Les miracles du bazar Namiya – Keigo Higashino

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Les miracles du bazar Namiya
est un one-shot fantastique écrit par l’auteur japonais Keigo Higashino. Publié chez Actes Sud, vous trouverez ce roman partout en librairie au prix de 22.80 euros.

De quoi ça parle ?
2012. Après avoir commis un cambriolage, trois amis se réfugient dans un bazar abandonné, le temps d’une nuit. Là, ils découvrent une lettre vieille de 32 ans, adressée à l’ancien propriétaire qui était connu à l’époque pour apporter ses conseils sur tous les problèmes qu’on lui soumettait. Les trois hommes décident finalement d’apporter une réponse à cette lettre… et d’autres arrivent ! Toutes vont permettre de découvrir un morceau de l’histoire du fameux bazar Namiya.

Parler avec son cœur.
J’avais commencé à écrire au sujet de ce roman une chronique traditionnelle accompagnée par une sorte d’analyse sur cette idée de voyage dans le temps quejenaimepasmaisiciçapassecrème bref, vous voyez le tableau. Puis je me suis dit… Non. Juste non.

Je n’ai pas envie de m’appesantir pendant des paragraphes sur cette idée intéressante et subtile qui apporte l’élément fantastique indispensable au déroulement de l’intrigue. Je n’ai pas non plus envie de fournir une analyse sociologique de la société japonaise, de sa mentalité, des problèmes rencontrés par ceux qui demandent de l’aide au bazar ni même au concept de base qui ne peut décidément fonctionner QUE dans une société asiatique. Non. Pour lui rendre dignement hommage, je pense qu’il est nécessaire d’en parler humainement. Cette chronique sera donc plus courte et plus personnelle que d’habitude.

Parce que ce roman, il a provoqué en moi son lot d’émotions et c’est devenu assez rare pour que je le souligne. Je l’ai dévoré en deux jours, je le lisais même en marchant de la gare au boulot parce que j’avais envie de connaître la suite. Pourtant, je suis frileuse face à une thématique temporelle comme celle-là et je ne suis généralement pas très attirée par les romans dit « feel-good » (terme que j’ajoute après coup car je l’ai lu dans différentes chroniques sans que je ne le sache en amont). Mais ici, l’auteur a réussi l’exploit de me captiver grâce à ces petites tranches de vie nippones qui dépeignent les liens tissés entre différents protagonistes via ce fameux bazar. Ces histoires sont finalement les éléments les plus importants du texte, l’aspect fantastique sert surtout de prétexte pour voyager entre plusieurs époques (entre 1980 et 2012) au Japon et montrer l’évolution de ce pays sur plusieurs plans via les différents personnages. Donc, oui, il s’agit bien d’un roman choral divisé en plusieurs parties, chacune nommée par une en-tête concernant le surnom de la personne aidée.

Le texte de Keigo Higashino est plus qu’un roman avec une pointe de fantastique. C’est un texte social et surtout, un texte humain qui se concentre sur les individus, leurs vies, leurs choix, sans apporter de jugement sur ceux-ci. J’ai ressenti beaucoup de bienveillance au sein de ce texte, beaucoup de douceur aussi, le tout servi par une plume simple et directe, sans fioritures inutiles. Au fond, le concept du roman devrait s’appliquer dans notre vie de tous les jours : donner des conseils aux autres s’iels le sollicitent et le faire en prenant soin d’y réfléchir soigneusement avant. Je pense qu’on y gagnerait tous.

Malgré mon coup de cœur, je ne peux pas affirmer que ce roman est parfait ou qu’il conviendra à tout le monde. C’est aussi ce qui fait son charme. Les trois cambrioleurs sont parfois assez bruts de décoffrage, certains personnages ont d’étranges réactions aux évènements et certains enchainements temporels restent flous (volontairement ?) toutefois je n’ai aucun mal à l’oublier devant tout ce que ce roman a à offrir. D’autant que ces éléments peuvent totalement se justifier par la culture nippone de manière globale. Ainsi, ce ne sont pas des défauts en soi, plutôt des différences par rapport à nos habitudes qu’il faudra accepter pour rentrer pleinement dans ce si merveilleux texte. Je n’ai eu, pour ma part, aucun mal à m’y plier.

J’espère que vous serez nombreux/ses à tenter l’aventure du bazar Namiya.

