Rouge – Pascaline Nolot

19
Rouge
est un one-shot fantastique écrit par l’autrice française Pascaline Nolot. Publié par Gulfstream dans sa collection Électrogène, vous trouverez ce roman partout en librairie au prix de 17 euros.

Je remercie FungiLumini du blog Livraisons Littéraires pour m’avoir prêté ce roman. Allez lire sa chronique, elle m’a mis l’eau à la bouche ! Ce roman a été repoussé suite à la crise du COVID-19, il devait à l’origine sortir en avril. N’hésitez pas à lui faire un bon accueil et à vous montrer curieux pour qu’il ne tombe pas dans l’oubli 🙂

De quoi ça parle?
Dans une époque moyenâgeuse indéterminée, Rouge vit dans le petit village maudit de Malombre. Pour être exacte, elle y survit, rejetée et malmenée par les autres habitants pour sa face défigurée et son ascendance prétendument maléfique. Si Rouge n’a pas péri au berceau, c’est parce qu’elle est une fille et que la Grand-Mère réclame toutes celles du village qui commencent à saigner. Qu’arrive-t-il à ces Bannies? Rouge va le découvrir car son tour arrive…

Une réécriture sombre de conte.. mais pas que.
Ce qui saute aux yeux en premier lieu quand on entame la lecture de ce roman, c’est sa parenté avec l’histoire du Petit Chaperon Rouge notamment au niveau des figures représentées : le Chasseur (on pense d’abord à Blanche Neige d’ailleurs mais j’ai vérifié, il y en a un aussi dans une réécriture plus tardive du Petit Chaperon Rouge), les loups, la Grand-Mère, le village qui s’oppose à la forêt. Pourtant, ce sont bien là les seuls points communs tant Pascaline Nolot se réapproprie l’histoire avec brio au point de modifier en profondeur les rôles de chaque protagoniste. Je ne peux m’étendre davantage sur le sujet sans divulgâcher le contenu du roman toutefois en dehors des noms, finalement… L’histoire d’origine n’a plus grand chose en commun avec celles de Perrault ou des frères Grimm bien qu’on retrouve l’idée d’une marche en forêt tendant vers un but : aller voir la Grand-Mère en lui apportant un panier avec des victuailles. Comme quoi, avec un concept vu et revu depuis des siècles (littéralement !) on peut toujours innover.

L’originalité et la réappropriation de ce conte connu par l’autrice est un des éléments que j’ai le plus aimé parce qu’il permet de sortir le lecteur de ses certitudes. Il ne s’agit pas bêtement de moderniser une histoire vue et revue avec des thématiques modernes, non ! Pascaline Nolot joue avec nous en nous empêchant de nous fier à ce qu’on croit connaître. J’adore !

Rouge : une héroïne attachante.
Le personnage de Rouge est la seconde grande force de ce roman. La jeune fille survit à Malombre et subit des traitements assez horribles de la part des villageois. Sa mère lui a donné naissance alors qu’elle sombrait dans la folie, une folie induite par le démon avec qui elle aurait forniqué, toute entière obsédée par son désir de maternité (enfin, c’est ce qu’on dit au village). Selon les Malombreux, cela explique sa face rouge. Ils la pensent même contagieuse : si on la touche, on risque d’attraper son mal. Depuis la vieille nourrice qui l’a prise en charge jusqu’à ses quatre ans (et est décédée ensuite, la faute à Rouge ?), Rouge n’a plus eu le moindre contact humain. Personne n’a de considération pour elle à l’exception du Père François qui essaie de tempérer un peu les ardeurs de ses ouailles en délimitant les périodes où ils ont le droit d’être agressifs avec Rouge et de Liénor, son meilleur ami qui manque un peu de courage pour la défendre sans pour autant cesser de la fréquenter.

Rouge possède une psychologie soignée, nuancée, la rendant ainsi très crédible dans son rôle de victime harcelée sans pour autant tomber dans le larmoyant lourd. La jeune fille garde la tête haute, encaisse, souffre mais ne s’apitoie jamais. Un bel exemple ! J’ai vraiment adoré la suivre jusqu’au bout de son histoire.

