La Maison des Jeux #3 le Maître – Claire North

Conclure une saga n’a rien de facile, surtout une saga de qualité car les attentes du lectorat seront forcément élevées. Avec les deux premiers tomes de la Maison des Jeux, Claire North avait placé la barre très haut et si j’ai, dans l’ensemble, apprécié cette lecture, il m’a manqué un petit quelque chose pour utiliser le qualificatif de coup de cœur, comme ce fut le cas pour le premier tome.

De quoi ça parle ?
Voilà deux volumes que le mystérieux Argent apparait au bon moment pour sortir nos protagonistes de la mouise et récolter, du même coup, un service à lui rendre dans un futur plus ou moins proche. Depuis des siècles, Argent est un joueur et il accumule les faveurs comme les pions en vue de ce jour, qui est enfin arrivé : en 2018, il défie la Maîtresse des Jeux dans une partie d’échec grandeur nature. Leur plateau ? Le monde. Leurs limites ? Et bien… aucune.

Nous ne sommes que des pions.
C’est le sentiment qui a dominé toute ma lecture. La narration du point de vue d’Argent (qui a en fait toujours été le narrateur, si j’ai bien compris) nous montre avec quel détachement il considère des vies humaines, des institutions, des sociétés toutes entières et souligne la facilité avec laquelle les puissants sacrifient ce qu’ils ne voient pas réellement. Obsédé par son objectif de vaincre la Maîtresse des Jeux, il ne reculera devant rien pour y parvenir, tout comme elle, donnant l’impression d’assister à un duel entre deux adolescents obstinés, chacun refusant de considérer le point de vue de l’autre. Ça en devient absurde, incompréhensible, de constater avec quelle facilité des institutions, des vies, peuvent s’écrouler en un claquement de doigts. Le texte se transforme alors une parfaite illustration de l’effet papillon sauf qu’au lieu de jolis insectes aux ailes colorées, on a deux joueurs qui se prennent pour des dieux en oubliant tout sens commun.

Ainsi s’enchainent les coups dans une traque à travers le monde. Cela devient vite peu lassant car il y a trop d’évènements qui paraissent trop énormes et sur lesquels on s’arrête trop peu. Même si ce n’est pas le propos, j’en ai retiré une sensation de tournis et de malaise désagréable. Au cas où nous aurions oublié notre insignifiance dans l’univers, Claire North s’emploie à nous la rappeler…

Hélas, quand la fin arrive, elle tire en longueur dans un échange qui n’a fait que renforcer mon sentiment initial d’observer la dispute immature de deux ados frustrés qui se pensent animés de beaux sentiments alors qu’il n’en est rien, il n’y a que de l’ego mal placé. Les siècles et l’obsession du jeu ont apparemment fait régresser les protagonistes et au lieu de sagesse, il ne leur reste que mensonges, faux semblants et obsessions diverses. D’ailleurs, je parle de fin mais il s’agit d’une fin ouverte. Je n’ai rien contre sauf qu’ici, à mon sens, refuser de donner le dénouement dénote un manque d’engagement clair dans le propos de l’autrice et ça me déçoit. J’aurais préféré qu’elle assume jusqu’au bout l’aspect désabusé de la chose.

La conclusion de l’ombre :
L’enthousiasme semble unanime et ardent sur la blogosphère. Peut-être suis-je passée à côté d’une clé de compréhension (ça m’apprendra à lire en étant malade !), peut-être l’époque moderne me lasse-t-elle profondément ou peut-être le seul jeu fait pour moi était-il celui de Thene. Je ne regrette toutefois pas ma lecture car la plume de Claire North reste rythmée et délicieuse au point qu’il est difficile de reposer l’ouvrage une fois entamé. Pour ne rien gâcher, il se dégage du Maître un désenchantement, une mélancolie et une forme de cruauté qui me plaisent. La Maison des Jeux reste une très bonne saga, j’attendais simplement une autre conclusion.

D’autres avis : OutrelivresLa LutineYuyineL’épaule d’Orion – vous ?

Les autres romans de l’autrice sur le blog : Le SerpentLe Voleur

Informations éditoriales :
Le Maître de Claire North (La Maison des Jeux 3/3), traduction par Michel Pagel. Éditeur : le Bélial. Illustration de couverture : Aurélien Police. Prix au format papier : 10,90 euros.

La divine proportion – Céline Saint Charle

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La divine proportion
est un thriller dystopique écrit par l’autrice française Céline Saint Charle. Édité par Livr’S Éditions, vous trouverez ce roman au prix de 18 euros dans sa version papier et 4.90 dans sa version numérique.

Je vous ai déjà parlé de cette autrice avec un autre one-shot, post-apocalyptique cette fois : #SeulAuMonde.

De quoi ça parle?
Héléna (alias Léna) est journaliste web. Contrainte par son patron de se rendre à Berdoux pour effectuer un reportage au sujet d’un orphelinat qui reçoit une subvention, elle va découvrir l’envers d’un décor effrayant. Elle y rencontre la petite Cerysette, une enfant souffrant d’un angiome qui la défigure. En échangeant avec la petite, Léna prend conscience des conditions de vie assez affreuses pour ces invisibles, ces oubliés du système. Quand la gamine disparaît, la journaliste s’empresse de déposer plainte au commissariat auprès de Lucas Donadio, un flic sur le point de partir à la retraite. Ensemble, ils vont enquêter et remuer des secrets que le gouvernement français aurait préféré continuer de cacher.

Une dystopie terrifiante aux accents quasi prophétiques.
Si l’action se déroule en France, l’autrice évoque la situation des États-Unis afin d’expliquer quelques éléments clés du fond historique. En 2020, le président américain a pété un câble, fermé les frontières du pays et réinstauré une dictature patriarcale (wait a minute…). Depuis, des femmes fuient en masse pour se réfugier en Europe, notamment en France où elles n’ont aucune existence légale. On les parque dans des bidon-villes où elles n’ont pas beaucoup de choix quant à leur avenir. Peu après, le président Rollin arrive au pouvoir en France et propose plusieurs projets politiques. D’une, le réaménagement du territoire en dédiant des villes à certains secteurs / métiers et en reconstruisant sur base du nombre d’or. Il reçoit beaucoup de moqueries des politiques mais un grand soutien des citoyens qui accrochent plutôt bien à ses idées novatrices. De deux, l’application de la loi du Talion.