La conclusion de l’ombre :
Les miracles du bazar Namiya est un roman fantastique / tranche de vie profondément humain. Difficile de le poser une fois entamé car la plume et l’histoire dégagent une forme de magie subtile qui rend accro à ces mots et donne envie de tourner frénétiquement les pages pour voir où Keigo Higashino va nous emmener. C’est un coup de cœur, un de mes plus gros de l’année, et je vous le recommande donc très chaudement.

D’autres avis : Chut ! Maman lit.Phooka (Bookenstock) – Sur mes brizéesYuyineLe Dragon Galactique – vous ?

Quitter les Monts d’Automne – Émilie Querbalec

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Quitter les Monts d’Automne
est un one-shot de science-fiction écrit par l’autrice française Émilie Querbalec. Publié par Albin Michel Imaginaire, vous trouverez ce roman partout en librairie à partir du 2 septembre 2020 pour la rentrée littéraire.
Je remercie chaleureusement Gilles Dumay et Albin Michel Imaginaire pour l’envoi de ce service presse numérique.

De quoi ça parle ?
Kaori nous raconte son histoire qui commence en 13111 sur la planète Tasai. Kaori est la dernière descendante d’une ligne de conteuses. Malheureusement, elle n’a pas été frappée par le Ravissement et ne possède donc pas le don du Dit. Devenue danseuse, elle hérite à la mort de sa grand-mère d’un rouleau calligraphié. Tabou ultime dans cette société où l’écriture est passible de mort ! Kaori va alors entamer une quête de ses origines qui l’emmènera loin, très loin, dans le temps et l’espace.

Un univers riche où prime la transmission orale.
C’est ce premier point qui a d’abord attiré mon attention en lisant la quatrième de couverture puisqu’on y dépeint une société d’inspiration japonaise (je vais y revenir plus bas) où tout se transmet à l’oral, l’écrit étant frappé d’interdit. En tant que lectrice et qu’autrice, c’est un concept qui me parle et m’intrigue forcément puisque j’en suis venue à imaginer ma propre existence sans trace écrite. Prenez quelques minutes pour vous plier à l’exercice, c’est plutôt effrayant.

Sur Tasai, il existe des lignées de conteurs et conteuses, des personnes gratifiées d’un Don (qu’on appelle le Dit) suite à un Ravissement. Ces gens sont capables de raconter des histoires issues du Flux. Le Flux, c’est… compliqué. Une sorte de force supérieure, presque divinisée sur Tasai, qui est partout et régit d’une certaine manière les existences de tous à travers sa police spéciale de moines, pour ne citer qu’eux. Notez que je schématise très grossièrement ici pour éviter de divulgâcher.

Appartenir à l’une de ces prestigieuses lignées de conteurs ne garanti en aucun cas qu’on sera touché par le Dit : à son grand désespoir, Kaori, l’héroïne, n’a pas connu le Ravissement et doit se rabattre sur l’art de la danse qu’elle apprend à maîtriser à force de patience et de travail. Cela lui vaudra la possibilité de rejoindre une troupe prestigieuse à la mort de sa grand-mère, qu’elle servait jusque là lors de ses représentations.

Au moment du décès susmentionné, Kaori va découvrir dans les affaires de sa grand-mère un drôle de cylindre contenant… des écrits. Elle sera tentée de les détruire mais le cylindre lui parle avec la voix familière de la défunte, lui assurant que si l’objet ne s’est pas détruit à son contact, alors il lui est bien destiné. Forte de ce mystère, la jeune fille va entreprendre un voyage jusqu’à Pavané -la capitale du coin- pour retrouver un ami de sa grand-mère qui, elle l’espère, sera capable de l’éclairer. Évidemment, tout ne va pas se passer aussi simplement…

