Tout qui me connait un peu sait qu’en d’autres circonstances, je n’aurais pas posé un regard sur ce roman parce que je ne suis pas une grande adepte du post-apo (quoi qu’on m’annonce du pirate enfin son équivalent, j’avoue que je suis un peu faible avec ça moi…). Il ne faut jamais dire jamais, d’autres ouvrages ont gagné au fil du temps leur statut d’exception mais je n’y peux rien, ce genre littéraire me déplait. Je le trouve souvent inutilement violent, défaitiste et malheureusement, de plus en plus raccord avec la réalité. Si j’ai arrêté de regarder les infos de 19h, c’est pas pour me les infliger quand j’essaie de m’évader par la lecture…
Bref, des exceptions, il y en a et le roman de Marguerite Imbert en est une belle. Qu’on se comprenne bien : c’est du post-apo. C’est sombre. Sans concession. Mais y’a pas que ça. C’est aussi complètement barjot, drôle, déjanté. L’autrice assume pleinement toutes les facettes de son livre et il en a de nombreuses.
De quoi ça parle ?
Les Flibustiers de la mer chimique propose une narration alternée à la première personne entre Ismaël et Alba. Le premier est fait prisonnier par les Flibustiers après un « accident », ce qui nous permet de découvrir l’équipage du sous-marin PK (pour Player Killer) ainsi que son… excentrique… dirons-nous… capitaine Jonathan. La seconde est une Graffeuse, une personne barrée (pour rester polie) qui dispose de vastes connaissances sur l’ancien monde que son clan se transmettait de génération en génération. Elle est emmenée à Rome pour servir la Métareine.
Il s’agit donc bien d’un roman postapocalyptique qui se déroule plusieurs dizaines d’années après une catastrophe qui a décimé une grosse partie de l’humanité. Laquelle ? On le découvre au fil du livre. À quoi ça ressemble ? Et bien les océans sont toxiques, les chiens sauvages ont pris le contrôle des terres pendant que des monstres marins se baladent dans la mer, on a un continent de plastique, des clans divers et variés qui prônent tous leur petite idéologie, des tentatives pour survivre plus ou moins heureuses… L’univers est assez riche, bien pensé, immersif et crédible. C’est dans ce décor qu’on se lance à la rencontre de nos protagonistes.
Des personnages… excentriques.
Les Flibustiers de la mer chimique roman sans concession pour l’humain et pour l’Humanité au sens large. L’autrice brosse le portrait de multiples personnages (le plus marquant restera pour moi Jonathan) pour lesquels on se prend d’affection avant d’encaisser une trahison quand on découvre leur partie sombre, dégueulasse, lâche parfois. Et on se sent coupable de continuer à les apprécier, on se sent presque sale de se chercher des excuses pour le justifier. Marguerite Imbert est cruelle avec son lectorat qu’elle met face à ses contradictions, face à sa propre lâcheté, face à ses justifications foireuses. J’apprécie de me faire ainsi malmener, d’être heurtée dans mes convictions et surtout, de suivre les mésaventures de personnages que personne (encore moins l’autrice) ne cherche à excuser. Iels sont plus d’une fois horribles, immondes, comme n’importe qui peut l’être mais ce n’est pas si courant qu’on le montre en littérature, même en littérature de l’imaginaire. Rien que pour ce terrible pragmatisme, les Flibustiers de la mer chimique est un texte à découvrir. Mais il a encore d’autres choses à offrir…
Un texte riche et intelligent.
C’est en effet un roman d’une rare intelligence non seulement par ses multiples références à la pop culture comme à l’Histoire mais aussi par sa manière de questionner notre rapport au passé et à la mémoire. À l’instar du brillant Évangile selon Myriam de Ketty Stewart, Marguerite Imbert utilise le personnage d’Alba pour réécrire partiellement (notre) Histoire, la truffant parfois de quelques erreurs, imprécisions ou tout simplement d’éléments issus de nos propres fictions pour montrer à quel point le savoir, pourtant érigé comme important, fondamental, peut être aisément faussé et relatif. Le sous-texte est aussi inspiré et sans concession que les protagonistes. J’adore ! Évidemment, l’engagement écologique saute aux yeux et est rappelé par l’intrigue plus d’une fois mais je ne peux trop m’appesantir dessus sans risquer de divulgâcher certaines surprises -ce qui serait au mieux criminel de ma part.