Oui, le Talion, celui de la Bible : œil pour œil, dent pour dent. Grâce à un procédé technologique dont je vous épargne les explications précises pour ne rien gâcher du roman, on peut faire vivre à un bourreau les souffrances de sa victime pendant x temps en guise de châtiment. Ça calme les ardeurs, direct. D’autant que tous les adolescents ont droit à un « Talion d’essai » en guise de prévention… Ça fonctionne si bien que la criminalité a drastiquement baissé, assez pour que la police ne porte plus d’armes et que les légistes se contentent d’autopsier des suicidés et des morts naturels pour ne pas perdre la main.

Sur le papier, la France s’en sort plutôt bien. Les autres pays l’envient beaucoup, d’ailleurs. Sauf qu’on se rend rapidement compte qu’il y a anguille sous roche…

Des thématiques fortes et actuelles.
Céline Saint Charle ne se contente pas de proposer une enquête intéressante au rythme maîtrisé. Elle apporte une réflexion sur des sujets dangereusement d’actualité comme la question des réfugiés. Dans la divine proportion, il s’agit de jeunes femmes américaines qui essaient d’échapper à un pays rétrograde où on les considère à peine comme des objets de valeur. Elles cherchent donc une vie meilleure en Europe… Ça vous rappelle quelque chose ? Tant mieux, gardez ça à l’esprit. Ces femmes, en arrivant, n’ont pas d’identité. Elles n’existent pas, aux yeux de l’État. Si elles meurent, ça ne les regarde pas et elles n’ont même pas droit à une sépulture décente. Elles n’entrent même pas dans les statistiques des crimes commis sur le territoire, d’ailleurs. Si bien qu’une existence parallèle, presque un monde à part, se déploie dans l’ombre de l’officiel. On y trouve ceux qui ont commis des crimes et craignent le Talion, des prostituées utilisées par les citoyens français les plus riches (hypocrisie quand tu nous tiens) et bien entendu, leurs enfants qu’elles confient pour la plupart à l’orphelinat du coin en espérant qu’ils auront un avenir meilleur en étant adopté par des personnes disposant d’une nationalité.

Ces thématiques profondément humaines interpellent et ne peuvent pas laisser de marbre d’autant que l’autrice se les approprie très bien. Elle les met en avant en le justifiant par son histoire, sans jamais appuyer inutilement ou transformer la Divine Proportion en pamphlet politique. L’équilibre fonctionne.

Un texte porté par les femmes.
L’autrice réussit à brosser une galerie de personnages féminins crédibles et touchants. Elles n’ont pas toutes le beau rôle et c’est ça qui est intéressant parce qu’on ne tombe pas dans le manichéisme type les mâles sont des monstres et les pauvres femelles totalement en détresse. Elles sont victimes, elles sont bourreaux, elles sont tantôt fortes, tantôt faibles, elles vivent dans des conditions difficiles et se battent pour ce qui leur tient à cœur. Pour la petite histoire, l’autrice avait proposé à ses lecteurs de choisir les prénoms des personnages secondaires. Une info qu’elle révèle dans les remerciements. Je trouve l’initiative hyper sympa. Je ne vais pas détailler chacune de ces femmes parce qu’elles méritent toutes qu’on leur rende justice, toutefois je vais m’attarder sur Léna et Cerysette qui sont les héroïnes de ce texte. Léna est donc une journaliste qui a du mal avec les contacts humains. Pas très douée socialement, le sang chaud, la fougue de la jeunesse pas encore désabusée, elle se bat bec et ongle pour divulguer tout ce qu’elle apprend durant son enquête afin que le public soit au courant. Elle m’a agacée quelques fois mais ça ne la rend que plus humaine. Quant à Cerysette… C’est une gamine qui crève le cœur. Harcelée par les autres enfants à cause de son angiome, ils la traitent de monstre et refusent de devenir son amie. Enfant solitaire d’une résilience exceptionnelle, la vie ne lui fait vraiment pas de cadeau, ce qui ne l’empêche pas de conserver une candeur et une bonté qui provoquent plus d’une fois les larmes aux yeux du lecteur.

Le mieux dans tout ça c’est que Céline Saint Charle ne diabolise pas les hommes pour autant. Lucas Donadio est un flic bedonnant sur le départ pour sa retraite en Bretagne. Il est droit, honnête, il s’implique dans l’enquête alors qu’il pourrait très bien poser ses jours de congé pour préserver sa tranquillité. Il a un caractère un peu bourru ce qui ne l’empêche pas de posséder une véritable profondeur. La psychologie de ce protagoniste ne manque pas de nuance, je l’ai trouvé très réussi. Quant à Tony, autre homme remarquable, il est l’employé du bordel de Berdoux, chef de la sécurité. Un ancien malfaiteur qui a du cœur en plus de talents culinaires indéniables !

Pour le plus grand bien.
Jusqu’où peut-on aller pour le bien de la majorité ? Pour le bonheur du plus grand nombre? Voilà une question qui transcende tout le roman. Je ne peux pas développer dans le détail afin d’éviter tout divulgâchage toutefois sachez que la divine proportion ne se contente pas d’être un thriller efficace. Le roman va au-delà et se veut texte réflexif. Quand on le referme, on ressent un malaise en espérant qu’il ne devienne pas prophétique. C’est là tout le talent de cette autrice : ce qu’elle raconte est si crédible que ça en devient possible, envisageable. Chapeau.

Un mot sur le Chien…
En tant que personne engagée dans le bien-être animal, je ne pouvais pas occulter le sujet du Chien. Je mets une majuscule parce qu’il s’agit du nom du canidé adopté par Léna lors d’un reportage à la SPA pour se rattraper après qu’elle ait un peu gaffé. Elle le possède depuis plusieurs mois et ça ne se passe vraiment pas très bien entre eux. Ils ne se comprennent pas, lui pisse sur le tapis et se retient en balade exprès, bref elle vit l’enfer. Chien a une importance dans le roman que je tais pour vous laisser la découvrir mais ce que j’ai surtout apprécié c’est la manière dont Céline Saint Charle explique le problème de l’animal. Quand on a que les justifications de Léna, on imagine un animal un peu retord, vicieux même, ce qui donne une assez mauvaise image des chiens adoptés ou de la SPA qui est bien contente de lui refiler un de leurs pensionnaires. Pourtant, Donadio comprend tout de suite où le bât blesse puisque, chance, son oncle est éducateur canin. D’où l’importance de consulter des professionnels quand on rencontre un souci avec son animal au lieu de se braquer ou pire, de baisser les bras. Je ne vous en dis pas plus toutefois c’était la première fois que je lisais un roman qui évoquait ce type de sujet. Même si c’est accessoire face au reste de l’intrigue, j’avais envie d’en parler et de dire merci à l’autrice pour ça.