Une inspiration japonaise dans un univers science-fictif.
L’univers développé par Émilie Querbalec fleure bon le Japon, que ce soit sur son contenu ou son esthétique. Les Monts d’Automne ne sont pas sans rappeler le pays du Soleil Levant en mettant en scène des traditions et tabous qu’on peut retrouver (pour partie au moins avec certitude) dans l’Histoire nippone préindustrielle. Ça a d’ailleurs constitué ma première surprise puisque je m’attendais à lire un texte de science-fiction (avec tout ce que ça implique comme attentes pour une novice dans le genre comme moi) pour me retrouver, au départ, dans un monde très nippo-traditionnel. L’aspect technologique, vaisseaux spatiaux etc. arrive petit à petit, à mesure que Kaori quitte justement les Monts d’Automne pour la capitale avant de s’éloigner définitivement de sa planète d’origine. L’autrice prend son temps pour installer l’ambiance et apporte cette science-fiction par petites touches. Ainsi, Émilie Querbalec accompagne son lecteur dans la transition avec, je dois dire, un certain brio. Cela fait de son roman une très bonne porte d’entrée pour les novices qui aimeraient s’initier à ce genre mais craignent de se perdre. Quitter les Monts d’Automne peut donc être qualifié de texte initiatique, dans tous les sens du terme.

À mesure que l’histoire se déploie, l’aspect japonisant recule sur l’esthétique purement visuelle pour apparaître davantage dans les échanges philosophiques mais également sur les passages érotisés par l’autrice qui ont lieu à certains endroits du texte. Notez que ces moments ont une utilisé et je n’ai, personnellement, jamais eu le sentiment de tomber dans le voyeurisme vulgaire.

Kaori, une héroïne assez passive.
Émilie Querbalec opte pour une narration à la première personne avec une vraie maîtrise de son style d’écriture. Ce que je lis souvent comme reproche pour ce type de choix narratif, c’est la familiarité régulièrement induite dans le style littéraire de l’auteur qui s’appauvrit, comme s’il n’était pas possible de narrer des évènements depuis l’esprit d’un personnage sans tomber dans cette facilité. Qu’on se comprenne : certaines histoires le justifient par leur personnage principal, mais pas toutes. Dans Quitter les Monts d’Automne, la question ne se pose pas puisqu’on comprend, une fois à la fin, que Kaori écrit son histoire après coup, après avoir eu accès à une forme d’éducation et de développement personnel. Cela justifie l’attention portée à l’ambiance, aux décors, l’embellissement de certaines scènes aussi puisque l’autrice dépeint finalement une mémoire avec ses travers. J’ai trouvé cette façon d’opérer vraiment brillante et agréable à suivre en tant que lectrice et ce même quand Kaori en elle-même manque un peu d’intérêt face aux personnages intrigants avec lesquels elle interagit durant son périple.

L’héroïne reste globalement plutôt en retrait pour un roman qui se veut initiatique. Elle agit à quelques reprises mais subi beaucoup les évènements. Cela implique des passages qui souffrent de quelques longueurs, notamment sur la dernière partie et ce à l’exception de la conclusion qui se révèle aussi intéressante qu’enthousiasmante.

La conclusion de l’ombre :
Quitter les Monts d’Automne est un récit initiatique qui fleure bon le Japon, autant sur son esthétique visuelle que sur sa philosophie et ses passages érotiques. Dans une narration à la première personne, le lecteur est invité à suivre Kaori dans un monde où l’écrit est un tabou passible de mort. Ce texte est une belle réussite que je recommande chaudement, même et surtout (mais pas que) aux novices du genre science-fiction puisqu’il se veut également initiatique à ce niveau.

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Je ne suis pas un gay de fiction – Naoto Asahara

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Je ne suis pas un gay de fiction
est un roman tranche de vie écrit par l’auteur japonais Naoto Asahara. Édité par Akata, vous trouverez ce texte au prix de 14.99 euros.

Jun est lycée et il est gay. Il dissimule sa sexualité à ses camarades même s’il sort avec un homme marié et plus âgé que lui. Il échange régulièrement avec Mr Fahrenheit, un correspondant sur Internet qui fait aussi office de confident. Tout va (presque) bien dans le meilleur (ahem) des mondes quand Jun croise Miura dans une librairie. Miura est une camarade de classe qu’il surprend en train d’acheter un manga érotique mettant en scène des hommes (ou BL). Très gênée, la jeune fille va essayer de se rapprocher de Jun pour éviter qu’il ne raconte à tout le monde son secret. Mais, pas de chance, elle va tomber amoureuse de lui.

Alors je sais. Je sais. Si on se base sur ce résumé, ça ressemble à une romance pas très originale et franchement niaise et vous vous demandez probablement pourquoi j’en parle sur ce blog. Sachez que le résumé (que ce soit celui de l’éditeur ou le mien) ne rend pas du tout justice au contenu de ce roman. Avant d’aller plus loin, j’ai envie de partager une réflexion avec vous et ça va être un peu long comme article, j’espère que vous resterez jusqu’au bout.

