J’ai un problème majeur quand je lis de la fantasy d’inspiration arthurienne : je pense toujours à Kaamelott. C’est l’oeuvre de fiction qui m’a initiée au genre à l’origine et elle a pris le dessus sur le canon plus ancien des textes médiévaux auxquels je trouve de toute façon moins de charme. Du coup, je lis assez peu de romans du genre parce que je ne parviens pas à détacher les personnages de leurs équivalents dans l’oeuvre d’Astier ce qui entraine une dangereuse perte de crédibilité pour certain·es.
Mais il s’agit du nouveau roman d’un auteur français dont j’apprécie grandement le travail et qui ne m’a jamais déçue (sauf sur une nouvelle que je trouvais assez peu aboutie mais pas mauvaise en soi). Souffrant d’une grande difficulté à trouver des romans qui me stimulent depuis ce début d’année 2023, je me suis tournée vers cette valeur sûre en me disant que si quelqu’un méritait que je tente l’expérience malgré mes difficultés, c’était bien Jean-Laurent ! Et je ne regrette pas du tout.
De quoi ça parle ?
Et si Morgane avait retiré l’épée d’Uther au lieu d’Arthur ? C’est le postulat sur lequel se base l’auteur pour réécrire le mythe arthurien dans une version d’une grande modernité sur le plan inclusif. Un roman qui s’inscrit magistralement dans son époque.
Une narration maladroite.
Je vais commencer par évoquer le point qui m’a déplu pour ensuite me concentrer sur le positif : la narration. L’auteur choisit d’alterner un chapitre du point de vue de Morgane avec un chapitre du point de vue d’Arthur, ce qui est intéressant car s’ils sont ensemble au même endroit au début, vers le milieu du roman la géographie (et d’autres choses) vont les séparer, ce qui permet d’avoir une vision plus globale de ce qui se passe dans le royaume de Logres. Le souci c’est que cette double narration est écrite chaque fois à la première personne et la personnalité des personnages ne l’imprègne pas suffisamment, si bien qu’il est parfois difficile d’identifier qui parle. Heureusement, chaque en-tête de chapitre pour le prénom de son narrateur mais les parties de Morgane me semblent plus maladroites, moins justes dans les émotions hormis dans la dernière partie. Je pense que l’idée de doubler la narration est bonne mais qu’il aurait fallu opter pour la troisième personne, ce qui aurait été moins problématique. Ou alors se concentrer uniquement sur Morgane mais ç’aurait été dommage car les tourments d’Arthur sont très intéressants et ont su me toucher à leur façon.
Mais plein de bonnes idées !
Honnêtement, ce point ne gâche pas l’intérêt du roman qui se lit très bien malgré tout grâce à des chapitres courts et dynamiques. L’auteur n’hésite pas à laisser le temps s’écouler pour se concentrer sur les évènements majeurs et brille toujours autant dans la description des batailles et des arts militaires. C’est quelque chose auquel je suis particulièrement sensible, presque autant que l’aspect psychologique des personnages et j’ai été servie pour les deux.
Cet aspect n’est pas amoindri par la maladresse de la narration, hormis peut-être chez Morgane mais ça ne l’en rend pas absent pour la cause. Arthur et elle sont amants, amoureux, mais le royaume de Logres exige des sacrifices de la part de sa reine qui ne pourra pas épouser son partenaire selon son cœur. Arthur, de son côté, rêve d’une couronne pour n’hériter que du duché de ses parents, ce qui le rend un peu amer. Son amour pour Morgane se dispute avec son ego et avec la certitude de Merlin qu’il a l’étoffe d’un grand roi. À tout ceci va se mêler des conflits de foi avec la jeune religion chrétienne qui gagne de plus en plus d’ampleur, la faërie qui décide justement de se réveiller avec l’avènement de cette nouvelle reine, des bonnes volontés qui ne suffisent pas toujours… C’est passionnant.
Outre ces deux protagonistes, on retrouve divers personnages tirés des légendes arthuriennes qui sont réécris, parfois jusqu’à changer de genre. L’aspect inclusif du texte est bien amené et de manière assez naturelle d’ailleurs : les femmes sont chevalières et cela ne pose de problème à personne. Morgane, disciple de la Déesse, peut se marier avec une femme si elle le souhaite et les relations homosexuelles ne font lever aucun sourcil hormis celui des chrétiens. J’ai retrouvé ici un peu de John Scalzi et d’Ellen Kushner qui optent pour une normalisation militante et c’est ce qui me parle le plus car c’est à mes yeux la manière la plus efficace de lutter contre les discriminations : décrire un monde où elles n’existent tout simplement pas, où elles ne sont pas un sujet, où chacun·e fait ce qu’iel veut dans son intimité.
En plus de tous ces éléments, Jean-Laurent Del Socorro n’oublie pas l’exploitation du merveilleux très présent dans les légendes arthuriennes tout comme dans ce roman. On croise bien des créatures au fil des pages qui auront leur rôle à jouer et l’auteur décrit ce moment charnière où ce sera aux hommes de décider s’ils rejettent ou non la magie. On vit en quelque sorte la fin d’une ère et ça ne me laisse jamais indifférente.
La conclusion de l’ombre :
Morgane Pendragon est un roman riche, surprenant et rondement mené comme sait si bien le faire Jean-Laurent Del Socorro. J’ai retrouvé tout ce que j’aime chez lui : cette rigueur historique, cette fine exploitation des légendes, des personnages féminins nombreux, construits et passionnants, un certain sens du rythme et de la mise en scène, des réflexions intéressantes sur la place de la religion et du merveilleux, pour ne citer que cela… Morgane Pendragon est une réussite de plus à ajouter au palmarès de l’auteur. J’ai tourné la dernière page avec émotion, la gorge serrée, j’ai vibré avec ces protagonistes et à aucun moment je n’ai eu envie de laisser ma lecture de côté. Avez vous besoin d’autres raisons pour vous précipiter sur ce titre ?
D’autres avis : Le nocher des livres – Les blablas de Tachan – Fantasy à la carte – Yuyine – Au pays des cave trolls – Ma lecturothèque – Dup de Bookenstock – Maude Elyther – vous ?
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