Terra Ignota #1 Trop semblable à l’éclair – Ada Palmer

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Trop semblable à l’éclair
est le premier tome de la saga Terra Ignota écrite par l’autrice américaine Ada Palmer. Publié au Bélial, vous trouverez ce roman au prix de 24.9 euros partout en librairie et sur le site de l’éditeur où je vous encourage à le commander directement.

Un avant-propos nécessaire.
Avant de vous parler de ce roman, je dois vous confesser que j’avais très peur de le commencer. Comme j’ai pu souvent le lire sur les réseaux, je ne suis pas la seule à ressentir cela donc cette petite introduction me semble adaptée et utile pour ceux qui persistent dans l’hésitation quant à ce titre. J’étais effrayée par les chroniques à son sujet, par son apparente complexité / richesse. Je n’étais pas sûre d’avoir les clés ou les capacités pour vraiment le saisir, si bien que j’ai sans cesse repoussé le moment de me lancer. S’il n’y avait pas eu les promotions du confinement pour l’acheter en numérique à petit prix, je crois que j’attendrais encore. Quelle erreur, mais quelle erreur !

J’ai terminé ce roman comme anesthésiée, groggy, sans trop savoir ce que je venais de lire mais avec une certitude : c’était une expérience incroyable, une claque littéraire presque indescriptible. Et si j’ai pu aussi bien en profiter, c’est grâce aux retours que j’ai pu lire au préalable. Aussi je voulais remercier FeydRautha, Les lectures du Maki, Célindanaé, Anouchka, Laird Fumble, L’Ours Inculte ainsi que les Chroniques du Chroniqueur qui ont tous su à leur manière me préparer à ce roman. Si vous craignez vous aussi de vous lancer, je vous recommande de prendre un peu de temps pour lire chacun de ces retours, tous différents, afin de pouvoir juger si oui ou non la saga Terra Ignota est fait pour vous. Ils mettent chacun en avant un pan du roman en formant une grande toile qui permet de s’initier aux différentes facettes de cette œuvre si riche sans pour autant gâcher la surprise car rien ne prépare à 100% au contenu de ce chef-d’œuvre (ça y est je l’ai dit).

Aussi, sachez-le, ma chronique n’a pas pour ambition d’analyser le roman dans ses moindres détails. On pourrait sans peine lui dédier un mémoire entier. Ce que je veux ici, c’est vous parler des éléments les plus marquants selon ma propre sensibilité, en espérant vous donner envie à vous aussi de le lire. À l’heure où j’écris ces lignes, je viens de précommander la suite -en papier cette fois- parce que je ressens un besoin impérieux de connaître le fin mot de cette histoire. Puis je veux posséder ces romans dans ma bibliothèque.

De quoi ça parle ?
2454, dans une société où les gens se répartissent dans des Ruches en fonction de leur affinité, tout semble aller pour le mieux, tout semble même proche de l’utopie. Pourtant, Mycroft Canner, Servant condamné pour avoir commis des crimes atroces, protège un secret qui pourrait bien ébranler l’équilibre fragile qui apporte paix et bonheur en ce monde. Ce secret, c’est Bridger, un enfant aux pouvoirs presque divins qui attire les convoitises de ceux qui découvrent son existence. Dans cette société qui a banni Dieu, banni les cultes, comment accepter l’existence d’un enfant comme lui?

De la science-fiction à la sauce « Lumières ».
Via mes études et par passion personnelle, j’ai toujours été très attirée par l’histoire littéraire dans son ensemble et plus particulièrement les 18 et 19e siècle qui me fascinent pour les profonds changements qu’ils apportent. Je pense que c’est l’une des raisons majeures qui font que j’ai adoré ce roman très référencé à des auteurs auxquels je suis sensible comme Diderot ou Sade. Trop semblable à l’éclair propose de se questionner sur de nombreuses thématiques : le genre, le choix de sa propre citoyenneté, le développement de ses croyances personnelles, pour ne citer que ces exemples. Dans un roman moderne, j’ai du mal à apprécier les apartés philosophiques mais ici, Ada Palmer s’en sort tellement bien pour les incorporer à son texte, à son action, que ça passe tout seul. En fait, le texte pourrait presque venir du 18e siècle s’il n’appartenait pas à la science-fiction avec tout ce que cela implique.

