcément élevées. Avec les deux premiers tomes de la Maison des Jeux, Claire North avait placé la barre très haut et si j’ai, dans l’ensemble, apprécié cette lecture, il m’a manqué un petit quelque chose pour utiliser le qualificatif de coup de cœur, comme ce fut le cas pour le premier tome.

De quoi ça parle ?
Voilà deux volumes que le mystérieux Argent apparait au bon moment pour sortir nos protagonistes de la mouise et récolter, du même coup, un service à lui rendre dans un futur plus ou moins proche. Depuis des siècles, Argent est un joueur et il accumule les faveurs comme les pions en vue de ce jour, qui est enfin arrivé : en 2018, il défie la Maîtresse des Jeux dans une partie d’échec grandeur nature. Leur plateau ? Le monde. Leurs limites ? Et bien… aucune.

Nous ne sommes que des pions.
C’est le sentiment qui a dominé toute ma lecture. La narration du point de vue d’Argent (qui a en fait toujours été le narrateur, si j’ai bien compris) nous montre avec quel détachement il considère des vies humaines, des institutions, des sociétés toutes entières et souligne la facilité avec laquelle les puissants sacrifient ce qu’ils ne voient pas réellement. Obsédé par son objectif de vaincre la Maîtresse des Jeux, il ne reculera devant rien pour y parvenir, tout comme elle, donnant l’impression d’assister à un duel entre deux adolescents obstinés, chacun refusant de considérer le point de vue de l’autre. Ça en devient absurde, incompréhensible, de constater avec quelle facilité des institutions, des vies, peuvent s’écrouler en un claquement de doigts. Le texte se transforme alors une parfaite illustration de l’effet papillon sauf qu’au lieu de jolis insectes aux ailes colorées, on a deux joueurs qui se prennent pour des dieux en oubliant tout sens commun.

Ainsi s’enchainent les coups dans une traque à travers le monde. Cela devient vite peu lassant car il y a trop d’évènements qui paraissent trop énormes et sur lesquels on s’arrête trop peu. Même si ce n’est pas le propos, j’en ai retiré une sensation de tournis et de malaise désagréable. Au cas où nous aurions oublié notre insignifiance dans l’univers, Claire North s’emploie à nous la rappeler…

Hélas, quand la fin arrive, elle tire en longueur dans un échange qui n’a fait que renforcer mon sentiment initial d’observer la dispute immature de deux ados frustrés qui se pensent animés de beaux sentiments alors qu’il n’en est rien, il n’y a que de l’ego mal placé. Les siècles et l’obsession du jeu ont apparemment fait régresser les protagonistes et au lieu de sagesse, il ne leur reste que mensonges, faux semblants et obsessions diverses. D’ailleurs, je parle de fin mais il s’agit d’une fin ouverte. Je n’ai rien contre sauf qu’ici, à mon sens, refuser de donner le dénouement dénote un manque d’engagement clair dans le propos de l’autrice et ça me déçoit. J’aurais préféré qu’elle assume jusqu’au bout l’aspect désabusé de la chose.

La conclusion de l’ombre :
L’enthousiasme semble unanime et ardent sur la blogosphère. Peut-être suis-je passée à côté d’une clé de compréhension (ça m’apprendra à lire en étant malade !), peut-être l’époque moderne me lasse-t-elle profondément ou peut-être le seul jeu fait pour moi était-il celui de Thene. Je ne regrette toutefois pas ma lecture car la plume de Claire North reste rythmée et délicieuse au point qu’il est difficile de reposer l’ouvrage une fois entamé. Pour ne rien gâcher, il se dégage du Maître un désenchantement, une mélancolie et une forme de cruauté qui me plaisent. La Maison des Jeux reste une très bonne saga, j’attendais simplement une autre conclusion.

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Les autres romans de l’autrice sur le blog : Le SerpentLe Voleur

Informations éditoriales :
Le Maître de Claire North (La Maison des Jeux 3/3), traduction par Michel Pagel. Éditeur : le Bélial. Illustration de couverture : Aurélien Police. Prix au format papier : 10,90 euros.

