Yardam – Aurélie Wellenstein

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Yardam
est le nouveau one-shot de l’autrice française Aurélie Wellenstein. Publié chez Scrineo, vous trouverez ce roman au prix de 20 euros partout en librairie.

Je vous ai déjà parlé de l’autrice avec ses autres romans : le Roi des fauvesle Dieu OiseauMers Mortes. Si c’est ma quatrième lecture en sa compagnie, Yardam est en réalité son dixième roman ! Aurélie Wellenstein a donc désormais une certaine expérience même si c’est son premier roman étiqueté adulte, elle qui donne davantage dans le YA.

De quoi ça parle ?
Kazan exerce la profession de voleur à Yardam et il ne se contente pas de dérober des tableaux : il ingère également des âmes, laissant derrière lui des coquilles qui prolifèrent de plus en plus dans la ville… Au point d’entrainer une désastreuse quarantaine. Au désespoir, Kazan rencontre un couple de médecins : Feliks et Nadja, qui affirment pouvoir guérir cette maladie. Commence alors la descente aux Enfers…

Les bases de l’univers : de bonnes idées bien exploitées.
L’intrigue se déroule en intégralité au sein de la ville de Yardam, une cité inventée par l’autrice dont on a un peu de mal à situer l’époque et la localisation. Sur base des descriptions, je la visualise comme une ville dans l’est de l’Europe au début de l’ère industrielle, fin 19e / début 20e siècle. J’ai apprécié l’aspect fictif de l’endroit qui permet beaucoup de libertés en matière de suspension de l’incrédulité. Toutefois, l’aspect fictif ne signifie pas que l’autrice fait n’importe quoi, au contraire : j’ai trouvé l’ambiance crédible, l’écrin très bon pour l’histoire qu’elle désirait raconter puisque Yardam se trouve à cheval entre deux époques. Pas suffisamment éclairée pour ne pas tomber dans les extrêmes religieux en situation de crise et pas suffisamment attardée pour tomber dans une opposition manichéenne peu intéressante.

Une épidémie sévit au sein de cette ville de Yardam. Depuis un moment, des coquilles apparaissent un peu partout, sans raison connue. Une coquille, c’est un corps humain dépourvu d’âme qui erre dans les rues en devenant de plus en plus générique car ces coquilles perdent leurs caractéristiques physiques. Hommes comme femmes n’ont plus de cheveux, de formes, leur peau blanchit et leur regard reste fixé sur la Lune, ce qui donne lieu à des spéculations autant que des surnoms peu flatteurs. Personne ne sait ce qui cause cela sauf ceux qui, comme Kazan, sont infectés par cette maladie sexuellement transmissible les transformant en voleurs d’âme. Kazan l’a eue grâce à une femme, Lara, mais celle-ci la lui a donnée après lui avoir expliqué ce que cela impliquait et en l’aidant ensuite à vivre avec -un schéma que Kazan va reproduire. Kazan n’est donc pas une victime, il a choisi son état et je trouve que ça offre une nuance intéressante.

Malgré les avertissements, l’attrait de la puissance se révèle trop impérieux pour que les nouveaux voleurs d’âme se rendent compte de ce qu’ils abandonnent derrière eux, des morts en sursis qu’ils deviennent. Quand ils aspirent une âme, ils acquièrent toutes les connaissances qu’elle contient, toutes les capacités physiques également. Ces âmes sont enfermées dans le corps du voleur, toujours conscientes, ce qui leur permet de parler, de menacer, bref de transformer la vie du vampire psychique en véritable Enfer jusqu’à le pousser au point de rupture.

J’ai trouvé le concept de base plutôt intéressant, il m’a tout de suite emballée surtout que l’autrice développe très bien la psychologie de ses personnages en poussant ainsi son concept jusqu’au bout. Toutefois, les lecteurs qui aiment disposer de toutes les réponses ressortiront probablement frustrés par cette lecture puisque, à aucun moment, les médecins ne trouvent une explication logique ou cohérente à ce phénomène. Il est là, on ignore comment guérir la coquille ou le vampire psychique et c’est tout. Une partie du roman consiste d’ailleurs en une quête de réponses, des réponses qui ne viendront pas pour la plupart. Je le précise parce que je sais que ça énerve certains. Toutefois, sur un plan personnel, l’explication ne m’a pas manquée le moins du monde.