L’autrice ne se contente d’ailleurs pas de bêtement (si j’ose dire !) philosopher. Elle multiplie les expériences formelles en enchaînant différents styles d’écriture avec pourtant le même narrateur (à l’exception de deux ou trois passages qui sont des notes venues d’un enquêteur). Aussi au beau milieu d’une scène décrite de manière classique, vous allez voir apparaître des dialogues comme au théâtre, les didascalies en moins. Moi qui adore les échanges verbaux, j’ai immédiatement été séduite toutefois j’ai lu plus d’une fois que ça avait dérangé certains lecteurs.

Une science-fiction différente, une mise en avant de la représentation.
J’essaie de m’initier de plus en plus à la SF car c’est un genre qui me fascine et que j’aime beaucoup découvrir. Je l’avoue, je reste novice, surtout au regard de certains blogueurs de haute volée dont je lis régulièrement les retours. Dans ce genre, je me suis trouvée une passion pour la SF militaire et je n’avais pas vraiment réfléchi, avant de lire Trop semblable à l’éclair, que comme dans beaucoup d’ouvrages littéraires (de l’imaginaire ou non)… On y trouve une domination blanche assez marquée. Blanche et masculine, bien entendu. Dans ce roman, Ada Palmer inverse totalement la tendance pour proposer, selon ses propres mots « un monde multiracial et international ». Et elle ne jette pas de la poudre aux yeux, il l’est vraiment. En partie inspiré du passé, il se divise en 7 Ruches, chacune dévouée à un domaine. Dans ces Ruches, on trouve des bashs, qui sont des espèces de famille que l’on choisit d’intégrer ou non en fonction des affinités. Parfois il y a un lien génétique, parfois non. Il est possible de vivre en dehors d’une Ruche, de choisir à quel système de loi / de protection on obéit, de consulter un conseiller philosophique appelé sensayer, formé à toutes les religions et les types de pensées du monde. C’est très complet, bien construit, on n’a aucun mal à y croire. De plus, grâce à un système de voitures, on peut parcourir le globe assez rapidement et donc suivre Mycroft entre les différentes Ruches : en Asie, en Europe, en Amérique du Sud aussi, où il se trouve souvent. Les personnages que l’on croise appartiennent à des ethnies et des cultures qu’on ne croise pas régulièrement et c’est très plaisant.

J’ai évoqué l’aspect « blanc », parlons maintenant de l’aspect « homme ». Des hommes, créatures de sexe masculin, il y en a. Ainsi que des femmes. Mais dans cette société qui se veut évoluée, on a abandonné les genres en préférant un pronom neutre « on » ou « ons » au pluriel. Cela surprend au début toutefois on s’y habitue rapidement, d’autant que c’est prétexte à une belle réflexion sur le conditionnement des genres dans nos propres sociétés. D’ailleurs, Mycroft ne s’y plie pas toujours et s’amuse à nous perdre en qualifiant un personnage qu’on pensait masculin avec du elle et vice versa.

Mycroft Canner, la narration en « je » 2.0
Le récit est écrit à la première personne par la main même de Mycroft Canner, un narrateur peu ordinaire. Il raconte l’histoire qui nous occupe a posteriori en parlant de manière directe à son lecteur (pour rester dans les habitudes des Lumières j’imagine auxquels il se référence souvent). Ce lecteur, il l’imagine appartenir à une société totalement différente de la sienne. J’aime lorsqu’on joue avec le quatrième mur et ça fonctionne bien avec les choix narratifs d’Ada Palmer. Je me suis donc régalée ! J’ai toutefois conscience que ça dérange certains lecteurs donc faites attention parce que ça ne se résume pas à une intervention ou deux. Mycroft nous transforme en lecteur actif, nous posant souvent des questions et nous invitant à réfléchir par nous-même sur les questions qu’il se pose, que posent les situations décrites.