Une fiction est un reflet de notre société, d’une manière ou d’une autre. Que ça soit pour se projeter dans l’avenir, imaginer les conséquences d’un choix, vivre la vie d’un autre pour oublier la sienne, utiliser des métaphores pour aborder des problématiques… Il y a toujours un élément qui nous raccroche à ce qu’on connait et ce qu’on vit au quotidien, même dans le monde fantasy le plus foisonnant. J’ai déjà pu faire le constat que dans les romances (sur tout support) on a tendance à 1) idéaliser l’amour comme but à atteindre dans la vie et 2) idéaliser la notion de couple / avenir avec enfants ce qui met une pression monstrueuse sur les gens qui ne sont pas « dans la norme » ce qui, pour être honnête, est mon cas. Je ne suis plus en couple depuis quelques mois après une relation de presque neuf ans, je n’ai aucune envie de l’être à nouveau et surtout, je ne veux pas d’enfants. Pourtant, peu importe où je regarde, ce que je lis, dans 90% des cas, c’est ce modèle qui est mit en avant. Une femme s’accomplit en devenant mère et épouse.

Et ça, c’est sans parler de la manière dont la plupart des auteurs décrivent l’acte sexuel, surtout dans les romances (sur tout support), qui n’a rien de réaliste. J’en discute souvent avec une amie sexologue qui est aussi autrice et qui a décidé d’écrire des romances réalistes et didactiques afin de décomplexer les femmes. Je trouve son engagement très important et si ça vous intéresse, vous pouvez découvrir son roman en cliquant sur ce lien. Pourquoi je vous parle de tout ça? Parce que Je ne suis pas un gay de fiction aborde tous ces thèmes et s’il a été un coup de cœur, c’est parce que j’ai compris Jun comme j’ai rarement réussi à comprendre un personnage. Je me suis sentie proche de lui, il a résonné en moi et je pense que c’est un texte qui pourrait faire du bien à beaucoup de monde à partir du moment où ces thématiques vous intéressent, bien entendu. Pourtant, je suis une femme et je ne suis pas homosexuelle. Mais ça ne change rien, nous sommes tous concernés.

Pour revenir au sujet principal, à savoir Je ne suis pas un gay de fiction : Jun est un personnage en souffrance à cause de sa sexualité. Il désire être socialement dans la norme, pouvoir faire l’amour à une fille, se marier, avoir des enfants, vieillir entouré de sa famille aimante. Sauf qu’il ne réagit qu’avec des hommes et qu’au Japon, ce genre de personne est à peine toléré. C’est la raison pour laquelle Jun se cache et endure au quotidien les habitudes sociales de ses amis : discuter de machin qui a fait l’amour à sa copine, balancer quelques blagues de mauvais goûts sur les homosexuels… Il en vient même à se dire que ce n’est pas la faute des autres s’ils sont blessants puisque c’est lui qui dissimule sa véritable orientation sexuelle. Cette pensée a de quoi choquer et je me suis rendue compte que de nombreuses personnes homosexuelles doivent peut-être se le dire tous les jours.

Jun entretient une relation avec un homme marié rencontré sur le net, Makoto. Ce dernier est un personnage assez ambigu qui se révèle franchement repoussant par la teneur de ses fantasmes. Jun l’aime même s’il a conscience de ne pas valoir grand chose face au masque social que porte son amant. Ils se voient juste pour faire l’amour à l’hôtel puis chacun rentre chez soi. Leur dynamique de fonctionnement est effrayante et pousse à la réflexion sur ce qu’on est capable d’accepter par amour et à quel point on peut se voiler la face.

Jun discute aussi régulièrement avec Mister Fahrenheit, un fan de Queen, comme lui. Ils échangent uniquement par messagerie sur Internet et leurs interactions permettent d’en apprendre plus sur le VIH puisque Mister Fahrenheit en est atteint. Il tient même un blog sur le sujet, via lequel Jun l’a rencontré quand il faisait des recherches sur la maladie. Leurs discussions recèlent une profondeur surprenante vu leur jeune âge, on sent le poids de la dépression et de la souffrance quotidienne qui pousse ces adolescents à grandir trop vite. J’ai trouvé leur relation vraiment belle et son évolution m’a tiré des larmes. Les scènes qui les concernent invitent vraiment le lecteur à réfléchir sur ce qu’ils se disent et sur la façon dont on peut être n’importe qui sur Internet. Si je les ai adoré, je dois avouer que l’interaction la plus surprenante entre Jun et un personnage se déroule avec Miura.

