À l’ombre du Japon #47 : { Shangri-La Frontier & Goodnight World, deux manières d’aborder le jeu-vidéo en manga }

Ohayô minasan !

L’histoire est longue entre le manga et le jeu-vidéo. On ne compte plus les adaptations au format papier ou animé (No Game No Life, Sword Art Online, la Gameuse et son chat, Je suis un assassin et je surpasse le héros, Overlord, etc etc etc.) avec des univers qui ne font parfois qu’évoquer le jeu-vidéo ou qui se déroulent dans un univers aux codes semblables à ceux d’un jeu, avec un système de point de vie, de compétence, de classe et autre.

Étant passionnée de manga ET de jeu-vidéo, j’ai découvert un certain nombre de ces séries et j’ai rarement été au bout, vite lassée par des concepts qui tournent en rond. Pourtant, rarement un premier tome m’aura autant enthousiasmé que pour les deux séries dont il est ici question. Et, comme vous allez le voir, la manière de présenter le jeu-vidéo diffère assez fort d’une à l’autre…

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Dans Shangri-La Frontier, on rencontre Sunraku, un jeune homme passionné par le jeu-vidéo et plus spécifiquement par les jeux très mauvais qu’on appelle les bouses : ceux qui sont truffés de bugs ou que tout le monde déteste parce qu’ils ont été mal codés, que les quêtes sont impossibles, bref vous voyez le genre… Sunraku aime le défi que ça représente. Au début du manga, pourtant, il décide de faire une pause dans les bouses et de se mettre à un MMORPG très en vue, Shangri-La Frontier…

L’avantage dans ce titre, c’est que Sunraku commence le jeu au début. Il est donc très facile pour un novice de comprendre en quoi il consiste ainsi que les différents systèmes d’évolution, de quête, les secrets du jeu… Parce qu’on suit tout en même temps que le protagoniste principal. L’immersion est totale et plutôt réussie car Sunraku a un esprit d’analyse qui permet d’éviter les inutiles scènes d’exposition et de découvrir ces éléments au fur et à mesure de l’aventure, quand il s’y confronte en tant que joueur. C’est assez rare dans ce type de manga.

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Si on suit un nouveau joueur dans Shangri-La Frontier, c’est tout le contraire dans Goodnight World ! Taichirô est un hikikomori -bien que le terme ne soit pas utilisé dans le manga, il en a toutes les caractéristiques. Ce jeune homme est enfermé dans sa chambre toute la journée à jouer à Planet avec les trois autres membres de sa guilde. Il y joue depuis plusieurs années au point de développer une véritable vie sociale au sein du jeu. Dans ce titre, les scènes IRL s’alternent avec les scènes virtuelles et le lecteur comprend rapidement que Taichirô déteste sa famille, probablement en raison d’un drame dont il porte la responsabilité (du moins c’est ce qu’il sous-entend).

Une intention qui diffère…
Si dans Shangri-La Frontier, l’intention première semble être de proposer un divertissement d’aventure en mettant en avant des gamers qui cherchent à progresser dans un jeu et à en découvrir ses secrets. La majorité de l’action se passe à l’intérieur du jeu si bien qu’il en deviendrait presque un prétexte pour développer un univers de fantasy un peu fun. Avec Goodnight World, on part sur totalement autre chose puisque l’auteur semble plutôt questionner le rapport au réel dans nos relations familiales et amicales sans pour autant tomber dans le binaire. La quatrième de couverture l’annonce d’ailleurs bien : un manga d’action complexe qui questionne sur les univers virtuels. Retenons les termes complexe et questionne, pas juge… Ce titre se veut incontestablement davantage ancré dans le réel.

…mais une technologie semblable.
La technologie de réalité virtuelle évolue chaque jour et j’ai déjà eu l’occasion de tester certains dispositifs plutôt… perturbants dans l’ensemble. Que ce soit dans Shangri-La Frontier ou dans Goodnight World, les joueurs utilisent de simples lunettes posées sur leurs yeux qui permettent d’entrer dans le jeu de manière littérale. Tout s’y déroule alors comme dans la réalité. Dans le premier cas, il s’agit plutôt d’une astuce de mise en scène pour ne pas se prendre trop la tête. Dans le second, par contre, ces lunettes ont une véritable importance puisqu’un problème dans le jeu va faire dysfonctionner une paire et provoquer des blessures chez l’un des personnages de la guilde. De plus, elles symbolisent véritablement le passage d’un monde à l’autre, c’est un objet clé dans les difficultés sociales rencontrées par Taichirô qui se dépêchera toujours de les remettre pour échapper aux soucis du quotidien auxquels il est confronté.

