Tu es belle Apolline est un one-shot young adult de littérature blanche écrit par l’autrice française Marianne Stern. Publié aux éditions du Chat Noir dans la collection Chat Blanc, vous pouvez commander ce titre directement sur leur site Internet. Il s’agit d’une des nouveautés qui a souffert de la crise COVID-19 donc n’hésitez vraiment pas à tenter l’aventure.
De quoi ça parle?
Aux yeux de la société, Apolline a tout pour être heureuse : une mère riche et mannequin, une belle maison, peu de pression parentale… Pourtant, elle souffre. Elle mène une guerre contre la nourriture, obsédée par son poids, laissée seule face à ses démons par une mère carriériste qui refuse de divulguer l’identité de son père. Un père qui manque à Apolline…
Apolline, une protagoniste hors normes.
J’ai souvent tendance à associer la littérature young-adult à des héroïnes féminines (dans tous les sens du terme), qui prennent soin d’elle, qui sont obsédées par un garçon, relativement bonnes élèves, sérieuses, respectueuses, bref qui rentrent dans les clous de ce que la majorité des gens imaginent quand ils pensent « adolescente propre sur elle ». J’ai conscience de faire ici une généralité toutefois on ne peut nier qu’Apolline n’a rien d’une protagoniste comme les autres.
Apolline est métaleuse et germanophile. Elle fume des joints, elle boit aussi et se mutile pour exorciser son malêtre. Pour ne rien arranger, elle est anorexique mais refuse de le reconnaître. Par certains côtés, je me suis revue au même âge : différente, jugée, avec des interactions sociales difficiles. Du coup, je n’ai eu aucun mal à non seulement m’attacher à elle mais également à la trouver crédible. Toutefois, j’ai lu à plusieurs reprises que ce n’était pas évident pour tout le monde donc vous êtes prévenus.
Le roman est écrit à la première personne donc le lecteur vit l’histoire uniquement du point de vue d’Apolline. Le texte se veut psychologique, immersif. Nous vous attendez pas à des rebondissements dans tous les sens ou des évènements spectaculaires. Marianne Stern raconte la vie d’une adolescente presque comme les autres, décrivant avec maestria ses intenses tourments.
Apolline et l’anorexie.
L’anorexie est une grande thématique du roman. Apolline a grandi sous le même toit qu’une mère mannequin qui fait attention à son poids. Mutti ne lui a jamais adressé le moindre reproche ou fait peser une pression quelconque sur elle. Néanmoins, Apolline côtoie son style de vie, son style de beauté, c’est la norme pour elle de manger du céleri et boire du thé vert. Elle pèse quarante-quatre kilos à peine pour plus d’un mètre septante, on voit d’ailleurs ses os. Elle ne peut pas avaler une part de pizza sans ressentir un dégoût profond si bien décrit par l’autrice que mon propre estomac se rebellait à la lecture. L’ironie veut que je mangeais justement de la pizza le soir-même…
Le mot anorexie arrive tard dans le roman puisque Apolline vit dans le dénis. On évolue avec elle petit à petit vers l’acceptation de son état et un désir d’aller mieux, mêlé à une crainte : celle de finir à l’hôpital, endroit diabolisé par sa grand-mère qui le lui a d’abord présenté comme une menace pour l’obliger à manger. Fausse bonne idée… J’ai beaucoup apprécié le traitement de ce thème par l’autrice. Le choix de la subtilité permet au propos de gagner en force. Le concept fonctionne très bien.
Le culte des apparences.
Avec une mère mannequin, forcément, on ne peut pas passer à côté des préoccupations liées à l’apparence. Toutefois, l’autrice traite ce thème dans un sens plus large puisqu’elle met en scène la pression sociale du lycée. Apolline pose un œil critique sur ses camarades qu’elle trouve souvent grosses, hideuses. Cette fixette sur le gras n’est pas sans rappeler cette tendance de nos sociétés occidentales à mettre en avant la taille de guêpe et à donner dans le body shaming. D’ailleurs, Apolline va en être la victime elle aussi non seulement à cause de sa maladie mais aussi avec l’histoire des photos. Une situation vécue malheureusement par beaucoup d’adolescentes de nos jours, qui permettra de rappeler les protections les plus élémentaires.
La famille et le besoin d’attention.
Apolline a été élevée par une femme qui pensait d’abord à sa carrière. Un choix narratif intéressant parce que, pour une fois, je n’ai pas ressenti de critique contre celle qui a choisi son métier en essayant de se débrouiller avec son enfant. Mutti commet des erreurs, comme tout le monde. Elle est humaine, tout simplement. Apolline lui reproche par moment son comportement puis se rend compte elle-même que ce n’est pas forcément juste de sa part. J’ai trouvé le roman très moderne à ce sujet et décomplexant vis à vis des femmes actives. L’autrice s’engage ainsi, à sa façon, sur une question sociale forte en faisant à nouveau le choix de la subtilité.