La conclusion de l’ombre :
La divine proportion est un thriller à la française de grande qualité. Non contente de proposer une intrigue intéressante et bien menée, Céline Saint Charle construit des personnages à la psychologie travaillée ainsi qu’un fond réflexif qui laisse pantois. Le talent de cette autrice auvergnate se confirme un peu plus à chaque roman. Je ne peux que vous en recommander chaudement la lecture !

The Dead House – Dawn Kurtagich

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The Dead House
est le premier roman de l’autrice anglaise Dawn Kurtagich. Vous trouverez ce thriller horrifique aux Éditions du Chat Noir dans la collection Cheshire au prix de 19.9 euros.
Je remercie les Éditions du Chat Noir pour ce service presse !

Carly et Kaitlyn sont sœurs et partagent le même corps. Carly existe le jour, elle est l’identité « officielle ». Kaitlyn a eu la nuit et elles communiquent entre elles en se laissant des messages dans un journal. Tout se passe bien dans leur vie malgré cette particularité lorsque survient le décès de leurs parents. Carly va être internée quand on découvre l’existence de son alter ego mais ses progrès pousseront sa psy à la laisser fréquenter le lycée Elmbridge. Jusqu’au drame…

Vingt ans se sont écoulés depuis l’Incident et le récit se présente sous la forme originale d’un rapport d’enquête qui revient sur ces évènements. Ce dernier contient des extraits du journal de Kaitlyn -retrouvé après les faits- mais aussi des rapports de police, des entretiens psychiatriques ou encore des vidéos tournées par une amie de Carly. Sa forme originale a su me séduire alors que je n’étais pas convaincue, à l’origine, par la pertinence d’un tel procédé. Je craignais ne pas ressentir la moindre empathie pour les personnages mais s’il y a bien un élément que l’autrice maîtrise, c’est la psychologie de ses protagonistes !

Quand on lit le journal de Kaitlyn, on ressent presque une gêne de pénétrer ainsi dans son intimité tant elle nous paraît réelle. Dawn Kurtagich joue avec ça puisqu’on va ignorer pendant un moment si tout ceci se passe ou non dans la tête de Carly / Kaitlyn. Les explications psychiatriques fournies par le Dr Lansing paraissent souvent crédibles, autant que les objections opposées par les protagonistes. Même une fois le roman refermé, la dernière page tournée, j’hésite sans savoir quoi croire car tout me paraît si réel et en même temps impossible. La maestria de l’autrice m’a soufflée. Quand je pense qu’il s’agit d’un premier roman ! Je me réjouis de lire ses autres œuvres.

Kaitlyn est le personnage principal de cette histoire et elle souffre. Elle souffre énormément d’être la Fille de Nulle Part. Elle apparaît au coucher du soleil, quand tout le monde dort, et se sent seule, terriblement seule. Carly et elle ont un plan pour l’avenir : à leur majorité, elles déménagent à Londres, une ville qui ne dort jamais afin que son alter ego puisse avoir sa propre vie, elle aussi. Kaitlyn s’accroche à cette possibilité et ça aurait pu fonctionner sans Aka Manach, sans cette fille morte qui apparaît soudainement, sans les cauchemars de la Maison Morte, sans ce qui ressemble à des psychoses d’un œil extérieur.

Kaitlyn se pense seule mais elle ne l’est pas vraiment. Sa relation la plus profonde, elle l’entretient avec Dee, son journal intime (Dee pour Dear Diary). C’est presque un personnage à part qui semble par moment doué d’une forme de vie. Le mystère plane mais j’ai vraiment apprécié cette idée et la manière dont Kaitlyn se réfugie dans l’écriture. Il y a également Naida, la meilleure amie de Carly, qui est au courant de leur situation et les croit. Naida pratique le Mala, une forme de magie qui paraît inspirée du vaudou et va essayer d’aider Kaitlyn à affronter ce qui la hante. Il y a aussi Scott, le petit ami de Naida, qui se retrouve embarqué dans cette histoire par amour plus qu’autre chose. Brett, qui aime Carly (à sa manière)… Mais surtout Ari et John qui sont deux personnages gravitant autour de Kaitlyn uniquement et chacun d’une grande importance à ses yeux puisqu’ils la fréquentent elle et pas Carly. Ils connaissent la fille de la nuit, lui permettent d’exister, ce qui explique les sentiments très forts que Kaitlyn ressent envers eux (amour pour un, fraternité pour l’autre). En temps normal, ces relations auraient pu m’agacer mais ici j’ai trouvé la construction des personnages subtile et bien dosée, le développement de leur relation crédible dans l’aspect malsain et dépendant. Ils me paraissaient tellement réels que je tournais les pages avec une certaine angoisse, comme si j’assistais à tout et que je devais absolument les aider. Dawn Kurtagich est parvenue à m’immerger, à m’intéresser à son récit et ça m’a vraiment séduite. Je me suis impliquée comme ça ne m’était plus arrivée depuis un moment. Je ne me contentais pas de lire, je vivais The Dead House.

À la fin du roman, on trouve un mot de l’autrice qui explique comment elle en est venue à écrire The Dead House et selon moi, ça apporte vraiment un plus. Suite à une maladie, l’autrice dormait le jour et vivait la nuit, ce qui l’a poussée à se demander comment existerait une personne qui ne vivrait que pendant la nuit. Kaitlyn venait de naître. Je vous cite la suite parce que je ne vois pas l’intérêt de paraphraser ce qu’elle explique elle-même clairement : « Comment seraient nos vies si on n’en contrôlait que la moitié? En voudrait-on à l’autre personne, celle qui a le reste ? Communiquerait-on avec elle ou lui ? Si oui, comment ? Que ressentirait-on si l’on n’avait pas le contrôle sur notre propre corps ? Ou pire encore, si l’on ne pensait pas que notre corps nous appartient ? Comment vivrait-on si l’on nous traitait comme un symptôme, comme une maladie? (…) Que se passerait-il si notre moitié disparaissait? Et si quelqu’un nous disait que la raison n’est pas psychologique (syndrome d’intégration comme le soutien la psy) mais spirituelle (magique, démoniaque) ? Que ressentirait-on, si personne ne croyait en notre existence ? »

Après ça, impossible de ne pas confirmer le coup de cœur qu’a été pour moi la découverte de The Dead House et de cette autrice talentueuse. Je me réjouis de la rencontrer lors de la Foire du Livre de Bruxelles et je vous encourage à craquer sur son roman que je n’hésite pas à qualifier d’exceptionnel. Le chat noir a décidément du nez, il cache peut-être des origines canines ? Il se changera peut-être en Sinistros 😉

Pour résumer, The Dead House est un thriller fantastico-horrifique de grande qualité. Premier roman de Dawn Kurtagich, l’autrice joue magnifiquement avec les troubles mentaux de ses héroïnes pour brouiller la frontière entre le réel et l’occulte. Ce texte addictif est aussi remarquable pour sa forme car présenté comme un dossier d’enquête qui contient des témoignages, des extraits vidéos, des entretiens psychiatriques, etc. J’ai eu un coup de cœur pour ce texte et je me réjouis de lire d’autres œuvres de l’autrice. Je n’ai qu’un mot à vous dire : foncez !