La conclusion de l’ombre : 
Malgré leur thématique centrale commune, Shangri-La Frontier et Goodnight World sont des mangas totalement différents adressés à deux publics différents. Le premier ravira les fans d’univers fantasy et de jeu-vidéo en mode hardcore gaming en plus de faire rêver à la perspective de pouvoir, un jour, accéder à un tel jeu. L’accent est clairement mis sur la découverte du monde et l’aventure. Le second séduira les personnes en recherche d’un titre plus axé sur des thématiques psycho-sociales et sur la manière dont le jeu peut (ou non) influencer la sociabilité. Les deux n’en sont pas moins prometteurs et je me réjouis de lire la suite pour savoir si mon sentiment se confirme ou non !

Mata itsu ka, ja ogenki de !
( À bientôt et prenez soin de vous !)

Informations éditoriales :
Shangri-La Frontier. Scénariste : Katarina. Dessin : Ryosuke Fuji. Éditeur v.f. : Glénat
Statut : en cours, nombre de tomes inconnu.
Goodnight World . Dessin et scénario : Okabe Uru. Éditeur v.f. : Akata
Statut : en cours de publication, série finie en 5 tomes.

À l’ombre du Japon #34 { Comme sur un nuage #2 ; Nos temps contraires #3 }

Ohayô minasan !

Nouvel article manga consacré cette fois-ci à deux nouveautés chez l’éditeur Akata dont j’ai déjà eu l’occasion de vous parler sur le blog. J’aime beaucoup leur engagement à promouvoir la diversité et ces deux séries sont des réussites pour moi, si bien que j’attends toujours le tome suivant avec impatience. Allons un peu plus dans le détail…

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On retrouve deux grandes parties au sein de ce volume. La première concerne l’amitié qui lie Sanada et Ayumi depuis l’école primaire. Noshiro comprend que la jeune fille voue à Sanada des sentiments qui semblent amoureux et essaie de les rapprocher, alors même qu’il sait que Sanada préfère les hommes ! Cela donnera lieu à des questionnements sur la nature de l’amour, sur le fait d’aimer ses amis et la différence entre amour et amitié. Est-ce vraiment si éloigné ? On sent beaucoup de maladresse dans le personnage de Noshiro qui essaie de bien faire, se démenant pour que tout le monde soit heureux. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions…

La seconde partie est consacrée à l’arrivée d’un nouveau protagoniste qui m’a vraiment gonflé : Makoto Morinaga. Il est également au lycée mais semble plus jeune d’un an ou deux que Noshiro, Sanada et Ayumi. Il est tombé amoureux de Noshiro en trois secondes à tout péter après que ce dernier ait performé lors d’une course relais. Depuis, il ne l’a plus lâché. Suite à un qui pro quo, Makoto est persuadé que Noshiro est homosexuel et donc qu’il a toutes ses chances avec lui ! Le flou va durer longtemps et c’est finalement Sanada qui va devoir régler la situation en mettant un peu de plomb dans la tête de ces deux andouilles.

Si j’ai retrouvé la bienveillance et l’intelligence dans le traitement des thématiques autour de la sexualité, ce nouveau personnage ne m’a pas vraiment convaincue et même plutôt refroidie. Comme la série s’achève au prochain tome, je vais tout de même l’acheter pour découvrir le dénouement mais je me demande un peu ce que ça va donner, vu la direction prise à la fin…

D’autres avis : Les blablas de Tachan – vous ?

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Encore un tome bourré d’émotions et de retournements de situation ! Comme le laisse penser la couverture, ce volume va davantage parler de Caesar et de Louis, du couple qu’ils forment, de comment ils en sont arrivés là et des conséquences que ça a sur leurs vies. Les deux néotènes souffrent et ne se comprennent décidément pas, ce qui va mener à des situations très problématiques, autant pour eux que pour Tara et Arata, leurs amis d’enfance.

