L’hypothèse du lézard – Alan Moore & Cindy Canévet

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L’hypothèse du lézard
est une novella de fantasy écrite par l’auteur anglais Alan Moore et illustrée par la talentueuse Cindy Canévet. Édité par ActuSF dans sa collection Graphic, vous trouverez cet ouvrage partout en librairie au prix de 19 euros.

De quoi ça parle ?
À Liavek, Som-Som est vendue par sa mère à un bordel de luxe regroupant des personnages étranges. Elle-même va s’offrir au Silence et porter un Masque Brisé, la destinant à devenir l’amante des magiciens puisqu’elle devient physiquement incapable de révéler le moindre secret. C’est ainsi qu’elle va assister à une histoire d’amour violente et cruelle entre deux comédiens / prostitué(e)s de la Maison sans Horloges : Raura Chin et Foral Yat.

Des illustrations somptueuses…
Avant de me pencher sur l’histoire et son atmosphère, je tiens à souligner le travail magnifique de Cindy Canévet pour donner vie à l’ambiance et aux personnages d’Alan Moore. On le voit déjà sur la couverture mais ce n’est rien à côté de ce qu’on peut trouver dans ce bel objet-livre. Son style graphique se marie à merveille avec l’ambiance sombre, désenchantée et oppressante de l’hypothèse du lézard, ce qui est un gros plus pour moi et transforme ce titre en un indispensable pour tous ceux qui sont sensibles à l’aspect visuel.

… pour un texte dérangeant
Il m’est difficile de vous évoquer les détails de l’hypothèse du lézard sans honteusement vous dévoiler le contenu d’une intrigue aussi courte que déconcertante. Je n’avais pas lu le résumé avant de me lancer dans ma lecture si bien qu’en suivant Som-Som durant tout un premier chapitre, je pensais que nous allions l’accompagner dans son quotidien d’amante des magiciens, apprendre à mieux connaître et comprendre cette caste qui paraît si particulière au point d’exiger de leurs amantes des sacrifices aussi énormes.

Mais non.

Alan Moore se concentre sur deux autres pensionnaires de la Maison sans Horloges, des personnages au sexe trouble mais qui semblent biologiquement masculins. Ces deux comédiens sont également des prostitué(e)s. Iels vivent une histoire d’amour quand Raura Chin se voit offrir l’opportunité de partir trouver la gloire par son art théâtral au sein d’une compagnie. Une décision qu’iel paiera très cher par la suite.

Tout est narré par Som-Som dans un texte qui contient très peu de dialogues. Raura Chin a l’habitude de venir prendre le thé avec la jeune femme et de lui parler longtemps de ses anecdotes, de sa vie. À travers les yeux de Som-Som, coincée dans une situation très cruelle, le lecteur voit petit à petit ce qui arrive à Raura Chin.

Une histoire « d’amour »
Finalement, l’hypothèse du lézard est une histoire d’amour. Saine dans un premier temps avant de s’empoisonner de rancœur après le départ de Raura Chin, qui revient finalement quelques années plus tard pour une raison assez obscure. Là, tout bascule mais cela prend du temps, plusieurs jours, une bonne dizaine, pour que le lecteur comprenne qu’il n’y a pas qu’une légitime rancœur mais bien une toxicité de plus en plus prégnante. Pour autant, l’auteur ne se sent pas obligé de tout montrer. Alan Moore use de subtilité, de non-dits parfois, pour renforcer l’effet d’horreur quand il le doit et donner un plus grand impact à ce qu’il décrit quand il décide de le faire. L’équilibre trouvé se révèle, à mon sens, parfait.

Au-delà de cette histoire, à travers Som-Som, le lecteur prend le rôle d’observateur passif. Vu sa situation, la jeune fille ne peut pas intervenir, ne peut rien dénoncer puisque les opérations subies l’empêchent de parler, de révéler des secrets. Ce qui la rend si précieuse au sein de la Maison sans Horloge condamne finalement Raura Chin.

Un ressenti ambivalent.
Qu’en ai-je pensé, moi ? À la lecture de ce texte, j’ai d’abord eu un peu de mal à rentrer dedans, catapultée dans un univers sur lequel je ne savais rien. Puis j’ai accepté l’aspect huit-clos choisi par Alan Moore pour son histoire, préférant se concentrer sur les personnages et leurs relations au lieu du développement de son univers. Petit à petit, passée l’incompréhension initiale de ne pas suivre Som-Som, je me suis laissée embarquer dans ce drame ordinaire avec le sentiment dérangeant d’être une voyeuse. Je tournais les pages avec appréhension, presque certaine de la conclusion, espérant tout de même une fin différente. L’ambiance générale a fini par prendre toutefois ça a été long et je ne pense pas que je me serais si bien plongée dedans sans les illustrations de Cindy Canévet.