Miura est une fille et elle aime le yaoi. Immédiatement, je me suis trouvée des points communs avec elle puisque c’est aussi mon cas et que je n’en parle pas spécialement. Pour beaucoup, c’est assimilé à du porno et c’est rare quand les gens qui n’en lisent pas se donnent la peine d’aller voir un peu plus loin. Il existe beaucoup de yaois différents, des histoires particulières, des coups de crayons et des intrigues riches (parfois), il suffit de savoir sélectionner ce qu’on recherche. Miura a déjà subi l’exclusion une fois à cause de sa passion et depuis, elle reste discrète. L’ironie veut qu’elle ne remarque même pas l’homosexualité de Jun et qu’elle tombe amoureuse de lui. Du coup, Jun, qui cherche désespérément la normalité, va accepter de sortir avec elle.

À ce stade vous vous dites probablement « mais quel connard ! » Je vous avoue, je l’ai pensé, d’autant qu’il sait que son meilleur ami est amoureux de la fille en question. Urgh, le malaise. Sauf que Jun aime Miura et c’est là qu’arrive une distinction qu’on ne fait pas suffisamment, celle entre le désir sexuel et les sentiments qu’on peut entretenir envers une personne. C’est pour ça qu’il a envie d’essayer et il fait vraiment des efforts, sauf que ça ne fonctionne pas. Rien que pour cet aspect didactique, ce roman est une perle.

À partir d’ici, il y aura un peu de spoils pour en arriver à ce que je veux vraiment dire dans cette chronique. La nouvelle de son homosexualité finit par se répandre auprès des autres élèves et les réactions ne se font pas attendre. Les garçons ne veulent plus que Jun se change avec eux avant le sport, par exemple, et intervient alors une réflexion pertinente : est-ce qu’un homme hétérosexuel bande forcément sur toutes les filles qu’il voit ? Non. Alors pourquoi un homosexuel banderait sur tous les mecs qu’il croise ? Pourquoi l’un est considéré comme plus pervers que l’autre ? L’histoire de Jun est l’occasion de démonter énormément de clichés qu’on entretient, volontairement ou non, sur les personnes homosexuelles.

Outre l’aspect pédagogique, Je ne suis pas un gay de fiction est un texte qui déborde d’émotions très fortes. Sans mentir, j’ai pleuré à trois reprises et pas les larmes aux yeux hein, de vraies larmes qui roulent sur les joues. Je ne sais pas trop comment l’auteur est parvenu à ce miracle. Je trouve que Naoto Asahara dose très bien ses émotions. Il n’en fait pas trop avec Jun, ne le rend pas niais, lourd ou pénible. Il est terriblement humain, subtil, ce pourrait être n’importe qui. Je n’ai eu aucun mal à ressentir de l’empathie pour lui ou à me projeter dans son quotidien. C’est en général ce que je reproche aux auteurs de ce genre littéraire : d’en faire trop. Ici, ce n’est pas le cas et ça permet aux messages transmis par l’auteur d’avoir une vraie puissance.

Pour résumer, Je ne suis pas un gay de fiction est un roman puissant, une tranche de vie magnifiquement dépeinte par Naoto Asahara qui nous raconte le Japon comme on ne le voit pas souvent. Jun, un lycéen homosexuel, démonte les préjugés que nous entretenons souvent malgré nous et partage avec le lecteur son histoire tragiquement banale et pleine d’émotions. Ce texte a une grande portée didactique pour tout qui s’intéresse à ces thématiques et surtout, pour les adolescents qui devraient le lire massivement. J’ai eu un coup de cœur pour ce roman que je recommande chaudement. ♥

La Voie du Sabre – Thomas Day

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La Voie du Sabre
est un one shot de fantasy japonaise écrit par l’auteur français Thomas Day. Vous trouverez ce roman en version poche chez Folio SF au prix de 6.80 euros.
Je confirme donc qu’il s’agit d’un one-shot et que c’est la BD adaptée du roman qui est en trois tomes, une pour chaque partie du texte.
Ce roman est ma dixième lecture dans le cadre du Printemps de l’Imaginaire francophone.

