
La dame sombre est le premier tome de la trilogie les Damnés de Dana écrite par l’autrice française Ambre Dubois. Édité aux Éditions du Chat Noir, ce premier tome n’est disponible qu’en numérique car il s’agit d’un des plus anciens titres de la maison d’édition. Vous le trouverez jusqu’au 3 mai au prix de 1.99 euros. Hors promotion, il est à 5.99.
De quoi ça parle?
Mévéa se réveille amnésique, en pleine nuit, dans la forêt. Elle prend peur en voyant un homme encapuchonné face à elle et s’enfuit. Elle est sauvée par des membres de la tribu de l’aigle dont elle ignore tout. Qui est-elle? Pourquoi ressemble-t-elle à une Sidhe ? Ces questions vont passer au second plan face à la menace de l’envahisseur romain.
Une œuvre à replacer dans son contexte et dans son genre littéraire.
Ce roman a été édité en avril 2012 -soit il y a huit ans- et a été l’un des premiers proposés par l’éditeur encore débutant à l’époque. Sur le laps de temps qui sépare son arrivée dans le catalogue du Chat Noir de ma lecture, le paysage éditorial a beaucoup évolué concernant le genre bit-lit qui était alors à son apogée. Il est certain que les Damnés de Dana s’inscrit dans cette mouvance par son exploitation érotisée du vampire et par sa simple présence, en réalité, en plus de quelques autres codes. Ne fuyez pas, le roman réussit tout de même à s’en démarquer à plusieurs niveaux.
Dans les aspects négatifs que La dame sombre a emprunté à la bit-lit, on a la galerie de beaux gosses qui collent tous à un archétype précis et semblent entretenir un désir pour l’héroïne : le vampire mystérieux super dark, le celte courageux puceau au grand cœur, le blagueur taquin qui frôle le harcèlement sexuel, l’ennemi romain qui a quand même bien la classe dans son uniforme… Je grossis un peu le train à dessein. Cette héroïne, bien entendu, elle est belle. Plus belle que toutes les autres femmes et elle n’en a pas trop conscience. D’ailleurs, elle s’en tape, ce qui l’intéresse, c’est retrouver la mémoire et éviter que les romains envahissent les terres pictes. Ce qui ne l’empêche pas de se mettre en couple avec l’un de ses prétendants ou d’avoir envie -sans l’assumer totalement- de se faire croquer par le vampire.
Ça, ce sont les points agaçants liés à la bit-lit. Quand je dis agaçant, comprenons-nous : moi, ça m’énerve en tant que lectrice mais d’une, ça n’a pas toujours été le cas (je me sens vieille, sérieux) et de deux, les aficionados s’y retrouveront dans problème car Ambre Dubois respecte les codes de son genre. Si on aime lire ce type de roman alors tout va bien dans le meilleur des mondes et on est même face à un premier tome de qualité.
Pourquoi est-ce que je vous précise tout ça ? Et à ce stade, vous vous demandez même sûrement pourquoi j’ai chroniqué ce roman. Et bien parce qu’Ambre Dubois propose une héroïne qui change des gourdasses qu’on croise en bit-lit. Mais si, vous savez… Celles qui ne pensent qu’avec leurs hormones et qui oublient un peu qu’elles doivent sauver le monde parce que tu comprends, machin est trop beau et truc aussi, puis y’a bazar là mais il est si méchant… mais si canon… Alors que faire ? De plus, les hommes qui gravitent autour d’elle ne cherchent pas tous à la mettre dans son lit (wouhou !) et ceux qui essaient n’y arrivent pas, à l’exception de celui sur qui elle a craqué. Il y a donc une logique dans la construction de ce personnage féminin qui la rend très crédible. Ambre Dubois respecte les codes, oui, mais elle n’y cède pas la crédibilité de son histoire ou de son intrigue aux affaires de fesses dont on n’a pas grand chose à faire. Et ça, c’est cool.
Je dois également avouer que j’ai passé un agréablement moment de lecture bien que j’ai roulé des yeux une fois ou deux. La dame sombre est un premier tome divertissant qui remplit bien son rôle en cette période de confinement. Je l’ai déjà dit mais parfois, un roman n’a pas besoin de nous bouleverser ou de changer radicalement notre perception du monde pour être agréable à découvrir. J’ai ressenti une certaine nostalgie de ma phase « bit lit » à sa lecture, sans les inconvénients qui s’y joignent en règle générale. Pour ça, je tire mon chapeau à Ambre Dubois et je lui dit merci parce que c’est le genre de lecture dont j’ai besoin en ce moment.