Entre passé et présent, une narration alternée.
L’autrice opte pour une narration en alternance entre le présent de Rouge et les différents éléments de son passé, notamment ce qui concerne sa mère. Ainsi, le lecteur apprend petit à petit de quelle manière Rouge a véritablement été conçue, comment sa mère a pu accoucher, comment les villageois ont interagis avec elle, etc. L’idée est bonne mais j’ai souvent trouvé ces passages redondants à mesure que j’avançais puisque les informations revenaient souvent. Parfois pour révéler un mensonge mais la majorité du temps, non. En se plongeant dans la psyché d’autres protagonistes, Pascaline Nolot se répète un peu trop sur les éléments de son histoire et c’est le seul vrai point noir de ce roman selon moi. Heureusement, il a bien d’autres qualités ! Notamment la plume de l’autrice qui se plie à l’ambiance ancienne de Malombre avec des tournures de phrase qui offrent une belle musicalité au texte.

Un drame ordinaire pour des thématiques modernes.
Pascaline Nolot met en scène un drame ordinaire (vous comprendrez en lisant) qui prend des proportions gigantesques à cause de l’avidité / stupidité (choisissez votre mot favori) humaine. Elle traite ainsi plusieurs thématiques hélas trop actuelles : le harcèlement, le culte des apparences, le fanatisme religieux mais aussi le sexisme ordinaire dans tout ce qu’il a de plus répugnant. Pour exemple (ceci est un divulgâchage donc surlignez pour lire 😉 ) je pense surtout au Père François qui excuse son comportement obscène en affirmant que le Diable a pris possession de son corps et que grâce à sa foi, il a réussi à ne pas devenir fou au contraire de la pauvre femme dont il abuse, viol qui donnera finalement naissance à Rouge. Les chapitres de son point de vue sont admirablement maîtrisés et provoquent un choc rehaussé d’indignation à mesure qu’on avance.

La conclusion de l’ombre :
Pascaline Nolot signe ici la réécriture d’un conte sombre et dérangeant qui met en avant des thématiques tristement actuelles telles que le harcèlement, le culte des apparences mais aussi la femme en tant qu’être-objet. L’autrice se réapproprie des archétypes connus en y apportant une véritable originalité. Si on peut déplorer quelques longueurs sur les parties du roman consacrées au passé de l’héroïne, cela n’empêche pas de dévorer ce page-turner en quelques heures à peine. Un texte tout à fait recommandable qui n’épargnera pas les sentiments du lecteur.

D’autres avis : FungiLumini, les Dream-Dream d’une bouquineuse, l’ourse bibliophile.

#PLIB2019 Erreur 404 – Agnès Marot

8
Erreur 404
est un one-shot de science-fiction écrit par l’autrice française Agnès Marot. Publié chez Gulf Stream dans la collection Électrogène, vous trouverez ce livre dans toutes les librairies au prix de 18 euros.
Ce roman a été sélectionné pour le PLIB2019. #ISBN9782354885472.

Vous le savez, Agnès Marot est une auteure dont j’apprécie le talent, la sensibilité mais aussi la personnalité. Je vous ai parlé il y a quelques mois de son diptyque De l’autre côté du mur qui avait été un coup de cœur. Si Erreur 404 n’a pas gagné ce qualificatif, il n’en reste pas moins un roman d’une grande richesse.

Dans le même univers que celui du roman I.R.L. (que j’ai lu à sa sortie, donc avant d’avoir mon blog) nous suivons l’histoire de Moon et Orion, un couple qui désire participer au prochain tournoi du jeu Beastie organisé par la firme IRL. Le principe de Beastie est simple: dans un univers de réalité virtuelle, vous élevez une créature que vous contrôlez par la pensée en lui donnant des ordres pour la faire affronter des adversaires. Évidemment, ces créatures ne ressentent pas la douleur et il ne suffit pas d’être le plus puissant, il faut aussi faire preuve d’imagination, de ruse, de sens du spectacle.

L’intrigue tourne autour de plusieurs thématiques. Elle parle déjà de la place de la femme dans le milieu du jeu vidéo. Sachez que je suis moi-même une joueuse, surtout adepte du MMORPG. Contrairement à Moon, je n’ai aucune ambition de passer pro mais en lisant ses mésaventures, j’ai eu du mal à croire que ça se passait vraiment comme ça, dans la réalité. Alors même que j’ai souvent été témoin de sexisme dans des parties, ça parait paradoxal mais l’éclairage offert par Agnès Marot est vraiment révélateur. Pourtant, l’autrice a interrogé des gameuses professionnelles qu’elle cite dans les remerciements et ça m’a laissé sur le cul. Comme quoi, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir sur le plan de l’évolution des mentalités.
Ce roman est sans conteste engagé dans la cause de l’égalité des sexes, sans pour autant tomber dans des extrêmes ou dans du moralisme. C’est bien traité, bien amené, chapeau.