La Maison des Jeux #2 le Voleur – Claire North

En avril de cette même année, je vous parlais du premier tome de la Maison des Jeux intitulé « le Serpent » et se déroulant à Venise en 1610. Ç’avait été un coup de cœur doté d’une écriture musicale, d’un contexte original et d’une ville si bien décrite qu’elle en prenait vie sous mes yeux. Est-ce que la suite s’inscrit dans la même lignée ? Voyons cela…

De quoi ça parle ?
Remy Burke est joueur de la Haute-Loge depuis un certain nombre d’années et n’aurait pas dû se laisser avoir aussi bêtement par Abhik Lee qui parvint à le saouler avant de lui faire accepter une partie de cache-cache. L’enjeu ? Rien de moins que ses souvenirs… Or, si Remy est un bon joueur, Abhik est connu pour être redoutable. Quand la partie se lance, Remy sent vite un déséquilibre dans les excellentes cartes reçues par son adversaire et commence à se demander si quelqu’un de plus haut placé, de plus influent, ne chercherait pas à se débarrasser de lui.

Autre époque, autre ambiance.
Cette suite, qui se passe en 1938 à Bangkok, a perdu la musicalité qui m’avait tant séduite dans le Serpent sans pour autant être inintéressante ni même décevante. Autre époque, autre ambiance, tout simplement. Et autre personnage aussi car si Remy n’a pas le charisme d’une Thene et que j’ai crains de suivre un protagoniste fade, je me suis vite prise d’empathie pour lui. La finesse de sa psychologie rappelle que Claire North est une autrice à suivre car elle ne laisse rien au hasard.

Rien et pas même son décor. Les paysages sont saisissants de réalisme, je n’ai eu aucun mal à me sentir transportée dans cette contrée où je n’ai pourtant jamais posé un pied. Elle ne partait pas gagnante car je peine à m’intéresser à tout ce qui se passe après le 19e siècle, encore plus lorsque l’intrigue semble centrée sur rien de moins qu’une course poursuite… Ce qui a tendance à me lasser.

Mais la magie a opéré.

Sur un plan personnel, il semble évident pour tout qui me connaissant un minimum que j’ai plus d’affinités avec Venise qu’avec la Thaïlande et donc que je continue de préférer le Serpent au Voleur. Pourtant, l’intrigue du Voleur gagne en ampleur. L’autrice réalise l’exploit de proposer une histoire indépendante tout en ramenant d’anciens personnages par un clin d’œil et en renforçant les enjeux autour de cette mystérieuse Maison des Jeux. Ainsi, des liens se créent et on sent se dessiner un dénouement plus qui ne manquera probablement pas d’envergure, tout en ayant l’histoire de Remy terminée sur ces 150 pages.

La conclusion de l’ombre :
Contrairement à ce que je craignais en lisant la quatrième de couverture par rapport à mes goûts personnels, le Voleur a été une très bonne lecture où l’autrice confirme son talent non seulement à poser un décor plus vrai que nature, à imaginer un personnage intéressant à suivre et à tisser une intrigue qui se révèle bien plus complexe que de prime abord. Je n’ai qu’une hâte : lire le troisième et dernier volume de la Maison des Jeux pour découvrir ce qu’elle nous réserve…

Je remercie le Bélial pour ce service presse.

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S4F3 : 19e lecture.
Informations éditoriales :
La Maisons des Jeux, tome 2 : le Voleur par Claire North. Traduction par Michel Pagel. Éditeur : le Bélial. Illustration de couverture : Aurélien Police. Prix : 10,9 euros.

La Maison des Jeux #1 le Serpent – Claire North

2

Venise, 1610.
Thene est mariée par son oncle à un homme qui ne la respecte pas et dilapide tout son argent dans les prostituées et les jeux. Un jour, il la contraint de l’accompagner dans la Maison des Jeux pour qu’elle l’observe perdre, cherchant à susciter une réaction chez elle qui a pris le parti de la neutralité au lieu de la colère et des reproches. Lassée, Thene commence à jouer elle aussi et à se faire remarquer par la Maîtresse du Jeu, qui l’invite dans la Haute Loge afin de mener une partie d’une toute autre envergure…

Voilà en quelques mots le concept de cette fabuleuse novella publiée par le Bélial, que je remercie pour l’envoi.