C’est grâce aux blog-potes que j’ai découvert ce monument de fantasy nippone écrit par un auteur français. Alors merci au Troll et au Lutin de participer si activement à la construction de ma culture 🙂

Mikédi est le fils d’un grand chef de guerre. Dans l’espoir d’assouvir ses propres ambitions, son père le confie à un rônin, le célèbre Miyamoto Musashi. Pendant six ans, ils vont parcourir ensemble le chemin menant à Edo afin que Mikédi puisse épouser la fille de l’Empereur et parfaire son apprentissage du Secret. Hélas pour Mikédi, qu’on surnomme bientôt Oni, la tentation du pouvoir est grande et les conséquences, terribles.

La Voie du Sabre est une uchronie fantasy inspirée du Japon médiéval et de certains personnages historiques dont principalement Miyamoto Musashi que vous connaissez peut-être pour son célèbre Traité des Cinq Roues. Il s’agit d’un personnage fameux à cheval sur la fin de l’ère féodale et le début de l’ère Edo, grand samouraï, artiste et philosophe. Le retrouver ici romancé et librement réadapté par l’auteur dans une diégèse imaginaire plaira autant à ceux qui connaissent son histoire qu’aux novices car l’auteur a eu l’idée de mettre un petit explicatif au début du roman. Ainsi, on peut facilement tisser des liens et repérer les clins d’œil au sein du texte. Notamment par la façon dont l’histoire est posée, qui n’est pas sans rappeler la propre fin de Miyamoto Musashi.

J’en profite pour préciser que Thomas Day propose plusieurs aides au sein de son roman pour ceux qui ne sont pas familiers de la culture japonaise ou de son vocabulaire. Notamment un lexique qui peut se révéler utile, en plus de son avant propos sur Miyamoto Musashi.

L’uchronie du texte devient fantasy à partir du moment où l’auteur incorpore des monstres extraordinaires, des magiciens et des empereurs-dragons, mélangeant ainsi les mythes et les légendes nippones pour donner à son récit une saveur particulière. Adorant tout ce qui touche à la culture japonaise, j’ai été immédiatement séduite par les idées développées dans la Voie du Sabre qui offre un mélange assez fin entre philosophie, récit initiatique et magie.

Si le style de Thomas Day reste moderne, il rend tout de même hommage aux romans japonais (et à la culture qui s’y associe) par sa façon de poser son récit. Par exemple, il souvent plusieurs années sur quelques lignes, en se concentrant sur des scènes clés à forte signification philosophique, éclipsant le reste ou le résumant en quelques explications utiles. Ainsi, les chapitres sont courts, immersifs et dynamiques. On peut aussi ajouter la présence de l’érotisme et du corps féminin, assez typique du Japon autant dans la littérature que dans leur cinéma (et non, je ne parle pas de hentaï 🙂 par contre si vous n’avez jamais vu l’empire des sens… ) Si je ne savais pas l’auteur français, j’aurai presque pensé à une traduction d’un écrivain du cru. Chapeau !

Puisque Mikédi raconte son histoire, le roman est écrit à la première personne. Cela permet de suivre un anti-héros qui critique a posteriori ses actions et ses erreurs, qui les décortique et les analyse. L’œil qu’il pose sur lui-même permet au lecteur de ne pas totalement le mépriser pour ses actions et même parfois de le comprendre. J’ai, personnellement, vraiment apprécié ce personnage avec ses failles et ses évolutions. Son parcours initiatique sort des sentiers battus et la relation qu’il développe avec son maître change de ce dont on a l’habitude. Le lecteur suit l’enchainement de ses choix avec une fascination morbide et se régale comme devant un bon manga.

Pour résumer, la Voie du Sabre est un texte brillant qui rend un vibrant hommage au Japon et à sa culture littéraire. On sent l’auteur passionné par son sujet au point de nous livrer un page-turner haletant avec un héros qui restera longtemps dans ma mémoire. J’ai adoré ce texte et je vous le recommande très chaudement ! D’autant que l’auteur sera à Trolls et Légendes, je vais donc me faire un plaisir de le rencontrer 🙂

Hanafuda – L. A. Braun

9782930839981
Hanafuda
est un récit de vie contemporain et fictif proposée par l’autrice belge L-A Braun. Publié chez Livr’s Éditions, il sera disponible dès le 15 septembre au prix de 18 euros. Je peux déjà vous dire que c’est un gros coup de cœur pour moi !
Ce livre entre dans le cadre du challenge S4F3 organisé par Albédo.
Ce livre entre également dans le Pumpkin Autumn Challenge catégorie « pomme au four, tasse de thé et bougie » pour son thème « histoire de famille ».