Mais outre ces éléments, Gin Toriko va cette fois-ci évoquer un nouveau thème en lien avec la maladie de Daphnée, à savoir la pédophilie. On met ici en scène une déviance où la victime est manipulée puis punie par le système au contraire de son agresseur, ce qui révolte Tara et souligne un peu plus les disparités présentes dans cette société qu’on pourrait presque croire idéale au premier abord. La présence plus forte du personnage de Louis permet de le rappeler puisque, cynique et désenchanté, il met le doigt sur l’aspect plus sombre de cette vie dont il est déjà fatigué.

J’ai ressenti beaucoup d’émotions lors de ma lecture et un criant sentiment d’injustice mêlé à une bonne dose de frustration. C’est, finalement, la marque d’un bon manga puisque je me suis impliquée émotionnellement avec les personnages. Je suis très curieuse de découvrir la suite !

D’autres avis : Les blablas de Tachan – vous ?

Et voilà, c’est déjà terminé pour aujourd’hui ! J’espère que je vous ai donné envie de découvrir / continuer ces deux séries ou, en tout cas, de vous pencher sur le catalogue de l’éditeur. On se retrouve très bientôt pour parler d’autres suites.

Mata itsu ka, ja ogenki de !
( À bientôt et prenez soin de vous !)

À l’ombre du Japon #26 { Nos temps contraires #1 & Comme sur un nuage #1 }

Bonjour à tous et à toutes !

Je vous propose aujourd’hui un petit focus sur l’éditeur Akata qui compte parmi ses nouveautés de novembre deux titres très qualitatifs : nos temps contraires et comme sur un nuage. J’ai opté pour un article regroupé alors même que ces deux mangas sont assez différents l’un de l’autre. Voyons un peu…

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Nos temps contraires est un manga de science-fiction original qui plonge le lecteur dans une société humaine vivant dans l’espace car la Terre n’est plus habitable. Cette nouvelle société est très codifiée. Dés l’enfance, on impose des partenaires dits originaux, on ne peut fréquenter que certaines personnes dans certaines conditions au risque d’avoir de gros soucis. L’amour est un sentiment tabou, on se « marie » par intérêt, avec un partenaire dit tertiaire, etc. De plus, il existe des individus à l’espérance de vie très longue (plusieurs centaines d’année) appelés néotène, ce qui permet d’aborder plusieurs problématiques comme comment choisir son partenaire quand celui ci ou celle ci risque de mourir bien avant nous ? Est-ce qu’il faut, du coup, ne fréquenter que d’autres néotènes ?

Le lecteur va suivre quatre d’entre eux qui ont tous des profils différents et sont partenaires initiaux. À travers leur histoire, racontée par Arata, un début d’intrigue se met en place autour d’une mystérieuse maladie, la malade de Daphné, qui va être, comme on le devine, le centre du récit. Le grand intérêt de ce premier tome est d’esquisser les relations qui existent entre les personnages principaux qui sont néotènes à savoir Louis, César, Arata et Tara. Comme on y parle beaucoup de relations amoureuses, j’avais un peu peur de l’aspect « romance » mais il est très bien abordé avec des questions de fond qui ne manquent pas d’intérêt.

J’ai pourtant eu du mal à rentrer dans ce premier tome, du moins au début, car je le trouvais brouillon et toutes les informations apportées au départ ne sont pas toujours très claires. J’ai persévéré et au fil des chapitres, j’ai été touchée par la sensibilité et la poésie avec laquelle le titre se déploie. Le final inattendu m’a poussé à acheter le second tome pour découvrir de quoi il en retourne, on peut donc dire que le premier est une réussite.

D’autres avis : Chut ! Maman litL’Apprenti OtakuLes voyages de LyLa pomme qui rougitLes instants volés à la vie – vous ?