L’absence du père créé un profond malaise chez Apolline. Elle a envie de le connaître mais sa mère refuse de lui donner des détails à son sujet. Comme elle a été escort-girl et qu’elle est tombée enceinte jeune, on imagine pendant un temps qu’il s’agit d’un accident avec un client. On se demande aussi, au fond, pourquoi conserver cet enfant? Une question matérialisée dans le roman par Carabosse, alias la grand-mère d’Apolline qui personnifie une société rétrograde, scrutatrice, étouffante.
Ces thématiques ne s’abordent pas à la légère et Marianne Stern l’a bien compris. Selon moi, l’autrice trouve un bel équilibre en proposant ainsi un roman très humain qui fonctionne bien.
Deutschland mein hertz in flammen will dich lieben und verdammen*
(Deutschland – Rammstein)
Tu es belle Apolline est, comme je l’ai déjà dit plus haut, un roman clairement germanophile. Apolline est fascinée par l’Allemagne, sa langue, son histoire, sa musique. Si la thématique ne vous intéresse pas ou que vous détestez ce qui vient de là-bas, vous risquez de vous heurter à un mur. Notre protagoniste écoute Rammstein, adore Till Lindemann (mais pas que), se donne la peine de s’investir uniquement au cours d’allemand et voue une admiration profonde à sa prof, mademoiselle Tallberg. Plusieurs phrases dans cette langue apparaissent dans le texte sans être traduite, toutefois on comprend leur signification approximative avec un peu de contexte. Je sais que ça a dérangé certains lecteurs mais ça n’a pas été mon cas puisque ça a participé à mon immersion dans ce roman. Je ne suis pas aussi accro à cette culture que l’autrice toutefois ça ne m’a pas empêchée de me régaler face à ces références ni de ressentir la passion de Marianne Stern pour ce sujet précis.
Tu es belle Apolline et That’s a long way to hell : des points communs ?
À ce stade, je ne peux m’empêcher d’effectuer un parallèle entre ce roman et That’s a long way to hell car on y retrouve des thèmes et des motifs semblables alors même que les histoires sont profondément différentes. Par exemple, l’idée de la mère seule et indépendante qui élève un enfant sans présence d’un père tout en refusant d’assouvir la curiosité de l’enfant quand il ou elle pose des questions. On retrouve aussi une germanophilie semblable. Si le roman se déroule en France et pas à Néo-Berlin, il est imprégné d’Allemagne à de nombreux niveaux. Enfin, on a deux personnages qui aiment la musique metal plus ou moins trash et qui sont auto-destructeurs. Apolline dans une moindre mesure que Hans… Quoi que ? Bref, quand on lit les deux romans, les similitudes sautent aux yeux pourtant ils n’ont pas grand chose en commun. Étrange paradoxe.
La conclusion de l’ombre :
Tu es belle Apolline est un roman young-adult de littérature blanche intéressant à découvrir pour son héroïne hors du commun et ses thématiques fortes. Marianne Stern aborde des sujets sociaux importants comme l’anorexie, le body-shaming, les difficultés familiales avec subtilité et maîtrise, ce qui rend le texte encore plus intense. Une fois commencé, impossible de lâcher ce roman que je recommande très chaudement même si vous n’êtes pas familier du genre. Il vaut le coup qu’on passe outre nos habitudes !
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Pas pour moi je pense, mais les thématiques sont vraiment intéressantes et ont l’air bien traité ! J’apprécie beaucoup le fait de ne pas culpabiliser la mère pour le choix de faire de sa carrière une priorité, c’est rare de voir ça !
Franchement je n’aurais pas acheté ce roman s’il n’avait pas été écrit par une autrice dont j’adore le travail sur ses textes de l’imaginaire. J’y allais en me disant qu’au pire je soutenais la maison d’édition et finalement ça a été une très belle surprise alors que bon YA + littérature blanche voilà quoi, c’était pas gagné.
D’autant que comme tu dis, c’est rare de ne pas voir une femme être culpabilisée pour ses choix de vie. Bon, dans le livre, y’a la grand-mère qui sert à ça toutefois y’a une réelle bienveillance de l’autrice là-dessus ne fut-ce que dans la manière qu’a Apolline de considérer sa mère à la fin. C’est moderne, ça fait du bien. Un exemple à suivre !
C’est vraiment important de parler de ce sujet, mais je ne pense pas que ce soit pour moi !
En effet c’est la première fois que je lis un roman qui en parle ! Et qui, en plus, le fait bien. C’est l’héroïne qui te rebute ? Ses goûts ?
Nop, le sujet justement, j’évite de lire des romans trop sombres, qui me mettraient mal ces derniers temps !
Ah oui je peux comprendre ça
peut être à un autre moment quand on sera dans une meilleure période ☺️