Je vais commencer par évoquer l’objet-livre en lui-même, que je trouve remarquable. La couverture est superbe et apporte un côté très japonais, très épuré. Le fond blanc cassé est tellement réussi qu’on a l’impression de toucher un parchemin un peu ancien. L’intérieur du livre n’est pas en reste: chaque début de chapitre comporte une citation française et sa traduction japonaise, à la verticale, et se termine par une petite illustration. Le travail réalisé par Livr’S sur ce roman est vraiment remarquable.

Hanafuda raconte l’histoire d’Hoshino, un enfant originaire du Japon qui devient orphelin à l’âge de 6 ans suite au meurtre de ses parents par des yakuzas. Adopté par les Papadakis, sa rencontre avec Mr Fukuma changera complètement sa vie. Jusqu’ici gamin de merde violent et adepte de la bagarre avec des notes plus que médiocres à l’école, il va retrouver le droit chemin… Celui du gokudo, la voie extrême.

Ce roman est un récit de vie dans l’univers des yakuzas à New York. C’est l’un des points qui le rend fictif puisque les yakuzas ne s’y sont jamais vraiment exportés: trop loin, pas suffisamment rentable, contrairement à d’autres mafias. D’ailleurs, ce point est évoqué dans le texte de manière sous-entendue lors du conflit avec un certain Monsieur X. L’intérêt du roman, c’est surtout d’exposer la culture nippone en conflit culturel avec la nôtre. Une réussite, selon moi ! Leur culture est bien détaillée et on ressent le décalage entre l’ancien monde et le nouveau. L’autrice s’est très bien renseignée sur le sujet en se basant sur des spécialistes du milieu comme Jake Adelstein qu’elle cite d’ailleurs dans les remerciements (pour rappel: Tokyo Vice et Le dernier des yakuzas que j’en profite pour vous recommander à nouveau). Vous apprendrez tout un tas d’informations intéressantes sur le sujet des yakuzas, que vous ne soupçonniez probablement pas.

Hoshino raconte son histoire depuis son enfance dans un récit à la première personne. Le jeu des temps instauré par l’autrice est plutôt bien maîtrisé et permet de passer d’un évènement à l’autre sans se sentir perdu dans la ligne temporelle du récit. Ce qui n’est pas un mal puisqu’il n’y a aucune date claire avant chaque évènement notée en haut de page ou dans un chapitre. Et ça ne m’a pas gênée du tout dans ma lecture tant c’est bien maîtrisé.

Le thème principal du récit est la quête de soi, de son identité culturelle mais aussi sexuelle. Hoshino est homosexuel, ce qui est tabou autant chez ses parents adoptifs que chez les yakuzas. Si cette thématique est présente, elle n’envahit pas pour autant le récit et ne tombe pas dans les clichés de romance qu’on retrouve trop souvent dans ce type de récit. Ici, pas de scènes crues détaillées ni de relation vraiment suivie entre deux personnages, hormis peut-être Akira, d’une certaine façon. L’autrice traite le sujet avec beaucoup de subtilité et d’intelligence, ce que j’ai su apprécier.

Le style de Laure-Anne a beaucoup évolué depuis sa trilogie Paradoxes. Ses mots immergent le lecteur dans la psyché franche d’Hoshino. Ce personnage évolue entre deux mondes, ce qui permet au lecteur de découvrir celui des yakuzas et d’y poser un regard d’occidental. Ce côté un peu vieillot hyper traditionaliste de ce milieu et les réflexions liées feront échos à celles du lecteur novice. Hoshino est un personnage attachant malgré ses nombreux défauts, ce qui le rend terriblement, tragiquement, humain. Il porte une réflexion critique, pessimiste et un peu blasée sur la société mais aussi sur ses actes. Il est entouré par plusieurs figures secondaires qui ont pourtant toutes une personnalité marquée et une existence réelle, remarquable. Monsieur Fukuda est la figure du passé, Akira ne pourra que vous charmer, les Papadakis sont terriblement humains… Bref, même si le récit se centre sur la vie d’Hoshino, il n’oublie pas ceux qui gravitent autour de lui.