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Comme sur un nuage est une tranche de vie lycéenne contemporaine qui se concentre sur Dai Noshiro et Kô Sanada. Ce dernier semble laissé à l’écart par le reste de la classe. Noshiro, qui vient de changer d’école, apprend qu’une rumeur court sur Sanada : il serait homosexuel. Sans se laisser démonter, Noshiro décide de devenir ami avec Sanada, persuadé que la rumeur est fausse. Le truc, c’est qu’elle ne l’est pas et ce qui pro quo va permettre au mangaka d’aborder plusieurs thématiques comme le rapport de l’adolescent à son identité sexuelle. Ce qui a vraiment su me séduire ici c’est qu’il n’y a pas de drames excessifs. Je trouve que ça change agréablement. Le mangaka est lui-même homosexuel (si mes informations sont correctes) et aborde ce thème avec réalisme et même avec bienveillance car si le personnage de Noshiro est très maladroit dans son approche au départ, il réagit d’une façon plutôt positive dans le sens où il cherche à se renseigner sur l’homosexualité, se pose des questions, ne s’arrête pas aux idées reçues. Ce comportement est un vrai plus au sein de l’intrigue.

Dans la lignée de Blue Flag avec plus de sourires, ce premier tome de Comme sur un nuage est extrêmement prometteur et a su me toucher. Je le recommande chaudement !

D’autres avis : Les instants volés à la vieLa pomme qui rougit – vous ?

Et voilà, c’est déjà la fin de cet épisode consacré aux nouveautés Akata de cette fin d’année, du moins pour celles que j’ai pu lire. J’espère vous avoir donné envie de les découvrir. N’hésitez pas à me donner votre sentiment dans les commentaires 🙂

Mata itsu ka, ja ogenki de !
( À bientôt et prenez soin de vous !)

À l’ombre du Japon #21 { Celle que je suis #1 & #2 ; une introduction à la transidentité }

Celle que je suis est un diptyque shojo / tranche de vie scénarisé par Morihashi Bingo et dessiné par Koko Suwaru. Publié par Akata Manga dans sa collection Large, vous trouverez chaque tome au prix de 8.05 euros partout en librairie. 

De quoi ça parle ?
Tokyo, dans les années 80. Yûji Manase est étudiant et a deux secrets. Le premier, c’est qu’il est amoureux de son meilleur ami Masaki Matsunaga. Le deuxième, c’est qu’il se sent mal dans son corps, au point de se haïr. Un soir, la sœur de Yûji passe à son appartement et y laisse une robe qui va exercer sur lui une forte attraction, au point que Yûji va l’essayer. Grâce à cela, Yûji comprendra qui il est ou plutôt, celle qu’elle est.

La transidentité et moi : l’étendue de ma méconnaissance.
Le thème central de ce manga est la transidentité, bien qu’il contienne quelques éléments secondaires pour densifier un peu l’intrigue. Yûji est un homme sur un plan biologique et au début du manga, le pronom « il » est utilisé jusqu’à ce que le déclic se produise. À partir de ce moment-là, Yûji sera défini comme « elle » et j’ai trouvé ce jeu formel très intéressant. Akata explique également sur son site qu’ils ont choisi d’écrire le résumé du premier tome au masculin justement parce qu’au début de la série, Yûji se considère toujours comme un homme, alors que celui du second tome est féminisé. Un choix que je trouve pertinent.

Autant me montrer honnête : je ne connais pas grand chose à la transidentité que ce soit dans la réalité ou dans la fiction en dehors de la théorie. J’entends par là que je connais le concept. Je la conçois et la comprends sur un plan intellectuel. Je la respecte et une partie de ce respect passe par l’admission de ma méconnaissance sur le sujet. J’imagine les difficultés que vivent les personnes transgenres (toujours sur un plan intellectuel) mais je n’ai aucune idée de ce que cela implique dans la réalité pour les personnes concernées. Ce serait insultant de prétendre le contraire. Du coup, mon avis sur ce titre est subjectif (comme le sont tous les avis, me direz-vous) et quand je qualifie ce titre de crédible, ce doit être remis en perspective par rapport à mes (mé)connaissances. Vous êtes donc prévenu(e)s !

