Connaissiez-vous Julie Maupin ?
En plus d’être l’héroïne du dernier roman de Jean-Laurent Del Socorro, il s’avère qu’elle est également… un personnage historique tout à fait réel dont je n’avais à ce jour jamais entendu parler. Pourtant, elle a tout pour me plaire ! Escrimeuse, femme d’Opéra, sa vie est digne d’un roman et c’est d’ailleurs ce qu’en fait mon auteur français préféré avec toute la maestria qu’on lui connait pour réinterpréter l’Histoire.
Une inconnue pour moi, donc, constatation qui rejoint ma précédente réflexion détaillée dans mon billet sur les Grandes Oubliées de l’Histoire… Cela signifie qu’Une pour toutes est en réalité une biographie romancée. L’auteur précise à la fin quels éléments sont réels (ils sont nombreux) et quels éléments ont été remaniés. J’avoue m’être dit à un moment durant ma lecture que les rebondissements s’enchainaient un peu trop pour rester crédibles, remarque qu’un personnage adresse lui-même à Julie. Il m’a fallu attendre la dernière page pour comprendre qu’il s’agissait tout simplement… de sa vie ! Comme quoi, la réalité dépassé parfois la fiction.
Un roman sur l’émancipation et la liberté.
Comme souvent dans ses récits, Jean-Laurent Del Socorro s’engage pour la cause féminine. Il campe ici le personnage de Julie d’Aubigny qui devient Julie Maupin après son mariage, une jeune femme élevée en partie comme un homme car elle suivait l’instruction des pages grâce au métier de son père, secrétaire du comte d’Armagnac. Julie se débrouille très bien à l’escrime et elle rêve de pouvoir prendre ses propres décisions pour sa vie. Malheureusement, la société patriarcale passe par là et la transforme en hors-la-loi, l’obligeant à accepter un mariage dont elle ne veut pas (heureusement avec un homme gentil), à repousser les avances de certains qui se croient tout permis et à se démener pour qu’on lui demande son opinion quand on parle d’elle devant elle. C’est donc un beau récit qui se veut résolument féministe car il met en scène une héroïne désireuse de révolutionner son époque pour vivre comme elle l’entend, ce qui passe par s’habiller « en homme » quand cela lui chante puisqu’elle se sent plus à l’aise dans ces habits, ne pas devoir vivre sous le joug de quelqu’un… On suit finalement sa quête d’elle-même et de liberté avec tous les rebondissements qu’elle comporte.
… mais pas que !
Ce roman possède plusieurs particularités qui l’ont rendu plus que savoureux pour moi. La première étant la manière dont il est rédigé : en actes, comme au théâtre ! Cela inclus évidemment des morceaux du récit rédigés comme un texte de pièce, un peu comme ce qu’on retrouve chez Ada Palmer dans l’excellentissime Terra Ignota. Je me rends compte à nouveau à quel point cela fonctionne sur moi, amoureuse profonde non seulement du théâtre mais aussi de l’escrime et des bons mots. Cela signifie que le roman rime régulièrement et que les dialogues ont des accents de répliques théâtrales, ce qui pourrait déranger certain.es lecteur.ices… Mais pas moi ! Ces excès, je les chéris.
Julie a, je trouve, un petit côté Cyrano à déclamer des vers durant ses duels et à provoquer ses adversaires qu’elle domine autant verbalement que par sa technique. Elle va jusqu’à lire Histoire comique des États et Empires de la Lune, sorte d’autofiction rédigée par Savinien Cyrano de Bergerac lui-même au 17e siècle et considéré comme le premier texte de science-fiction francophone… Si pas science-fiction tout court ! À vérifier. Je me souviens l’avoir lu il y a des années, peu de temps après la pièce de Rostand, précédée elle-même de ma lecture d’@ssassins.net dont je vous avais parlé durant l’été dernier et qui m’avait fait découvrir ce personnage haut en couleur pour la première fois.
Et en parlant de clins d’œil qui me parlent, comment ne pas remarquer celui à Dumas dans le titre même du roman ? D’autant que les péripéties de Julie s’enchainent comme dans un bon roman feuilleton…
Bref, je m’égare, mais j’ai eu le sentiment que l’auteur avait prit tout ce que j’aimais en littérature pour le condenser dans un roman, qui a en plus le bon goût d’être un one-shot. Un roman très référencé sur l’Opéra et l’histoire littéraire française de manière générale, sans parler des arts de l’escrime dont on sait l’auteur friand.
Ainsi, à l’exception des élans sentimentaux de Julie pour lesquels je nourris peu d’intérêt sans pour autant qu’ils ne gâchent mon plaisir (mais pas parce que ce sont les siens, la thématique m’intéresse globalement peu) j’ai été passionnée par ce texte. Texte qui se dote d’une autre particularité : l’intervention en tant que personnage récurent d’un certain Méphistophélès… qui rencontrera un autre personnage fameux issu de l’univers de l’Opéra dans la conclusion de ce roman. Décidément, Jean-Laurent Del Socorro a l’art des fins référencées (je m’extasiais déjà là-dessus dans Du roi je serai l’assassin) ! Cette figure est l’unique touche fantastique du roman, rapprochant ainsi ce texte de Je suis fille de rage, une autre œuvre de l’auteur où le seul élément surnaturel tient à la personnification de la Mort et à ses échanges avec le président Lincoln.
Notez que Méphistophélès est un personnage souvent présent dans le texte et qui en a après l’âme de Julie, pour une obscure raison, sautant sur la moindre occasion pour lui proposer un contrat sans pour autant lui refuser… son amitié ! Ce Diable, on ne peut le qualifier autrement que de sympathique. On éprouve d’emblée pour lui des sentiments positifs, avec tous les dangers que cela comporte. À la place de Julie, je me serais laissée avoir plus d’une fois…
La conclusion de l’ombre :
Sans surprise, Une pour toutes fut un coup de cœur énorme qui rassemble plusieurs de mes passions et centres d’intérêt en un seul livre : le théâtre, l’escrime, la figure du diable (en fiction, évidemment) et la cause féminine. À nouveau, Jean-Laurent Del Socorro s’impose comme le maître du roman historique avec une pointe de fantastique et confirme sa place de numéro un parmi mes auteurs français préférés. Merci à lui pour ce grand moment de littérature, j’ai hâte de lire ce qu’il nous réservera ensuite et de relire ce roman-ci dans quelques années, pour un plaisir qui sera toujours, je le sais, au rendez-vous.
Informations éditoriales :
Une pour toutes écrit par Jean-Laurent Del Socorro. Éditeur : L’école des loisirs. Illustration de couverture par Mayalen Goust. Prix : 15.50 euros.
D’autres avis : Au pays des cave trolls – vous ?