Les machines fantômes – Olivier Paquet

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Les machines fantômes est le nouveau roman de l’auteur français Olivier Paquet. Édité chez l’Atalante pour la rentrée littéraire 2019, vous trouverez ce titre au prix de 23.90 euros dans toutes les bonnes librairies.
Je remercie Emma et les éditions l’Atalante pour ce service presse.

Les machines fantômes est un techno-thriller sous forme de roman chorale qui invite le lecteur à suivre cinq personnages : Adrien, un trader accro à l’adrénaline, Aurore une chanteuse pop qui se produit sous le pseudonyme de Stella, Kader un ancien sniper des forces spéciales et Lou, une gameuse ingénieure en informatique. Ils n’ont rien en commun… Sauf Joachim, qui va bouleverser leur vie en se servant d’eux pour accomplir son dessein : livrer le monde aux IA.

Je ne connaissais pas encore la plume d’Olivier Paquet et c’est le résumé couplé à la magnifique couverture d’Aurélien Police (encore et toujours lui !) qui m’a donné envie de me lancer. J’ai commencé le roman en me sentant un peu perdue. Chaque chapitre est assez long et parle d’un personnage, de sa vie avant de rencontrer Joachim (même s’il utilise à chaque fois une nouvelle identité, je garde son prénom d’origine par facilité), de la façon dont leur quotidien est bouleversé par lui et comment ils apportent malgré eux leur pierre à son édifice. Ils finissent par se retrouver et s’allier pour essayer d’arrêter cet homme qu’ils jugent néfaste. Mais sachez que la moitié du roman est consacrée à la mise en place, à la présentation de chacun, à la façon dont il ou elle vit sa vie, du coup j’ai passé beaucoup de temps à me demander où Olivier Paquet voulait en venir. Puis est arrivée la révélation…

La forme chorale est finalement très adaptée au récit. Elle permet de perdre complètement le lecteur, d’autant que certaines situations se révèlent être des simulations proposées par les I.A. et on ne le comprend pas forcément tout de suite. On essaie de tisser des liens entre certains évènements qui, finalement, n’en ont pas tellement. Tout va vite… et assez lentement à la fois, car l’auteur profite de son thriller pour proposer une critique sociale des plus acides. À ce sujet, la postface de Tristan Garcia est très intéressante à lire, pas très longue (et surtout à la FIN ce qui est merveilleux parce qu’elle éclaire vraiment le texte au lieu de nous le spoiler, super choix éditorial).

Comme je le disais, la critique sociale est mordante, pertinente et assez malaisante. Le monde glacial des traders qui jouent avec les chiffres et les gens sans se soucier des conséquences, qui brassent des millions pour perdre des milliards comme si ça ne valait rien. Le monde des stars qui ont une telle influence sur leur public et qui essuient pourtant des critiques acerbes des uns et des autres, impossible de plaire à tout le monde. L’univers cruel de la famille, avec Kader obligé de s’occuper de son grand-père malade en essuyant ses critiques et sa déception, en étant toujours comparé à son frère qui lui est un « bon musulman ». Le changement de sexe, la question de l’identité, les abus parentaux et même le microcosme de la littérature ! Tout le monde en prend pour son grade. Je suis sure que ce roman ravira les sociologues dans quelques années car il a beau se passer dans un futur proche, il dépeint une société tristement actuelle. D’ailleurs, les chapitres dans l’esprit de l’auteur en salon ont trouvé un écho très fort en moi. Une merveille. Un bijou.

Le tout avec une plume maîtrisée, dynamique, ce qui ne gâche rien. On sent que l’auteur a du métier et du bon métier. Si on s’embrouille, c’est totalement voulu -du moins je pense- afin de pousser la métaphore encore plus loin. Et comme je l’ai dit, des métaphores, il y en a beaucoup. C’est la postface qui m’a permis de mettre des mots clairs sur les intentions de l’auteur, sur ce que je ressentais parfois confusément. Les machines fantômes sont évidemment les I.A. qui naissent et qui développent une forme de pensée, de conscience, différente de celle des humains mais tout aussi importante. L’auteur montre la place prise dans notre vie par tous ces programmes, l’impossibilité de revenir en arrière, les dangers mais aussi les bénéfices que cela pourrait avoir pour l’humanité en fonction de leurs décisions. Car même chez les I.A., il y a des dissensions et ce qui est intéressant c’est qu’elles ne parlent pas. Il n’y a jamais de long dialogue pseudo philosophique entre l’humain et la machine, ce que j’ai vraiment apprécié. La barrière reste, les I.A. guident et ont des plans mais ça reste un degré de conscience trop différent du nôtre pour vraiment les unir. Olivier Paquet met en scène une naissance, le début d’une ère nouvelle et il le fait avec maestria.

Je ne peux même pas parler de science-fiction. Le terme de techno-thriller évoqué dans la presse me parait très adapté et c’est une superbe réussite qui vous collera des frissons.

Pour résumer, les machines fantômes est un techno-thriller sous forme de roman chorale. Magnifiquement orchestré par Olivier Paquet, il met en scène cinq personnages reliés entre eux par des I.A. qui vont devoir se battre pour contrecarrer les plans des uns et des autres avec un final surprenant. Si le texte contient parfois quelques longueurs, la critique sociale qu’il recèle ne manque pas de piquant ni de justesse et permet d’oublier qu’on s’éloigne un peu du sujet central à certains moments. Je recommande très chaudement ce texte à tous ; il est brillant et mérite qu’on le lise. Attention toutefois si ce sujet vous cause déjà des angoisses, ça ne va pas s’améliorer après la lecture.

Texto – Dmitry Glukhovsky

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Texto
est un one shot écrit par l’auteur russe Dmitry Glukhovsky. Édité chez l’Atalante dans sa version française, vous le trouverez en format papier au prix de 23.90 euros.
Je remercie chaleureusement les Éditions Atalante pour l’envoi de ce service presse numérique.