Sur un plan fictionnel, je pense qu’on aborde assez peu ces sujets (ou alors je suis jusqu’ici passée à côté de toutes les œuvres qui en parlent réellement ?), surtout de manière crédible et respectueuse des personnes concernées. C’est ce qui m’a tout de suite attirée vers ce titre car j’avais envie d’en apprendre davantage avec ce qui est à ma portée et je place une assez grande confiance dans le travail d’Akata pour me douter que, s’ils publient cette fiction, c’est qu’elle est bien fichue. La fiction est-elle le meilleur chemin pour s’instruire ? Je l’ignore mais j’ai envie de croire que ce n’est pas une manière de procéder plus mauvaise qu’une autre. Voici comment et pourquoi je me suis tournée vers ce titre et je n’ai aucun regret. Après cette petite introduction, entrons dans le vif du sujet…

Transidentité, romance, tranche de vie.
Comme je le disais, ma méconnaissance du sujet m’empêche d’affirmer si ce manga est crédible ou non pour les personnes concernées et je serais vraiment curieuse de lire le retour d’une personne transgenre à son propos. Toutefois, de mon point de vue, j’ai trouvé Celle que je suis sensible, subtil, intelligent et surtout, respectueux dans sa démarche représentative. La manière dont Yûji se découvre, les étapes qu’iel va traverser jusqu’à devenir « elle » sans pour autant revendiquer son statut puisqu’iel continuera de se présenter comme masculin aux yeux du monde, par facilité… J’ai trouvé les choix et les cheminements de Yûji crédibles, compréhensibles, un peu tristes aussi mais ça participe à ancrer ce manga dans le réel. Ici, pas de grands éclats, le monde ne va pas se modifier en profondeur, il y aura peu de prises de conscience, sauf à une échelle très restreinte. C’est vraiment une tranche de vie, une tranche de la vie de Yûji qu’on suit avec émotion car on ne peut décemment pas rester indifférent.

Pour autant, le thème de la transidentité ne prend pas toute la place puisque le manga contient également des histoires d’amour parallèles dont une signalée dés le résumé. En effet, Yûji est amoureuse d’un homme qui est aussi un ami proche, sauf qu’elle a conscience de rester biologiquement de genre masculin, ce qui est un problème puisque son ami est hétérosexuel. J’ai trouvé l’évolution de leur relation intéressante et la manière dont l’épilogue se termine aussi car il rend compte de la complexité du sentiment amoureux et des choix que chacun(e) peut faire ou non à ce sujet. La douce mélancolie qui s’en dégage m’a touchée, on sent une vraie réflexion du scénariste. Peut-être est-il concerné par la transidentité ? Je sais qu’il écrit également une saga en light novel (Ce qu’il n’est pas) sur le sujet donc qui sait… Je me pencherais dessus à l’occasion !

La conclusion de l’ombre :
Celle que je suis est un diptyque tranche de vie qui traite d’amour et de transidentité. Je ne suis pas spécialiste de cette thématique et ce manga a constitué une porte d’entrée parfaite pour moi puisque le scénario est construit avec respect et intelligence. Les mangakas proposent un travail soigné autant sur l’intrigue que sur le visuel, ce qui rend Celle que je suis tout à fait recommandable. Une réussite

D’autres avis : Kiriiti’s blog – vous ?
Je n’en ai pas trouvé d’autre toutefois n’hésitez pas à me poster le lien de votre chronique si vous en avez parlé, afin que je vous ajoute 🙂

Les découvertes de l’ombre #16

Bonjour à tous !
Déjà un mois et demi depuis le dernier épisode des découvertes de l’ombre ! Deviendrais-je plus difficile à tenter ? Heureusement, certains blogpotes ne perdent pas la main… Découvrons tout de suite la sélection de cette fois-ci avec les résultats en fin d’article.

En quelques mots, je vous rappelle le concept: Au quotidien, je suis beaucoup de chroniqueurs (vive l’application WordPress !) qui me font découvrir des livres intéressants. Ces livres, je me les note toujours sur le bloc-note de mon téléphone (merci à toi qui remplace le post-it que je perdais tout le temps). Puis je me suis dit… Bon sang que tu es égoïste ! Fais donc partager tes découvertes au monde entier, mets en danger les comptes en banque et les PàL qui menacent déjà de s’écrouler !

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Blog : les Chroniques du Chroniqueur
Un recueil de nouvelles qui s’inspire du style littéraire décadent tout droit tiré du 19e siècle. En quelques mots seulement, l’ami Chroniqueur a su titiller mon intérêt puisque vous le savez, j’adore le 19e siècle et ses différents mouvements littéraires.