L’autre grand thème d’Erreur 404, c’est la différence entre virtuel et réalité. Dans cet univers, les deux se mêlent étroitement et aucun doute qu’avec les avancées technologiques de notre société, nous finirons par arriver à une situation semblable. Le développement de l’intrigue et les choix de Moon poussent le lecteur à réfléchir et à remettre en question son propre rapport au virtuel. Et pour une fois, j’ai vraiment apprécié que l’autrice ne nous balance pas une morale du style « l’IRL prime sur tout le reste, gardez les pieds sur terre ». De nos jours, on ne peut plus vraiment se permettre un avis aussi tranché. En cela, ce roman est résolument très moderne, très ouvert d’esprit.

Erreur 404 est un roman hyper référencé. L’auteure est elle-même une geek et cela se ressent tant elle traite son sujet avec bienveillance. Les allusions et les clins d’œil se multiplient, qui ne manqueront pas de ravir les adeptes de pop culture. Il est tellement référencé qu’il est lui-même construit comme la progression d’un jeu-vidéo, que ce soit à travers le découpage des chapitres, leurs titres ou encore par cette fin originale dont je vais taire les détails pour ne pas vous spoiler. Agnès Marot a pensé non seulement son histoire, mais aussi son objet-livre.

Enfin, concernant les personnages, nous en retrouvons certains issus du roman I.R.L. mais rassurez-vous, il n’y a pas forcément besoin de l’avoir lu pour se plonger dans Erreur 404. Il y fait référence, se passe dans la continuité des évènements, mais ceux-ci sont rappelés dans le récit. Évidemment, lire les deux offre un plus grand impact au propos mais ça n’a rien d’obligatoire.
L’héroïne s’appelle Moon ou plutôt, a choisi Moon comme pseudo. C’est une jeune femme qui rêve de devenir pro-gameuse mais qui se heurte aux difficultés du milieu. Elle a souvent échoué dans sa vie et elle le vit très mal. J’ai trouvé ce personnage assez profond et complexe. Elle a son caractère, ses faiblesses mais même si elle m’a parfois agacée, je l’ai comprise et j’ai été touchée par ses dilemmes. Orion, son compagnon, est toujours présent et important dans sa vie. Leur histoire existe dès le début du roman et a son importance dans l’intrigue, sans pour autant devenir trop invasive ou transformer Moon en midinette de romance. Cela peut paraître bête de le préciser mais ça arrive malheureusement trop souvent et je suis contente que l’autrice ne soit pas tombée dans cet écueil. Enfin, on peut sans contester citer Loop, le Beastie, comme troisième personnage principal même s’il est assez compliqué de parler de lui sans révéler des éléments importants de ce roman. Je dirai simplement qu’il est central et représente un axe de réflexion à lui tout seul.

Pour résumer, Erreur 404 est un roman dynamique et divertissant qui aborde avec intelligence des problématiques importantes comme la place de la femme dans certains milieux ou notre rapport au virtuel. Agnès Marot signe ici une nouvelle histoire percutante qui ne vous laissera pas indifférent. Je recommande !

Memorex – Cindy Van Wilder

memorex-cindy-van-wilder-gulf-stream-editeur.jpg

Memorex est un roman d’anticipation écrit par Cindy Van Wilder (une auteure belge !) et publié chez Gulf Stream dans la collection Électrogène, il s’agit donc d’un one-shot. Vous pouvez vous procurer ce livre en librairie puisque l’éditeur est bien distribué, au prix de 17 euros.

Je connais Cindy Van Wilder depuis un bon moment maintenant, via Agnès Marot (dont je vous recommande la lecture d’I.R.L dans la même collection). J’ai directement eu envie de découvrir cette auteure sympathique au rire devenu légendaire sur les salons du livre, sans toutefois parvenir à me décider par quel titre commencer. D’autant que, elle et moi, on joue vraiment de malchance. Soit j’ai dépassé mon budget, soit j’ai dû annuler ma venue en salon, soit j’ai dû partir trop vite, bref… Une fois aux Halliénnales, assis quasiment en face d’elle, toutes les conditions étaient réunies pour que je craque enfin ! Et quoi de mieux qu’un one-shot pour découvrir un auteur? Voilà comment Memorex a rejoint ma PAL.