Ce qui m’a d’abord frappée, c’est la musicalité du texte. Je l’ai lu en français et la traduction a été réalisée par Michel Pagel, je ne peux donc parler que de son travail, pas du style original de l’autrice mais j’imagine qu’il s’est efforcé de le rendre le plus fidèlement possible dans notre langue. J’ai toujours été très sensible à cet aspect, que je retrouve malheureusement assez peu de manière générale. Ici, l’écriture de Claire North montre une vraie personnalité littéraire et un souci formel évident qui fonctionne très bien. Non seulement ses mots chantent mais elle choisit de narrer son histoire du point de vue d’un narrateur mystérieux qui s’exprime en « Nous » et interpelle parfois son lecteur. Ce narrateur, qu’il soit entité plurielle, groupe ou individu supérieur, permet d’exposer les enjeux, les différents personnages et les principes sans alourdir le texte. Il semble d’ailleurs que ce narrateur appartienne à l’histoire en elle-même, certains indices le laissent penser mais sans doute ce point s’éclaircira-t-il dans la suite.

Parce que oui, vous avez bien lu, le Serpent est le premier tome d’une trilogie qui est publiée dans la collection Une Heure Lumière du Bélial. C’est assez rare, l’éditeur opte pour des one-shot la plupart du temps. Toutefois, c’est déjà arrivée avec Molly Southbourne, bien que ça ait été un accident. De mémoire, il me semble que l’éditeur avait expliqué qu’en signant le premier Molly, ce devait être un one-shot et que le tome 2 n’est arrivé qu’ensuite. Qu’importe au fond pour moi qui ai la résolution de posséder la totalité de la collection ! Sans compter que, quand on se confronte à un texte de cette qualité, on ne se plaindra pas d’en avoir davantage.

L’efficacité de son écriture n’est pas la seule qualité de l’autrice. L’univers qu’elle dépeint dans cette Venise du 17e siècle est fascinant et immersif en plus de toucher au cœur de mes goûts personnels. Il y a d’abord et avant toute cette fameuse Maison des Jeux qui traversera la trilogie (celle-ci porte d’ailleurs son nom) une entité mystérieuse qui parait presque vivante, divisée en une Basse Loge et une Haute Loge, dans laquelle se joue le destin du monde. On comprend rapidement que cette Maison des Jeux se trouve partout et nulle part à la fois et qu’elle permet d’accorder certaines bénédictions -ou malédictions aux joueur·euses en son sein. Elle contraint également des personnes extérieures à la servir pour diverses raisons, les transformant en cartes qui sont remises aux joueur·euses au début d’une partie. Cell·eux-ci doivent alors les utiliser avec subtilité et fine intelligence pour en tirer le maximum.

Il y a ensuite Venise en elle-même, une ville rendue tangible et presque vivante par l’efficacité de l’écriture de Claire North et où, comme il se doit, on assiste à une intrigue politique de grande envergure qui ne l’est pourtant pas tant que ça lorsqu’on comprend que la Maison des Jeux influe sur le destin du monde entier… Pourtant, Thene s’en sort brillamment en utilisant les ressources de son esprit uniquement. La stratégie politique est mise à l’honneur et maîtrisée avec brio. Le personnage de Thene est tout à fait remarquable, au même titre que son évolution et sa force de caractère qui lui permettra de résister aux exactions de son mari.

La conclusion de l’ombre :
Ce premier tome de la Maison des Jeux est une réussite phénoménale à mes yeux. Je l’ai dévoré en une seule séance de lecture tant j’ai été charmée par le style littéraire de l’autrice et la maîtrise de son intrigue. Il se hisse sans effort parmi les meilleurs UHL proposés jusqu’ici par le Bélial et je ne peux que vous en recommander chaudement la lecture.

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Informations éditoriales :
Le Serpent, premier tome de la Maison des Jeux écrit par Claire North. Traduction : Michel Pagel. Éditeur : Le Bélial. Illustration de couverture : Aurélie Police. Prix : 10,90 euros au format papier, 4,99 euros au format numérique.