Je pense que certains passeront à côté de ce texte parce que tout chez lui est particulier : le style d’écriture, l’univers, les choix narratifs, l’ambiance. C’est quitte ou double mais si vous êtes un peu sensible à l’esthétique gothique en fantasy, alors il est certain que vous devez lire cette novella.

La conclusion de l’ombre :
L’hypothèse du lézard est une novella écrite par Alan Moore et illustrée par Céline Canévet. Ces illustrations se marient à merveille avec l’ambiance gothique, désenchantée et oppressante de ce texte court qui raconte une histoire d’amour tragique entre deux comédiens au genre incertain. C’est finalement un drame ordinaire que dépeint Alan Moore, un drame ordinaire dans un univers fantasy et saupoudré d’une impitoyable cruauté.

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La Guerre des Trois Rois – Jean-Laurent Del Socorro

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La Guerre des Trois Rois est une novella graphique écrite par l’auteur français Jean-Laurent Del Socorro. Publié par ActuSF dans sa collection Graphic, vous trouverez ce texte illustré par Marc Simonetti au prix de 19 euros partout en librairie.

De quoi ça parle ?
Situé dans l’univers de Royaume de vent et de colères, la Guerre des Trois Rois se passe à Paris en 1588 (soit 8 ans avant le roman). Les guerres de Religion font rage entre Henri III, le Duc de Guise et Henri de Navarre. Au milieu de tout ça, on retrouve la Compagnie du Chariot sous la direction d’Axelle. Ils ont été engagé par Henri III qui est en fâcheuse posture, assez pour se tourner vers la magie en demandant l’aide d’une praticienne de l’Artbon. Quant à savoir si c’était vraiment une bonne idée…

Journal d’un conflit…
À l’instar de la nouvelle Le vert est éternel dont je vous ai déjà parlé sur le blog, N’a-qu’un-oeil est le narrateur de ce roman court à travers ce qu’il écrit dans le journal de la compagnie mais aussi via une narration plus traditionnelle à la première personne. Tout comme dans sa nouvelle précédemment citée, Jean-Laurent Del Socorro démontre sa maîtrise de ce type de narration qui se veut immersive pour le lecteur. Les pages s’enchaînent sans qu’on les sente passer et on arrive à la fin avec la frustration collée au ventre. Non pas parce que le texte manque de profondeur, d’enjeux ou d’intérêt, justement parce qu’il est tellement bon qu’on en voudrait encore plus.

… illustré !
Le journal de la compagnie sert donc de prétexte à l’aspect illustré du texte grâce au personnage de Tremble-voix, l’artiste bègue de la compagnie passionné par le dessin qui croque tout ce qu’il voit. Je ne connaissais pas encore le travail de Marc Simonetti -du moins pas que je sache- mais j’ai été charmée par son trait et par l’ambiance qu’il réussit à traduire via ses dessins. Le duo fonctionne à merveille et on ne peut qu’espérer une nouvelle collaboration.

Le respect de l’Histoire.
Fidèle à ses habitudes, Jean-Laurent Del Socorro réécrit l’Histoire sans vraiment y toucher. Les éléments historiques présents dans le récit sont réels : l’assassinat du Duc de Guise, celui d’Henri III (spoiler alert pour ceux qui dormaient en cours ->) jusqu’à se montrer précis dans les dates. L’auteur parvient pourtant à inclure un élément surnaturel grâce à l’Artbon qu’il met au service de l’Histoire ainsi que de son histoire pour expliquer certains complots et conflits. Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises dans mes chroniques au sujet de cet auteur mais c’est réellement sa qualité la plus remarquable. À cela s’ajoute un talent certain pour imaginer des personnages humains, crédibles, auxquels on s’attaque sans même s’en rendre compte.

Je me rends compte que cette chronique pourrait tenir en une ligne : du grand Jean-Laurent Del Socorro. Voilà un auteur qui n’a plus rien à prouver et dont j’achète les parutions les yeux fermés tant j’ai confiance en ses qualités. Si j’ai un conseil à vous donner, c’est de faire comme moi sans plus attendre !

La conclusion de l’ombre :
Avec La Guerre des Trois Rois, Jean-Laurent Del Socorro signe une novella illustrée par Marc Simonetti de grande qualité autant graphique que littéraire dans l’univers du Royaume de vent et de colères. Il y évoque les guerres de Religion et le conflit qui opposa Henri III, le Duc de Guise et Henri de Navarre sur les années 1588 – 1589. L’auteur y apporte une touche de magie non pas pour tordre l’Histoire mais pour la préciser, s’inscrivant non seulement comme un grand romancier historique mais aussi comme un maître du mélange des genres. À l’instar de toute la bibliographie de l’auteur, ce texte est à lire absolument.

D’autres avis : Dionysos, Célinedanae , vous ?