Je ne suis pas un gay de fiction est un roman tranche de vie écrit par l’auteur japonais Naoto Asahara. Édité par Akata, vous trouverez ce texte au prix de 14.99 euros.
Jun est lycée et il est gay. Il dissimule sa sexualité à ses camarades même s’il sort avec un homme marié et plus âgé que lui. Il échange régulièrement avec Mr Fahrenheit, un correspondant sur Internet qui fait aussi office de confident. Tout va (presque) bien dans le meilleur (ahem) des mondes quand Jun croise Miura dans une librairie. Miura est une camarade de classe qu’il surprend en train d’acheter un manga érotique mettant en scène des hommes (ou BL). Très gênée, la jeune fille va essayer de se rapprocher de Jun pour éviter qu’il ne raconte à tout le monde son secret. Mais, pas de chance, elle va tomber amoureuse de lui.
Alors je sais. Je sais. Si on se base sur ce résumé, ça ressemble à une romance pas très originale et franchement niaise et vous vous demandez probablement pourquoi j’en parle sur ce blog. Sachez que le résumé (que ce soit celui de l’éditeur ou le mien) ne rend pas du tout justice au contenu de ce roman. Avant d’aller plus loin, j’ai envie de partager une réflexion avec vous et ça va être un peu long comme article, j’espère que vous resterez jusqu’au bout.
Une fiction est un reflet de notre société, d’une manière ou d’une autre. Que ça soit pour se projeter dans l’avenir, imaginer les conséquences d’un choix, vivre la vie d’un autre pour oublier la sienne, utiliser des métaphores pour aborder des problématiques… Il y a toujours un élément qui nous raccroche à ce qu’on connait et ce qu’on vit au quotidien, même dans le monde fantasy le plus foisonnant. J’ai déjà pu faire le constat que dans les romances (sur tout support) on a tendance à 1) idéaliser l’amour comme but à atteindre dans la vie et 2) idéaliser la notion de couple / avenir avec enfants ce qui met une pression monstrueuse sur les gens qui ne sont pas « dans la norme » ce qui, pour être honnête, est mon cas. Je ne suis plus en couple depuis quelques mois après une relation de presque neuf ans, je n’ai aucune envie de l’être à nouveau et surtout, je ne veux pas d’enfants. Pourtant, peu importe où je regarde, ce que je lis, dans 90% des cas, c’est ce modèle qui est mit en avant. Une femme s’accomplit en devenant mère et épouse.
Et ça, c’est sans parler de la manière dont la plupart des auteurs décrivent l’acte sexuel, surtout dans les romances (sur tout support), qui n’a rien de réaliste. J’en discute souvent avec une amie sexologue qui est aussi autrice et qui a décidé d’écrire des romances réalistes et didactiques afin de décomplexer les femmes. Je trouve son engagement très important et si ça vous intéresse, vous pouvez découvrir son roman en cliquant sur ce lien. Pourquoi je vous parle de tout ça? Parce que Je ne suis pas un gay de fiction aborde tous ces thèmes et s’il a été un coup de cœur, c’est parce que j’ai compris Jun comme j’ai rarement réussi à comprendre un personnage. Je me suis sentie proche de lui, il a résonné en moi et je pense que c’est un texte qui pourrait faire du bien à beaucoup de monde à partir du moment où ces thématiques vous intéressent, bien entendu. Pourtant, je suis une femme et je ne suis pas homosexuelle. Mais ça ne change rien, nous sommes tous concernés.
Pour revenir au sujet principal, à savoir Je ne suis pas un gay de fiction : Jun est un personnage en souffrance à cause de sa sexualité. Il désire être socialement dans la norme, pouvoir faire l’amour à une fille, se marier, avoir des enfants, vieillir entouré de sa famille aimante. Sauf qu’il ne réagit qu’avec des hommes et qu’au Japon, ce genre de personne est à peine toléré. C’est la raison pour laquelle Jun se cache et endure au quotidien les habitudes sociales de ses amis : discuter de machin qui a fait l’amour à sa copine, balancer quelques blagues de mauvais goûts sur les homosexuels… Il en vient même à se dire que ce n’est pas la faute des autres s’ils sont blessants puisque c’est lui qui dissimule sa véritable orientation sexuelle. Cette pensée a de quoi choquer et je me suis rendue compte que de nombreuses personnes homosexuelles doivent peut-être se le dire tous les jours.
Jun entretient une relation avec un homme marié rencontré sur le net, Makoto. Ce dernier est un personnage assez ambigu qui se révèle franchement repoussant par la teneur de ses fantasmes. Jun l’aime même s’il a conscience de ne pas valoir grand chose face au masque social que porte son amant. Ils se voient juste pour faire l’amour à l’hôtel puis chacun rentre chez soi. Leur dynamique de fonctionnement est effrayante et pousse à la réflexion sur ce qu’on est capable d’accepter par amour et à quel point on peut se voiler la face.
