Et oui, ça y est ! Comme le hurle le titre, j’ai ENFIN lu la totalité de la Passe-miroir de Christelle Dabos grâce au coffret collector proposé en édition limitée par Gallimard que j’ai décidé arbitrairement de m’offrir pour Noël. C’est donc le moment de débriefer (à retardement je sais) sur ce phénomène littéraire francophone.
La Passe-miroir et moi.
Voilà des années que j’entends parler de cette saga, ayant plusieurs amies vraiment fans. J’ai toujours été intriguée par ce titre sans jamais vraiment oser sauter le pas pour une bête raison : le premier volume contenait le terme « fiancés » dans son titre et je craignais que la romance ne prenne une trop grosse place dans l’intrigue. De plus, tout l’engouement autour de la saga me rendait encore plus frileuse parce que j’ai ma propre logique (bancale) et que quand tout le monde adore quelque chose, ça me donne surtout envie de ne pas m’y arrêter. Cherchez pas, je suis montée à l’envers.
Mais j’ai finalement lu le premier tome il y a presque deux ans, après avoir vu à quel point l’autrice était populaire et surtout, super gentille. Pour vous donner une idée, sa présence aux Imaginales rendait la bulle du livre quasiment inaccessible parce que la file pour la voir s’étendait d’un bout à l’autre du chapiteau. C’était de la folie ! Une amie m’a alors prêté les fiancés de l’hiver, dont je vous avais parlé en détail sur le blog. Pour vous résumer ma première impression : j’avais adoré l’héroïne et le world-building mais je trouvais l’intrigue assez longue à se mettre en place et quelques maladresses stylistiques, lourdeurs et longueurs diverses, un peu surprenantes pour un éditeur aussi gros que Gallimard. J’avais tout de même eu envie de lire la suite, par curiosité, mais vous connaissez ma tendance à la procrastination.
Nous voilà donc des années (okey, deux, mais ça reste un pluriel) plus tard. Gallimard sort un coffret collector en édition limité qu’une amie achète pour lire les deux derniers volumes et posséder la saga complète dans une belle édition. C’est son enthousiasme (car je la sais très carrée, étant elle-même éditrice (oui c’est Émilie donc)) qui m’a fait sauter le pas. J’ai décidé de passer la fin d’année 2020 et le début de 2021 dans cet univers et je vous propose un billet sur mon ressenti global parce que je trouve ça plus pertinent que de fournir une chronique de chaque tome. Non pas que la matière manque pourtant mais quand j’ai la possibilité de tout faire en une fois, je ne m’en prive pas. D’autant que les chroniques de suite ont tendance à être moins lues, ce qui est logique.
À ce stade il est important de rappeler que cet article se concentre sur ma lecture de la saga entière et plus spécifiquement des tomes 2, 3 et 4. Elle contiendra donc des éléments d’intrigue et j’ai même prévu un paragraphe sur la fin. Si vous n’avez pas lu cette saga et que vous comptez le faire, n’allez pas plus loin !
Une édition collector de qualité.
Avant de me lancer dans la saga en elle-même, je dois m’arrêter sur l’édition collector proposée par Gallimard, limitée à 7000 exemplaires. Les tomes sont magnifiques, le dos du livre porte les mentions de tomaison avec une dorure de couleur différente pour chaque là où la couverture se dédie entièrement au dessin d’origine réalisé par Laurent Gapaillard. Chaque volume, à partir du second, s’ouvre sur un élément d’annexe comme une carte des différentes roses des vents / arches, une liste de tous les esprits de famille, une présentation / rappel de chaque personnage, etc. Je ne sais pas si c’est également présent dans les tomes d’origine mais je trouve ces initiatives vraiment intéressantes. D’autant que l’autrice fait un résumer des informations importantes de l’intrigue au début de chaque nouveau volume, ce qui est excellent pour la mémoire. Forcément, quand on les enchaine comme moi, ce n’est pas utile mais pour celles et ceux qui suivaient la parution depuis le début, ça ne manquait pas d’utilité.
Pour ne rien gâcher, l’édition collector contient également un petit livre sur l’univers de la Passe-miroir qui reprend en réalité tous les bonus contenus dans les tomes mais propose également plusieurs croquis des travaux du dessinateur ainsi qu’une partie « notes » où le lecteur peut écrire tout ce qui lui plait. Plus que l’objet en lui-même, c’est ce qu’il représente qui compte et qui est rappelé par cette simple phrase : « Chaque esprit de famille a un Livre. »
Passons (enfin) au cœur du sujet.
Un world-building époustouflant.