Je vous l’ai dit, Mycroft n’a rien d’ordinaire. Pendant les deux tiers du roman, on sait peu de choses à son sujet. On apprend qu’il appartient à la classe des Servants ce qui signifie qu’il a commis un crime et qu’il sert la société pour se racheter. Plus on avance et plus on comprend que le crime en question est horrible et a marqué son époque. Quand la révélation arrive enfin… Je suis restée sidérée et j’ai eu besoin de quelques minutes pour réorganiser mes pensées. Quoi, cet homme si érudit, presque sympathique, qui nous raconte l’histoire depuis le départ… Il a vraiment fait ça ? Selon moi, la maîtrise psychologique dont fait preuve l’autrice sur ses personnages au sens large et Mycroft en particulier est époustouflante. Je n’avais plus rien lu de tel depuis très longtemps et ça a achevé de me convaincre de son génie. J’étais agrippée à ce texte, avide d’en savoir plus, avide de comprendre où il essaie de nous mener. Imaginez que ce mastodonte de plus de 600 pages raconte seulement les évènements de trois jours ! Pourtant, je n’ai pas senti le temps passer. En partie parce que, comme je l’ai dit, Mycroft passe son temps à jouer avec le lecteur, à  le perdre aussi. Je n’avais jamais connu cela auparavant, je signe n’importe quand pour renouveler l’expérience.

La conclusion de l’ombre :
Trop semblable à l’éclair est un premier tome et un premier roman qu’on peut qualifier de chef-d’œuvre. Très imprégné de la philosophie du 18e siècle, le texte est porté par un narrateur époustouflant à la psychologie soignée qui nous raconte a posteriori des évènements graves qui ont eu lieu à son époque et qui ont probablement causé la chute de cette société qui frôle l’utopie. J’ai dévoré ce premier tome et précommandé le second dans la foulée tant j’ai été convaincue, tant j’ai été emballée. Sans hésiter, je qualifie ce roman de coup de cœur et je le recommande très chaudement. Attention toutefois, à mon sens, sa lecture demande un peu de préparation préalable pour l’apprécier dans son ensemble.

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34 réflexions sur “Terra Ignota #1 Trop semblable à l’éclair – Ada Palmer

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  14. Merci pour cette intro, je fais partie des terrifiées de ce livre, sa taille son contenu, bouh ^^ bon, j’ai bien trop à lire dans ma PAL mais comme Mr l’a acheté aux Utos je sais que je peux lui emprunter

    • Avec plaisir ! J’avais vu que tu étais dans le cas mais j’en ai aussi vu beaucoup sur twitter qui n’étaient pas rassurés et comme j’étais moi-même dans ce groupe… Ça me paraissait indispensable 😀 Si tu le lis un jour j’espère que tu aimeras autant que moi ^-^

  15. Très chouette chronique et grand merci pour le lien 🙂
    Sinon, vraiment super heureuse que tu aies tant apprécié cet OVNI, ce chef d’oeuvre comme tu dis ! Je comprends qu’il puisse ne pas plaire à tout le monde, mais quel plaisir de constater le plaisir d’autrui à le lire et à le découvrir, et je trouve que dans tous les cas, ça vaut le coup de dépasser la très longue mise en place et de tenter sa chance en allant au bout pour commencer à comprendre comment les pièces du puzzle sont imbriquées ainsi que les véritables enjeux de l’histoire.
    Je suis entrain de lire la suite pré-commandée, et c’est pour l’instant tout aussi génial et tortueux.
    A titre personnel, j’ai un peu tendance à me dire « plus un bouquin a l’air compliqué et énorme, plus y’a de chances que j’en retire quelque chose de fort au bout », parce que se prendre des claques comme ça, qui jouent avec la narration etc…, ça fait du bien 😀

    • Avec plaisir et merci également à toi pour le lien 🙂
      D’où l’importance de se préparer avec la lecture des autres chroniques. Je savais qu’il y avait toute une mise en place, que je ne devais pas me décourager. Du coup je ne ressentais même pas frustration ou lassitude, j’étais impatiente de continuer pour comprendre par moi-même ce que renfermait ce roman. J’ai précommandé la suite dés que je l’ai terminé mais je ne sais pas quand je vais la recevoir. Par contre je sais déjà que je vais l’ouvrir dès que mon facteur me l’apporte 😀

  16. Pingback: Terra Ignota – Tome 1 : Trop Semblable à l’Éclair – Ada Palmer – Les Notes d'Anouchka

  17. Contente de voir qu’il t’a plu 🙂
    Je m’étais lancé dans ce livre en VO, totalement par hasard, attiré par la couverture je dois avouer, alors qu’on n’avait encore aucune idée qu’il serait traduit en VF.