L’histoire se déroule en novembre 2016. Ilya rentre chez lui après avoir passé sept ans en prison pour un crime qu’il n’a même pas commis. En arrivant à l’appartement de sa mère, une voisine lui apprend qu’elle est morte le jour avant d’un arrêt cardiaque. Ilya se saoule (normal) puis, ivre de vengeance (et de vodka aussi), va retrouver l’officier qui l’a fait tomber sept ans plus tôt afin de le tuer. Une fois son méfait accompli et le corps caché dans une bouche d’égout, Ilya récupère le téléphone portable de Pieta Kazhine. Le lendemain, quand il dessaoule, Ilya prend conscience de la portée de ses actes et commence à se faire passer pour Kazhine afin que personne ne se doute de son décès. Il sait que c’est une question de temps, toutefois il veut pouvoir régler l’enterrement de sa mère avant d’être exécuté et pour ça, le seul moyen semble être de profiter d’une occasion en or offerte par Kazhine lui-même. Sauf que l’homme qui a détruit sa vie commence à déteindre de plus en plus sur lui…

Je viens de vous spoiler les soixante voir septante premières pages mais la quatrième de couverture ne s’en prive pas non plus. Et c’est franchement dommage parce que j’ai eu du mal à rentrer dans le livre. J’éprouvais un sentiment de longueur et je résistais à l’envie de passer des pages pour arriver à un peu d’inédit. Certains passages se révélaient intéressants et à d’autres moments, Ilya se répétait beaucoup trop. Heureusement, petit à petit, la sauce a pris pour ce thriller russe particulièrement glaçant.

Ilya n’est pas quelqu’un de mauvais. Kazhine l’a fait condamner en cachant de la coke dans ses poches parce qu’il a refusé de le laisser fouiller sa copine de l’époque d’une manière trop entreprenante. Sept ans de sa vie pour avoir défendu la femme qui l’aime. Femme qui ne l’a pas attendu, bien sûr. Il ne lui restait que sa mère qui, pas de chance, décède le jour avant son retour. À sa place, j’aurai pété un câble aussi. En tant que lecteur, on assiste avec une fascination macabre à sa descente en enfer, à ses doutes, ses résolutions bancales, ses prises de conscience. Dmitry Glukhovsky réussit à nous dépeindre un personnage profondément humain, dans tous les sens du terme. Le bon comme le mauvais. Avec plus ou moins de résilience. Avec Texto, l’auteur russe nous offre un roman nuancé et des personnages à la psychologie travaillée, comme de juste dans la tradition littéraire de ce pays.

À travers les mésaventures d’Ilya, l’auteur propose une réflexion pertinente sur la place du téléphone portable dans notre vie et ce qu’on peut apprendre sur les gens par son entremise. Imaginez un instant que quelqu’un prenne le vôtre, lise vos conversations, consulte vos photos, vos vidéos, vos mails… C’est ce que fait Ilya, au point de se confondre avec Petia. Il va répondre par message à ses parents, en enquêtant dans l’appareil pour démêler les drames familiaux. Cela passe par la lecture de conversations sur différentes applications, la découverte de mails en brouillon jamais envoyés qui, pourtant, changeraient plus qu’une vie. Je me suis laissée emporter, j’étais fascinée par ce que découvrait Ilya et j’aurai aimé avoir ce téléphone pour pouvoir le parcourir moi même.

Ilya va également échanger avec Nina, la petite amie de Kazhine, et tomber amoureux d’une image. Il va aussi et surtout se rendre compte que son bourreau était humain, comme lui. Qu’il a fait des erreurs, comme lui. Et qu’il ne méritait pas forcément de mourir. Dans ce roman, personne n’est un héros, personne n’est vraiment un méchant non plus. C’est un texte tout en nuances de gris plus ou moins sombres qui a une vraie portée signifiante. J’adorerai lire davantage de romans dans ce genre-là.

Pour conclure, je dirai Texto est un texte d’une grande profondeur psychologique au final aussi glacial que l’hiver russe où il se déroule. Il parait hélas longuet par moment et ses chapitres sont parfois trop longs. Outre ce souci de rythme qui est, somme toute, vraiment personnel à mon goût, j’ai été très heureuse de découvrir ce texte différent dans une Russie actuelle dépeinte avec brio par un auteur du cru. La psychologie affinée des différents protagonistes permet une plongée dans les méandres de l’âme humaine avec un côté malsain assez subtil et bien maîtrisé. Pour ne rien gâcher, Dmitry Glukhovsky traite d’un sujet résolument moderne en s’interrogeant sur notre trop grande confiance en notre téléphone portable et notre relation à la technologie. Je recommande Texto sans hésiter aux amateurs de romans psychologiques et à ceux qui ont envie de découvrir un bout de Russie contemporaine.

Evil #1 Vicious – V.E. Schwab

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Vicious est le premier tome de la saga Evil proposée par l’autrice américaine V. E. Schwab. Publiée chez Lumen, vous trouverez ce tome au prix de 16 euros dans toutes les librairies.

Victor et Eli étaient meilleurs amis (quoi que tout est relatif, vous vous en rendrez compte en lisant). Seulement, Eli a trahi Victor et ce dernier a passé dix ans en prison par sa faute. Quand il parvient à s’évader en compagnie de Mitch, Victor est bien décidé à aller régler ses comptes.
Dans un mon semblable au nôtre, il existe des EO -ExtraOrdinaires. Ce sont des personnes qui, pour une raison obscure, sont parvenues à développer des pouvoirs. Eli décide d’en faire son sujet de thèse et ses découvertes lui permettent d’avancer des hypothèses solides sur la manière de créer ces personnes hors du commun. Du coup, son colocataire Victor lui propose de tester ses théories et ça tourne très mal.

Le scénario de Vicious n’est pas sans rappeler certaines licences bien connues comme notamment X-Men. Ce titre, en fait, aurait pu être un comics que ça n’en aurait été que mieux. Tout, de l’aspect couverture (que je trouve d’ailleurs assez chouette) jusqu’aux interactions entre les protagonistes, rappelle ce médium. Avec ses qualités et ses défauts. La thématique principale étant, évidemment, l’acceptation de la différence (ou plutôt de l’évolution?) et le danger représenté par certains individus affreusement partiaux. La métaphore est d’actualité et me parle bien. J’achète.