Mévéa l’amnésique…
En règle générale, je déteste le ressort narratif de l’amnésie. Je trouve ce choix plutôt pauvre et à mon sens, les auteurs qui l’utilisent cèdent à la facilité pour présenter leur univers. Bon j’sais pas comment faire pour tout expliquer bien alors l’héroïne, elle se souviendra de rien, comme ça, c’est réglé et on découvrira touuuut dans ses interactions avec les gens. Cela peut paraître dur comme remarque mais je précise que c’est vraiment fondé sur un ressenti personnel récurrent. Du coup, ça partait mal… Mais dans le cas de Mévéa, cela se justifie plutôt bien et tout ne tourne pas autour de ce point. Comme la narration est à la première personne, en plus, c’était pas gagné.
On rencontre l’héroïne au moment où elle reprend conscience non loin d’un site magique (et pas après un pique-nique #kaamelott). Le premier chapitre raconte sa fuite en forêt et se révèle plutôt immersif. Quand Mévéa reprend conscience, elle est dans un village et a été soigné par leur druide. Immédiatement, elle se pose les bonnes questions et respecte une logique dans ses priorités. Elle a un caractère assez pragmatique, elle ne cède pas à ses émotions et en a dans la tête. Ce n’est pas une demoiselle en détresse même si on peut le craindre par moment, sans pour autant être une mary-sue. Je trouve que l’autrice a vraiment trouvé un équilibre intéressant. Les pouvoirs qui se révèlent chez elle tiennent davantage du handicap qu’autre chose et font que son entourage la prend pour une envoyée des Anciens, si pas une Sidhe elle-même ou une banshee, ce dont elle se défend avec virulence pour insister sur sa normalité. On sent, bien entendu, que les ressorts « prophétie » et « élue » ne sont pas très loin… Mais on ignore encore à ce stade si l’autrice l’exploitera correctement ou non. Suspens donc, je lui laisse volontiers le bénéfice du doute.
Ses interactions ne tournent pas non plus uniquement autour de ses liens amoureux. En réalité, c’est même assez secondaire face à tous les évènements de ce premier volume. L’autrice prend le temps de proposer des personnages secondaires qui certes sont des archétypes pour la plupart mais gardent un aspect sympathique. Outre cette héroïne appréciable, j’ai trouvé intéressant le jeune Prasus aux origines tragiques (j’espère qu’il prendra davantage de place dans les tomes suivants et qu’on en apprendra plus sur son géniteur !) mais également Lennia, une femme guerrière au caractère bien trempé. Je mentirais si je disais que je ne suis pas également intriguée par le vampire Morcant dont les réactions surprennent toujours malgré son aspect très stéréotypé et érotisé. Je reste une ado au fond de mon cœur.
Malheureusement, je regrette quand même l’incarnation du protagoniste de ce tome, le fameux traitre celte, dont les motivations manquent de crédibilité. Je n’ai pas pu m’empêcher, une fois la surprise passée, de me dire : tout ça pour ça? Je vais éviter de parler de la scène où il expose les origines de sa traitrise en discutant tranquillement avec l’héroïne et son pote qui sont en plein milieu d’un camp romain pour libérer quelqu’un… Dommage pour ces maladresses. Mais allez, y’a quand même pas mal d’éléments qui rattrapent ces facilités. Si si, j’vous jure.
Un univers celtique maîtrisé saupoudré de vampirisme.
Dans ce premier tome, Ambre Dubois place son intrigue durant l’Antiquité, avant la chute du mur d’Hadrien. On a d’un côté l’armée romaine qui désire conquérir la totalité de Britannia et imposer la religion du Dieu Unique. De l’autre, on retrouve les peuples pictes, divisés en tribus, qui résistent tant bien que mal à l’envahisseur (sans potion magique en plus). Mais on a également un troisième camp, celui des vampires et des créatures de l’ancien monde. Les vampires ont longtemps été en guerre contre les pictes, jusqu’à ce qu’ils passent un pacte pour tenter de cohabiter au mieux. Si ça roule avec certaines tribus, c’est beaucoup plus difficile à vivre pour d’autres et cet élément prendra une place importante dans les ressorts de l’intrigue.