Une pluralité d’antihéros.
Au début de Yardam, le lecteur rencontre Kazan, un monte-en-l’air qui a aspiré l’âme d’un gardien de musée afin de réaliser un vol qui lui permettra de vivre tranquillement le reste de sa courte vie. Dés le départ, Aurélie Wellenstein joue avec son lecteur en lui inspirant des sentiments ambigus. D’un côté, on compatit au sort de Kazan et de l’autre, quand on prend un peu de recul, on se rend compte qu’il est quand même très égoïste et commet des actes plus que répréhensibles en plus d’éprouver des pulsions malsaines envers les autres personnages du roman. Kazan est typiquement le genre de protagoniste que j’adore suivre car tout n’est pas blanc ou noir. L’autrice offre un antihéros nuancé et fascinant, en équilibre précaire.

Lorsque l’Empereur annonce la quarantaine, Kazan tente de s’enfuir mais tombe sur un couple de médecins qu’on empêche d’entrer dans la ville alors qu’ils souhaitent aider à endiguer l’épidémie : Feliks et Nadja. Ces deux médecins sont persuadés de pouvoir guérir les coquilles, Kazan y voit son salut et décide de les aider à rentrer, restant ainsi lui-même prisonnier de Yardam. Rapidement, toutefois, le voleur d’âme se rend compte que les deux médecins n’ont aucune idée de ce dont souffrent les coquilles ni de comment les aider, ils sont simplement plein de bonne volonté. Sauf que l’enfer est pavé de bonnes intentions -ç’aurait pu être le sous-titre de Yardam au passage.

Feliks et Nadja sont deux étrangers, leurs prénoms évoquent tout de suite une origine slave de même que la blondeur et les yeux clairs de Feliks. Le couple est très amoureux et se soutient dans les épreuves, ils deviennent assez vite agaçants jusqu’à ce que Kazan absorbe Nadja pour l’empêcher de révéler son secret à Feliks. Là, tout part en sucette.

C’est à partir de cet instant que le texte devient vraiment intéressant.

Névroses & cie.
Kazan est un gamin abandonné par sa famille, il a besoin d’amour et se plonge dans les souvenirs de Nadja pour en vivre à travers elle. Feliks est désespéré par la maladie de sa femme -devenue coquille- et voit d’abord en Kazan un soutien, inconscient du rôle qu’il y a joué. Les deux tiers du roman se basent sur cette tension psychologique que l’autrice installe très bien ainsi que sur de nombreux retournements de situations qui, au final, servent de théâtre à l’expression de ce que l’humanité a de pire en elle. C’est sombre. Poisseux. Oppressant. Bien foutu. Une maîtrise que je n’avais plus ressentie depuis ma lecture du Roi des fauves.

Soyons clair, dans ce roman, on trouve non seulement des protagonistes névrosés mais également une grande violence dans les évènements relatés ainsi que dans les situations vécues par les personnages. C’est pas joli du tout et honnêtement, ça a un côté angoissant, surtout vu la crise que nous venons de vivre avec le COVID-19, la quarantaine, tout ça. Si vous avez besoin d’un bon bol d’air et de justice, ce n’est clairement pas le roman à ouvrir pour le moment. Son ambiance oppressante de confinement, les habitants qui sombrent de plus en plus vers la folie, ces puissants qui se pensent au-dessus des lois, tout cela vous rappellera une actualité pas si lointaine et ça peut heurter les plus sensibles parmi vous. Moi-même j’ai failli reposer le roman pour repousser sa lecture mais j’avais envie de connaître le dénouement donc j’ai persévéré avec une sorte de boule au ventre. Sans regrets hormis pour la dernière page -je n’en dit pas davantage et c’est un sentiment tout à fait subjectif.

Que de qualités, et pourtant…
Yardam est un roman que j’ai lu avec difficulté en partie pour son ambiance (la période ne s’y prêtait pas du tout, on ne va pas se mentir puis je suis pas loin de la panne de lecture depuis un moment) mais aussi parce qu’il m’a manqué un petit quelque chose pour le hisser à la hauteur du Roi des fauves, détrônant ma première lecture de l’autrice. Je pense que ça vient en grande partie de moi, de mes attentes, de mon propre sentiment globale à cause de l’instant mal choisi pour ma lecture mais je me devais de le préciser pour être totalement honnête avec vous. Si on pose un œil critique sur ce roman, il porte de nombreuses qualités et je le trouve vraiment réussi, surtout sur un plan psychologique mais il y a deux trois éléments un peu dommage dans l’intrigue, deux trois frustrations totalement subjectives que je ne peux pas développer pour vous préserver du divulgâchage, ce petit quelque chose sur lequel je ne mets pas vraiment le doigt ainsi que la fin qui m’a un peu déçue une nouvelle fois. Sur un plan personnel, mon expérience avec le roman est donc en demi-teinte ce qui ne m’empêche pas de lui voir beaucoup de qualités ni d’avoir envie de le recommander parce qu’il a tous les atouts pour plaire à la majorité des lecteurs. Il suffit de voir les chroniques chez les autres blogpotes (les liens sont renseignés en bas) !