Ce roman est construit dans une alternance de point de vue entre le passé et le présent de la narration, ce qui rend plutôt compliqué la présentation de Vicious sans vous spoiler des parties entières. Déjà que j’ai été un peu trop loin en vous évoquant les thèmes principaux… Ce procédé narratif ne m’a pas vraiment plu même si les en-têtes de chapitre renseignent très clairement à quel moment on se trouve. En tant que lecteur, nous ne sommes jamais vraiment perdus mais par moment j’éprouvais souvent une lassitude et un sentiment de longueur dans certaines parties. Le rythme se brisait, justement à cause de ces sauts. Du coup, pendant toute la première partie du roman, j’ai eu du mal à rentrer dans l’histoire et à vraiment m’y intéresser. Pour tout dire, j’ai même failli le laisser de côté et le rendre à Laure-Anne qui a eu la gentillesse de me le prêter.

La seconde partie décolle davantage, surtout en termes d’action et de résolution. Beaucoup plus de dynamisme même si les explications du passé de certains personnages tombaient comme des cheveux dans la soupe. Et oui je mets l’expression au pluriel. Tout s’accélère alors pour arriver à un final magistral… Qui me fait amèrement regretter que ce roman ne soit pas un one-shot. Pour moi, l’autrice devait s’arrêter à ce moment. Peut-être que le second tome ne concerne pas du tout Eli et Victor mais si c’est le cas, je trouve ça très dommage. Parce que cette fin a su à la fois me séduire et me convaincre, assez pour oublier les faiblesses narratives formelles (sans parler des incohérences, surtout au niveau des pouvoirs de Victor) et dire que ce roman est plutôt bon.

D’un point de vue des personnages, ils sont tous intéressants et utiles d’une manière ou d’une autre à l’histoire. L’autrice ne s’éparpille pas sur de trop nombreux protagonistes et les psychés des deux « héros » (si si, on a besoin de guillemets) se révèlent originales, profondes, nuancées. Eli est très clairement un sociopathe là où Victor est beaucoup plus vivant, passionné, enragé. À mon sens, les protagonistes de Vicious représentent l’aspect le plus réussi du roman et sa grande force. Plus que l’intrigue qui, en elle-même, n’a rien d’absolument transcendant. C’est sympa mais ça manque un peu de surprise.

En bref, je suis finalement contente d’avoir découvert Vicious. Ce texte propose une histoire nuancée qui rejette le manichéisme, ce qui est assez rare pour qu’on le souligne. Les protagonistes principaux sont « des méchants » plus ou moins gris auxquels on s’attache facilement car leur psyché est très bien dépeinte. C’est un bon divertissement qui souffre toutefois de quelques longueurs et d’un système narratif qui n’a pas su m’emballer (mais qui plaira à d’autres, j’en suis sûre) sans parler d’une intrigue un peu trop simple qui permet aisément de deviner la fin et de quelques incohérences. Quant à savoir comment personne dans le staff éditorial ne s’en est rendu compte… C’est tout de même une lecture que je recommande à ceux qui apprécient les univers typés comics d’anticipation.

Pornarina – Raphaël Eymery

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Pornarina est un roman d’enquête fantastique écrit par l’auteur français Raphaël Eymery. Publié chez Denoël dans la collection Lunes d’encre, vous trouverez ce livre au prix de 19 euros.
Je remercie FungiLumini du blog Livraisons Littéraires pour m’avoir prêté ce roman découvert grâce à sa chronique.

Pornarina est aussi connue comme la prostituée-à-tête-de-cheval. Elle sévit en Europe depuis plusieurs décennies et sa particularité est d’émasculer les hommes, qui en meurent sur le coup. Figure quasi mythologique, elle déchaine les passions au sein d’un cercle de spécialistes – les pornarinologues- auquel appartient le Dr Blazek. Nous suivons principalement sa fille adoptive, Antonie, contorsionniste naturel. Elle assiste son père dans sa quête de Pornarina ce qui la pousse à fréquenter tout un tas de personnes pas franchement fréquentables, justement.

Il est vraiment difficile de parler de ce roman à mi chemin entre une enquête et une étude des « monstres ». D’ailleurs, par moment, on est vraiment davantage dans un texte (pseudo) scientifique que dans un récit de fiction. Le roman s’ouvre sur un « nous » dont on ne saura jamais rien et qui ramène à la vie le célèbre détective, Sherlock Holmes. Ce « Nous » enquête sur le Dr Blazek dont nous apprenons le passé à travers les archives de Sherlock. Après cette introduction qui est un prétexte pour poser le personnage du docteur, nous faisons connaissance avec Antonie dans des chapitres à la troisième personne au style littéraire assez percutant. La personnalité du récit s’y marque bien et c’est une grande force de ce livre.

Antonie est une jeune fille aux os en caoutchouc. Orpheline trouvée dans la banlieue de Kiev, elle est élevée par le docteur pour devenir son assistante. Il est de plus en plus âgé et a du mal à continuer son enquête sur Pornarina. C’est donc Antonie qu’il envoie sur ses traces en espionnant un pornarinologue, surnommé Fel, qui semble avoir des informations intéressantes à ce propos.

Plus que Pornarina, à mon sens, c’est Antonie le personnage principal et la figure mythique sert simplement de prétexte pour faire avancer le récit et réfléchir sur une multitude de sujets dont, entre autre, la guerre des sexes, les déviances et la mythification des tueurs en série. Quand je dis qu’Antonie est le personnage principal, c’est parce qu’on suit son évolution ou plutôt, sa descente dans les abîmes de la folie jusqu’au chapitre final qui était peut-être un peu trop abrupt à mon goût. Antonie est une mise en abîme des propos tenus tout au long du texte et l’auteur le réalise d’une manière aussi maîtrisée qu’intelligente.

Pornarina est un roman de freaks, avec des personnages pervers et des scènes franchement malsaines. Il n’est pas à mettre entre toutes les mains mais je l’ai trouvé original autant dans son procédé narratif que dans cette façon qu’il a d’enseigner à son lecteur les perversions humaines. J’ai appris énormément de termes que je ne connaissais pas et j’ai eu le sentiment de me retrouver dans un immense cabinet des curiosités. La quatrième de couverture parle de ressusciter la tradition française du Grand-Guignol et je suis assez d’accord là-dessus. Si ce roman souffre des défauts induit par son culot, je reconnais volontiers le talent de Raphaël Eymery et espère que ça ne soit pas son dernier texte.

Pour résumer, Pornarina est un roman qui sort des sentiers battus et n’est pas à mettre entre toutes les mains. Ses indéniables qualités stylistiques et philosophiques se heurteront aux valeurs traditionnelles des lecteurs et ne pourra pas le laisser indifférent. Au lecteur à garder l’esprit ouvert ! Les thématiques de déviance et de différence développées tout au long du texte ont vraiment su me plaire et je recommande ce titre aux lecteurs avertis.