Enfin, pour ne rien gâcher, l’humour et les tirades mémorables sont au rendez-vous, provoquant volontiers plus d’un sourire au fil de la lecture. Pourquoi l’apocalypse devrait être quelque chose de triste ? De déprimant ? De résolument sombre ? Désenchanté ? On peut très bien réfléchir sur ce terrible « après » d’une manière crédible sans pour autant s’infliger de l’ultra-violence et des excès de tous les côtés. L’équilibre trouvé par l’autrice a su me convaincre et m’emporter au fil des pages. Pour ne rien gâcher, la fin ouverte me fait rêver, elle laisse entrevoir la possibilité d’autres aventures pendant la fin du monde mais quoi que choisisse de faire l’autrice avec son excellent matériel, je tiens déjà à la remercier pour ce grand moment de lecture.
La conclusion de l’ombre :
« Je ne crois pas que l’apocalypse soit nécessairement une chose triste. » C’est ainsi que commence les Flibustiers de la mer chimique et on peut dire que la mise en bouche tient toutes ses promesses. Dans une narration à la première personne alternée entre deux narrateurs, le lecteur suit une galerie de personnages barrés, désespérément humains, avec leurs excès et leurs faiblesses dépeints d’une bien habile et savoureuse manière. Le texte, riche de réflexions sur la crise écologique, la mémoire historique et la postérité, nous rappelle qu’un roman engagé n’est pas forcément lourd ni désespéré et que même s’il ne reste plus d’espoir, ce n’est pas une raison pour se laisser abattre. Je suis plus que convaincue par la première incursion de Marguerite Imbert dans les genres de l’imaginaire et je vais suivre avec attention la suite de sa carrière.
Je remercie Gilles Dumay et les éditions Albin Michel Imaginaire pour ce service presse numérique.
D’autres avis : L’Épaule d’Orion (gloire à lui qui, le premier, a attiré mon attention sur ce roman) – Au pays des cave trolls – Le nocher des livres – Gromovar – Boudicca – Le dragon galactique – Les blablas de Tachan – Feygirl – Sometimes a book – vous ?
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J’avoue que ce roman m’attire énormément. Et ce n’est pas que la couverture, l’histoire, l’intrigue, l’ambiance décrite dans ta chronique et même les personnages semblent remarquables.
Mais, ce mois-ci mon budget livres est atteint, Vilaine!
Heureusement Noël approche… 😇
Le voici en PAL, plus aucune excuse pour ne pas le lire ici !
Aaaah excellent 😁👌 bonne lecture !!
IL faut que je le lise, je repousse sans cesse sa lecture. Objectif : le lire le mois prochain !
J’espère que tu aimeras autant que moi alors 😉
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Très belle chronique, bravo ! Moi aussi je me suis vaguement laissée aller à l’idée que ce serait tout de même rudement chouette d’avoir d’autres livres dans cet univers 🤗
Merci 😊 aaaah team suite :3 j’avoue que la fin m’a fait rêver mais elle est aussi très bien comme elle est, à justement provoquer un rêve 🤷 donc je me range au souhait de l’autrice, surprise 🤞
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Je me reconnais dans tes réticences initiales … et pour le moment, malgré les billets élogieux, dont le tien fait partie, je n’ai pas encore osé franchir le pas !
Je comprends ! J’espère que tu prendras autant de plaisir que moi à la lecture si tu décides de sauter le pas 🙂
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Très fier d’avoir attiré ton attention sur ce livre. C’est marrant que tu cites l’Évangile selon Myriam, j’y pensais aussi pendant ma lecture.
Encore merci à toi 😊
Les grands esprits se rencontrent ! Le parallèle m’a sauté aux yeux, surtout que je l’ai lu il n’y a pas si longtemps et c’est le genre de livres, d’idées, qui me parlent.