    Je ne suis pas non plus le lectorat de base de ce genre de romans, j’aime aussi d’ailleurs pas mal la SF militaire (d’ailleurs, tu as essayé les Confédération de Tanya Huff? C’est le premier tome qui m’a vraiment lancé dans ce sous genre, j’adore).
    En fait je n’avais aucune idée de ce dans quoi je me lançais, en dehors du fait qu’il n’était pas facile à lire.

    Et ça a pourtant été totalement un coup de cœur. En plus je suis sure que si on m’avait expliqué le lien avec les lumières, la forme différente du roman, le coté philosophique … je n’aurais surement jamais tenté de le commencer.
    Je suis bien contente de ne pas l’avoir su en fait.

    Hâte de lire la suite ! (j’attendais la sortie VF pour me lancer dedans, ci bien que ça fait 3 ans que j’ai lu le premier tome xD (outch, j’espèce que je ne serais pas trop perdue !)

    • Je ne pense pas que j’aurais été capable de lire et comprendre ce roman en VO, je suis toujours impressionnée par les personnes capables de lire des romans comme celui-là dans leur langue d’origine. Ça doit apporter une richesse supplémentaire (alors que la traduction française est excellente je trouve).
      C’est marrant quand je te lis, tu aurais été rebutée par tout ce qui m’a attiré et pourtant au final ça a été un double coup de cœur, pour toi comme pour moi :3

      Je ne connais pas les Confédérations non, je le note pour me renseigner. Comme j’adore ce genre, je suis toujours preneuse de conseil pour savoir vers quoi m’orienter en priorité o/ Merci pour la recommandation et pour ta lecture de ma chronique ♥

  18. C’est marrant ce que tu as ressenti à la fin de la lecture, c’est exactement ce qui m’est arrivée à la fin de Vita Nostra ! Enfin bref, va vraiment falloir que je me lance, merci pour cette très belle chronique !

  19. Merci pour ce papier qui fait plaisir, surtout venant de la part d’une lectrice de SF depuis peu (si je vous lis bien).
    Une précision, toutefois. « Terra Ignota » n’est pas un diptyque. En VO, il se découpera en 4 volumes (le 4e n’étant pas encore paru), et 5 en VF (le 4e volet VO étant énorme, il nous faudra le couper en deux, ce qui a déjà été validé par Ada). En revanche, il est vrai que les deux premiers opus du cycle, « Trop semblable à l’éclair » et « Sept redditions », qui sortira officiellement en librairie le 28 mai prochain, forment un arc narratif complet. Quant au 3e tome, « The Will To Battle », il verra le jour par chez nous début 2021, toujours traduit par l’exceptionnelle Michelle Charrier, bien entendu.

    • Merci à vous pour ce commentaire 🙂 En effet vous avez bien compris !
      Et figurez-vous que je me suis rendue compte de ça en relisant mon article, je pensais avoir corrigé mon erreur partout. Je vais revérifier. Je suis ravie d’apprendre qu’on a encore de beaux moments de littérature à vivre dans cet univers♥

  20. Pingback: Trop semblable à l’éclair, d’Ada Palmer – Les Chroniques du Chroniqueur

    • Avec plaisir, merci à toi pour ta chronique convaincante ^-^
      Et merci de m’accueillir 😀 Ada ruuuuuules !
      (et merci aussi pour le compliment sur ma chronique 🙂 tellement de merci haha)

  21. Pingback: Too Like The Lightning (Trop semblable à l’éclair) – Ada Palmer ***** – L'épaule d'Orion

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