Les vampires descendent des Tuatha De Danaàn qui ont été chassés de leur dimension d’origine, l’autrice vous explique tout ça très bien sans que ça ne tombe comme un cheveu dans la soupe. Arrivés sur la terre des hommes, les bannis se sont rendus compte de leur stérilité après avoir bu une potion d’immortalité et c’est un peu par accident que le premier vampire est créé. Ils sont donc les représentants d’un monde condamné, d’un monde qui vivait avant les hommes et dont l’existence contamine cette race. Les vampires ont besoin des humains pour survivre, non seulement en buvant leur sang mais également en tant qu’espèce bien que l’autrice ne développe pas trop la manière dont un humain devient vampire dans ce premier tome.
Fidèle aux habitudes de l’époque (je sais on a l’impression que je parle d’un roman écrit il y a des siècles ->) l’autrice propose des vampires très érotisés et cruels (enfin ils en ont l’air mais peut-être qu’ils ont un grand cœur derrière leur apparence de vilains ?), obsédés par le sang et le corps. On trouvera dans ce premier tome quelques scènes plutôt chaudes mais pas dénuées d’intérêt. Je n’ai pas eu, comme souvent auparavant dans ce type de roman, l’impression que l’autrice donnait dans le fan-service ou dans le remplissage avec une jolie paire de fesses / seins / choisissez votre partie du corps préférée. Hormis une fois ou l’autre avec Galen, ces interactions se justifient et ont un intérêt dans l’intrigue. Dans ces cas-là, je n’ai aucun problème à la présence de ce type de scènes, surtout quand elles sont bien écrites.
Ambre Dubois pose les jalons d’une mythologie celtique qu’elle s’approprie d’une manière intéressante et prometteuse. Plusieurs divinités sont citées, plusieurs créatures également. Je trouve ce fond riche et motivant. Son univers est vraiment le point qui m’a le plus enthousiasmée dans son roman et donné envie d’aller plus loin. Mais pas que…
Senatus populusque romanus, conquête et domination.
Le thème central des Damnés de Dana est bien entendu celui de la conquête romaine et la manière d’y résister pour le peuple picte. Dans ce premier volume, les enjeux restent relativement locaux. Mévéa et Galen apprennent qu’un chef de clan s’est allié aux romains, qu’il y a un traitre chez les celtes, que le Père des druides est menacé, que les romains cherchent un fabuleux trésor qui financerait leur armée pour les mettre à genoux… Si ça ne va pas (encore) au-delà, le lecteur assiste à plusieurs exactions commises par l’envahisseur. D’une part grâce aux visions du passé de Mévéa mais aussi grâce aux évènements qu’elle et Galen vont vivre. Fait appréciable, l’autrice ne tombe pas dans le gore gratuit. Elle évoque les horreurs subies avec subtilité et réussit à toucher son lecteur.
On sent donc que cette trilogie va surtout traiter d’un choc des civilisations : les humaines mais également les magiques. Ce sera l’histoire d’une guerre, d’une lutte pour ses croyances et la sauvegarde de sa culture. Ce sont des thématiques qui m’intéressent énormément et ça me donne envie de continuer ma découverte de cette saga. J’ai envie de voir comment Ambre Dubois va les développer. Selon Cécile Guillot, l’éditrice du Chat Noir, cette trilogie gagne en puissance au fil des tomes. Ça met l’eau à la bouche ! J’ai donc acheté la suite en numérique. À ce prix-là, de toute façon, je n’y perds pas grand chose.
La conclusion de l’ombre :
Le premier tome des Damnés de Dana –intitulé la dame sombre- est un roman historico-fantastique prenant place à l’époque de la conquête romaine au nord du mur d’Hadrien, contre les pictes. L’univers créé par Ambre Dubois est prometteur et exploite d’une manière intéressante la mythologie celtique que l’autrice se réapproprie en y incluant le mythe du vampire. Si ce roman s’inscrit clairement dans la « bit lit » au sens large en reprenant certains codes, l’autrice se démarque avec une héroïne intéressante et des thématiques qui me parlent beaucoup comme la sauvegarde culturelle et la lutte pour la liberté d’exister comme on l’entend. Rythmé et plutôt bien écrit, La dame sombre est une lecture détente parfaite en cette période de confinement, un bon divertissement dont on redemande !