Irezumi – Akimitsu Takagi

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Irezumi est un roman policier japonais écrit par Akimitsu Takagi et publié chez Folio dans la collection policier. Vous le trouverez partout en librairie au prix de 7.80 euros.
Ce roman entre dans le challenge S4F3 organisé par Albédo.
Ce roman entre dans le Pumpkin Autumn Challenge menu « Automne Frissonnant » catégorie « le cri de la banshee ».

Avant de vous parler en détail de ce roman, je dois donner quelques précisions quant à son contexte. Il a été publié pour la première fois en 1948 au Japon et est considéré comme un des classiques du polar nippon. Ceci explique en grande partie mon ressenti développé plus bas. Retenez-le parce que c’est important.

Irezumi se déroule en 1947, à Tokyo. Kinué Nomura est une femme tatouée qui fascine les hommes. Après avoir participé à un concours où elle a exposé son tatouage, elle est retrouvée assassinée. Une enquête commence donc pour découvrir l’identité du tueur alors qu’un meurtre isolé se transforme en une série.

Le premier gros problème que j’ai eu avec ce roman, c’est son côté vieillot et trop classique dans le déroulement. Si vous aimez les romans policiers de la vieille école, ce livre sera parfait pour vous mais ce n’est pas mon cas. J’ai deviné rapidement certains pans de l’intrigue et entretenu des doutes sur d’autres éléments, ce qui ne m’arrive pas souvent puisque je suis une lectrice crédule qu’on balade facilement en règle générale. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est cousu de fil blanc mais l’auteur répète tellement souvent les éléments importants qu’on a envie de passer des pages (honnêtement, je l’ai fait) pour arriver à quelque chose de nouveau, d’inédit, et avancer un peu. Pourtant, il fait +-330 pages  mais ça m’a paru long.

De plus, j’ai trouvé les personnages assez fades, présents pour remplir des rôles prédéfinis, ce qui a découlé sur une absence flagrante d’empathie. On a le héros un peu naïf, le policier dépassé, le détective privé de génie (alors lui, il méritait des claques), le scientifique un peu bizarre, la femme manipulatrice et vénale… Tous les ingrédients sont présents et ça manque cruellement de profondeur. Enfin, le récit comporte énormément de longueurs puisque l’auteur passe son temps à répéter dans les dialogues des éléments de l’enquête, comme s’il craignait que le lecteur oublie quelque chose. Le bouquet, c’est probablement le dernier chapitre d’exposition qui reprend tout à zéro et qu’on a envie de passer pour les deux premiers tiers parce qu’on sait déjà tout.

Pourquoi est-ce que je vous en parle, du coup, si je me suis ennuyée en le lisant? Plusieurs raisons à cela. Déjà, Irezumi est très riche de détails concernant le Japon de l’après-guerre mais aussi l’univers du tatouage et les légendes nippones. J’ai appris énormément de choses et ça m’a bien plu. Ensuite, ce que je relève comme un défaut sera vu comme une qualité par beaucoup de lecteurs. Le roman policier construit d’une manière classique m’ennuie mais la plupart des adeptes du genre aiment ça. Irezumi n’est pas du tout un mauvais livre, c’est juste un ouvrage qui ne me convient pas à moi en tant que lectrice. La preuve, Laure-Anne me l’a prêtée et ça a été un coup de cœur pour elle (je vous renvoie à sa chronique pour juger) !

Pour résumer, si vous aimez le Japon, les tatouages traditionnels et les enquêtes pour meurtre, Irezumi est un roman parfait pour vous. Si vous cherchez un texte dans le genre policier qui soit un peu plus original dans sa construction, passez votre chemin.

#PLIB2019 Le Dieu Oiseau – Aurélie Wellenstein

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Le Dieu Oiseau est le dernier roman en date d’Aurélie Wellenstein publié chez Scrinéo. Vous retrouverez ce livre au prix de 16,90 euros en format papier. Il s’agit d’un one-shot un peu compliqué à classer, dans la veine du récit initiatique.
Ce roman a été sélectionné pour le #PLIB2019. #ISBN9782367405827.

L’histoire se déroule sur une île que nous sommes bien en peine de situer géographiquement ou même temporellement (quelle époque? quel monde?). Tous les dix ans, une compétition détermine quel clan va dominer l’île, ils sont dix en tout. Après des épreuves de sélections, les dix finalistes doivent accomplir la Quête du dieu oiseau: trouver son île et ramener l’œuf d’or. Forcément, l’île en question n’est pas un lieu paisible sans aucun obstacle… Entre la mer déchainée, les bêtes féroces et les obstacles naturels, on se demande comment au moins l’un d’eux arrive à survivre à chaque coup. Le vainqueur assure la domination de son clan et fait subir aux vaincus la tradition du « Banquet », une journée orgiaque où tout est permis, même (et surtout) le pire. Lors du dernier banquet, Faolan a vu sa famille se faire massacrer et a été réduit en esclavage par Torok, le fils du chef victorieux. Quand la nouvelle compétition commence, il tient à y participer (c’est ouvert à chacun quelle que soit sa condition) mais son chemin sera semé d’embuches.

Sans vous faire languir davantage, j’ai passé un bon moment avec ce roman. Je le trouve bien écrit, rythmé et intéressant dans la mythologie mise en place. Sur 300 et quelques pages, Aurélie Wellenstein créée une société entière et nous la présente avec clarté, fluidité, sans jamais nous assommer avec trop d’informations.

Ce n’est pas un coup de cœur car, sur un plan personnel, j’ai un peu du mal avec les quêtes initiatiques et les ambiances « survival » mais c’est propre à moi. Cela ne m’empêche pas de trouver beaucoup de qualités à ce livre, notamment via le développement psychologique de Faolan.

Il était jeune quand il a vu ses parents, sa sœur et les membres de son clan subir un massacre difficilement supportable. Dix ans après, il en cauchemarde encore, traumatisé en plus de subir les fantaisies perverses (pour reprendre le terme de la quatrième de couverture) de Torok. L’auteure rend bien compte de ces éléments pour offrir un personnage plutôt crédible qui oscille entre désir de vengeance, traumatisme et syndrome de Stockholm. Torok, de son côté, aurait pu être l’archétype du sadique mais son comportement pousse Faolan (et le lecteur) à se poser beaucoup de questions à son sujet. Je trouve chaque personnage et la dynamique qui existe entre eux vraiment très réussie. C’est ce qui m’a le plus plu dans ce livre. J’aimerai en dire plus mais ça irait contre ma politique anti-spoil !