La conclusion de l’ombre :
Avec Yardam, Aurélie Wellenstein s’impose brillamment dans la littérature imaginaire adulte. Roman à la croisée des genres, Yardam se veut sombre, oppressant, angoissant, toile vivante de ce que l’humanité a de pire en elle. Les personnages, même secondaires, sont crédibles et travaillés avec un soin apporté à leur psychologie que je trouve remarquable, ce pour offrir un texte tout à fait recommandable ! Une nouvelle réussite à accrocher au palmarès de cette autrice dont le talent n’est plus à prouver.

D’autres avis : The Notebook 14My Dear EmaLes fantasy d’AmandaLes livres enchantésLe tempo des livresAu pays des cave trolls – vous ?

#PLIB2019 Le Dieu Oiseau – Aurélie Wellenstein

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Le Dieu Oiseau est le dernier roman en date d’Aurélie Wellenstein publié chez Scrinéo. Vous retrouverez ce livre au prix de 16,90 euros en format papier. Il s’agit d’un one-shot un peu compliqué à classer, dans la veine du récit initiatique.
Ce roman a été sélectionné pour le #PLIB2019. #ISBN9782367405827.

L’histoire se déroule sur une île que nous sommes bien en peine de situer géographiquement ou même temporellement (quelle époque? quel monde?). Tous les dix ans, une compétition détermine quel clan va dominer l’île, ils sont dix en tout. Après des épreuves de sélections, les dix finalistes doivent accomplir la Quête du dieu oiseau: trouver son île et ramener l’œuf d’or. Forcément, l’île en question n’est pas un lieu paisible sans aucun obstacle… Entre la mer déchainée, les bêtes féroces et les obstacles naturels, on se demande comment au moins l’un d’eux arrive à survivre à chaque coup. Le vainqueur assure la domination de son clan et fait subir aux vaincus la tradition du « Banquet », une journée orgiaque où tout est permis, même (et surtout) le pire. Lors du dernier banquet, Faolan a vu sa famille se faire massacrer et a été réduit en esclavage par Torok, le fils du chef victorieux. Quand la nouvelle compétition commence, il tient à y participer (c’est ouvert à chacun quelle que soit sa condition) mais son chemin sera semé d’embuches.

Sans vous faire languir davantage, j’ai passé un bon moment avec ce roman. Je le trouve bien écrit, rythmé et intéressant dans la mythologie mise en place. Sur 300 et quelques pages, Aurélie Wellenstein créée une société entière et nous la présente avec clarté, fluidité, sans jamais nous assommer avec trop d’informations.

Ce n’est pas un coup de cœur car, sur un plan personnel, j’ai un peu du mal avec les quêtes initiatiques et les ambiances « survival » mais c’est propre à moi. Cela ne m’empêche pas de trouver beaucoup de qualités à ce livre, notamment via le développement psychologique de Faolan.

Il était jeune quand il a vu ses parents, sa sœur et les membres de son clan subir un massacre difficilement supportable. Dix ans après, il en cauchemarde encore, traumatisé en plus de subir les fantaisies perverses (pour reprendre le terme de la quatrième de couverture) de Torok. L’auteure rend bien compte de ces éléments pour offrir un personnage plutôt crédible qui oscille entre désir de vengeance, traumatisme et syndrome de Stockholm. Torok, de son côté, aurait pu être l’archétype du sadique mais son comportement pousse Faolan (et le lecteur) à se poser beaucoup de questions à son sujet. Je trouve chaque personnage et la dynamique qui existe entre eux vraiment très réussie. C’est ce qui m’a le plus plu dans ce livre. J’aimerai en dire plus mais ça irait contre ma politique anti-spoil !

Ce roman est effectivement sombre et brutal comme annoncé sur la présentation du livre, mais j’ai trouvé le Roi des Fauves (de la même auteure, je vous remets le lien de ma chronique) beaucoup plus sale et violent que le Dieu Oiseau (qui l’est aussi notez). Je m’attendais à quelque chose d’encore plus difficile, qui me remuerait davantage les tripes que le Roi des Fauves mais ça n’a pas été le cas et je ressens peut-être une pointe de déception à cause de cela. Et de la fin aussi. Mais ça, bon, c’est moi.

Pourtant, je le répète, le Dieu Oiseau est un bon livre. Il plaira à un très large public (comme c’est déjà le cas si j’en juge les réseaux sociaux) surtout aux adeptes de survival qui apprécient les récits psychologiques sans censure sur la violence, et sans surexposition non plus. Un équilibre délicat trouvé avec brio par Aurélie Wellenstein. Je vous le recommande !