Jun discute aussi régulièrement avec Mister Fahrenheit, un fan de Queen, comme lui. Ils échangent uniquement par messagerie sur Internet et leurs interactions permettent d’en apprendre plus sur le VIH puisque Mister Fahrenheit en est atteint. Il tient même un blog sur le sujet, via lequel Jun l’a rencontré quand il faisait des recherches sur la maladie. Leurs discussions recèlent une profondeur surprenante vu leur jeune âge, on sent le poids de la dépression et de la souffrance quotidienne qui pousse ces adolescents à grandir trop vite. J’ai trouvé leur relation vraiment belle et son évolution m’a tiré des larmes. Les scènes qui les concernent invitent vraiment le lecteur à réfléchir sur ce qu’ils se disent et sur la façon dont on peut être n’importe qui sur Internet. Si je les ai adoré, je dois avouer que l’interaction la plus surprenante entre Jun et un personnage se déroule avec Miura.
Miura est une fille et elle aime le yaoi. Immédiatement, je me suis trouvée des points communs avec elle puisque c’est aussi mon cas et que je n’en parle pas spécialement. Pour beaucoup, c’est assimilé à du porno et c’est rare quand les gens qui n’en lisent pas se donnent la peine d’aller voir un peu plus loin. Il existe beaucoup de yaois différents, des histoires particulières, des coups de crayons et des intrigues riches (parfois), il suffit de savoir sélectionner ce qu’on recherche. Miura a déjà subi l’exclusion une fois à cause de sa passion et depuis, elle reste discrète. L’ironie veut qu’elle ne remarque même pas l’homosexualité de Jun et qu’elle tombe amoureuse de lui. Du coup, Jun, qui cherche désespérément la normalité, va accepter de sortir avec elle.
À ce stade vous vous dites probablement « mais quel connard ! » Je vous avoue, je l’ai pensé, d’autant qu’il sait que son meilleur ami est amoureux de la fille en question. Urgh, le malaise. Sauf que Jun aime Miura et c’est là qu’arrive une distinction qu’on ne fait pas suffisamment, celle entre le désir sexuel et les sentiments qu’on peut entretenir envers une personne. C’est pour ça qu’il a envie d’essayer et il fait vraiment des efforts, sauf que ça ne fonctionne pas. Rien que pour cet aspect didactique, ce roman est une perle.
À partir d’ici, il y aura un peu de spoils pour en arriver à ce que je veux vraiment dire dans cette chronique. La nouvelle de son homosexualité finit par se répandre auprès des autres élèves et les réactions ne se font pas attendre. Les garçons ne veulent plus que Jun se change avec eux avant le sport, par exemple, et intervient alors une réflexion pertinente : est-ce qu’un homme hétérosexuel bande forcément sur toutes les filles qu’il voit ? Non. Alors pourquoi un homosexuel banderait sur tous les mecs qu’il croise ? Pourquoi l’un est considéré comme plus pervers que l’autre ? L’histoire de Jun est l’occasion de démonter énormément de clichés qu’on entretient, volontairement ou non, sur les personnes homosexuelles.
Outre l’aspect pédagogique, Je ne suis pas un gay de fiction est un texte qui déborde d’émotions très fortes. Sans mentir, j’ai pleuré à trois reprises et pas les larmes aux yeux hein, de vraies larmes qui roulent sur les joues. Je ne sais pas trop comment l’auteur est parvenu à ce miracle. Je trouve que Naoto Asahara dose très bien ses émotions. Il n’en fait pas trop avec Jun, ne le rend pas niais, lourd ou pénible. Il est terriblement humain, subtil, ce pourrait être n’importe qui. Je n’ai eu aucun mal à ressentir de l’empathie pour lui ou à me projeter dans son quotidien. C’est en général ce que je reproche aux auteurs de ce genre littéraire : d’en faire trop. Ici, ce n’est pas le cas et ça permet aux messages transmis par l’auteur d’avoir une vraie puissance.
Pour résumer, Je ne suis pas un gay de fiction est un roman puissant, une tranche de vie magnifiquement dépeinte par Naoto Asahara qui nous raconte le Japon comme on ne le voit pas souvent. Jun, un lycéen homosexuel, démonte les préjugés que nous entretenons souvent malgré nous et partage avec le lecteur son histoire tragiquement banale et pleine d’émotions. Ce texte a une grande portée didactique pour tout qui s’intéresse à ces thématiques et surtout, pour les adolescents qui devraient le lire massivement. J’ai eu un coup de cœur pour ce roman que je recommande chaudement. ♥