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Blog : my dear ema
En ce moment je vois de plus en plus de romans jeunesses évoquer les thèmes de l’appartenance, du genre, des questionnements actuels mais nouveaux au sein de la littérature. Ema m’a donné envie de lire Alana et l’enfant vampire parce qu’on y parle de tout ça mais également des handicaps invisibles, des douleurs que les personnes en bonne santé n’imaginent même pas. J’ai la chance de ne pas en souffrir mais je connais plusieurs personnes dans mon entourage qui doivent vivre avec et lire un livre comme celui là m’intéresse parce que ça pourrait me permettre de mieux les comprendre. Bref, que du bon en perspective !

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Blog : l’Apprenti Otaku
Je lis de plus en plus de romans sur la sexualité LGBTQIA+ parce que le sujet m’intéresse énormément. J’aime faire en sorte de comprendre correctement les choses en découvrant des œuvres écrites par les personnes concernées. Ce mangaka a déjà traité du sujet dans d’autres séries et ce qui m’attire ici, c’est l’aspect homophobie ordinaire. Pas celle des gens méchants idiots incapables de voir au-delà de leur normalité mais celle qu’on a peut-être tous un peu au quotidien. Je pense qu’on n’en parle pas suffisamment du coup il est clair que ce manga va rejoindre ma PàL.

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Blog : l’Apprenti Otaku
La manière dont l’ami Otaku décrit ce titre m’a beaucoup intrigué: comme un moment de vie capté dont on sait qu’il va se terminer de manière tragique (puisque le manga s’ouvre sur la mort de l’héroïne). Je suis attirée par l’aspect un peu vain et désenchanté qui semble présent dans ce manga. En plus je n’ai jamais rien lu de cet éditeur, ce sera l’occasion !

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Blog : le Culte d’Apophis
Dans l’Anthologie Apophienne récemment publiée (début juillet de mémoire) j’ai eu la surprise de découvrir un recueil de Robert Silverberg au sein duquel se trouve la novella « Tombouctou à l’heure du lion ». J’ai lu beaucoup d’uchronie toutefois elle est systématiquement écrite par un/e auteurice européen/ne (souvent français/e) ce qui fait que les modifications majeures se déroulent en général au moment de la révolution industrielle (ce qui donne souvent du steampunk) ou une société du 19e siècle qui a continué au-delà, neuf fois sur dix à Paris. J’ai été séduite par le postulat de départ où la peste a ravagé 75% de la population européenne, où la colonisation n’a pas eu lieu, bref où tout est vraiment très différent de ce qu’on peut imaginer. J’espère réussir à mettre la main un jour sur ce recueil.

Et voilà c’est déjà terminé pour cette fois ! L’heure des comptes est venue… Nous sommes donc à une tentation pour miss Chatterton et Chut maman lit ainsi que Célinedanae, FungiLumini, les livres de roses, Lutin et songes d’une walkyrie. Nous arrivons à deux tentations pour Ma Lecturothèque et l’ours inculte. Trois tentations pour les Chroniques du Chroniqueur et My Dear Ema qui se dégagent du peloton. L’Apprenti Otaku s’offre un beau doublé et écrase tout le monde avec quatre tentations ! Enfin, tout le monde… ou presque car bien entendu, le Grand Serpent maintient son avance avec cinq tentations. Qui osera lui disputer son titre ?

Et vous, vous avez découvert quelque chose d’intéressant récemment? 🙂

Je ne suis pas un gay de fiction – Naoto Asahara

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Je ne suis pas un gay de fiction
est un roman tranche de vie écrit par l’auteur japonais Naoto Asahara. Édité par Akata, vous trouverez ce texte au prix de 14.99 euros.

Jun est lycée et il est gay. Il dissimule sa sexualité à ses camarades même s’il sort avec un homme marié et plus âgé que lui. Il échange régulièrement avec Mr Fahrenheit, un correspondant sur Internet qui fait aussi office de confident. Tout va (presque) bien dans le meilleur (ahem) des mondes quand Jun croise Miura dans une librairie. Miura est une camarade de classe qu’il surprend en train d’acheter un manga érotique mettant en scène des hommes (ou BL). Très gênée, la jeune fille va essayer de se rapprocher de Jun pour éviter qu’il ne raconte à tout le monde son secret. Mais, pas de chance, elle va tomber amoureuse de lui.

