J’ai lu le premier tome de Magic Charly en octobre 2019 et ç’avait été une véritable révélation pour moi en plus de tomber pile au moment où j’en avais le plus besoin. C’est une saga que je recommande volontiers à tout le monde tant elle est riche et délicieuse. Ce troisième (et dernier) tome ne douchera pas mon enthousiasme global même si un élément m’a un peu moins plu. Voyons cela ensemble !
Avant d’aller plus loin, je vous invite à lire ma chronique du premier tome pour savoir de quoi parle cet univers et éventuellement celle du second si vous êtes curieux·ses. Le présent billet ne contiendra pas d’éléments divulgâchant le contenu des romans mais plutôt une réflexion globale ainsi qu’un point sur « à qui conseiller cette saga ».
Un sous-texte riche.
La cité magique de Thadam a beau être imaginaire, elle est le théâtre de bien des maux de notre siècle. Audrey Alwett continue de briller en construisant un univers original dont les problématiques ne sont pas sans rappeler les nôtres. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, l’Académie de magie est attachée à la magie runique qui se pratique d’une façon telle qu’elle use les ressources magiques, qui n’ont pas le temps de se renouveler. Les abus sont nombreux, ce qui provoquera finalement les pannes de magie au cœur de ce tome-ci. La métaphore est plurielle. Tout d’abord, je n’ai pu m’empêcher d’y voir une référence à la manière dont les privilégiés gaspillent les ressources énergétiques en demandant aux personnes précarisées de porter tous les efforts sur leurs épaules, prétendant qu’il faut agir ainsi pour « le bien commun ». L’écho avec notre propre actualité est plus que jamais flagrant…
Ensuite, il semble évident que l’Académie de magie est une métaphore pour l’Académie française (rien que sur son fonctionnement) qui elle aussi empêche tout progrès / changement en cadenassant la langue. On peut penser ce qu’on veut mais nous vivons au sein d’une société basée sur le langage. Nommer une chose, un concept, c’est lui permettre d’exister puisqu’on peut ainsi le désigner et donc s’y référer. La langue possède donc un pouvoir immense et toute personne amoureuse des livres ne peut que partager ce point de vue. Ainsi, refuser à un mot, un terme, un concept, le droit d’exister dans un genre ou simplement le faire disparaître, c’est modifier le fonctionnement de la société dans son ensemble.
L’Académie de magie agit de la même façon. En effet, deux façons de pratiquer la magie existent : la runique, en vigueur et prônée par l’Académie, et l’intuitive, qui a été bannie sous de faux prétextes il y a longtemps car la magie intuitive ne se contrôle pas facilement, ce qui devient problématique pour une institution dont le but est justement d’avoir la main mise dessus… Pour notre langue française, avant qu’elle ne soit fixée dans le dictionnaire, il faut savoir que chacun écrivait un peu comme il le souhaitait et que tout le monde parvenait pourtant à se comprendre car une base commune, informelle, restait présente. Il existait de nombreuses dialectes qui participaient à la richesse de la culture locale. Des règles ont ensuite été fixées pour permettre le rayonnement de notre langue à l’étranger (c’était en tout cas la version officielle mais au passage, il y a eu pas mal de coupes et je vous recommande la lecture de cet article pour en apprendre un peu plus) et, par extension, celui du royaume de France. Encore aujourd’hui, l’Académie rue dans les brancards quand il s’agit de réhabiliter des termes anciens qu’elle a elle-même proscrits comme le mot autrice, pour ne citer que celui-là. Rien que sur cet aspect, le texte est chargé de sens. Pour rattacher cet élément à ce que je disais plus haut : quand le mot autrice a été effacé du dictionnaire à l’époque, cela sous-entendait que les femmes ne pouvaient pas écrire, n’en avaient pas la légitimité, puisqu’on leur retirait la possibilité d’être ainsi désignée…
Mais ce n’est pas tout ! Audrey Alwett aborde aussi des questions fondamentales comme le consentement (avec ce qui arrive à Sapotille suite à son agression de grimoire par le Juge Dendelion dans le tome précédent), la discrimination au sens large (de genre mais aussi des femmes) le tout avec subtilité sans pour autant manquer de clarté, ce qui ne fait que renforcer le message et rendre cette trilogie encore plus importante à faire lire au plus grand nombreux, jeunesse ou non. Pour ne rien gâcher, l’univers continue de se développer, de s’étoffer et de nous enchanter pour notre plus grande plaisir. Les patates patates sont géniales et que dire des trolls ? J’ai adoré non seulement la richesse de l’univers proposé par l’autrice mais également sa plume immersive pleine de personnalité.
Mais il y a un « mais »…
Mon seul regret, c’est la relation entre Charly et Sapotille. Je suis une lectrice qui n’aime pas les histoires d’amour et je ne m’attends pas à tomber dessus dans un roman estampillé jeunesse (quoi qu’en vérifiant, Gallimard le met dans la collection « ados » donc j’ai du louper un truc quelque part…). Heureusement, j’ai été prévenue en lisant le tweet de Sometimes a book donc ça m’a évité de tomber dessus sans préparation… Même si leur relation a un côté mignon et est très saine, ce qui est positif comme image à renvoyer, j’ai été lassée par leur mièvrerie et leur envie de toujours être l’un avec l’autre. Mais c’est sans doute parce que je suis globalement blasée par tout cela et peu intéressée par ces questions. Même si cet élément est assez présent, leur relation n’éclipse toutefois pas l’intrigue pour la cause ni l’intelligence du sous-texte. Autre petit point : il m’a manqué, une fois de plus, un résumé des tomes précédents ainsi qu’éventuellement un petit dramatis personae, sachant que ma lecture du tome 2 remonte à mars 2021… C’est dommage que les maisons d’édition n’y pensent pas systématiquement.
La conclusion de l’ombre :
Outre ces éléments somme toute négligeables, je ressors enchantée par ma lecture de ce dernier tome, par la conclusion proposée et par la richesse de cet univers non seulement sur le plan de ses personnages mais aussi de son intrigue et de ses messages. J’aurais aimé grandir avec Magic Charly et je suis jalouse de cette génération qui pourra s’offrir ce plaisir ! Je suis surtout rassurée de lire des romans jeunesses (que j’aurais plutôt qualifié de « tout public ») d’une telle qualité et je me réjouis de voir ce qu’Audrey Alwett nous prépare pour l’avenir. Alors si vous ne devez retenir qu’une chose de ce billet c’est : lisez Magic Charly !
Lisez Magic Charly, si…
-Vous aimez les univers magiques avec un soin particulier pour le détail.
-Vous aimez la pâtisserie, surtout la pâtisserie magique.
-Vous aimez quand vos divertissements vous permettent en plus de réfléchir.
-Vous aimez l’humour bien dosé d’inspiration Pratchett (qui a tout de même sa propre personnalité).
-Vous avez envie de lire la meilleure trilogie « jeunesse » que j’ai pu lire de toute ma vie.
(oui je garde le meilleur argument pour la fin 😉 )
D’autres avis : Sometimes a book – vous ?
D’autres romans d’Audrey Alwett sur le blog : les poisons de Katharz –
Informations éditoriales :
Magic Charly tome 3 Justice soit faite ! par Audrey Alwett. Éditeur : Gallimard Jeunesse. Illustrations de couverture (et intérieures) : Stan Manoukian. Prix : 17,5 euros au format papier.