Ce roman est effectivement sombre et brutal comme annoncé sur la présentation du livre, mais j’ai trouvé le Roi des Fauves (de la même auteure, je vous remets le lien de ma chronique) beaucoup plus sale et violent que le Dieu Oiseau (qui l’est aussi notez). Je m’attendais à quelque chose d’encore plus difficile, qui me remuerait davantage les tripes que le Roi des Fauves mais ça n’a pas été le cas et je ressens peut-être une pointe de déception à cause de cela. Et de la fin aussi. Mais ça, bon, c’est moi.

Pourtant, je le répète, le Dieu Oiseau est un bon livre. Il plaira à un très large public (comme c’est déjà le cas si j’en juge les réseaux sociaux) surtout aux adeptes de survival qui apprécient les récits psychologiques sans censure sur la violence, et sans surexposition non plus. Un équilibre délicat trouvé avec brio par Aurélie Wellenstein. Je vous le recommande !

Mémoires Assassines – Christelle Colpaert-Soufflet

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Mémoires Assassines est un thriller en un volume écrit par l’auteure française (du nord !) Christelle Colpaert-Soufflet. Réservé à un public averti, ce roman est disponible chez Livr’s Éditions au prix de 19 euros dans la collection Suspense. Je vous l’annonce déjà: ce fut un coup de cœur !

Dix-sept mois après une agression violente qui a failli lui coûter la vie, Eva Lorca sort finalement de l’hôpital et emménage dans une nouvelle maison offerte par son mari en échange de son accord pour le divorce. En effectuant des travaux, elle découvre un coffre au grenier contenant les mémoires de Henri Ficheaux, l’ancien propriétaire, qui est également un tueur en série. Elle va se plonger dans les détails les plus intimes de sa vie et y voir un moyen de revenir sur le devant de la scène. Parce que Eva était chroniqueuse pour « Murmures d’ici et là » et elle n’a aucun doute que l’histoire de Henri va lui rouvrir les portes de la gloire.

Je sais, à première vue, le résumé peut sembler cliché, banal, vu et revu… C’est aussi ce que je me suis dit. Et pourtant ! On en est loin. J’ai tellement à dire sur ce livre… Je l’ai lu en 24h et ça m’a même fait du mal de le poser sur ma table de nuit pour dormir, tant je souhaitais connaître la suite. Tout ce que j’aime s’y trouve: un personnage féminin qui sort du lot, un tueur en série, des scènes gores mais pas gratuites, du sexe non censuré mais pas inutile, tout est bien dosé, pour maintenir un intérêt constant du début à la fin.

Au départ, nous rencontrons le personnage d’Eva, qui est une femme brisée suite à son agression, abandonnée par son mari qui lui préfère une fille nettement plus jeune et qui emmène leur fille adoptive avec eux pour une question d’équilibre. Son amant l’exaspère, et on découvre rapidement qu’Eva n’est pas simplement une pauvre petite victime. C’est une femme avec ses vices, sa fierté, son égoïsme aussi. Elle est manipulatrice, pense à sa carrière, mais elle n’est pas pour autant foncièrement mauvaise, elle est juste… Humaine. Dans le bon et le mauvais sens du terme. Elle peut paraître antipathique au premier abord mais j’ai pourtant assez rapidement accroché à sa façon d’être et de voir le monde. Même si je n’adhère pas sur un plan personnel, c’est quelque chose que je comprends, que je conçois, et qui la rend réelle.

Eva est agoraphobe depuis son accident et elle a un grand jardin non entretenu dans sa nouvelle maison. Serviable, son amant (bien pénible au passage ce Stefan) lui envoie son frère, habitué des petits boulots, pour le remettre en état et une relation nait assez rapidement entre elle et le frère en question, prénommé Laurian. Ce personnage va avoir une grande part dans l’histoire et j’avoue que pendant tout un temps, je ne savais pas trop quoi penser de lui. Salaud opportuniste? Homme sincère? Je ne vais pas trop en révéler pour ne pas vous gâcher la surprise, mais il est présent avec Eva tout au long de l’histoire et finalement, je l’aime bien ce garçon !

A partir du moment où notre héroïne découvre les cahiers d’Henri, nous oscillons entre le passé et le présent. Au départ, lire ces mots l’effraie mais très vite, ça la passionne et elle se sent entraînée dans la vie de ce tueur en série. Elle le comprend, le décrypte. C’est un homme à la fois fascinant et répugnant et j’en profite pour pointer ici un élément supplémentaire en faveur du roman: l’auteure ne tombe pas dans le piège de trop en dire dans les journaux d’Henri. Il est courant, quand on lit ce type d’extrait dans un roman, que l’auteur se laisse aller à trop de descriptions et que ça sonne faux, parce que personne n’écrirait son journal intime comme ça. Ici, Christelle Colpaert-Soufflet maîtrise très bien cet aspect de son histoire et on peut la féliciter pour cela.

A l’instar d’Eva, j’ai été fascinée par Henri et très honnêtement, je ne m’attendais pas à ce que l’histoire prenne cette tournure. J’ai envie de deviser des heures sur le sujet mais je ne veux pas spoiler dans ma chronique. Je vais donc me contenter de dire que ça m’a tenue en haleine, que l’auteure n’a pas peur de décrire les vices et les exactions d’Henri, que personne n’est épargné, pas même les animaux (RIP Pilou). Elle a même réussi à me faire grimacer une fois ou deux, c’est dire !

Son style d’écriture est très immersif. C’est un roman à la première personne et nous sommes dans la tête d’Eva, avec les douleurs consécutives de son agression (elle a eu presque tous les os brisés) ses doutes sur elle-même, sur son corps, sur ce qu’elle est et ce qu’elle veut devenir. Cela permet de brasser, finalement, énormément de thématiques et même si sa reconstruction passe à travers un tueur en série, j’ai trouvé l’histoire intelligente, bien amenée. L’auteure ose sortir des sentiers battus et bon sang ce que ça fait du bien !

En bref, je recommande très chaudement Mémoires Assassines qui est un très bon roman écrit par une auteure talentueuse que j’ai été ravie de découvrir pour la première fois. C’est l’histoire d’une renaissance doublée d’une plongée dans les abysses, dans ce que l’humanité peut avoir de pire, le tout traité avec subtilité et intelligence. Je sais déjà que je vais me plonger dans ses autres récits car elle a une mentalité et une plume vraiment plaisante.