Alors je sais. Je sais. Si on se base sur ce résumé, ça ressemble à une romance pas très originale et franchement niaise et vous vous demandez probablement pourquoi j’en parle sur ce blog. Sachez que le résumé (que ce soit celui de l’éditeur ou le mien) ne rend pas du tout justice au contenu de ce roman. Avant d’aller plus loin, j’ai envie de partager une réflexion avec vous et ça va être un peu long comme article, j’espère que vous resterez jusqu’au bout.

Une fiction est un reflet de notre société, d’une manière ou d’une autre. Que ça soit pour se projeter dans l’avenir, imaginer les conséquences d’un choix, vivre la vie d’un autre pour oublier la sienne, utiliser des métaphores pour aborder des problématiques… Il y a toujours un élément qui nous raccroche à ce qu’on connait et ce qu’on vit au quotidien, même dans le monde fantasy le plus foisonnant. J’ai déjà pu faire le constat que dans les romances (sur tout support) on a tendance à 1) idéaliser l’amour comme but à atteindre dans la vie et 2) idéaliser la notion de couple / avenir avec enfants ce qui met une pression monstrueuse sur les gens qui ne sont pas « dans la norme » ce qui, pour être honnête, est mon cas. Je ne suis plus en couple depuis quelques mois après une relation de presque neuf ans, je n’ai aucune envie de l’être à nouveau et surtout, je ne veux pas d’enfants. Pourtant, peu importe où je regarde, ce que je lis, dans 90% des cas, c’est ce modèle qui est mit en avant. Une femme s’accomplit en devenant mère et épouse.

Et ça, c’est sans parler de la manière dont la plupart des auteurs décrivent l’acte sexuel, surtout dans les romances (sur tout support), qui n’a rien de réaliste. J’en discute souvent avec une amie sexologue qui est aussi autrice et qui a décidé d’écrire des romances réalistes et didactiques afin de décomplexer les femmes. Je trouve son engagement très important et si ça vous intéresse, vous pouvez découvrir son roman en cliquant sur ce lien. Pourquoi je vous parle de tout ça? Parce que Je ne suis pas un gay de fiction aborde tous ces thèmes et s’il a été un coup de cœur, c’est parce que j’ai compris Jun comme j’ai rarement réussi à comprendre un personnage. Je me suis sentie proche de lui, il a résonné en moi et je pense que c’est un texte qui pourrait faire du bien à beaucoup de monde à partir du moment où ces thématiques vous intéressent, bien entendu. Pourtant, je suis une femme et je ne suis pas homosexuelle. Mais ça ne change rien, nous sommes tous concernés.

Pour revenir au sujet principal, à savoir Je ne suis pas un gay de fiction : Jun est un personnage en souffrance à cause de sa sexualité. Il désire être socialement dans la norme, pouvoir faire l’amour à une fille, se marier, avoir des enfants, vieillir entouré de sa famille aimante. Sauf qu’il ne réagit qu’avec des hommes et qu’au Japon, ce genre de personne est à peine toléré. C’est la raison pour laquelle Jun se cache et endure au quotidien les habitudes sociales de ses amis : discuter de machin qui a fait l’amour à sa copine, balancer quelques blagues de mauvais goûts sur les homosexuels… Il en vient même à se dire que ce n’est pas la faute des autres s’ils sont blessants puisque c’est lui qui dissimule sa véritable orientation sexuelle. Cette pensée a de quoi choquer et je me suis rendue compte que de nombreuses personnes homosexuelles doivent peut-être se le dire tous les jours.

Jun entretient une relation avec un homme marié rencontré sur le net, Makoto. Ce dernier est un personnage assez ambigu qui se révèle franchement repoussant par la teneur de ses fantasmes. Jun l’aime même s’il a conscience de ne pas valoir grand chose face au masque social que porte son amant. Ils se voient juste pour faire l’amour à l’hôtel puis chacun rentre chez soi. Leur dynamique de fonctionnement est effrayante et pousse à la réflexion sur ce qu’on est capable d’accepter par amour et à quel point on peut se voiler la face.