C’est ce que je retiens principalement de ma lecture. Christelle Dabos a imaginé un univers d’une grande richesse qui déborde d’imagination. Il s’agit, contre toute attente, d’un roman qu’on peut classer stricto sensu dans le post-apocalyptique, pourtant l’ambiance est loin de ce qu’on peut lire d’habitude dans ce genre. En quelques mots : il y a eu, à une époque, un Effondrement de ce qu’on suppose être notre monde, qui fait qu’il est maintenant divisé en plusieurs Arches à la tête de laquelle on trouve un Esprit de Famille. Leurs descendants sont des personnes dotées de pouvoirs divers et variés allant de l’animisme au contrôle des sens, des illusions, des éléments et j’en oublie. Les sociétés se sont adaptées à leurs arches, à leurs esprits de famille et à leurs pouvoirs, proposant des modèles sociaux aussi divers que variés.
L’intrigue s’articule autour de trois arches : Anima, le Pôle et Babel. Anima est l’arche des animistes, dont est issue Ophélie, l’héroïne. Elle possède un pouvoir de liseuse, c’est à dire qu’en posant ses mains sur un objet, elle peut en voir le passé et les émotions / souvenirs qui y sont imprégnés. Elle est également capable d’animer certains objets (dont la fameuse écharpe, meilleur accessoire jamais inventé en littérature ♥) et de passer d’un miroir à un autre sur une certaine distance, d’où le titre de la saga. Anima est une arche à l’ambiance particulière où les objets sont animés, ont un caractère, des émotions, c’est un joyeux boxon donc là où le Pôle est une arche beaucoup plus rude sur bien des plans. Alors quand la pauvre Ophélie va devoir s’y rendre pour se marier, elle va être dépaysée…
J’ai souvent lu une comparaison entre Christelle Dabos et J. K. Rowling, ce que je conçois dans une certaine mesure. Les deux autrices partagent en effet un type d’imagination commun dans le sens où elles créent des univers entiers, des sociétés entières, originales, loufoques, extravagantes mais crédibles et ce en se souciant des moindres détails et en s’inspirant de notre Histoire. Christelle Dabos ne copie pourtant pas le moins du monde Rowling, elle s’inscrit simplement dans une idéologie créatrice semblable, ce que j’ai adoré retrouver.
Une intrigue en dent-de-scie.
La Passe-miroir commence avec les fiançailles d’Ophélie et de Thorn, organisées par les Doyennes d’Anima qui ne se soucient pas trop d’obtenir l’aval de la jeune fille. On comprend vite que Thorn souhaite l’épouser pour obtenir ses pouvoirs de liseuse car le mariage, au Pôle, est accompagné d’un rituel qui permettent aux époux de mélanger leurs pouvoirs. Thorn souhaite devenir liseur afin de lire le Livre de Farouk, l’esprit de famille du Pôle, et découvrir grosso modo les secrets du monde, de sa création, de son état actuel. De nombreuses péripéties vont venir étoffer ce concept basique, le complexifiant jusqu’à le rendre vertigineux. L’autrice m’a très régulièrement surprise car je n’imaginais pas une seconde que l’histoire prendrait un tel tournant. J’étais persuadée qu’elle se développerait au Pôle, endroit que j’appréciais beaucoup. Le tome 2 est d’ailleurs mon favori ! En réalité, la majeure partie des évènements importants se déroulent sur Babel (les tomes 3 et 4) et rabattent complètement les cartes tant au niveau de l’ambiance globale (de plus en plus sombre) que des éléments d’intrigue (de plus en plus complexe).
Quel tournant, vous demandez-vous peut-être ? Et bien on y parle de Dieu, de métaphysique, de corne d’abondance, de sciences aussi d’une certaine manière (quoi qu’elle soit propre à cet univers), de politique, de changement, de ce qui est bon ou non pour l’humanité, et finalement on pourrait presque résumer tout ça en : l’enfer est pavé de bonnes intentions. Tout ce qui tourne autour de Dieu est franchement bluffant et bien trouvé, jusqu’à la faute d’orthographe qui remet tous les éléments en perspective. L’autrice a, de ce point de vue, vraiment bien joué avec son lecteur et même finalement un peu trop…
En effet, même si je trouve que l’univers créé par Christelle Dabos ainsi que les explications apportées par elle lors du final se tiennent bien, je regrette un manque de préparation. Les tomes sont assez épais, pourtant les différents éléments qui constituent l’explication finale me semblaient parfois un peu sortis de nulle part si bien que je restais décontenancée en tournant les pages, à me demander si je n’avais pas loupé une marche. Je réfléchissais tellement que je sortais de ma lecture. En réalité, je ne m’attendais tellement pas à tout ce qui est arrivé et à la tournure prise par l’histoire que j’ai eu un peu de mal, je pense, à me laisser embarquer et ce malgré la richesse des personnages.