Pour résumer, Hanafuda est une réussite sur tous les points. L’objet livre est très beau et soigné, la mise en page des débuts de chapitre est vraiment originale. L’histoire en elle même offre une réflexion critique sur l’humain et le monde des yakuzas réalisée par une passionnée qui maîtrise son sujet ainsi que son écriture. Ces 194 pages immergeront le lecteur dans l’âme d’Hoshino et il n’en ressortira pas indemne. Un coup de cœur que je vous recommande chaudement ! ♥

Tokyo Vice – Jake Adelstein

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Tokyo Vice, de l’auteur et journaliste américain Jake Adelstein, est un livre à mi chemin entre le roman et le récit de vie. Il est disponible chez Points en format poche au prix de 8.40 euros et c’est un coup de cœur absolu dont je suis vraiment très heureuse de vous parler.

Jake Adelstein est journaliste, Tokyo Vice raconte l’histoire de sa vie. Voici comment on peut résumer ce livre en une seule phrase. Divisé en trois parties, Tokyo Vice est un récit riche et romancé, écrit à la première personne. Nous suivons Jake Adelstein, un juif américain, qui nous raconte son parcours depuis sa sortie de l’université japonaise où il a étudié dès ses 19 ans jusqu’au moment où des yakuzas viennent le menacer pour qu’il garde secrète une information concernant leur chef. Nous l’accompagnons dans son apprentissage de la langue japonaise et de ses subtilités, des coutumes sociales, des exigences de sa vie de journaliste et nous découvrons, souvent avec stupeur, les réalités de ce métier. A travers ses différentes affectations au sein du Yomiuri (le premier journal du pays) nous découvrons le monde criminel japonais mais également le monde judiciaire, avec ses aléas et ses sombres réalités.

Tokyo Vice ne raconte pas simplement un morceau de la vie de Jake Adelstein. C’est un témoignage romancé qui nous plonge dans la réalité du Japon moderne, que nous connaissons très mal ici en occident, au sein d’une société très différente de la nôtre et véritablement fascinante. L’auteur ne se contente pas de nous raconter ses aventures, elles servent de base pour nous permettre de découvrir les subtilités de la mentalité nippone. C’est interpellant, parfois choquant, souvent déprimant.

Plus qu’un simple témoignage, c’est un récit qui prend aux tripes. Jake est très attachant alors même qu’il n’essaie pas de se mettre en valeur (sans pour autant se dénigrer). L’auteur est impartial avec lui-même, analytique sur ses choix et ses actes. Il a écrit son livre dans une vraie posture de journaliste, avec une idée à défendre et des horreurs à dénoncer, sans pour autant tomber dans le cliché du justicier. Son style d’écriture est direct et clair, il sait comment structurer sa pensée pour nous la transmettre clairement. Immersif, instructif, éclairant, voilà ce qu’est Tokyo Vice.

C’est un ouvrage que je recommande aux futurs journalistes, je pense qu’il devrait être inscrit au programme des filières universitaires dans ce domaine parce que je l’ai trouvé vraiment édifiant. Je conseille aussi Tokyo Vice à ceux qui aiment le Japon ou qui pensent l’aimer. Je me suis rendue compte, à la lecture de ce livre, que je connaissais très mal ce pays et sa culture, qu nous parvient biaisée à travers le manga. Je suis vraiment contente que mes lacunes soient réparées ! Tokyo Vice conviendra aussi parfaitement à ceux qui sont intéressés par le crime organisé, autre que les habituels italiens et russes. C’est encore un système différent qui nous est donné de connaître à travers le travail d’investigation de Jake Adelstein et j’ai trouvé cela passionnant. Impossible de lâcher ce livre, j’en étais au point de lire en marchant dans la rue pour aller en cours. J’ai manqué de me faire écraser deux fois ! Mais ça valait la peine.

Pour résumer, Tokyo Vice est un coup de cœur que je vais très certainement relire plus d’une fois dans ma vie. Il dresse un panorama social, politique, économique et culturel du Japon comme on en voit peu. Cet ouvrage mérite d’être découvert, lisez-le absolument ♥ Moi, je vais me pencher sur le reste de la bibliographie, parce que je suis totalement sous le charme de Jake Adelstein, de sa vie, de son parcours et des histoires qu’il a encore à raconter.