Jun discute aussi régulièrement avec Mister Fahrenheit, un fan de Queen, comme lui. Ils échangent uniquement par messagerie sur Internet et leurs interactions permettent d’en apprendre plus sur le VIH puisque Mister Fahrenheit en est atteint. Il tient même un blog sur le sujet, via lequel Jun l’a rencontré quand il faisait des recherches sur la maladie. Leurs discussions recèlent une profondeur surprenante vu leur jeune âge, on sent le poids de la dépression et de la souffrance quotidienne qui pousse ces adolescents à grandir trop vite. J’ai trouvé leur relation vraiment belle et son évolution m’a tiré des larmes. Les scènes qui les concernent invitent vraiment le lecteur à réfléchir sur ce qu’ils se disent et sur la façon dont on peut être n’importe qui sur Internet. Si je les ai adoré, je dois avouer que l’interaction la plus surprenante entre Jun et un personnage se déroule avec Miura.

Miura est une fille et elle aime le yaoi. Immédiatement, je me suis trouvée des points communs avec elle puisque c’est aussi mon cas et que je n’en parle pas spécialement. Pour beaucoup, c’est assimilé à du porno et c’est rare quand les gens qui n’en lisent pas se donnent la peine d’aller voir un peu plus loin. Il existe beaucoup de yaois différents, des histoires particulières, des coups de crayons et des intrigues riches (parfois), il suffit de savoir sélectionner ce qu’on recherche. Miura a déjà subi l’exclusion une fois à cause de sa passion et depuis, elle reste discrète. L’ironie veut qu’elle ne remarque même pas l’homosexualité de Jun et qu’elle tombe amoureuse de lui. Du coup, Jun, qui cherche désespérément la normalité, va accepter de sortir avec elle.

À ce stade vous vous dites probablement « mais quel connard ! » Je vous avoue, je l’ai pensé, d’autant qu’il sait que son meilleur ami est amoureux de la fille en question. Urgh, le malaise. Sauf que Jun aime Miura et c’est là qu’arrive une distinction qu’on ne fait pas suffisamment, celle entre le désir sexuel et les sentiments qu’on peut entretenir envers une personne. C’est pour ça qu’il a envie d’essayer et il fait vraiment des efforts, sauf que ça ne fonctionne pas. Rien que pour cet aspect didactique, ce roman est une perle.

À partir d’ici, il y aura un peu de spoils pour en arriver à ce que je veux vraiment dire dans cette chronique. La nouvelle de son homosexualité finit par se répandre auprès des autres élèves et les réactions ne se font pas attendre. Les garçons ne veulent plus que Jun se change avec eux avant le sport, par exemple, et intervient alors une réflexion pertinente : est-ce qu’un homme hétérosexuel bande forcément sur toutes les filles qu’il voit ? Non. Alors pourquoi un homosexuel banderait sur tous les mecs qu’il croise ? Pourquoi l’un est considéré comme plus pervers que l’autre ? L’histoire de Jun est l’occasion de démonter énormément de clichés qu’on entretient, volontairement ou non, sur les personnes homosexuelles.

Outre l’aspect pédagogique, Je ne suis pas un gay de fiction est un texte qui déborde d’émotions très fortes. Sans mentir, j’ai pleuré à trois reprises et pas les larmes aux yeux hein, de vraies larmes qui roulent sur les joues. Je ne sais pas trop comment l’auteur est parvenu à ce miracle. Je trouve que Naoto Asahara dose très bien ses émotions. Il n’en fait pas trop avec Jun, ne le rend pas niais, lourd ou pénible. Il est terriblement humain, subtil, ce pourrait être n’importe qui. Je n’ai eu aucun mal à ressentir de l’empathie pour lui ou à me projeter dans son quotidien. C’est en général ce que je reproche aux auteurs de ce genre littéraire : d’en faire trop. Ici, ce n’est pas le cas et ça permet aux messages transmis par l’auteur d’avoir une vraie puissance.

Pour résumer, Je ne suis pas un gay de fiction est un roman puissant, une tranche de vie magnifiquement dépeinte par Naoto Asahara qui nous raconte le Japon comme on ne le voit pas souvent. Jun, un lycéen homosexuel, démonte les préjugés que nous entretenons souvent malgré nous et partage avec le lecteur son histoire tragiquement banale et pleine d’émotions. Ce texte a une grande portée didactique pour tout qui s’intéresse à ces thématiques et surtout, pour les adolescents qui devraient le lire massivement. J’ai eu un coup de cœur pour ce roman que je recommande chaudement. ♥