Ophélie, Thorn et… Victoire ?
Je ne vais pas m’attarder sur la galerie très variée et riche des personnages qui se développent d’un tome à l’autre autour d’Ophélie. J’ai rarement croisé une autrice capable de créer des protagonistes secondaires aussi attachants et bien fichus. On sent qu’il y a un soin très particulier apporté à cela et ça a été un vrai plaisir pour moi de rencontrer ces différents acteurs qui gravitent dans cette intrigue un peu folle. Il y aurait beaucoup à dire sur chacun d’eux alors je vais surtout me concentrer sur ceux qui ont des chapitres de leur point de vue, bien que tout soit rédigé à la troisième personne.
Les deux premiers tomes sont relatés exclusivement du point de vue d’Ophélie. À partir du troisième, qui se déroule presque trois ans après la fin du deuxième, on découvre certains chapitres dédiés à la jeune Victoire, fille de Farouk et Berenilde (la tante de Thorn). Ces chapitres permettent d’avoir un œil sur les évènements qui se déroulent au Pôle et sur la tante de Thorn mais ils n’ont, en réalité, aucun véritable intérêt pour l’intrigue et sont assez secondaires si pas un brin lourd. Dans le dernier volume, l’autrice décide d’écrire deux chapitres du point de vue de Thorn et à nouveau, ils sortent un peu de nulle part bien qu’ils aient, eux, un sens. Ces chapitres étaient tellement bons, tellement intéressants puisque Thorn est un personnage très singulier, que j’ai soudain regretté que Christelle Dabos n’ait pas rédigé toute sa saga dans une alternance de point de vue entre Ophélie et lui.
Un tel choix aurait par ailleurs permis de développer un peu mieux la relation entre eux qui me parait, encore aujourd’hui, sortie de nulle part. En tout cas, l’aspect amoureux. En effet, l’intendant du Nord est présenté pendant presque deux tomes comme quelqu’un de froid, de distant, qui a des émotions mais ne sait pas les exprimer, plutôt asocial, renfermé sur lui-même, bourré de manies, de tocs, très carré, très porté sur l’hygiène absolue, la ponctualité, la régularité, etc. C’est un homme rude, rigoureux, qu’on a du mal à cerner si bien que quand il souffle son amour à Ophélie pour la première fois dans le tome 2, c’est totalement incongru, du moins pour moi. Idem, le comportement d’Ophélie par la suite n’a pas de sens car rien dans sa psychologie ne prépare vraiment à son revirement. Je sais qu’elle passe beaucoup de temps à se voiler la face, mais bon… J’aurai trouvé bien plus crédible et intéressant qu’ils soient amis ou développent à la limite une relation platonique car les quelques écarts intimes du dernier tome tombaient, selon moi à nouveau, comme un cheveu sur la soupe.
Contrairement à beaucoup, je suis par contre très satisfaite de la fin et du choix de l’autrice. C’était osé, franchement, bravo !
La conclusion de l’ombre :
La saga de la Passe-miroir de Christelle Dabos est particulièrement remarquable au niveau de son world-building et de son héroïne atypique avec laquelle j’aurais apprécié grandir. L’autrice ne manque pas d’imagination et apporte un soin particulier à la construction de ses personnages, ce qui les rend tous intéressants et attachants d’une manière ou d’une autre. Si je ne regrette ni ma lecture ni ma découverte, je ne peux pour autant pas parler d’un coup de cœur monumental comme ça a été le cas chez beaucoup car je me suis sentie trop déboussolée par la tournure prise par l’intrigue et par sa conclusion où tout s’emboîte bien sans pour autant que j’y ai été correctement préparée en tant que lectrice. J’apprécie par contre le choix final de l’autrice concernant Thorn et Ophélie, qui ne manque pas d’audace. Dans l’ensemble, cette saga ne peut pas laisser indifférent et je comprends à présent pourquoi elle a déjà séduit tant de lecteurs. C’est un texte tout à fait recommandable qui a beaucoup plus à offrir que ce qu’on pourrait croire de prime abord.
D’autres chroniques : il y en a plus de 1300 rien que pour le premier tome sur Babelio donc je vous avoue que j’ai un peu abandonné l’idée de trier. Par contre si vous suivez le blog, n’hésitez pas à me renseigner vos chroniques dans les commentaires pour que je les ajoute à cet article 🙂