Memorex raconte principalement l’histoire de Réha, une jeune fille dont la mère est morte un an auparavant dans un attentat perpétré contre sa fondation, Breathe. Depuis, tout s’effondre autour d’elle, sa famille se délite, son frère jumeau n’est plus le même, son père s’enferme sur son île privée… Et elle reçoit un mystérieux e-mail, qui lui laisse penser que bien des mystères sont encore à éclaircir autour de cet attentat, dont le coupable n’a toujours pas été arrêté.

Je ne savais pas quoi penser de la 4e de couverture. A priori, ce n’était pas trop mon genre de lecture mais Agnès m’a bien vendu le livre et j’ai été très agréablement surprise par son contenu. Réha est une jeune femme qui évolue dans un milieu social aisé (académie privée, enfance sereine loin des soucis financiers sur Star Island, etc.) mais qui n’en est pas snobe pour autant. Elle est fragile, perturbée, elle souffre sans pour autant s’apitoyer sur son sort, elle s’interroge beaucoup sur ses émotions, les refoule sans vraiment le faire, ce qui la rend très humaine, très attachante, parce qu’on sent sa volonté de s’en sortir, de ne pas sombrer dans la folie après le drame qui l’a frappé, et toute la difficulté que cela implique.

Si j’ai aimé la suivre et découvrir les protagonistes qui gravitent autour d’elle, j’ai toutefois deviné l’intrigue assez vite. J’avoue que je ne m’attendais pas à ce que ça aille si loin pour son frère jumeau, mais on comprend rapidement certains éléments clés de l’histoire (que je ne cite pas pour ne pas vous bouder le plaisir). De plus, j’ai été un peu perturbée par le changement de narration. Avec Réha, on est à la première personne (puisque c’est le personnage principal) mais ses chapitres sont parfois suivis d’autres chapitres, qui servent à présenter son père, oncle Mike, Aïki, des rapports divers et variés… Dans ceux-ci, on passe à la troisième personne et ensuite, on retourne à la première pour les quelques chapitres consacrés à Aïki, ce qui rend le roman un peu inégal. Cela permet, certes, de comprendre les motivations et la psychologie de chacun, mais était-ce vraiment utile à l’histoire en elle-même? Et à celle de Réha? Je m’interroge.

Du coup, en tant que lectrice, ça me sortait de ma lecture, ça m’empêchait d’être à 200% avec Réha. Si j’ai bien conscience que les informations données sont importantes pour comprendre toute l’intrigue, elles en disent justement trop, trop vite, et ça nous permet de deviner les contours d’une intrigue pourtant intéressante, mais gâchée sur certains points à cause de ces chapitres supplémentaires, ce qui m’embête car construit autrement, je pense que Memorex aurait pu être un coup de cœur.

Toutefois, le point fort de ce roman se situe surtout dans les thématiques qu’il aborde. Le côté attentat a un écho avec notre actualité (bien que le contexte idéologique soit différent), les réflexions d’éthique scientifique, dans un monde de plus en plus automatisé, permettent aussi de tirer la sonnette d’alarme et de nous faire prendre conscience de problèmes qui existent déjà aujourd’hui, en 2017, et depuis plusieurs années. C’est quelque chose que j’ai vraiment apprécié, parce que ça fait de Memorex un roman engagé sans toutefois être dirigiste envers son lecteur. Outre ces éléments, on y parle évidemment de la famille, du deuil, du pardon, des apparences qui sont trompeuses… Des thèmes assez courants mais que l’auteure met en scène d’une manière qui a su me toucher. Mention spéciale à Aïki, un personnage surprenant, complexe… Je me demande si une sorte de suite le mettant en scène, pour pousser un peu plus loin l’univers, est envisageable (ou envisagée?). Quoi qu’il en soit, j’ai beaucoup aimé les jumeaux et Holy, qui s’est révélée plus chouette que prévu.

En bref, malgré quelques points négatifs, j’ai passé un bon moment avec Memorex. Je suis sortie de ma zone de confort et j’ai apprécié le voyage dans cet univers. Je le recommande aux lecteurs qui désirent lire un livre intelligent, pas seulement divertissant, un livre qui les poussera à réfléchir un peu sur le monde dans lequel nous vivons, agrémenté par quelques personnages intéressants.